Le drame Siddhartha raconte l'histoire d'un homme, un héros, marqué à la
naissance par un handicap : il refuse d'ouvrir les yeux et de voir le monde qui l'entoure.
Segalen fait de la vie du futur Bouddha un drame de la vision, une incapacité à voir la
réalité exacerbée par un entourage qui cherche à le protéger en l'empêchant de
découvrir les afflictions de la vie humaine : la maladie, la vieillesse et la mort. Comme le
remarque Christian Doucet, Segalen fait de Bouddha :
Un véritable dieu du regard, un regard divinisé : le thème
bouddhique, grâce au complexe de visibilité et d'invisibilité qu'il implique,
illustre pour lui l'exacerbation d'une pulsion scopique sur laquelle se
fondent une idéologie et une métaphysique du voir... (Doumet, 111)
Mais ce drame de la vue et de l'aveuglement qui la précède, suggère aussi que l'ouïe, la
capacité d'entendre se trouvent à l'origine de l'illumination. La quête de Siddhartha
commence par un mal entendu. Alors que son fils vient de naître, sa cousine Krisha lui
dit : "Le fils est né–Voici la délivrée–Le fils est né–où est l'époux..." (Segalen, Œuvres
Complètes, tome 1, 584) Siddhartha "tressaillant" répond :
- Délivré ?... Délivré ! ... elle a jeté tout un présage clair comme une
aube... délivré des doutes et délivré des peines... elle a chanté comme à
travers un souffle prophétique.
- Ne cherche plus : je me suis trouvé moi-même à travers ta voix...
Je me retrouve... Krisha ! (Segalen, Œuvres Complètes, Tome 1, 584)