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Conférence de M. Pascal Zesiger
De la Faculté de psychologie et des Sciences de l'Education
Complément au document PowerPoint
Le 08.01.2004
Les difficultés d’apprentissage.
J’ai travaillé de nombreuses années au CHUV dans un service de diagnostic
spécialisé venaient des adolescents et préadolescents qui avaient des difficultés
neurologiques ou simplement des difficultés scolaires. Notre travail était de trouver
des raisons objectives qui pouvaient justifier et expliquer ces difficultés. Parfois il était
possible d’en trouver, parfois non et c’est dans ce débat que j’aimerais vous
emmener dans un deuxième temps. Dans votre pratique professionnelle, vous êtes
confrontés des adolescents dans cette nouvelle filière, « qui n’ont pas de facilité
scolaire ou qui ont des difficultés scolaires ». Dans quelle mesure certains d’entre
eux peuvent avoir réellement des troubles ?
J’aimerais vous dire quelques mots sur les troubles d’apprentissage principalement
dans le but de mystifier cette notion et définir ce qu’est un trouble de
l’apprentissage.
Les postulats de base de la psychologie cognitive
Les personnes sont des êtres autonomes dotés d’intention qui interagissent avec le
monde externe au moyen de leur esprit (mind en anglais). Cet esprit est conçu
comme un système de traitement de l’information composé d’un vaste ensemble de
processus plus ou moins spécifiques. Nous possédons une espèce de boîte à outils
cognitive dans notre cerveau avec des outils très spécialisés, qui nous servent par
exemple à reconnaître des visages, des sons, à faire de la visualisation spatiale, et
des outils plus généraux. Le but de la recherche est d’identifier et de comprendre le
fonctionnement de ces processus et leurs interactions. Si on fait un schéma très
simplificateur de la psychologie cognitive, on a un sujet qui est en lien avec des
environnements : physique, familial, social, culturel, etc.…, et ce sujet interagit avec
ces environnements par son comportement qui est médiatisé par les structures
cognitives.
L’approche "développementale" part du veloppement. Elle essaie de comprendre
les changements qui se déroulent au cours du développement, au cours des
apprentissages, dans ces structures cognitives chez le bébé, l’enfant, l’adolescent,
l’adulte et la personne âgée.
Les difficultés d’apprentissage sont abordées principalement par la
neuropsychologie. Certains chercheurs se sont penchés sur ces enfants,
adolescents, et adultes qui ont des difficultés à apprendre, soit, des choses très
spécifiques, soit, des choses plus larges qui touchent à différents domaines pour
essayer de comprendre pourquoi ces individus ont des difficultés et de distinguer les
facteurs propres au sujet et ceux qui sont liés aux environnements.
Depuis 1980, les neurosciences ont pris un essor considérable. On commence à
étudier le cerveau avec de nouveaux outils pour aborder cet organe très complexe.
Maintenant, il ne s’agit pas seulement de faire des liens entre le comportement du
sujet et ses structures cognitives, mais d’établir également des liens entre ses
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structures cognitives et les soubassements neuro-physiologiques et génétiques. Le
cadre très général dans lequel on se situe à l’heure actuelle est l’idée qu’il y a au
moins trois niveaux. Le niveau biologique, il est question d’un patrimoine
génétique qui va contribuer à la maturation du cerveau. Ce niveau biologique va
avoir un certain nombre d’incidences sur la mise en place des structures cognitives
au cours du développement, pendant la grossesse et pendant la vie. La mise en
place des structures cognitives va donner lieu à un certain nombre de
comportements. Il est important de considérer qu’un patrimoine génétique s’actualise
dans un certain contexte, et que ce contexte joue un rôle très important dans le
développement de l’individu.
La différence entre difficulté et trouble
Pendant longtemps, jusque dans les années 1980, on pensait que, lorsque l’on
administrait une épreuve quelconque (de mathématiques par exemple) à un grand
nombre d’enfants ou d’adolescents, les résultats devaient être à peu près les
suivants. Si les notes variaient entre 1 et 20, on s’attendait à ce qu’il y ait quelques
sujets qui maîtrisaient très bien la matière avec des résultats de 18 sur 20. Puis, on
avait la grande majorité des sujets, moyens, qui se situaient autour de 12 sur 20.
Lorsque l’on va vers les adolescents qui ont plus de difficultés, ils arrivaient à des
scores de 10,8,7, etc… Vers la fin de la distribution, on s’attendait à trouver en petit
ensemble de personnes avec de très faibles résultats. On pensait par conséquent
qu’il y avait parmi la population 2 sous-populations :
1- la population des enfants normaux. Ceux qui n’ont pas de problèmes qui
peuvent être un peu faibles, moyens ou excellents. Ce serait la population dite
normale.
2- La population des enfants à troubles.
Lorsque l’on a fait de grandes études épidémiologiques sur la lecture et sur d’autres
domaines, on a dans un premier temps obtenu des résultats qui corroboraient ce
modèle-là. L’intérêt de ce modèle était que l’on pouvait fixer assez simplement un
critère à partir duquel on allait considérer que les scores étaient pathologiques
(troubles) pour les distinguer des performances considérées comme étant normales.
Parmi les sujets normaux, certains pouvaient avoir un peu de difficultés, mais avaient
néanmoins de meilleures performances que les sujets qui présentaient des troubles.
Par la suite, on s’est rendu compte que ce modèle n’était pas tout à fait le bon. La
réalité est autre : on sait maintenant que lorsque l’on utilise un test adapté aux
compétences de tous les sujets, on obtient ce type de distribution (normale) sans
qu’aucune catégorie particulière apparaisse ici (extrême gauche de la distribution).
Cela change la perspective, puisque l’on a plus aucun point de discontinuité, on est
dans du continu. La majorité des sujets sont dans la moyenne, puis certains sont très
bons et d’autres moins bons. Ce qui est important, c’est de comprendre qu’il est tout
à fait arbitraire de fixer un critère à partir duquel on va considérer qu’un score
correspond à des troubles et qu’un autre correspond simplement à des difficultés. On
n’a aucun point de repère qui soit véritablement objectif pour définir quand
commencent les troubles et quand s’arrêtent les difficultés. Ce qui veut dire que la
distinction entre « normal » et « pathologique » est arbitraire. C’est un critère
statistique que l’on utilise. Quand le score est de 5, de 6, on peut considèrer que ces
performances reflètent des troubles, mais c’est parfaitement arbitraire. C’est
néanmoins le cas pour la définition de la dyslexie, pour la définition des troubles du
langage ou pour d’autres domaines. Donc la distinction entre les difficultés et les
troubles est floue.
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Qui sont les élèves qui sont dans cette fin de distribution à gauche ? Les recherches
actuelles montrent qu’il y a différents cas possibles. Un certain nombre d’entre eux
ont des troubles « spécifiques » dans ce domaine-là (les mathématiques dans notre
exemple). D’autres sont des élèves qui ont des difficultés beaucoup plus générales,
qui peuvent être de nature différente et de diverses origines.
En France, de nombreux travaux sont actuellement consacrés à la problématique de
l’illettrisme. Ces travaux ont montré qu’un tiers des adultes illettrés étaient des
dyslexiques qui n’avaient pas été diagnostiqués. Ils présentent néanmoins toutes les
propriétés que l’on connaît maintenant, que l’on peut décrire dans le domaine de la
dyslexie. Ils appartiennent tous à cette queue de la distribution des performances
jugées faibles par rapport à ce que l’on attend à l’âge adulte. Les deux autres tiers
ont d’autres types de difficultés liées généralement à une origine environnementale.
Les troubles de l’apprentissage
La définition proposée par l’OMS en 1992 est la suivante : sous le terme « trouble
spécifique des acquisitions scolaires », on décrit :
- Les troubles spécifiques de la lecture,
- Les troubles spécifiques de l’orthographe,
- Les troubles spécifiques des aptitudes arithmétiques.
La prévalence selon les études varie beaucoup et s’échelonne entre 2% et 10% de la
population. Cela dépend du critère qui a été choisi. On considère qu’une prévalence
de 5% est réaliste par rapport à ce type de problèmes.
La définition opérationnelle est la suivante : il s’agit de performances dans le
domaine de la lecture, de l’orthographe ou de l’arithmétique qui sont plus faibles que
celles attendues, compte tenu de l’âge, de l’intelligence et du classement scolaire.
Mais, on inclut -dedans des personnes qui auraient eu des antécédents de
difficultés sévères, car on sait que ces enfants, même s’ils arrivent à compenser
leurs difficultés, sont susceptibles d’être confrontés à nouveau à des problèmes
pendant l’adolescence lorsque la complexité des problèmes qu’ils doivent aborder
devient plus élevée. Ce sont des enfants « à risque » pour la suite des études. Le
2ème critère est que le trouble interfère avec la réussite scolaire ou avec les activités
quotidiennes de l’individu. Les autres critères sont des critères d’exclusion : ne pas
avoir de difficultés visuelles, auditives, neurologiques ou émotionnelles particulières.
Enfin, il faut que les expériences scolaires soient dans la moyenne (fréquentation
scolaire régulière) et que le quotient intellectuel soit supérieur à 70, score à partir
duquel on entre dans la déficience intellectuelle légère.
Par conséquent, parmi les critères qui permettent de définir un trouble
d’apprentissage, il y a :
- les notions de sévérité et de gêne fonctionnelle qui handicape l'individu dans
sa vie scolaire et/ou professionnelle.
- L’absence de problèmes neurologiques ou émotionnels.
- Un critère de sélectivité : on parle de troubles spécifiques de la lecture, de
l’orthographe, des aptitudes arithmétiques. Cela signifie que nous n’attendons
pas parmi ces sujets à trouver des difficultés plus globales. Si c’est le cas,
cela n’entre pas dans le cadre d’un trouble spécifique. Ce qui ne veut pas dire
qu'il n'y a pas de difficultés.
Malgré ce critère de sélectivité, il faut souligner que les troubles spécifiques sont
souvent accompagnés de troubles associés. Ces troubles associés peuvent être de
nature très différente : démoralisation, faible estime de soi, dépression, problèmes de
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communication, du langage, de l’attention, comportement d’opposition, trouble
anxieux, maladresse motrice, etc. C’est un ensemble de signes très hétérogènes
mais qui se trouvent souvent associés à des problèmes d’apprentissage. Le statut de
ces différents signes associés varie. Dans certains cas, il s’agit d’une comorbilité
(simple association de 2 problèmes qui n’entretiennent pas de lien causal entre eux,
comme par exemple la dyslexie et la maladresse motrice). Dans d’autres, ces signes
pourraient être une conséquence des troubles d’apprentissage (p.ex. la faible estime
de soi, la dépression, etc.).
Les pistes actuelles d’interprétation des troubles d’apprentissage
Un courant très fort actuellement suggère que les troubles d’apprentissage sont liés
à un développement atypique du cerveau (DAC). Dans les années 60 et 70, on avait
pensé que les individus qui présentaient des difficultés d’apprentissage avaient une
petite lésion du cerveau. On sait maintenant que les enfants, les adolescents et les
adultes qui ont des difficultés d’apprentissage n’ont pas de lésion du cerveau. En
revanche, leur cerveau semble fonctionner de manière un peu différente. D’où l’idée
d’un fonctionnement « atypique ». Lorsqu’on parle d’un développement « atypique »
du cerveau, on cherche à expliquer pourquoi certains individus ont des difficultés,
mais aussi pourquoi d’autres sont des génies. L’idée centrale est qu’il y aurait une
pré-disposition congénitale déterminée par des facteurs génétiques. Le rôle des
facteurs génétiques a été démontré dans un certain nombre de situations, la dyslexie
notamment.
Citation de Gilger & Kaplan (2001) : "Les troubles de l’apprentissage pourraient être
simplement les manifestations de la variabilité naturelle du cerveau et sont identifiés
en partie en raison des exigences culturelles placées sur l’individu. ».
Actuellement, les exigences que l’on pose à tous les individus sont relativement
élevées en terme de scolarité. L’espèce humaine n’a pas é programmée pour
apprendre à lire, à écrire, à calculer, etc...Ce sont des acquisitions très récentes de
l’espèce, et qui se sont faites de manière progressive. Maintenant, on s’attend à ce
que tous les individus de l’espèce puissent effectuer cela. Mais tous n’ont pas les
mêmes prédispositions pour faire ce type d’apprentissage. Un exemple : en fonction
d’un patrimoine génétique donné, on aurait un développement atypique du cerveau
qui se traduirait sur le plan des structures cognitives, par exemple par :
- une organisation différente des structures qui sont responsables du traitement
des sons du langage (la phonologie = capacité à percevoir, traiter et produire
les sons du langage),
- un fonctionnement particulier de la mémoire de travail,
- des mécanismes attentionnels peu efficaces.
La combinaison des problèmes de nature phonologique et des problèmes de
mémoire de travail pourrait donner lieu a une dyslexie. La combinaison des
problèmes de mémoire de travail et des problèmes attentionnels pourraient aboutir à
un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Même si l’on pense qu’il y a une prédisposition génétique, il existe un consensus sur
le fait que l’environnement peut jouer un rôle important. Par exemple, chez un
adolescent hyperactif, le fait d’avoir un environnement cadrant et structuré peut lui
permettre de juguler, de canaliser son hyperactivité. Le même adolescent dans un
contexte moins favorable pourrait présenter beaucoup plus de signes manifestes
d’hyperactivité.
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On essaie donc de comprendre ce qui est lié à des facteurs de risque « internes »,
propres au sujet, et à des facteurs externes, environnementaux.
Les principaux outils cognitifs :
Nous traiterons aujourd’hui de :
1) La mémoire
2) L’attention et les fonctions exécutives
1. Les processus de mémoire
La mémoire procédurale stocke l’information nécessaire à la réalisation d’habiletés
motrices et cognitives (p.ex. la procédure à utiliser pour résoudre une opération
arithmétique). Beaucoup d’adolescents ont, en effet, des difficultés à aligner une
multiplication ou une division.
Les représentatives perceptives
Il y a 3 formes de représentations perceptives importantes :
1) les descriptions structurales qui sont utilisées dans la reconnaissance des objets.
2) Les formes phonologiques et 3) orthographiques des mots : c’est le vocabulaire
oral et écrit dont dispose le sujet.
La distinction entre la mémoire sémantique et la mémoire épisodique.
Ces 2 formes de mémoire sont dissociables. Elles sont toutes deux très importantes
dans la vie quotidienne. Vous ne pouvez pas fonctionner de manière satisfaisante
sans une bonne mémoire sémantique : c’est votre base de données, vos
connaissances du monde. Vous ne pouvez pas non plus fonctionner de manière
satisfaisante sans une bonne mémoire épisodique. Celle-ci est liée à toute votre
autobiographie, ce dont vous vous souvenez, ce que vous avez effectué dans votre
vie.
Il y a également des mémoires « de travail », qui sont importantes dans les
apprentissages. Ces aspects seront développés la semaine prochaine.
La mémoire épisodique
C’est tout ce qui fait votre « moi ». Ce sont les éléments, les épisodes, les références
que vous pouvez faire par rapport à vous même, vos croyances, etc…Dans certains
cas d’amnésie, certains sujets sont amenés à vivre sans, mais c’est une situation
très particulière et très douloureuse. Le codage dans cette mémoire est un codage
temporel. Il faut pouvoir dater les évènements, les situer par rapport à d’autres,
même si on n’a pas la date effective de tous ces épisodes. L’affect joue un rôle
déterminant, car ce sont des choses liées à soi. C’est une mémoire contextuelle : il y
a des choses qui vous reviennent dans certains contextes et qui ne vous reviennent
pas dans certains autres. Par exemple : une odeur, elle peut évoquer l’odeur qu’il y
avait dans le grenier du grand- père. C’est un souvenir qui date de dizaines d’années
et lié à des évocations du passé. Cette mémoire est sensible à l’amnésie. Par contre,
elle a une faible utilité dans l’éducation. Cette mémoire est déterminante dans
l’adaptation sociale, elle n’a pas de relation avec l’intelligence. Les phénomènes
d’oubli, de témoignage sont aussi liés à cette mémoire.
La mémoire sémantique est, elle, très importante dans l’éducation. Elle permet de
stocker des faits, des idées, des concepts. Elle constitue la référence par rapport à
l’univers, à la culture et au consensus social. Chez l’adulte, lorsqu’il y a une amnésie
complète, toute cette base de données, toutes ces connaissances restent intacte.
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