franche-comté

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FRANCHE-COMTÉ
Si la Franche-Comté, qui regroupe les départements du Doubs, du Jura, de la HauteSaône et du Territoire de Belfort, n'apparaît qu'au dix-septième rang des régions
françaises pour la superficie (16 202 km2) et au vingtième pour la population (1 117
000 habitants lors du recensement de 1999), elle présente cependant de nombreuses
spécificités et une grande diversité interne. Entre Rhône et Rhin, entre plaine et
montagne, ce territoire complexe revendique son passé de province historique et
s'enorgueillit aussi bien de paysages agrestes que de productions industrielles comme
l'automobile, les microtechniques ou la lunetterie.
Franche-Comté
Aujourd'hui, la Franche-Comté doit faire face à un certain nombre de défis que sont la
mise en réseau de ses territoires, l'affirmation et le renouveau de ses spécificités
économiques traditionnelles, l'exploitation de son potentiel de carrefour européen, la
valorisation et la gestion d'un patrimoine naturel d'une très grande richesse. Seule
région française à entretenir encore une longue frontière avec un État extérieur à
l'Union européenne, elle cherche à se positionner sur des axes internationaux, dans les
domaines de la recherche, de la production et de l'accueil touristique.
· Serge ORMAUX
Un contexte naturel original et une grande variété de pays
Baignant dans un climat mi-océanique mi-continental, la Franche-Comté offre des
paysages marqués par un grand développement des plateaux et des moyennes
montagnes, et par une omniprésence de la forêt (44 % de la superficie régionale),
souvent associée aux prairies et aux pâtures. Trois ensembles majeurs de reliefs et de
milieux se partagent le territoire régional :
Les Vosges comtoises, au nord, correspondent – à l'extrémité méridionale du massif
hercynien. Avec le ballon d'Alsace (1 247 m) et le ballon de Servance (1 216 m), qui
s'élèvent vigoureusement au-dessus de la dépression sous-vosgienne, elles offrent un
aperçu complet des Hautes Vosges cristallines. Leurs sommets arrondis couverts de
chaumes, leurs vallées tantôt élargies tantôt resserrées, leurs versants drapés de forêts
constituent, à deux pas des agglomérations de Belfort et de Montbéliard, une aire de
loisirs fortement fréquentée. Plus à l'ouest, le plateau des Mille-Étangs présente une
topographie de fjeld encombrée de moraines, de petits lacs d'origine glaciaire et de
tourbières.
Vers le sud et vers l'ouest, le bas pays regroupe un ensemble très – composite de bas
plateaux calcaires (Haute-Saône) et de plaines de remblaiement comme le Sundgau à
l'extrémité sud du fossé alsacien, l'ample vallée de la Saône, installée dans un fossé
tectonique, ou encore la Bresse comtoise, ancien golfe tertiaire, à l'ambiance argileuse
et humide. Dans cet espace intermédiaire se trouvent les principales agglomérations
de la région et les grandes voies de communication.
Le Massif – jurassien, à l'est, ressemble à un escalier composé de plateaux étagés,
dont l'altitude, comme la pluviométrie, croît progressivement de l'ouest vers l'est. Ces
plateaux calcaires sont creusés de vallées profondes (Loue, Lison, Dessoubre) et
surmontés par les crêtes aiguës des « faisceaux » (ensemble de cassures et de
plissements au sein d'une couverture sédimentaire relativement mince). Leur surface
est égratignée de nombreuses dépressions fermées et de petites vallées sèches, qui ne
sont que la partie superficielle des multiples formes d'érosion karstique présentes ici.
Par endroits, des dépôts morainiques et des éboulis périglaciaires rappellent les
périodes froides du Quaternaire. Les taux de boisement sont variables sur ces plateaux
et l'habitat est tantôt regroupé en villages, tantôt plus dispersé, comme dans le HautDoubs.
La bordure occidentale de ces plateaux domine les plaines et les vallées du bas pays.
Ce contact prend vers le nord l'allure de chaînons au relief assez marqué (Lomont,
faisceau bisontin) et, vers le sud, celui d'un talus plus ou moins continu (Vignoble,
Revermont) échancré de reculées.
À l'est, la haute chaîne constitue la partie la plus montagneuse du Jura, et la plus
propice à la pratique du ski. Les plis anticlinaux donnent des monts (Risoux, Laveron,
etc.) souvent évidés par l'érosion et offrant des crêts calcaires, de part et d'autre de
combes marneuses. Le crêt Pela est ainsi le point culminant de la région avec ses 1
494 m. Les versants sont fréquemment occupés par les pré-bois et les forêts de
résineux. Les synclinaux, quant à eux, donnent des vals (val de Mouthe, du Saugeais,
de Morteau, etc.) qui accueillent les principaux écoulements de surface. En général
déforestés, ils constituent depuis longtemps de véritables unités de peuplement et de
mise en valeur. Ils fonctionnent également comme « pièges à froid », et leurs
inversions de températures sont à l'origine des records nationaux de froid, signalés à
Mouthe par exemple. Les rivières ne suivent pas toujours les axes synclinaux et
traversent ici ou là les anticlinaux à la faveur de cluses, mettant à profit de grandes
failles transversales.
Une population qui se rapproche des villes... et s'en éloigne !
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la population comtoise a connu d'abord une
croissance très forte puis, à partir de 1975, un essoufflement, dû à une forte
diminution du solde naturel et à un renversement du solde migratoire, en particulier
dans les bassins industriels du nord de la région. Entre 1990 et 1999, le solde
migratoire, tout en restant négatif, a commencé à se redresser et le taux général de
croissance de la région (+ 0,20 % par an) s'est rapproché de celui de la France (+ 0,37
%). Aujourd'hui, avec 1 117 059 habitants (1999), la Franche-Comté atteint une
densité de 70 habitants par km2, ce qui la place avant la Bourgogne (51 hab./km2),
mais largement derrière l'Alsace (209 hab./km2).
Ces chiffres masquent cependant une dissociation grandissante entre des pôles ou
corridors de croissance et des espaces de dépeuplement. La seconde moitié du xxe
siècle a ainsi été marquée par des processus de déprise touchant non seulement des
espaces périphériques comme le nord-ouest de la Haute-Saône, les Vosges comtoises,
la Bresse ou la petite montagne (sud de Lons-le-Saunier), mais aussi certains angles
morts situés au cœur des plateaux du Doubs et du Jura. En revanche, plusieurs foyers
ou axes de peuplement se sont durablement affirmés. Un premier ensemble s'organise
autour de Besançon, la capitale comtoise. Il émet des digitations en direction de Dole,
de Lons-le-Saunier et de Pontarlier. Un autre foyer de peuplement occupe le nord de
la région depuis le sud du pays de Montbéliard jusqu'à Lure. À cela s'ajoute l'amorce
d'un chapelet frontalier, de Maîche à Saint-Claude. Enfin, quelques pôles isolés se
confirment autour de Vesoul, Gray et Champagnole. Mais globalement, c'est le
couloir du Doubs, de Montbéliard à Besançon puis à Dole, qui devient l'axe
structurant de la région.
Cependant, depuis quelques années, les différenciations spatiales se fragmentent en
une multitude de micro-espaces aux comportements parfois divergents : des reprises
apparaissant même dans certaines communes de zones traditionnellement en déclin,
comme la petite montagne ou l'ouest de la Haute-Saône.
On retrouve cette complexité au niveau des agglomérations qui, comme partout, ont
été touchées par la périurbanisation. La Franche-Comté n'est devenue majoritairement
urbaine qu'en 1962 ; or, dès le début des années 1970, les villes-centres ont vu leur
population régresser ou stagner tandis que les communes périurbaines captaient
l'essentiel de la croissance démographique. Durant les années 1990, le bilan
migratoire des villes-centres est encore quelque peu déficitaire, mais moins que
précédemment ; les premières couronnes, celles qui sont intégrées aux pôles urbains,
ont des comportements très divers, et c'est dans les espaces périphériques des aires
urbaines que l'évolution est la plus positive.
Une terre d'industrie
Le profil économique de la Franche-Comté apparaît, à bien des égards, paradoxal.
Malgré des allures campagnardes, elle est la région la plus industrialisée de France en
proportion de l'emploi. Malgré une topographie et un climat contraignants, elle
dispose de productions agricoles d'une grande notoriété. En dépit d'atouts naturels et
patrimoniaux remarquables, elle n'a qu'une activité touristique d'estime et demeure
une région où l'on passe mais s'arrête peu. Enfin, elle souffre encore d'un souséquipement tertiaire, en particulier dans les services aux entreprises, malgré
l'ancienneté de son histoire industrielle.
L'industrie, en effet, remonte à une époque où le sel, les eaux vives et les forêts ont
fait naître un peu partout une proto-industrie active, pendant que de multiples
productions artisanales permettaient d'occuper les longs hivers du haut pays. Les
initiateurs allogènes furent nombreux également : horlogers suisses, industriels
alsaciens du textile et des constructions mécaniques, plus tard entrepreneurs de la
plasturgie de la région d'Oyonnax. Mais la Franche-Comté fut aussi une terre de
capitaines d'industrie, avec le rôle décisif des dynasties Japy et Peugeot dans le nord
de la région, dès le xixe siècle. Aujourd'hui, l'industrie occupe environ 30 % de la
population active, mais elle a dû faire face, depuis les années 1980, à la remise en
cause du modèle fordiste, à l'internationalisation de l'économie et au défi des
nouvelles technologies. Après avoir perdu 50 000 emplois entre 1975 et 1990,
l'industrie comtoise offre aujourd'hui un visage rénové, mais conserve encore une
certaine fragilité.
Le nord de la région est marqué par la présence de grandes entreprises aujourd'hui
fortement restructurées. Le centre de production Peugeot de Sochaux, qui était en
1979 le plus grand établissement industriel européen, compte aujourd'hui 15 000
salariés, mais est devenu l'un des sites de production automobile les plus modernes
d'Europe. Entouré de tout un réseau de sous-traitants et d'équipementiers, il continue à
être l'acteur économique dominant du pays de Montbéliard. À Belfort, les fleurons
industriels, Bull et Alstom (anciennement Alsthom), ont connu bien des vicissitudes,
mais certaines productions comme les motrices de T.G.V., les turbines ou les
alternateurs demeurent des atouts remarquables.
Ailleurs, un certain nombre de bassins industriels peuvent être plus ou moins
assimilés à des systèmes productifs localisés (S.P.L.). Il s'agit de districts très
spécialisés et territorialisés, constitués d'entreprises petites ou moyennes, censées
entretenir des relations partenariales et employant une main-d'œuvre à haute
qualification et forte identité. L'horlogerie de Besançon et du haut Doubs, de plus en
plus relayée par les microtechniques, la lunetterie de Morez, la fabrication de jouets
dans le sud du Jura, la plasturgie dans la région de Saint-Claude, l'industrie des
panneaux et du meuble dans le nord de la Haute-Saône, la tabletterie-tournerie près de
Moirans-en-Montagne constituent les principaux d'entre eux. Ils s'orientent
résolument vers l'internationalisation, le design, la recherche technologique, et aussi
parfois les délocalisations.
Diverses activités industrielles enrichissent ce tableau, certaines déjà anciennes,
comme la chimie près de Dole (Solvay), le découpage à Besançon et à Servance,
l'agroalimentaire avec les fromageries et les charcuteries-salaisons (saucisses de
Morteau et de Montbéliard, jambon de Luxeuil, etc.), d'autres plus récentes, comme le
traitement de surface.
Cependant, des problèmes demeurent, parmi lesquels un certain degré de dépendance
par rapport à des groupes extérieurs et une présence insuffisante des tâches de
conception. Mais la région fait preuve d'un incontestable dynamisme en multipliant
les structures d'accompagnement, parcs scientifiques, pépinières d'entreprises et pôles
d'excellence, en relation étroite avec les laboratoires de l'université.
Des terroirs agricoles de qualité
Le tableau de l'économie comtoise ne serait pas complet sans l'évocation d'une
agriculture très dynamique. La région est spécialisée dans l'élevage bovin pour la
production de lait. L'élevage semi-extensif de vaches montbéliardes sur prairies
naturelles en est la forme dominante, et le lait produit est destiné principalement à
l'élaboration de fromages protégés par des appellations d'origine contrôlée, en tout cas
dans le Doubs et le Jura. Le comté est ainsi la première production fromagère
française sous A.O.C., avec près de 50 000 tonnes produites par an. D'autres fromages
bénéficient également d'une A.O.C., le morbier, le mont d'or (ou vacherin du HautDoubs), le bleu de Gex. Pour tous ces fromages, le cahier des charges impose une
faible charge d'animaux à l'hectare, une alimentation du troupeau à base d'herbe et de
foin et une fabrication au lait cru dans un délai très bref après la traite. Ce type de
production concerne les plateaux du Jura et la haute chaîne, en liaison non exclusive
avec un système de fruitières qui plonge ses racines dans un lointain passé. En
rétribuant correctement les producteurs de lait, ces filières contribuent à maintenir
activité et population dans des zones géographiques difficiles et garantissent une
certaine durabilité des paysages et des territoires. Elles participent aussi de
l'attractivité touristique de la zone.
La Franche-Comté dispose également d'un petit vignoble de renom. Sur 2 300
hectares, répartis sur la bordure des plateaux jurassiens entre Salins et Saint-Amour,
les cépages poulsard, trousseau, pinot noir, chardonnay et savagnin fournissent
environ 120 000 hectolitres de vins rouges et blancs, pour l'essentiel classés en A.O.C.
On mentionnera particulièrement le vignoble d'Arbois, ainsi que l'appellation de
Château-Chalon, le fameux vin jaune, réalisé à partir de savagnin et vieilli pendant six
ans en fût de chêne, sans « ouillage » (compensation de l'évaporation).
L'agriculture comtoise livre également des fourrages, des céréales et des oléagineux.
Ces productions végétales constituent même l'essentiel de l'activité agricole dans le
bas pays, seules ou en association avec l'élevage. Certaines zones, comme la plaine de
Gray ou le Finage, au sud de Dole, prennent l'aspect de véritables plaines céréalières
et font figure de petites Beauce franc-comtoises.
Plusieurs élevages du bas pays sont orientés vers la production de bœufs d'embouche
charolais ou de veaux élevés en batterie ou sous la mère. La filière porcine, quant à
elle, est constituée d'unités de grande taille qui utilisent une partie du lacto-sérum
(petit-lait) issu de l'activité fromagère.
Signalons enfin que la Franche-Comté est la troisième région de France pour la part
de la surface agricole consacrée à l'agriculture biologique.
L'ouverture de la région sur l'extérieur
Comme partout, l'activité économique ne serait pas possible sans un réseau de
communication performant. La localisation de la Franche-Comté la prédispose à jouer
un rôle clé dans les communications entre le monde rhénan et le monde rhodanien,
par la vallée du Doubs et la bordure des plateaux, ainsi qu'entre le Bassin parisien et
l'Europe centrale, à travers la frontière franco-suisse. Les autoroutes A36 et A39
jouent un rôle essentiel dans ces liaisons qui seront complétées vers 2010 par le
T.G.V. Rhin-Rhône.
En dehors de cela, la Franche-Comté ne dispose pas d'un véritable aéroport, et le
projet du grand canal entre le Rhône et le Rhin a été abandonné en 1997. Le défi pour
la Franche-Comté sera de relier efficacement son réseau intra-régional à ses liaisons
de niveau européen, afin de ne pas être qu'un couloir de passage, plus touché par les
nuisances que par les flux de richesse.
Sur le plan touristique, la région dispose de remarquables potentialités, de sa diversité
environnementale à ses richesses historiques et architecturales. Sans être une des
grandes régions touristiques françaises, elle offre au visiteur ses cités de caractère, son
domaine skiable alpin et surtout nordique, ses eaux vives et ses multiples possibilités
de tourisme vert, associées aux nombreux produits du terroir. Certains sites pourraient
constituer de véritables vecteurs de notoriété, comme la citadelle de Besançon , la
saline royale d'Arc-et-Senans ou le musée Peugeot à Sochaux. L'un des objectifs des
responsables régionaux est de capter la clientèle des automobilistes européens qui, par
centaines de milliers, traversent la région sur les autoroutes et ne s'arrêtent guère. Cela
nécessite une véritable politique touristique et un effort significatif en matière d'offre
hôtelière.
La citadelle de Vauban, achevée en 1688, fut construite sur une ancienne
fortification située sur la colline Saint-Étienne, afin de réorganiser la place forte de
Besançon. Elle se distingue par d'épaisses murailles qui protègent les cours
intérieures. (Doubs, France).
La Saline royale d'Arc-et-Senans, construite de 1774 à 1779 par l'architecte
Claude Nicolas Ledoux, était au XVIIIe siècle une manufacture royale destinée à
transformer des saumures afin d'en restituer le sel. Elle comprend onze bâtiments,
disposés en un demi-cercle centré sur le logement du directeur. Cette imposante
bâtisse présente une façade composée d'un portique aux …
La Franche-Comté compte de nombreux atouts, qu'il s'agisse de son patrimoine
naturel et historique, de son professionnalisme économique ou de sa volonté
d'ouverture vers l'extérieur. Autant de motifs de satisfaction, qui doivent cependant
être renforcés par une affirmation de ses compétences, une valorisation plus poussée
de son potentiel et sans doute une conscience plus claire de sa spécificité territoriale.
· Serge ORMAUX
JURA
Le massif du Jura s'allonge en un arc montagneux entre le massif des Alpes et celui
de la Forêt-Noire. Les mêmes plis, grossièrement parallèles, se retrouvent dans toute
la chaîne ; le versant occidental appartient à la France, alors qu'une grande partie du
versant oriental se trouve en Suisse.
La surrection du Jura date des grands bouleversements de l'époque tertiaire. Au
Secondaire, les mers avaient déposé une épaisse masse de sédiments recouvrant le
socle ancien et comprenant des calcaires et marnes du Jurassique et du Crétacé. La
chaîne du Jura s'est formée au Tertiaire terminal, à la fin du paroxysme alpin ;
cependant, la région avait été érodée depuis la fin du Crétacé supérieur.
Le massif, dans sa partie haute, fut longtemps plus traversé qu'occupé. À l'est de la
voie romaine qui mène d'Avenches à Augst, la germanisation fut totale. Dans son
secteur central, la frontière franco-suisse suit la ligne de rencontre des mouvements de
colonisation médiévaux issus des avant-pays français et suisses. L'histoire du
peuplement a ainsi renforcé la division en bandes méridiennes que le relief suggérait.
La Réforme figea les oppositions de part et d'autre de la frontière : celle-ci sépare
toujours des protestants (en Suisse ou dans le pays de Montbéliard) et des catholiques.
La guerre de Trente Ans creusa plus encore l'écart entre les deux versants. Ainsi, cette
montagne, dont toutes les régions semblaient vouées à une destinée commune, est
aujourd'hui divisée en deux parties nettement distinctes. Chacune s'articulait en
compartiments animés d'une vie propre et dotés d'industries spécifiques : ils sont
restés longtemps isolés par la disposition du relief tandis que les véritables centres
étaient rejetés à la périphérie.
Le raccourcissement global de la couverture mésozoïque est d'environ 30 % au niveau
du Jura central, mais il n'existe pas de socle « dénudé » dans le Jura interne ni,
semble-t-il, sous la plaine suisse. Différentes hypothèses ont été proposées pour
expliquer ce fait : apport de couverture sur le Jura et rôle passif du socle au cours de la
poussée alpine transmise par le Trias salifère, contraction du socle ou fuite de celui-ci
vers les Alpes. Le rôle de la poussée à distance n'est certainement pas à négliger ;
cependant, il est probable que la partie superficielle du socle s'est aussi raccourcie,
surtout dans le Jura interne (écaillage et naissance de fractures en réseau conjugué
analogues à celles qui sont visibles en surface). Les niveaux les plus profonds du
socle ont pu évoluer de manière plus indépendante et sans doute être entraînés vers les
Alpes par subduction. Des théories récentes, fondées sur des modèles analogiques et
sur des modèles numériques, admettent toujours un décollement de la couverture sur
le socle dans le Jura interne et le chevauchement du Jura externe sur la Bresse. Mais
la conception d'un décollement généralisé, à l'interface socle-couverture, selon une
surface inclinée vers le sud-est, ne fait pas l'unanimité.
Dans le Jura interne, le décollement serait dû à une poussée horizontale résultant du
poinçonnement, par le bassin molassique, de son avant-pays. Les socles de la ForêtNoire, au nord, et du Bas-Dauphiné - île Crémieu, au sud, auraient joué un rôle de
poinçons passifs en constituant des butoirs, restés probablement assez stables et qui
auraient contraint le Jura à s'arquer. Le décollement n'aurait pu se propager sous le
Jura externe jusqu'à la Bresse. Dans cette hypothèse, le chevauchement frontal du Jura
externe pourrait être dû à un glissement gravitaire.
Mis à part le fait que ces modèles, forcément simplifiés, ne prennent pas en compte
les faisceaux plissés et faillés de la zone des plateaux, la discussion porte
essentiellement sur la continuité du décollement, c'est-à-dire sur le comportement du
socle sous le Jura des plateaux. La zone des plateaux jurassiens correspondrait à une
région où les effets du poinçonnement de l'arrière de la couverture plissée sont
amortis, et où les effets du glissement gravitaire sur le fossé bressan se feraient sentir
par des fractures en extension.
· André GUILLAUME,
· Solange GUILLAUME
Unité de la géographie physique
Les chaînes jurassiennes s'accolent vers le sud aux chaînes préalpines dans le
voisinage d'Aix-les-Bains, s'épanouissent au centre, et se soudent vers le nord aux
plateaux du Jura souabe. En gros, cela se traduit par un faisceau de plis dirigés en arcs
de cercle du sud-ouest au nord-est, l'ensemble s'élevant de l'ouest à l'est.
À l'ouest, dans le Jura central, des plateaux étagés (ceux de Lons-le-Saunier, de
Champagnole, de Nozeroy, par exemple) sont séparés par d'étroits faisceaux de plis :
ceux-ci se sont formés, à l'époque de la surrection de la chaîne, dans les étroits fossés
tectoniques qui séparaient des fragments de socle demeurés quasi horizontaux. À cet
ensemble de style comtois s'oppose le Jura oriental, qui est surtout celui des chaînes.
Il s'élève jusqu'à 1 723 mètres au crêt de la Neige (Credo, Reculet et, en Suisse,
Chasseral et Chasseron).
Ces chaînes parallèles représentent le relief jurassien typique : les anticlinaux forment
des monts ; sur leur sommet creusé, une vallée longitudinale donne une combe ; sur
leurs flancs dévalent des ruz ; des cluses les coupent transversalement tandis qu'entre
eux s'allongent des vals. Sur la bordure occidentale des plateaux, l'érosion a ouvert de
larges échancrures aux bords abrupts, les reculées.
Les grands décrochements tectoniques ont préparé les rares passages actuels : cluse de
Nantua ou col de Jougne.
Pays calcaire, le Jura est marqué de belles formes karstiques. Les eaux creusent à la
surface de petites cavités (dolines), s'infiltrent dans des gouffres, ressortent en grosses
sources (Loue, Lison). Les rares cours d'eau ont creusé de profondes gorges,
véritables canyons qui contribuent beaucoup à l'isolement des plateaux. De vastes
dépressions fermées ne sont pas drainées vers l'extérieur (plaine de Saône, près de
Besançon).
Les glaciers alpins ont, au Quaternaire, franchi les chaînes orientales, élargi certaines
vallées et abandonné sur les plateaux des sols morainiques ; en même temps, des
glaciers jurassiens, plus modestes, venaient mourir dans les vallées, et leurs moraines
retiennent de petits lacs (Nantua). Le réseau hydrographique est très compliqué : le
Doubs, parti de Pontarlier, est contraint à un vaste crochet vers le nord avant de se
diriger vers Besançon.
Le climat, continental, est caractérisé par les fortes précipitations : le Jura forme en
effet un écran incliné, si bien que toute la surface est largement arrosée (1 m de
précipitations à l'ouest, 2 m à l'est). En raison de la rigueur de l'hiver (moyenne de
janvier : — 3 0C autour de Pontarlier, minimum inférieur à — 30 0C), une partie de
ces précipitations tombe sous forme de neige, alimentant les champs de ski.
L'altitude entraîne un étagement de la végétation. Sur la bordure et sur les premiers
plateaux (jusqu'à 700 m), les feuillus, chênes et charmes en particulier, forment
l'essentiel des boisements. Sur les seconds plateaux ou en montagne, ils cèdent la
place aux hêtres et aux résineux : les pessières (forêts d'épicéas) et les joux (forêts de
sapins) donnent aux paysages des zones élevées leur majesté un peu grave.
Contrastes de la géographie humaine
Pays tardivement occupé, le long croissant du Jura offre des sols médiocres, un relief
compartimenté, un climat partout rude et humide, une forêt souvent trop dense.
Des contrastes apparaissent dans le sens transversal. Le nord du pays appartient au
monde germanique. Le Jura du Sud évoque déjà le Midi.
Artisanat et économie laitière
Le milieu est trop rude, dans l'ensemble de la chaîne, pour que l'agriculture puisse être
vraiment prospère. Mais le pays possède d'autres ressources : le bois, l'herbe que
favorise l'humidité des étés, les eaux vives, du sel sur la bordure, et quelques poches
de minerai de fer, autour desquelles s'est organisée la vie traditionnelle. Les premiers
plateaux à l'ouest, les fonds de val les plus bas à l'est copièrent, sans la modifier, la
polyculture du bas pays. Plus haut, l'élevage remplaçait peu à peu les céréales. Dans la
partie plissée, au centre et au sud, purent s'organiser des migrations pastorales d'un
type déjà montagnard. Les maisons rurales portent encore la marque de ces anciens
genres de vie : elles ont des dimensions plus importantes que celles de la plaine, pour
loger les récoltes, les fourrages et abriter une « écurie » importante. La pierre
l'emporte sur les premiers plateaux, le bois tient de plus en plus de place lorsqu'on
s'élève. Très tôt, des formes d'entraide, les fruitières, apparurent pour la fabrication
des fromages de garde.
Les vallées constituaient un monde à part où se succédaient forges et moulins. Les
zones favorisées furent plutôt celles des bordures, le long des lacs suisses, ou, à
l'ouest, le Revermont et le Vignoble. Plus chauds, ils portaient de la vigne, et c'est là
que s'établirent les villes. La masse de la chaîne n'abritait guère que quelques
bourgades, au débouché des cols (Pontarlier), dans un bassin plus riche (Morteau) ou
autour d'un couvent (Saint-Claude). Au sud s'étendait le Bas-Bugey, avec le bassin de
Belley. La médiocrité des ressources incitait à chercher des activités complémentaires.
Certains « montagnons » partaient tous les ans comme transporteurs, tels les rouliers
de Granvaux. Dans les régions hautes, un artisanat se développa à l'instigation des
centres locaux (chapelets de buis pour les pèlerins de Saint-Claude), puis des villes de
l'avant-pays suisse. La transformation fut inégale : Vaud, plus rural, l'ignora.
Besançon et Montbéliard se transformèrent bientôt à l'instar de Genève ou de
Neuchâtel.
Une montagne industrialisée
L'ouverture générale de l'économie frappa durement la région au xixe siècle. Du côté
français, hors d'Arbois, le vignoble s'est très mal reconstitué. Le problème rural fut
cependant résolu par une spécialisation herbagère plus poussée. Avec l'aide des
fromagers suisses, il fut possible de reconvertir toute la chaîne à une économie
laitière.
La métallurgie traditionnelle succomba à la concurrence, ne laissant comme trace que
quelques activités de transformation dans les vallées. Paradoxalement, les industries
de la haute chaîne traversèrent sans encombre l'ère difficile de la révolution
industrielle : elles restaient d'essence artisanale, et la mécanisation n'y fit que des
progrès lents. Ainsi, le contraste entre les régions hautes et les régions basses
s'accentua : les premières, plus peuplées, virent se développer de petites villes actives,
comme La Chaux-de-Fonds. Au pied de la chaîne, des villes réussirent à fixer dans
leurs ateliers une partie de la main-d'œuvre : Lons-le-Saunier, Besançon, Montbéliard,
Bâle, d'une part, Genève, Neuchâtel, Bienne, Soleure, Aarau, de l'autre.
Cette organisation de l'espace a été remise en cause dans le dernier quart du xxe
siècle.
Vers de nouveaux équilibres
La rigueur du climat et le compartimentage du relief demeurent, mais l'isolement cède
devant les moyens modernes : la chaîne est franchie par des autoroutes au nord et au
sud ; des routes express désenclavent les villes de la montagne suisse ; les rames du
T.G.V. gagnent Genève, Lausanne et Besançon. Les aéroports internationaux de Bâle,
Zurich et Genève ouvrent une partie des centres jurassiens aux relations mondiales.
Progrès donc, mais qui va de pair avec la remise en cause des spécialisations
traditionnelles.
L'intensification de la production laitière est freinée par l'impossibilité de cultiver le
maïs au-dessus de 800 mètres et par la difficulté d'industrialiser la production du
gruyère de Comté : les régions hautes perdent l'avantage qu'elles avaient connu durant
un siècle. Dans le domaine industriel, beaucoup des activités traditionnelles ont
régressé – diamant, pierres précieuses et pipe à Saint-Claude, boîtes à musique à
Sainte-Croix, horlogerie dans le haut Doubs ou en Suisse. Quelques secteurs ont gardé
leur dynamisme, comme la lunetterie à Morez, tandis que d'autres se sont développés,
comme les industries du bois (à Champagnole, notamment) et du jouet. L'industrie
des matières plastiques a enrichi Oyonnax et sauvé Saint-Claude et sa région du
déclin.
Depuis le début des années 1970, la plupart des fabrications ont connu des à-coups.
L'horlogerie suisse a perdu plus de la moitié de ses quatre-vingt mille emplois et ne
s'est maintenue qu'au prix d'une restructuration très dure pour les sites montagnards
du Locle et de La Chaux-de-Fonds. La mécanique de haute précision ne suffit pas
toujours à combler les vides. En France, le Pays de Montbéliard a subi le choc de la
crise de l'automobile et des mutations techniques nécessaires. Le groupe Peugeot a dû
robotiser ses chaînes de Sochaux et réduire ses effectifs, qui sont d'environ vingt mille
personnes dans les premières années du xxie siècle. Besançon, qui atteint 117 730
habitants (recensement de 1999), a perdu aussi beaucoup d'emplois industriels, mais a
réussi sa reconversion dans les micro-technologies (dont les nanotechnologies)
implantées au sein de la technopole Temis ouverte en 2005.
Les régions montagneuses franco-suisses restent dynamiques et leur population
s'accroît. Le tourisme, avec la vogue du ski de fond, le charme des eaux et des
forêts, devient une ressource. Les petites entreprises font preuve de flexibilité et
innovent constamment. Les contacts frontaliers multiformes et fructueux, et le
développement routier et ferroviaire de l'axe Rhin-Rhône constituent autant d'atouts
d'avenir pour le massif du Jura.
Cascade de Baume-les-Messieurs
La cascade de Baume-les-Messieurs, dans le Jura, en France, et ses rochers
couverts de mousses.
· Georges CHABOT,
· Paul CLAVAL
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