d’Aristote, Foucault repère le signe incontestable de la souveraineté philosophique dans le
rapport d’intériorité que la philosophie établit avec la vérité. La vérité, à partir des niveaux
les plus élémentaires de la connaissance, fait appel à la philosophie, dont l’histoire n’est que
le mouvement par lequel, grâce à sa connaissance pure et désintéressée, la vérité se révèle.
La rupture opérée par Nietzsche en rapport à Aristote et à la tradition philosophique toute
entière, a consisté en ceci qu’il a exposé la vérité au « tout autre » de son immanence : à la
violence de la volonté et du désir de connaître, qui sont extérieurs à la connaissance elle-
même, et à l’historicité des rapports de pouvoir, de domination et de lutte dont la vérité est
toujours l’enjeu, l’arme, l’effet. Passage, donc, de l’intériorité d’une
histoire « philosophique » de la vérité, à l’extériorité d’une histoire « politique » de la vérité.
La souveraineté philosophique – fonctionnant comme une intériorisation qui est à la fois
une sublimation, une idéalisation de la vérité – est d’abord fondée sur un geste qui « définit
par exclusion un dehors du discours philosophique ». La vérité, c’est ce qui permet
d’exclure, de séparer le dedans (le pur) du dehors (l’impur), mais c’est aussi ce qui permet
d’éliminer ou d’expulser l’extérieur en tant que tel, de « capturer (dehors le) dehors ». La
vérité, en ce sens, « fait exception », et la première violence de la vérité est l’exception de sa
propre violence. D’où la nécessité de cerner ce geste où s’est intimement noué le rapport
entre la philosophie et la vérité, et dont la violence fondatrice caractérise peut-être encore
notre volonté de savoir. On arrive alors à comprendre pourquoi Foucault pensait que la
critique devait être à la fois intérieure et extérieure à la philosophie.
En conclusion, les Leçons sur la volonté de savoir font émerger un vaste et complexe front
polémique dont l’axe est la lecture de Nietzsche, enjeu privilégié pour les avant-gardes
philosophiques en France dans les années 1960-1970. Foucault s’associe sûrement à l’appel
lancé par Derrida dans De la grammatologie – « arracher Nietzsche à une lecture de type
heideggérien » – et il renverse à son tour le jugement de l’auteur d’Être et Temps : non
seulement Nietzsche n’est pas renfermé dans la métaphysique, mais il est le seul à y avoir
échappé, à la différence de Heidegger lui-même, dont la manière d’entendre la vérité reste
tout compte fait encore celle d’Aristote. Pourtant, Foucault s’oppose également à
l’interprétation que Derrida donne de cette échappée : l’« écriture », la « textualité » par
laquelle l’œuvre de Nietzsche déborderait le « sens » philosophique où Heidegger a voulu
l’enfermer, c’est pour Foucault encore le signe d’une intériorité (philosophique) qui trahit
une attitude (philosophiquement) souveraine. Il renvoie, donc, dos à dos Heidegger et
Derrida, opérant une violente sécession à l’intérieur de la famille nietzschéenne. Les gestes
qu’il opère dans ce cours sont des mouvements sur un champ de bataille : d’abord, il oppose
au retour heideggérien vers le présocratiques, l’analyse historique « documentée » des
pratiques judiciaires dans la Grèce antique, en tant que terrain d’émergence du discours vrai
en Occident ; puis, il oppose au principe derridien de la textualité générale, la notion
d’ « événement discursif ». Foucault refuse nettement cette figure extrême de l’intériorité
(philosophique) qui est le principe selon lequel « il n’y a pas de hors-texte ». Contre
l’analyse du texte à partir du texte lui-même, il fait valoir un « principe d’extériorité »
consistant à « passer hors du texte », à se placer dans la dimension de l’histoire et à
« retrouver la fonction du discours à l’intérieur d’une société ».
L’événement discursif n’est jamais textuel, car il « se disperse entre des institution, des lois,
des victoires et des défaites politiques, des revendications, des comportements, des révoltes,
des réactions ». On retrouve ici tous les éléments du vrai incipit de l’Histoire de la folie, les
quelques lignes ouvrant le chapitre sur le grand renfermement, juste après le commentaire
des Méditations de Descartes rejeté par Derrida ; ces lignes négligées qui recèlent toutefois,