Théâtre et conventions I. Spécificité du genre théâtral La langue théâtrale dépasse le texte dans la mesure où elle est associée à un ensemble d’éléments qui vont lui donner vie sur scène : ce sont les acteurs, avec leurs costumes, le décor, les accessoires, dans un espace limité, dans un temps retreint, vont lui donner toute sa force. a) La parole théâtrale Le dramaturge n’a pas directement la parole, c’est à travers les dialogues entre les personnages qu’il s’exprime. La parole théâtrale dramatique est liée à l'action, à la situation. Ce que dit le personnage est toujours "en situation" : les paroles que l'auteur lui prête sont liées au mouvement dramatique. Les héros d'une pièce ne parlent jamais de façon gratuite : ce qu'ils disent nous renseigne sur ce qu'ils font ou pensent, ce qui n’est pas toujours le cas dans la réalité. La parole théâtrale n'est ni la langue écrite ni la langue parlée. La parole dramatique est différente de la parole écrite (poésie ou roman) puisqu'elle est censée être prononcée à l'insu des spectateurs dans des conditions rappelant celles de la vie réelle. La question de la vraisemblance se pose donc ! Marivaux a soin de faire parler d'une manière différente les soubrettes et les valets. Le dialogue doit imiter l'improvisation de la vie mais sert également à construire l’identité du personnage, comme à faire progresser l’action. Il n’est pas gratuit. Ainsi le langage dramatique est à la fois un texte écrit et un texte parlé, mais ne peut se confondre avec la parole de la vie courante plus anodine et souvent tournée vers l'efficacité, ou le bavardage sans intérêt. Les choix effectués par le dramaturge quant au langage sont révélateurs de sa conception du théâtre, selon que le niveau langue employé est plus ou moins courant, soutenu, selon son degré de poésie… b) l’espace scénique L’action est limitée à l’espace de la scène. Un changement de lieu dans la pièce provoque un nouveau "TABLEAU " ou un nouvel "ACTE". L’importance accordée au décor est révélatrice des goûts d’une époque : Au XVII° siècle, on aime les grandes machineries, les œuvres à grands spectacles. En revanche, au XX° siècle, Brecht, par exemple, insiste sur le peu d'importance des décors. Pour lui, la scène est un lieu abstrait, il refuse la fascination qu'exerce le lieu théâtral. Il considère la parole théâtrale comme une simple manière d'exposer une réflexion. Le metteur en scène peut choisir de donner (ou non) une fonction particulière au décor en privilégiant sa beauté, en lui conférant une valeur symbolique… Dans certains cas, le décor est révélateur du genre de la pièce, plus particulièrement au XVII° siècle : maison bourgeoise pour la comédie, palais pour la tragédie. Certains objets sont indissociables de la représentation : la table, dans Tartuffe, sous laquelle se cache Orgon, le fauteuil, dans le Mariage de Figaro, la lanterne dans Amphitryon ... c) la temporalité théâtrale La représentation théâtrale met en place une temporalité qui lui est propre. La parole sert d'abord à construire le temps qui a précédé le moment de l'action : c'est le rôle des scènes d'exposition. Le temps propre à l'œuvre est fait de deux composantes : le temps mis par les personnages à dire leurs répliques = celui que nous vivons en même temps qu'eux temps forcément réduit (cf durée possible d'un spectacle), et le temps qui s'écoule en dehors des actes, qui est censé s'être écoulé lorsque les personnages se dérobent à notre vue (jours, mois, années...) : les propos des acteurs doivent le faire savoir. Dans le théâtre classique, peu de temps se passe entre les actes, les paroles accompagnent les derniers moments d'une crise. Dans le théâtre contemporain, les dialogues sont souvent de ceux qui "creusent" un temps qui a tendance à se rapprocher de celui de la vie ordinaire. II. Des conventions au théâtre a) Historiquement, le théâtre a toujours connu des conventions Dès la Grèce antique, le théâtre apparaît comme un genre fortement codifié. Acteurs masqués portant des cothurnes + le plan des théâtres avec des espaces réservés pour le chœur, les acteurs, l’arrivée des dieux, etc. Commedia dell’arte en Italie Kabuki et Nô au Japon Théâtre classique français. Cf Boileau. b) Ces conventions sont liées à la nature même du théâtre dont la finalité est la représentation Le fait de la représentation dans un espace physique clos rend inévitable l’existence de conventions. Ex : dans les théâtres occidentaux (bâtiments fermés le plus souvent) on est confronté au problème de la disposition de la salle et de la séparation des acteurs (la scène mais aussi les coulisses, les loges) avec les spectateurs (les sièges mais aussi le hall d’entrée, le foyer, etc.). Au cours du XVIIe siècle sont également apparus des éléments qui, progressivement, sont passés du statut de convention à celui de symbole : le rideau, les « trois coups ». Ces derniers sont frappés avant le lever du rideau par un préposé, à l'aide du brigadier (bâton de 1 mètre de haut, souvent garni de velours et de clous dorés). Cette coutume permet essentiellement aujourd'hui d'établir le silence dans la salle et annonce au public l'imminence de la représentation. Mais la vocation de cet usage était tout autre sous l'ancien régime. Chaque coup possédait sa signification propre. Le premier coup était frappé en l'honneur du Roi, le deuxième en l'honneur de la Reine, et enfin le troisième honorait le public. Sur la scène, les conventions sont également nombreuses (même si elles ont elles aussi évolué au fil des siècles). Ex : le décor. Au XVIIe on avait un décor simultané qui, par trois toiles peintes, représentait trois lieux proches. Une toile au fond et deux sur les côtés + des issues ménagées entre les toiles qui permettaient les entrées et sorties On l’appelait décor à « aire de jeux convergente ». Il était peu propice à l’illusion, tout comme l’absence de rideau. L’abandon de ce décor au profit d’un décor unique ou de plusieurs successifs a transformé la dramaturgie. Le décor est censé représenter un élément réel, alors que chacun voit bien qu’il est fictif. Les spectateurs (mais aussi les acteurs) feignent de croire à la réalité de morceaux de carton, de bois, de tissu. De même, ils feignent de croire que les éclairages sont ceux du soleil, du clair de lune etc. c) Les conventions au théâtre sont inévitables du fait de la situation de communication La communication au théâtre est rendue complexe parce que l’auteur (locuteur) choisit de parler au spectateur (destinataire) par l’entremise d’acteurs. Cette situation, au moment où la pièce se déroule, conduit chacun à passer un accord tacite (une convention) indispensable. L’auteur (ne pouvant recourir à un narrateur) utilise des artifices de langage que chacun accepte comme s’ils allaient de soi. Ce sont d’abord les monologues sans lesquels on ne saurait rien des pensées du personnage. Autre artifice du même ordre : l’aparté qui oblige à croire que le personnage présent physiquement sur la scène n’a pas entendu. Le public confond l’acteur avec le personnage qu’il joue durant le temps de la représentation. L’acteur ne réapparaît en tant que tel que lorsque la troupe salue le public à la fin de la représentation. Le spectateur quant à lui est conduit à tenir le rôle de voyeur. Il n’agit pas et les acteurs font comme s’il n’était pas là. Et si parfois, un acteur prend soudain à parti le public, l’effet de surprise qu’il crée, montre bien à quel point il s’agit d’une transgression des conventions. Selon les cas, cela produit un effet comique ou un malaise. Ex : L’Avare III, 7 Harpagon s’adresse au public pour savoir qui lui a volé sa cassette (effet comique), Le prologue de l’ Antigone d’Anouilh qui mêle vie des acteurs et des personnages (tend à briser l’illusion du théâtre). III. Remise en cause des conventions théâtrales a) une remise en cause du langage théâtral Certains auteurs comme Ionesco ou Beckett construisent leur pièce de façon à montrer que le langage n’est toujours apte à permettre la communication entre les personnages, ce qui souligne la solitude de l’être humain. b) une remise en cause de l’illusion théâtrale Brecht et sa troupe du Berliner ensemble mettent en place le théâtre de la distanciation : l’illusion théâtrale est rompue et la frontière entre scène et public n’est plus aussi hermétique.