RECTORRAGIES ET LESIONS ENDOSCOPIQUES DU RECTOSIGMOIDE Jean François MOUGENOT Service de gastroentérologie, Mucoviscidose et Nutrition Pédiatriques Hôpital Robert Debré En cas de rectorragies, l’examen proctologique est toujours complété par une rectosigmoïdoscopie qu’il y ait ou non des lésions ano-périnéales à l’inspection de la marge anale. S’il existe des lésions anales susceptibles de rendre compte des rectorragies, c’est en fonction de l'âge de l’enfant, de l’ancienneté du saignement, de l’existence ou non d’une constipation, du contexte amenant le patient à consulter, qu’il sera décidé de faire cette rectoscopie d’emblée ou après un intervalle libre de durée variable, mis à profit pour juger de l’efficacité du traitement proposé. La décision de réaliser, non pas une rectoscopie, mais une coloscopie, voire une iléocoloscopie, repose sur l’existence d’arguments évocateurs ou non d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Les causes des rectorragies sont des plus diverses et varient selon l'âge des patients. Que peut-on identifier en rectoscopie ? Chez le NOUVEAU-NE Trois causes sont spécifiques au nouveau-né (NN) : l'entérocolite ulcéro-nécrosante, la maladie hémorragique et la colite ecchymotique ou hémorragique du NN. Elle est caractérisée par la survenue de rectorragies isolées chez un NN dont l'état général est parfaitement conservé, indemne de toute pneumatose. C’est la seule situation qui autorise la pratique d’une rectoscopie. La rectosigmoidoscopie l'affirme devant des stries ecchymotiques linéaires longitudinales que séparent des intervalles de muqueuse saine siégeant sur le rectum (indemne dans la moitié des cas) et/ou le sigmoïde. L'évolution est spontanément favorable. L'étiologie reste incertaine, infection bactérienne, allergie alimentaire…. Chez le NOURRISSON Les allergies alimentaires, en particulier l’allergie aux protéines du lait de vache, se révèlent parfois dans les jours ou semaines qui suivent l’introduction de ces aliments par une diarrhée sanglante témoin d’une colite plus ou moins sévère. Les colites allergiques sont plus souvent observées chez des nourrissons allaités par leur mère et s’étant sensibilisés aux protéines lactées bovines présentes dans le lait maternel. La diarrhée glaireuse et purulente des colites ou iléocolites bactériennes invasives (salmonelles, shigelles, campylobacter jéjuni, colibacilles entéro-invasifs) ou parasitaires est volontiers sanglante. Leur diagnostic repose sur la coproculture et l’examen parasitologique des selles. Il est exceptionnel d’être conduit à endoscoper des nourrissons dans un tel contexte. Rappelons ici la nécessité, devant toute colite aigue surtout lors d’un épisode inaugural, de prises biopsiques aux fins de cultures virales, bactériennes, voire parasitaires si le contexte y invite. L'ulcération thermométrique, exception française, est une étiologie souvent évoquée, rarement démontrée de rectorragies. C'est une lésion rectale superficielle, volontiers longitudinale, unique ou multiple au sein d'une muqueuse normale. L'évolution est favorable à l'arrêt des manœuvres traumatisantes. En réalité, de trop nombreuses rectosigmoïdoscopies et même de coloscopies sont faites alors qu'un examen proctologique précis sur table de Bensaude aurait permis de reconnaître une fissure anale, cause la plus commune à cet âge de vie. RECTORRAGIE DU NOURRISSON ETIOLOGIE CLE DIAGNOSTIQUE Fissure anale Examen proctologique Invagination intestinale aiguë Echographie abdominale Diverticule de Meckel Laparotomie exploratrice Ulcération thermométrique Rectoscopie Hyperplasie nodulaire lymphoïde Coloscopie - Biopsies endoscopiques Polypes Coloscopie -Electrorésection endoscopique Chez le PETIT ENFANT Les lésions anales exclues, la cause de loin la plus fréquente de rectorragies chez l'enfant est le polype juvénile. Observé entre 2 et 8 ans, révélé par des rectorragies minimes, isolées mais récidivantes évoluant dans plus de la moitié des cas depuis au moins 3 mois, le polype juvénile est le plus souvent unique (3 fois sur 4) et siège au niveau du recto sigmoïde (2 fois sur 3). Lorsque des rectorragies récidivantes ont justifié une coloscopie, il est fréquent de noter, en l’absence de toute autre lésion, dans toute ou partie du colon de petites saillies nodulaires de 1 à 2 mm de diamètre avec parfois ombilication centrale. Les nodules, parfois plus pâles que la muqueuse colique adjacente, sont parfois cernés par un liseré érythémateux voire ecchymotique. Seules les biopsies multiples permettent d'affirmer que la saillie endoluminale est causée par des agrégats lymphoïdes avec hypertrophie des follicules sans atypie cellulaire. L'hyperplasie nodulaire lymphoïde (HNL) a été décrite dans des contextes pathologiques variables : déficits immunitaires, allergie alimentaire, maladie de Hirschsprung. En réalité dans cette tranche d'âge une HNL est souvent notée en coloscopie en dehors même de toute rectorragie. Une étude prospective de 48 patients n'a trouvé aucune corrélation entre la présence ou l'absence de tels nodules et un quelconque symptôme. L'HNL n'appelle aucune thérapeutique spécifique. Le purpura rhumatoïde est dans 30 % des cas compliqué de lésions digestives graves. Elles sont secondaires à des suffusions hémorragiques intrapariétales à l'origine d'hématomes. Les lésions intéressent le jéjunum ou l'iléon, plus rarement le colon ou le duodénum, exceptionnellement l’œsophage. Révélés par un méléna et/ou des rectorragies et en cas de lésions gastriques ou duodénales par des vomissements bilieux et des épigastralgies, ces complications digestives précédent parfois l'apparition du purpura. Endoscopiquement, outre un œdème pariétal présent dans tous les cas, il existe une congestion et un piqueté pétéchial de la muqueuse. Plus rarement, les hématomes apparaissent ulcérés en surface et recouverts de fausses membranes rétrécissant parfois la lumière digestive. A la phase initiale d'un syndrome hémolytique et urémique, douleurs abdominales, diarrhée sanglante sont fréquentes et ont pu exceptionnellement amener à faire une endoscopie et prêter à confusion devant une muqueuse rectale congestive et friable avec une colite ulcéreuse. Les lésions vasculaires du tube digestif sont rares chez l'enfant. Elles se révèlent par un saignement digestif aigu ou plus souvent chronique responsable d'anémie hypochrome hyposidérémique. Les lésions vasculaires sont séparées en trois types : 1 angiodysplasies qui seraient des lésions dégénératives des veines sous-muqueuses ; 2 télangiectasies héréditaires qui, histologiquement, ne peuvent être distinguées des angiodysplasies ; 3 hémangiomes caverneux diffus : malformation vasculaire faite de larges sinus sanguins bordés par un endothélium et du tissu conjonctif de type capillaires, caverneux ou mixtes. Chez l'enfant les angiodysplasies s'observent : 1 dans les formes acquises et congénitales génétiques de la maladie de Von Willebrand; 2 chez l'insuffisant rénal en hémodialyse. Au décours d'une transplantation rénale ces lésions d'angiodysplasies iléales et /ou coliques droites mais aussi gastriques et duodénales peuvent être responsables d'hémorragies intestinales sévères de diagnostic particulièrement difficile. Endoscopiquement, les lésions souvent multiples apparaissent comme des "tâches" rouges de 4 à 8 mm, plates ou légèrement saillantes, d’où peut partir une veine de drainage. Les limites de ces collections de sang sous-muqueux sont festonnées. Les téléangiectasies s'observent : 1 - dans le syndrome de Rendu-Osler. Si les épistaxis débutent dans la première décennie, les hémorragies digestives s'expriment rarement avant la cinquantaine. A l’inverse les lésions cutanées caractéristiques sont absentes chez les plus jeunes patients; 2- dans le syndrome de Turner; 3 - le pseudoxanthome élastique où des lésions vasculaires responsables d’hémorragies digestives s’observent chez 10% des malades. Des hémangiomes cutanés sont notés chez la moitié des enfants porteurs d'hémangiomes intestinaux. Dans le Blue rubber bled nevus syndrome où les lésions multiples (coliques, jéjuno-iléales, gastriques) sont la règle et le syndrome de Maffuci, il s'agit d'hémangiomes caverneux responsables d'hémorragies parfois massives. Dans le syndrome de Klippel-Trenaunay-Weber (KTW) il s'agit d'hémangiomes caverneux ou mixtes. La présence de phlébolithes est évocatrice mais inconstante. La coloscopie est une étape essentielle du diagnostic car dans plus de la moitié des cas les angiomes intéressent le colon. Les lésions sont de dimension variable : de 1 cm à des lésions étendues qui intéressent la totalité de la circonférence rectale ou colique. Dans le syndrome de KTW et les hémangiomes caverneux diffus, l'hémangiome débute volontiers dans le canal anal, concerne la totalité du rectum, voire le sigmoïde et parfois même le côlon gauche. RECTORRAGIES DU PETIT ENFANT ETIOLOGIE CLE DIAGNOSTIQUE Fissure anale, anocryptite Examen proctologique Invagination intestinale aigüe Echographie abdominale Diverticule de Meckel Laparotomie exploratrice Purpura rhumatoïde Eléments cutanés Syndrome hémolytique et urémique NFS, urée sanguine Polypes Coloscopie Hyperplasie nodulaire lymphoïde Coloscopie Angiomes Coloscopie Chez le GRAND ENFANT et l'ADOLESCENT Les étiologies des rectorragies sont appelées ci-dessous par ordre de fréquence décroissante. RECTORRAGIES DU GRAND ENFANT ET DE L'ADOLESCENT R.C.H Maladie de Crohn Colites infectieuses Purpura rhumatoïde Colite pseudomembraneuse Polypes hyperplasiques Polypes adénomateux Cancer recto-colique Ulcère solitaire du rectum L’ulcère solitaire du rectum justifie une mention particulière Révélé par des rectorragies, le plus souvent minime l’ulcère solitaire du rectum offre à l’endoscopie l’aspect d’une ulcération unique superficielle dont la dimension varie de 5 mm à 5 cm siégeant entre 6 et 10 cm de la marge anale sur la paroi antérieure du rectum et séparé nettement de la muqueuse adjacente normale par un liseré hyperhémique. Au toucher rectal, cette lésion est perçue comme une surface indurée n’adhérant pas aux structures sous jacentes. L’ulcère solitaire du rectum affecte surtout les femmes entre 20 et 30 ans mais la survenue dés l’âge de 10 ans a été récemment rapportée. Il serait secondaire à un prolapsus de la muqueuse rectale qui, reconnu à la défécographie, serait la conséquence d’un défaut de relaxation lors de la défécation du faisceau pubo-rectal du releveur de l’anus objectivable par électromyographie. Histologiquement l’oblitération de la lamina propria par des fibroblastes dérivés de la musculaire muqueuse achève de le caractériser. Ces lésions se voient mieux sur des biopsies prélevées au voisinage de l’ulcère.