Les principales caractéristiques de la psychologie de l'enfant roi
Quand je parle des méchants,[…], j’entends les violents, tous ceux qui s’abandonnent à
leurs passions […].
La force des méchants, c’est qu’ils se croient bons et
victimes des caprices d’autrui.
Alain
Nous avons vu dans le premier article de ce dossier sur l'enfant roi que c'est
l'absence de passage du stade de l'impulsivité à celui de l'autoprotection qui pave la
voie à son développement. Nous avons également cerné la responsabilité première de
l'autorité parentale dans la perturbation de ce processus, dans le sens où le laxisme
(attitudes de trop grande permissivité, de laisser faire, de laisser aller) prive l'enfant de
l'apprentissage essentiel de la condition première d'un tel passage, soit la maîtrise de
cette impulsivité.
Ces affirmations ne valent toutefois que pour le profil le plus commun d'enfant roi,
soit ¨l'enfant roi dominateur¨; bénéficiaire du laxisme éducatif, il est celui que l'on décrit
habituellement comme le résultat d'un enfant gâté et pourri tout au long de son
développement, impulsif, opposé à toute autorité, et sans aucun sens de la discipline et
de l'effort. Il existe un second profil, que j'ai nommé ¨l'enfant roi anxieux¨, chez qui le
laxisme éducatif provoque l'émergence de caractéristiques de fonctionnement toutes
autres. Même si la présente réflexion s'adresse essentiellement à l'enfant roi
dominateur, compte tenu de sa prévalence et des difficultés de taille qu'il pose aux
adultes qui en ont la responsabilité éducative, il convient de s'arrêter tout d'abord à
cette distinction essentielle.
La différence majeure animant ces deux types d'enfants rois provient de l’intensité
de la pulsion agressive caractérisant chacun d'eux. L'enfant roi dominateur est
évidemment celui qui présente l'intensité la plus forte; davantage impulsif et rebelle à
l'autorité que l'autre, il exploite à son profit la totalité de tout l’espace éducatif ainsi que
les largesses éducatives fournies par la trop grande permissivité des parents. Il se
conduit alors comme il a envie de le faire et sans aucune restriction, au gré de ses
désirs et caprices qui deviennent aisément confondus avec les besoins. À l'inverse,
l'enfant roi anxieux n'affiche à peu près pas de tendances à l'impulsivité. Davantage
fragile et malheureux, il affiche plutôt de fortes tendances à l’anxiété et à l'angoisse, de
même qu'une insécurité parfois chronique, qui le conduisent à un important besoin vital
d’encadrement.
L’enfant roi anxieux est donc celui qui souffre du laxisme. Ne pouvant s'appuyer sur
aucune référence qui pourrait lui servir en quelque sorte de balises et de guide pour
encadrer sa conduite et soutenir son processus décisionnel, il évolue dans une espèce
de ¨vide existentiel¨; il est comme un drapeau qui dépend du vent pour déterminer la
direction vers laquelle il doit flotter. Je me rappelle à cet effet une jeune étudiante âgée
de 19 ans et qui désirait me rencontrer afin de modifier son plan d’études. Lui
soulignant qu’il valait peut-être mieux consulter un professionnel de l’orientation, elle
insiste en me soulignant son incapacité absolue à prendre une telle décision et que
c’était là le motif pour lequel elle désirait me rencontrer.
Ce n’est qu’après de nombreuses rencontres cliniques qu’une phrase jaillit de sa
bouche pour me permettre de comprendre ce qui n’allait pas. Rongée par l’anxiété, elle
lance : ¨Depuis que je suis toute petite, je peux faire ce que je veux…. Cela ne veut pas
dire que mes parents ne m’aimaient pas… cela veux dire qu’on me faisait confiance¨.
Ces paroles étalaient tout le drame fatidique du laxisme éducatif dont elle avait été la
victime, particulièrement le doute d’avoir été aimée qu’avait généré l’absence
d’encadrement. Mes questions visant la compréhension précise de ces paroles l’ont
effectivement conduite à la verbalisation de souvenirs à l’âge de 6 ans alors qu’elle
suppliait en pleurs ses parents de lui signifier à quelle heure devait-elle aller simplement
se coucher. Ses parents, dans une volonté manifeste de bien faire, lui répondaient
régulièrement qu’elle était maintenant une grande fille et qu’elle pouvait elle-même
juger de l’heure à laquelle elle devait aller se coucher. Toute son enfance avait été
caractérisée par l’absence de cadres, d’une structure qui lui aurait éviter la culture d’une
anxiété morbide contre laquelle elle devait dorénavant se battre, probablement pour le
reste de sa vie.
Tout son processus décisionnel en était ainsi affecté de sorte qu’elle évoluait dans
une dépendance affective chronique, caractérisée par une référence constante à autrui
pour la prise de quelque décision que ce soit. Sans cadre éducatif, cette jeune fille était
devenue incapable de distinction entre le possible, le souhaitable et le désiré.
Essentiellement passive dans ses relations, l’analyse de sa personnalité indiquait en
outre une absence marquée d’agressivité au point où elle subissait toute action de cette
nature de la part d’autrui.
Cette ¨enfant¨, traitée comme une petite reine durant toute son enfance et sans
aucune confiance en elle, en son propre jugement, croulait littéralement sous son
anxiété. Sans agressivité, incapable d’affirmation de soi et de décisions, craignant au
plus haut point le rejet d’autrui, elle n’avait cesse de rechercher l’amour, l’affection et la
sécurité : elle cherchait auprès des autres à établir la relation de sécurité dont elle avait
été privée de la part de ses parents. Contrairement à l'enfant roi dominateur qui suscite
le rejet et la colère, ce profil anxieux a plutôt pour effet d’attirer la sympathie et la prise
en charge.
L’enfant roi dominateur, quant à lui et tel que mentionné précédemment dans le
premier article de ce dossier se caractérise tout d’abord par l'impulsivité que lui fournit
sa forte pulsion agressive. Il s'agit là de sa caractéristique dominante. Nullement
contraint à quelque modification de conduite que ce soit, il demeure fixé au stade de
développement de l'impulsivité, caractéristique de l'enfant âgé de 2 à 4 ans, de sorte
qu'il maintient puis intensifie avec le temps les comportements de cette nature qui
dominent sa vie affective depuis sa naissance. Contrairement à l'enfant roi anxieux qui
subit le laxisme et dont la tendance à l'anxiété réclame un encadrement sécurisant,
l'enfant roi dominateur en exploite donc toutes les failles et réclame pour sa rééducation
en encadrement répressif.
Cette impulsivité demeure au service exclusif et enivrant de la facilité, du plaisir et du
pouvoir sur autrui. Cette deuxième caractéristique en importance signifie que ce type
d'enfant maintient une conduite alimentée par une motivation de nature infantile, c'est-
à-dire une motivation analogue dans sa nature à celle qui le caractérise depuis sa
naissance. Nullement capable de composer avec les frustrations et de reporter la
satisfaction de ses besoins, désirs et pulsions dans le temps, il n'accède donc pas au
contrôle de soi et à la discipline, deux ingrédients constitutifs de toute maturité.
Tout le développement de cette impulsivité devient grandement facilité par la
déficience de sa morale. Cette autre caractéristique de sa psychologie est tributaire de
l'absence de toutes conséquences appliquées sur ses comportements de nature
impulsive. Tout se passe comme si le laxisme éducatif provoquait une espèce de
réaction circulaire possédant sa propre énergie : l'absence de cadre éducatif devient
une autorisation à la poursuite de la conduite impulsive et annule tout développement
de crainte de ses conséquences, interdisant dès lors le développement de toute morale
qui autorise à son tour la poursuite de l'impulsivité et de la satisfaction du plaisir. Cette
absence de relations avec le domaine de la peur des conséquences devient donc le
principal catalyseur de sa déviance et entraîne avec elle des conséquences
dramatiques sur le développement de son équilibre personnel. Elle annule en effet toute
possibilité d'accès au remords et à la culpabilité, deux affects (ce qui est ressenti)
essentiels et incontournables dans l'apprentissage de la distinction entre ce qui est bien
et ce qui ne l’est pas. C’est la raison pour laquelle la morale de l'enfant roi dominateur
possède une structure de nature psychopathe et que toutes tentatives d'interventions
visant à le sensibiliser à la déviance de sa conduite sont vouées à l'échec.
Égocentrique, sans empathie et incapable de remords et d'empathie, il piétine sans
ambages les besoins et la vie des autres.
Lorsqu'il se présente ainsi ¨équipé¨ aux portes de l'école et de la socialisation, c'est
rapidement qu'il fera étalage de toute cette absence d'emprise sur la gestion de sa
personnalité et de son opposition farouche à toute contrainte. Parfois vulgaire, il
invective l’autorité en s’adjoignant l’appui des autres enfants rois de la classe ou ceux
qui nourrrissent une rébellion conséquente à un abus de pouvoir parental sur leur
personne. Soutenant parfois son opposition aux enseignants à l'aide de menaces d'un
recours contre eux, avec l’appui occasionnel et malheureux de ses parents tout aussi
inconscients que lui, il continue de nourrir une gestion narcissique et égocentrique des
situations.
Les enseignants dépistent rapidement ces enfants rois qui, de plus en plus
nombreux, sont responsables de l’éclatement en pleurs chez certains, d’un taux
croissant d’épuisement professionnel, ainsi que d’une consommation de plus en plus
élevée d’antidépresseurs et de congés de maladie. Les différentes enquêtes dans le
domaine de l’éducation indiquent d’ailleurs et de façon alarmante que c’est au niveau
préscolaire que le taux d’agression physique sur les enseignants a connu la plus forte
hausse. Lenquête au Québec du Journal de Montréal publiée dans la première
semaine de février 2004, révèle également la pathologie morale de ces enfants rois
parvenus à la puberté et à l'adolescence.
Une autre caractéristique voit le jour au fur et à mesure de son évolution vers l’âge
adulte, celle d’une exploitation éhontée des relations interpersonnelles. Asservissant à
ses besoins toutes les personnes avec qui il entretient des relations, c’est avec colère
qu’il réagit lorsque ces derniers ne daignent pas se soumettre à sa volonté. Ce n’est
qu’une question de temps pour que l'intensification de cette colère s'adresse à ses
parents, particulièrement au tournant de la puberté alors que ces derniers continuent le
plus souvent de demeurer ses otages. Utilisant parfois l'agression verbale et physique
contre eux, le développement de sa force physique s’ajoute ainsi à son arsenal de
contrôle et de domination déjà imposant. Voilà une explication potentielle et fort réaliste
de certains parents molestés par un de leurs enfants, situation rapportée
occasionnellement par les médias.
La culture de son égocentrisme et de son narcissisme, cet amour excessif et
pathologique de sa propre personne, le prépare également à une dysfonction absolue
dans le domaine de l’intimité où il poursuit son exploitation des relations. S’imposant
comme roi et maître de ses sujets, omettant la plupart du temps les anniversaires des
membres de sa famille et le don de présents, son partenaire de vie ainsi que ses
enfants lui doivent obéissance et vénération. Souvent infidèle, c’est fréquemment qu’il
entretient des relations hors couple, guidé pas ses instincts primaires et le plaisir
narcissique qu’il retire de la sexualité. Incapable d’aimer et de toute remise en question
de soi, la poitrine gonflée à bloc et orné d’une couronne de sa propre fabrication, la race
humaine est à ses pieds.
Il est également fréquent que sa déviance le conduise à des difficultés de
consommation. Contrairement au profil habituel du toxicomane et de l’alcoolique, chez
qui cette problématique assure l’élimination de la souffrance affective issue d’une
enfance destructrice de l'image et de l’estime de soi, l’enfant roi consomme par pur
plaisir. De là à aboutir au trafic des stupéfiants dans le but de bénéficier des sommes
colossales qu’une telle activité illicite rapporte, il n’y a qu’un pas qui peut devenir vite
franchi.
En trente ans de métier, il m’a été donné de connaître plusieurs de ces enfants à
l’âge adulte. Non pas parce qu’ils se présentaient en consultation, ce à quoi ils ne
sauraient s’abaisser, mais bien plutôt parce qu’ils étaient les partenaires de patients
que je recevais ou parce qu’ils participaient contre leur gré au programme de
réhabilitation que j’offrais dans le système carcéral canadien. Dans ce dernier cas, je
me rappelle un jeune homme de 29 ans, marié avec deux enfants et aux nombreuses
maîtresses, dont les parents millionnaires lui avaient procuré dès l’âge de 14 ans une
voiture de grand luxe, voiture qui avait vite été abandonnée à 16 ans pour une voiture
sport allemande, suite à une crise de leur progéniture. Incarcéré pour trois ans suite à
un trafic de stupéfiants et suivant le programme de Connaissance de soi dans une
position physique qui donnait plutôt l’impression qu’il se dorait au soleil dans les îles du
Sud, il a opposé un refus immédiat aux travaux obligatoires de réflexion personnelle, ce
qui lui a valu l’expulsion du cours.
Une lettre de sa mère, contenu à son dossier, soulignait sa grande peine de voir son
fils incarcéré. Elle prodiguait son encouragement à ¨son fils chéri¨(sic) et renouvelait sa
croyance dans ses propos à l’effet qu’il avait été victime d’une erreur judiciaire, malgré
les faits et les preuves irréfutables amassés contre lui. De plus, la mère ajoutait que
père, riche homme d’affaires, avait prévu un poste au conseil d’administration dès son
retour, afin de panser les affres de son incarcération. Le ton ainsi que le vocabulaire
infantile de la lettre donnaient cette impression d’une maman qui s’adresse à son petit
¨choux¨ de 8 ans.
Je me rappelle également un homme de 34 ans qui me consultait pour d’importants
problèmes de couple. La description des réactions de sa conjointe ne laissait aucun
doute : il était le valet d’une enfant roi, qui continuait d’ailleurs de maltraiter sa mère et
de la molester à l’occasion lorsqu'elle n'obéissait pas à ses exigences. Cette enfant de
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