« Le corps comme lieu d’expression des conflits de genre, aux
frontières de la Mongolie » / G. Lacaze, MCF Ethnologie
Dans les processus de construction des identités collectives en Asie centrale, des nouvelles
formes de mobilité apparaissent à travers les mouvements transfrontaliers et les mouvements
migratoires. Les dynamiques relationnelles nomades versus sédentaires sont reconstruites à travers
la création de parcours circulatoires au sein de réseaux professionnels, familiaux et entre groupe de
pairs. La transition vers une économie de marché a augmenté les incertitudes que traversent les
sociétés post-communistes multiplie les dynamiques conflictuelles développées par les peuples
centrasiatiques turco-mongols. Les contradictions structurelles entre les stratégies individuelles et
collectives, entre les modes de vie nomades et sédentaires, augmentent dans le monde globalisé.
L’ouverture des frontières internes et internationales offre l’accès à de nouvelles routes qui
autorisent ces peuples à déployer des stratégies spécifiques en termes de genre, de catégories
sociales et d’appartenance socioculturelle. Dans les lieux frontières qui se développent avec le statut
de « Zone de libre échange » entre la Chine, la Mongolie et le Kazakhstan, comment les peuples
mongols et kazakhs réinventent une mémoire et reconstruisent d’anciens réseaux lignagers ?
Les techniques de mouvement aux « lieux frontières » donnent à voir des dynamiques
politiques (clanique, étatique), sociales (économiques, culturelles) et individuelles conflictuelles.
Les stratégies collectives de commerce transfrontalier à fondement ethnique se construisent sur des
réseaux de parenté élective. Dans les restructurations contemporaines post-socialistes, le corps
apparaît à plusieurs titres comme un « espace » sur lequel s’inscrivent des dynamiques
conflictuelles qui le transforment en « lieu », la transformation de lieux en espaces et d’espace en
lieu s’effectuant par l’inscription de « cheminements » et de « parcours » selon M. de Certeau
(L’invention du quotidien, 1980). Sur les trajets du négoce transfrontaliers, en particulier aux
frontières de la Mongolie avec la Chine et la Russie, les cheminements des Mongol(e)s organisent
l’espace en modulant chaque corps afin de le « dresser » (« Notion de technique du corps », Mauss
1934) pour participer à l’accomplissement collectif tout en permettant la réalisation réussie des
parcours singuliers. Les lieux transfrontaliers attirent une main d’œuvre qui s’investit dans les
activités de transport ou les relations commerciales interethniques. Dans ces lieux, les femmes
jouent le rôle de médiateur. Face à l’incertitude que leur offre le statut des hommes de leur société,
les femmes utilisent leur statut pour trouver une nouvelle place dans le monde environnant.
Chez les Mongol(e)s, la sexualité spécifie le corps comme un enjeu de conflits de genre.
Historiquement, plusieurs documents attestent d’une « liberté sexuelle » des femmes mongoles.
Selon J. Pitt-Rivers (Anthropologie de l’honneur, 1982), la sexualité pourrait constituer l’exercice
d’un « contrôle collectif des corps » que les nomades inscrivent dans des stratégies sociales. Elle
joue également un rôle dans les processus migratoires des peuples mongols et, plus largement, dans
la mobilité des femmes – plus rarement, des hommes – du monde post-socialiste.
Les femmes comptent pour 80% des négociants « à la valise ». Elles viennent aussi sur ces
« trajets circulatoires » pour négocier leur corps. La prostitution offre aux femmes mongoles une
autonomie économique parfois indispensable à leur survie. Elle reste encore peu organisée en
réseaux. Ces femmes sont des mères de famille, des étudiantes, des femmes divorcées, des « jeunes
filles faciles », des jeunes femmes en difficultés sociales, temporairement perdues ou errantes, etc.
Elles exercent une activité lucrative, de subsistance, voire de survie.
Le corps des femmes porte donc les marques des dynamiques conflictuelles dans les sociétés
centrasiatiques contemporaines. Les techniques de la sexualité révèlent donc l’incertitude qui habite
le monde contemporain. La sexualité pourrait illustre l’exercice d’un biopouvoir, au sens
foucaldien. Son étude implique une approche qualitative, ethnographique et historique. Elle révèle
les différentes dynamiques conflictuelles contemporaines des populations nomades de Mongolie et
d’Asie centrale.