Mais justement, elle ne suscite que rarement l’indignation. C’est plutôt l’indifférence qui est reine en ce domaine, alors même que les conséquences sanglantes de la
consommation de viande s’étalent au vu et au su de tout le monde, dans la rue, sur les étals de bouchers, dans les pubs, les films, mais aussi dans les prés ou dans les
élevages en batterie. Et dans les assiettes... L’attention des humains se limite trop couramment, lorsqu’elle daigne se pencher sur le sort d’animaux, à la vivisection, la
chasse ou la fourrure.
C’est que l’utilisation des animaux, comme nourriture, prouve aux humains, de façon pratique, quotidienne, infiniment répétée, leur différence, leur supériorité sur les
« bêtes », leur propre valeur. C’est pourquoi ils tiennent tant à la perpétuer. Hormis les enfants qui se posent des questions sur l’origine de la viande à un certain âge, et
qu’on désinforme, souvent, grossièrement, tout le monde connaît l’origine de la viande. Tout le monde sait que les animaux souffrent, éprouvent de la douleur au même titre
que les humains. C’est pour nous la raison de cesser de les manger, ou de les utiliser pour la vivisection (etc.). Il nous intéresse qu’on cesse de considérer leur vie (et son
contenu) comme insignifiant, et qu’on leur prête la même attention, la même considération que l’on a envers les humains (du moins au niveau du discours). Tant qu’on
considèrera que « les humains d’abord » est une affirmation qui va de soi, il ne pourra y avoir qu’une totale déconsidération des intérêts des animaux. En ce qui concerne la
consommation de viande, il devrait être clair que les intérêts du mangeur et ceux du mangé sont immensément disproportionnés.
Cette indifférence à l’égard de tous les animaux non-humains, et particulièrement à l’égard des animaux « comestibles », est due en partie, au fait que tout et tout le monde
nous renvoie sans cesse à cette vision. La pression sociale qui s’exerce sur chacun et par chacun, la volonté de consensus, la peur des conflits jouent un grand rôle dans
cette acceptation. Car si l’opposition à la chasse ou à la vivisection concerne un adversaire lointain, clairement décelable, et à priori totalement étranger à soi, il n’en va pas
de même pour la boucherie : nous avons presque tous été amenés à manger de la viande, et presque toujours notre entourage en mange…
A travers l’opposition à la vivisection (ou la chasse, la fourrure…), on peut se permettre d’éprouver des émotions vis-à-vis des animaux et de les prendre en compte
partiellement, parce que cela remet peu en cause notre mode de vie, ni notre univers mental, parce qu’on ne brise pas le consensus avec le voisin (au contraire, on
l’affermit : ce n’est pas lui, non plus, le « monstrueux » vivisecteur) et parce que l’antivivisection trouve aussi appui sur une peur diffuse, et donc sur des oppositions
supplémentaires, plus acceptables pour les humains qui mangent de la viande : opposition au profit, à la technologie « démoniaque », à la démiurgie de l’humain…
L’ORIGINE DE NOS IDEES & SE REMETTRE EN CAUSE
D’où viennent nos idées, nos désirs, tout ce qu’on définit comme étant « soi » ? Nos idées ne viennent pas de notre « intérieur », mais elles sont issues de toute notre
éducation et de toutes nos expériences. Ce que nous considérons comme faisant partie de nous-mêmes n’est ni plus, ni moins, quelque chose que d’autres nous ont
apporté. L’humain est un être culturel : sans l’apport culturel de ses congénères, l’humain ne développe pas de langage ou d’idées particulièrement élaborées. Ce que nous
sommes est étroitement lié à notre milieu, même l’accent de nos paroles est influencé par notre milieu et seuls ceux qui viennent d’une autre région se rendent compte que
nous avons un accent. Sans regard extérieur, nous ne nous en rendons pas compte. En ayant conscience de tout ce qui nous influence, nous pouvons arriver à prendre du
recul sur ce que nous pourrions prendre comme faisant partie intégrante de notre personnalité. Il est à ce moment plus facile de se remettre en cause, sans avoir l’impression
de perdre un bras ou une jambe : on nous a donné nos idées, nous ne les avons pas forcément choisies et si ces idées sont mauvaises, cela ne veut pas dire que nous
soyons, nous, mauvais. Nous sommes « mauvais » juste car nous avons trop intégré, en nous, ces idées au point de nous identifier totalement à elles, de les considérer
comme étant une émanation de « soi ». Notre milieu nous conditionne, et ceci est vrai pour tout le monde. Certains en ont plus ou moins conscience ; de ce fait ils sont plus
capables de prendre du recul et d’avoir un esprit critique.
Beaucoup ne font, toute leur vie, que singer leurs semblables, que se soit lorsqu’ils sont enfants en imitant leurs parents ou une fois adulte en s’identifiant aux valeurs des
groupes auxquels ils sont intégrés. Se remettre en cause, admettre qu’on a tort est très dur. C’est une sorte de fierté que chacun possède plus ou moins. Arriver à ce qu’une
personne admette que son attitude est oppressive et tyrannique, et qu’elle se motive à faire des efforts pour l’éviter n’est pas évident. Des maris violents, des violents, des
personnes qui sont en position de force acceptent rarement, d’eux-mêmes de modifier leur attitude. Il faut souvent une contrainte pour y arriver (pression de l’entourage,
coalition, personnes plus fortes, système judiciaire, travail thérapeutique, etc.). On voit facilement la tyrannie d’un dictateur politique, ou la tyrannie des autres qu’on subit,
mais réfléchir sur sa propre tyrannie est plus difficile pour la plupart des humains que de jouer les rapports de force. Ce sera « excitant », facile et rassembleur de monter une
population (à tort ou à raison) contre une autre personne (ou un groupe de personnes). Avoir un ennemi commun permet de s’unir et de se positionner dans le camp des
« gentils ». Alors que se remettre en cause est moins mobilisateur.
Un problème est toujours « secondaire » lorsqu’on n’a pas à en souffrir et encore pire, quand on sent bien que la cause du problème est soi-même – rien n’est objectif. Qu’on
ne s’étonne pas de la tyrannie des humains quand on n’est pas capable soi-même de se remettre en cause juste à cause d’un plaisir qu’on nous a appris à éprouver
lorsqu’on mange de la viande d’animaux morts. Car là aussi ce plaisir on nous l’a inculqué…
Quel tyran, quel violent, quel macho, quelle personne assoiffée de pouvoir se préoccupe de la peine de ses victimes quand il n’en souffre pas lui-même ? Par contre, lorsque
le tyran se retrouve à son tour dans la position du faible, il réclame pitié pour lui. Ne serait-il pas plus simple de faire un effort pour moins rechercher à écraser l’autre ?
Chacun y trouverait son compte.
LA VIOLENCE…
Un jour une femme omnivore qui avait fait un reportage dans un abattoir a refusé de me prêter les photos qu’elle avait réalisées car, d’après elle, exposer ces photos aux
non-végétariens était une violence trop forte envers eux. Il ne faudrait donc pas parler de la réalité qui se cache dans les abattoirs car cela rendrait la digestion moins
agréable. La terreur et l’abattage en masse subis par les animaux n’étaient pas par contre, pour elle, une violence bien pire que la vue de cette réalité. Voir l’horreur sur des
photos serait-il plus douloureux que d’être les victimes sur les photos ? Vouloir cacher ce spectacle est la meilleure preuve que cette pratique est ignoble.
LES REACTIONS QUE NOUS RENCONTRONS
- « Si on arrêtait de tuer les animaux, nous serions envahis par leur nombre et cela entraînerait la mort des écosystèmes » : Les seuls animaux qui se reproduisent, d’eux-
mêmes, en nombre dépassant leurs ressources sont les humains. Dans la nature, les animaux sauvages obéissent à des mécanismes de contrôle qui s’adaptent aux
fluctuations des ressources. De plus, on peut très bien imaginer contrôler leur nombre en utilisant des contraceptifs, comme cela est fait pour contrôler les populations de
pigeons (et d’humains…) ou d’autres moyens préventifs.
On nous parle aussi des écosystèmes, non en pensant aux animaux sauvages qui ne seraient plus chassés, mais aux animaux d’élevage qui cesseraient subitement d’être
mangés et qui « retrouveraient » leur liberté. Que cela se fasse très rapidement, ce n’est pas la peine d’y songer. Les humains n’arrêteront jamais tous « du jour au
lendemain » de manger de la viande, alors la masse des animaux d’élevage, s’ajustera aux besoins du marché petit à petit. Si le nombre de consommateurs de viande,
d’œufs et de lait diminue, le nombre d’animaux mis au monde et maintenus en vie dans les élevages diminuera proportionnellement.
De plus, les écosystèmes ne « mourraient » pas, ou en d’autres termes, ne disparaîtraient pas, mais se transformeraient comme ils l’ont toujours fait, et c’est d’ailleurs parce
qu’ils ont été au préalable saccagés que l’« on » pense maintenant « devoir » les réguler. De toute façon, les élevages, industriels ou non, ont déjà des retombées sur
l’environnement, de même que toutes les autres industries.
D’autre part, et ce n’est pas un hasard, nos interlocuteurs réagissent souvent en employant le pronom indéfini « on », alors que nous nous adressons, généralement, à
quelqu’un de bien déterminé. Répondre « on », est déplacer et esquiver le problème posé initialement ; c’est substituer « innocemment » une responsabilité collective
indéfinie à une responsabilité (au sens de causalité, et non de culpabilité) individuelle bien définie, elle. Trop, sans doute, pour ceux qui préfèrent alors « on » à « je » .
L’expression « Ce n’est pas moi, c’est nous ! » a servi à justifier beaucoup d’atrocités à travers l’histoire, et même, a souvent rendu leurs réalisations possible !
- « Les animaux se mangent entre eux, c’est là une loi naturelle ; et l’humain n’échappe pas à cette loi » : Ceci est faux, une « loi » impliquerait une conséquence obligatoire,
comme une « loi » mathématique ou physique, par exemple : 1 + 1 = 2, ce qui est irréfutable. Or, dans notre cas, l’humain peut très bien vivre en étant végétalien. L’humain
n’est pas le moins du monde « obligé par une loi » à tuer des animaux pour se nourrir. S’il le fait, c’est uniquement pour des raisons culturelles.
De plus, tous les animaux ne mangent pas de la viande, les animaux les plus puissants et les plus résistants, l’éléphant, le taureau, le gorille, le rhinocéros, l’hippopotame,
sont des animaux végétaliens. Les animaux exclusivement carnivores (moins nombreux qu’on ne le prétend) n’ont guère le choix, quant aux omnivores (comme l’ours), ils
consacrent la plus large part de leur alimentation aux végétaux.
En tant qu’êtres humains, nous sommes fiers de notre capacité à choisir. A nous de nous montrer dignes en rejetant une nourriture qui n’est pas la nôtre, en optant pour une
alimentation adaptée à nos besoins, respectueuse de notre développement physique et psychique ainsi que de l’économie, de l’environnement et de la souffrance que
provoque aux animaux la consommation de viande.
Et d’ailleurs, aucune pseudo loi ne rend moralement acceptable un acte cruel.
- « Les animaux ne souffrent pas de leur incarcération, car ils n’ont jamais connu autre chose » : Les animaux d’élevage intensif (et ils le sont à 90%) ne s’habituent jamais à
leurs conditions de vie. Leur souffrance s’exprime clairement par les nombreuses maladies qui les déciment. Leur survie jusqu’à l’abattage n’est possible qu’avec l’admission
massive d’antibiotiques et de tranquillisants. Salmonellose, listériose, brucellose, maladie de la vache folle (transmissible à l’humain), « sida » bovin, peste porcine, peste des
volailles, tremblante du mouton, etc., longue est la liste des conséquences de la surpopulation, de l’enfermement, de l’alimentation volontairement carencée (veaux), de la
contention (truies), des modifications génétiques (poulets « de chair » et dindes) et de toutes ces conditions de vie violentes que constituent l’élevage intensif. Il est, pourtant,
sans doute partiellement vrai que sans connaître quelque chose de meilleur, nous ne sommes pas frustrés : incapables que nous sommes, souvent, d’imaginer autre chose
que ce que nous vivons, ne subissons-nous pas, nous-mêmes, très facilement, résignés, une somme considérable de contraintes ? Mais cela ne nous empêche pas de
ressentir, quand même, des souffrances que nous n’arrivons pas à nier, banaliser. Sans compter les souffrances « corporelles » qu’on ressent toujours (être à l’étroit, avoir
trop froid, être égorgé…). De plus, il est vraisemblable que les animaux ne peuvent pas « jouer » comme nous avec la souffrance, l’escamoter selon leur bon vouloir.
- « Les animaux de boucherie sont faits pour ça » : Cela exprime l’opinion obscène qu’ils ont été conçus, qu’ils existent, spécialement pour ce destin, et qu’ils ne peuvent
donc pas décemment souhaiter autre chose. Evidemment, ceux qui prétendent ceci, sont ceux qui profitent du massacre des animaux. Ce sont comme des racistes qui
affirment que des races étaient faites pour être assujetties à d’autres. Ceux qui sont en position de force cherchent toujours à légitimer l’oppression qu’ils font subir aux
autres. Que diraient-ils si on tenait les mêmes propos sur eux ? On pourrait très bien trouver une religion, un dieu ou une théorie qui légitimerait leur soumission. Chaque être
est fait pour vivre sa propre vie et non pour servir de chair à souffrance à d’autres.
- « La législation assure aussi la protection des animaux de consommation » : En France, les lois censées protéger les animaux familiers, chiens et chats, sont déjà
systématiquement bafouées. En ce qui concerne les animaux dits de boucherie, ces lois sont très flexibles. Les animaux d’élevage sont parqués, à l’abri des regards, et
toutes enquêtes sur leurs conditions de vie (et de mort) sont systématiquement découragées par l’industrie de l’élevage. La surveillance sanitaire n’est même pas assurée :
en témoignent les enquêtes qui se suivent dans les médias sur le « trafic » de la viande. Pour les élevages de poissons, la législation est inexistante et l’importante pollution
qui en résulte est passée sous silence.
- « Les éleveurs prennent soin de leurs animaux puisque leurs profits en dépendent » : Le profit (sans cesse plus faible) des éleveurs provient surtout des subventions. Leur
marge de profit dépend en grande partie de la productivité des animaux par Euros investis en locaux, équipement et main d’œuvre. En conséquence, c’est par l’entassement