Lecture analytique n°5 : René Char Fragment 128 Feuillets d’Hypnos
( introduction à raccourcir !)
René Char est un auteur français en 1907 et mort en 1988, il participe un temps au mouvement
surréaliste, qu’il connaît grâce à Eluard. Puis en 1934, il s’en écarte et s’engage contre la guerre
d’Espagne. Après la défaite de Juin 1940, il continue à écrire mais refuse de publier ses poèmes : pour
lui il vaut mieux prendre les armes. Fin 1942, il devient membre de l’armée secrète des mouvements de
la Résistance en zone sud. Début 1943, il passe au maquis et commence un journal Feuillets d’Hypnos.
En septembre 1943, il est nommé chef départemental de la SAP Section Atterrissage Parachutage- des
Basses-Alpes, chargée de réceptionner et stocker les armes parachutées pendant la Résistance. En Juillet
1944, il part pour Alger préparer le débarquement de Provence. Il revient en France fin Août puis rejoint
l’armée régulière. Les Feuillets d’Hypnos feront partie de Fureur et Mystère en 1948. Ce sont
exactement 237 textes écrits au maquis entre 1943 et 1944, brûlé en partie en 1944. Hypnos est dans la
mythologie le Dieu du Sommeil, le veilleur qui attend l’aube et celui qui attend la lumière, il est fils
d’Erèbe, les ténèbres des Enfers et de Nyx (la nuit), jumeau de Thanatos (la Mort). Le fragment 128 est
un poème en prose, le plus long du recueil : il raconte l’arrivée de soldats nazis dans un petit village du
sud de la France dans lequel un résistant se cache. Comment le poème en prose est-il un hommage à la
Résistance ? Nous verrons d’abord l’échec de l’interpellation, puis la critique de la guerre et enfin la
poésie militante.
I. L’échec de l’interpellation :
1. La structure du texte :
Trois paragraphes sont structurés et composent ce fragment : d’abord, la péripétie puis le lieu
de l’épreuve et enfin la résolution du conflit.
Le paragraphe central est le plus important : il est narré aux temps du passé (à citer) et tranche
avec le 3ème au passé composé.
2. La violence des SS :
Le poète emploie un vocabulaire guerrier et barbare avec deux discours mêlés : le discours direct
«Où est-il ? » et le discours indirect libre « les habitants furent sommés de se rassembler sur la
place centrale ». La parole est violente avec le verbe « sommer » et l’impératif familier à la 2PS
« conduis-nous ».
Les armes apparaissent dans le texte « mitrailleuses » « mortiers » « bombe »… Elles sont aux
mains des nazis-le narrateur a une arme qu’il n’utilise pas- ce qui tranche avec le dénuement
des villageois.
Les nazis s’acharnent sur les plus faibles : « un vieux » « un jeune maçon », ce dernier est isolé
« le maçon ».
3. La puissance de la masse :
Le monde évoqué est rural « village » « boulanger » « maçon » « campagne « et « place
centrale » le prouvent.
Le village ne comprend que des faibles « femmes, enfants, vieillards » en énumération et les
hommes sont « à quelques kilomètres de là ». Les nazis s’en prennent donc aux faibles.
Une métonymie est employée « yeux bons et anxieux », elle représente les villageois qui vont
se taire et vont apprendre au narrateur caché que le danger est passé. On note les pluriels qui les
désignent et les unissent.
II. La critique de la guerre :
1. La brutalité :
Le rythme est rapide lors de l’arrivée des SS et des miliciens « n’avait pas encore dégrafé »
« que déjà » « furent jetés » « qui ne tenait pas compte assez vite » « rapidement » « alors
apparut jaillissant ».
Les nazis sont violents et lorsqu’ils s’en prennent aux plus faibles, ils exécutent des châtiments
expéditifs : explosion de la granger pour l’un « coups de pied et coups de crosse » pour l’autre.
2. Le contexte résistant :
L’entraide villageoise est primordiale mais tout le réseau est soudé « mille fils confiants »,
l’hyperbole ici est employé pour montrer que les réseaux étaient liés entre eux, rappelons que
c’est Jean Moulin qui unifia les réseaux de la Résistance.
Dans le cas d’arrestation, très peu résistaient à la torture : l’homme qui est violenté va « parler »,
utilisé sans complément, ce verbe a une valeur très forte : parler, c’est trahir et l’angoisse du
narrateur est dépendante du jeune maçon.
3. La victoire de l’amitié sur la barbarie :
Les faibles sont finalement victorieux « en toute bonne foi » est une expression entre guillemets
car elle participe d’un jeu entre le poète et le lecteur, il y a un décalage entre le sens propre et le
sens que le poète lui associe.
Les villageois forment un groupe solidaire comme le prouvent les pluriels ou les singuliers de
généralité « les habitants » « la foule » « des yeux » « mille fils ».
L’amitié a permis ce silence : c’est ce pourquoi il n’a pas été découvert. L’expression finale
« bien au-delà du sacrifice » laisse entendre une reconnaissance totale, la préposition « au-delà »
renforcée par l’adverbe « bien » prouve l’héroïsme de cette amitié et l’affection « j’ai aimé ».
III. La poésie militante :
1. Un poème en prose :
Le texte est uni, cohérent et bref : le récit est poétique par l’interprétation et les symboles plutôt
que par les actes.
Les 3 strophes sont inégales : la dernière est celle d’un poème en prose par les allitérations
présentes en [s] (ligne 17) par des images aussi « les yeux » et le rythme saccadé de la phrase
s’apparente au poème en prose. « la clé sur les portes ».
Le poème en prose comporte aussi des images poétiques ligne 1 « dégrafé les rideaux de fer »
et aussi lignes 15-16 et ligne 22.
2. Dénoncer l’oppression :
Les SS sont vus ici comme des animaux, des brutes : ils s’acharnent sur le jeune maçon
innocent : ils sont déshumanisés.
Le silence qui règne dans le village est empreint de force et de beauté et évoque le mutisme des
villageois.
Ils sont perçus de façon métaphorique « des yeux bons et anxieux » « comme un jet de lampe
sur ma fenêtre » « mille fils confiants ».
3. Le fragment :
C’est une forme courte et éclatée du poème en prose : elle permet de jouer sur les silences et les
non-dits. Le poème en prose permet d’unir le poème et le récit.
Il est celui du silence, un hommage à ceux qui n’ont rien dit, le fragment est alors une parole
sortie du silence.
Il est aussi un hommage à tous ces anonymes qui ont ailes résistants et ont contribué à la
victoire finale.
Le poète René Char alias capitaine Alexandre écrit ici un poème en prose emblématique de la littérature
du maquis. Ce texte entre poésie et récit nous présente le courage des anonymes qui ont joué un rôle
important lors de la victoire de 1944. Le poète veut leur rendre hommage : ils lui ont sauvé la vie. Nous
pouvons rapprocher ce texte du poème de Jean Tardieu « Oradour » qui évoque le massacre d’Oradour-
sur-Glane le 10 juin 1944, ce village est aujourd’hui le symbole des villages martyrs et le poème de
René Char en vantant des villageois anonymes montre l’héroïsme des Français à la campagne.
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