Bizarreries sexuelles, actes pervers isolés et - Jean

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Bizarreries sexuelles, actes pervers isolés et
perversions sexuelles chez l'enfant
Cet article a été publié dans la revue Neuropsychiatrie de l'Enfance et de
l'Adolescence en 2003, 51-8, 224-232. Je vous en souhaite une bonne lecture.
Vous pouvez aussi aller consulter, à la page échanges interactifs de courriel la
rubrique Perversion ; j'y réponds à des préoccupations d'internautes à propos
de pratiques sexuelles déviantes.
N’oubliez cependant pas que, si la vraie perversion existe, beaucoup
d’explorations bizarres, déviantes à laquelle se livrent enfants et adolescents
ne sont que des phénomènes transitoires … ils peuvent cependant engendrer
tardivement une énorme culpabilité … lisez à ce propos, à titre d’exemple,
l’échange de courriel
Culpabilité énorme chez un jeune adulte après quelques
expériences zoophiles
J.-Y. HAYEZ (1).
Pourquoi cet essai ? Au fil de ma carrière professionnelle, j'ai rencontré
quelques enfants et adolescents porteurs d'une solide perversion sexuelle, en
étant confronté aux aléas de leur éducation et des soins à leur apporter.
Quelques-uns, une quinzaine en trente ans.
Sommet d'un iceberg ou grande rareté d'une telle structure, du moins sous sa
forme chronicisée ? Un des buts de cet essai est d'y réfléchir en ne tranchant
d'ailleurs ni par l'angélisme, ni par la dramatisation.
Sur les forums et dans les chats d'Internet, au moins là, les langues des jeunes
se délient ; même sans être assez naïfs pour croire que tous ceux qui y
annoncent leurs 12 ans les ont vraiment, ni que tout ce qui s'y dit est de
l'ordre du réel concret, on ne peut pas non plus faire la politique de
l'autruche il y fourmille des milliers de témoignages d'un rapport breugelhien? impertinent? inquiétant? - que les mineurs d'âges entretiennent
avec une sexualité qui est tout sauf politically correct. Mors, comment la gérer
quand on en découvre les signes ? Faut-il essayer d'en prévenir quelque chose
? Et si oui, comment?
(1) J.-Y. HAYEZ, pédopsychiatre, docteur en psychologie, responsable de l'unité de pédopsychiatrie et
coordonnateur de t'équipe SOS Enfants-Famille, Cliniques universitaires Saint- Luc,10 avenue Hippocrate, B1200 Bruxelles – Courriel : mailto:jean-yves. [email protected]
Beaucoup plus souvent, j'ai été confronté au profond désarroi des parents
face à des indices ou à des expériences tout à fait inattendues : que dire à ce
jeune de il ans surpris dans un superbe transvestissement? Et à cet autre,
dont ils découvrent - par hasard? - qu'un gros dossier de son ordinateur
contient des dizaines d'images consacrées au sado-masochisme, à la zoophilie
ou aux plaisirs urinaires ? C'est de toutes ces petites et grandes bizarreries
dont je voudrais parler ainsi que des conduites à recommander aux parents
et aux soignants, sans sourire ni diaboliser!
§ I : LE CADRE DE SEXUALITÉ DANS LEQUEL S'INSCRIT UN
FONCTIONNEMENT PERVERS.
Je me centrerai sur les enfants entre six et terize ans, d'intelligence normale
ou avec un léger retard mental, non autistes, non psychotiques.
Lorsqu'ils sont en bonne santé mentale, ils ont des activités sexuelles d'abord
assez espacées ( sexualité " récréative ") ; leur intensité augmente au fur et à
mesure que s'approche la puberté, en même temps que leur forme rejoint
progressivement ce que font les grands adolescents et adultes.
Plus ils grandissent, plus ils s'avèrent capables de mener leur sexualité avec
une discrétion efficace, loin du regard des non- partenaires, tant par
prudence que parce qu'ils adhèrent vraiment à des normes sociales et à des
prescrits culturels qui le demandent.
Une seule catégorie d'activités sexuelles échappe à certains moments à cette
recherche de " privé ", ce sont celles qui sont générées par l'angoisse,
résultant ici d'un traumatisme introjeté, d'un vagabondage de l'imagination
ou d'une organisation névrotique : alors, une certaine contrainte intérieure à
faire des vérifications sexuelles ou à s'identifier à l'agresseur conduit
régulièrement l'enfant à pratiquer à ciel ouvert dans un climat de tension,
voire de violence.
Par contre, les activités sexuelles discrètes, menées solitairement ou en
compagnie, constituent majoritairement l'expression d'un développement
sexuel sain et répondent aux critères cliniques du tableau I.
Plus rarement, ce sont des activités sexuelles préoccupantes (2) : je viens
d'évoquer celles qui sont générées par l'angoisse, parfois menées sous le
regard d'autrui, mais parfois aussi en cachette.
Par ordre de fréquence décroissante, il y a ensuite des enfants sans retenue,
précocement hyper érotisés ( hyperreactive children, Cavanagh Jonhson,
1999 ).
Viennent alors, déjà beaucoup moins fréquents, les abus sexuels, dictés par la
recherche du pouvoir, puis les quêtes affectives sexualisées ( Hayez, 1999;
Hayez 2004 ).
Viennent enfin les activités perverses, transitoires ou destinées à se
chroniciser, qui feront l'objet de la suite de l'article.
§ II : MÉCANISMES DE MISE EN PLACE.
Il en existe trois principaux. Je les décrirai d'abord séparément puis
j'évoquerai leurs combinaisons possibles et les pronostics d'évolution qui en
résultent. Je terminerai par la description détaillée d'un cas.
I - Description de chaque mécanisme.
(2)
Préoccupantes en référence à l'évaluation faite non par une personne isolée, mais par la majorité des adultes
sereins qui auraient à les connaître. Alors, elles seraient soit simplement pathologiques, soit pathologiques et
mauvaises lorsqu'elles violent les Lois naturelles.
A. L'enfant découvre par hasard qu'une activité sexuelle précise lui procure
un très grand plaisir ; plaisir physique local, réminiscence de plaisirs
archaïques, joie de vivre qu'il fait une expérience exceptionnelle, qu'il défie
les règles, etc. Il ne s'y attendait pas, mais il va très vite apprendre à
reproduire celle inondation de plaisir jusqu'à parfois en devenir dépendant (
conduite addictive! ).
Par exemple, beaucoup d'enfants qui se travestissent à l'occasion, pour
jouer, dans une sorte de carnaval où tout paraît possible, s'en tiennent
là et n'y vivent aucune composante sexuelle ; néanmoins, tel garçon a
pu éprouver une violente érection à travers des sous- vêtements
féminins un peu étroits : par la suite, ce n'est plus se travestir qui
l'intéressera, mais ré expérimenter ce moment de jouissance intense
pour y arriver, il peut se mettre à élaborer et à réaliser secrètement un
scénario, toujours quasi- identique : il passe du travestissement au
transvestissement ( Chiland, 1999 ).
A l'origine de l'expérience princeps, il peut exister un pur hasard l'ennui, une
opportunité externe, l'entraînement par un autre ...
Il peut également exister une motivation affective plus précise, mais qui visait
un effet non pervertisseur. Je l'illustrerai bientôt avec l'étude détaillée des
comportements de mibaut et en voici déjà l'un ou l'autre exemple :
- Pour abréagir ses tensions psychiques en " s'identifiant à
l'agresseur ", tel enfant fille ou garçon, lui-même objet de violences, se
met à molester des plus petits, physiquement et sexuellement ou à
exercer des cruautés sur un animal, et un malheureux hasard veut qu'il
y trouve un plaisir intense qu'il se met à cultiver.
- Pour comprendre et dominer son propre traumatisme sexuel, tel
préadolescent se met à cyberdraguer de louches internautes sur des
salons de chat du genre " Maître cherche lope " ... et il éprouve
beaucoup de plaisir à jouer la lope, au point de passer du monde
médiaté de l'écran à celui des rencontres incarnées.
Lorsque cette recherche d'un plaisir fort s'amplifie, au moins deux
mécanismes de régulation contraires peuvent intervenir :
- Des Instances Intérieures essaient parfois de s'y opposer avec une intensité
variable ( système de valeurs; Idéal du Moi et Image de Soi; Sur-Moi plus
archaïque; intelligence et refus d'une dangereuse anormalité, etc. ) : personne
n'entre dans la perversion comme dans un tout ou rien! Si l'on a la chance et
la disponibilité intérieure de bien écouter l'enfant, on constate souvent que,
préoccupé, il se pose et pose la question : " Suis- je normal? Vers où vais
je ? ".
- Des voix extérieures peuvent par contre encourager le même enfant à être
lui-même (« You want it? Just do it ! »), jusqu'à la déviance et sans se soucier
de l'effet produit sur autrui. C'est ce qui se passe, par exemple, dans bien des
cyberforums et chats entre jeunes - lieux arrosés, il est vrai, par quelques
adultes zélateurs - : les petites perversions, celles qui ne mettent pas en
question les Lois Naturelles, sont banalisées et encouragées.
Ainsi, Mike ( quatorze ans ) qui y écrit : " I sometimes think that I am a
freak because for some reason I am very attracted to boys' feet. If there is
a barefoot boy somewhere, I have to look at his feet and toes. Or even if
they are wearing sandals, I have to look. I think boys feet are so cute but
don't know why I have this kind of attraction for their feet. Is this
normal? " ... reçoit ensuite de plusieurs correspondants de tous les âges
des réponses dont la synthèse est : " Ce que tu décris, Mike, c'est le
fétichisme des pieds ... et pourquoi pas ? Des tas de jeunes le vivent. Sois
toi-même ".
B. Il existe également des applications précoces de l'hypothèse freudienne
classique centrée sur l'angoisse d'une rencontre intime, le refoulement
puissant et le déni. On s'en convainc très raisonnablement en écoutant des
adultes parler en psychothérapie, mais il est plus difficile d'en étayer
cliniquement l'existence lorsque l'interlocuteur est un enfant.
Ici, lors de la petite enfance, à l'époque de phases d'investissement primitif
puis oedipien des parents, il surgit des angoisses très fortes autour de la
rencontre interpersonnelle de l'autre, affective et corporelle : le corps des
parents, surtout de la mère, pourtant désiré, est aussi vécu comme effrayant;
la scène primitive également. L'enfant refoule radicalement et ce qu'il s'en
représente et ses désirs d'une rencontre intime avec cet autre si étrange.
Ce refoulement est intense, stable et le protège de l'angoisse à l'avenir. Et
l'enfant met au point des fantasmes et des comportements dénégateurscompensateurs où s'exercent
surtout
des
pulsions
partielles;
malheureusement en référence aux conséquences sociales, ils sont source de
plaisirs forts.
ILL 1. Voici la question qu'une maman posait dans un journal pour
parents. Il n'est pas exclu, justement, que son petit garçon vive une
grande envie et une terreur à l'idée - inconsciente - d'une rencontre
infinie avec elle; peut-être cette maman a-t-elle induit trop de
culpabilité autour de la sensualité oedipienne, en référence à son
éducation ...
" Un jour, dans la salle de bain, je surpris mon fils de 6 ans ayant ligoté
sa soeur, âgée de 3 ans, à une chaise avec une ceinture. Très excité, il
sautait de tous côtés, nu comme un ver, le sexe en érection. Je fus, je
l'avoue, assez surprise par cette scène inusitée. Je ne l'ai pas grondé
mais je lui enjoignis de ne plus jamais attacher sa soeur de la sorte. A
cela, il me répondit: " Mais elle aime ça! ".
Le lendemain, étonnée par un calme inhabituel, celle maman alla jeter
un coup d'oeil dans la chambre de son fils. Quelle ne fut pas sa surprise
de trouver l'enfant dans le même état que la veille, mais cette fois, face
à toutes ses peluches ligotées les unes aux autres.
Poursuivant, la mère dit: " Je n'ai pas pu m'empêcher d'être très saisie
par la scène. Dans mon éducation, tout ce qui touchait à la sexualité était
tabou ". Sans doute mon fils a-t-il perçu mon trouble car, prestement,
il cacha ses peluches dans son sac à jeux situé sous le lit. D'un air
faussement banal, il me dit: " Laisse-moi maman, je jouais un peu! ".
ILL 2. Et que dire de ce jeune adulte solitaire, très timide avec les
filles, et qui décrit sa relation avec sa mère comme " glacée ".
Il est très malheureux de ce qu'il appelle la stagnation de sa sexualité.
Elle n'est que masturbatoire, et une bonne partie du temps, consacrée
à la masturbation anale avec des objets. " J'ai commencé à 9 ans ", ditil. " J'avais trouvé une revue porno où une femme se masturbait le vagin
à plusieurs doigts. Peut-être que j'ai voulu l'imiter, mais le lendemain, je
m'entrais le goulot d'une bouteille (3) dans le derrière. Et j'ai toujours
continué " .
C. Autre mécanisme souvent évoqué, surtout par la psychanalyse lacanienne,
c'est le désir de bafouer les lois, depuis les simples règles sociales et prescrits
culturels jusqu'aux Lois naturelles.
- Dans sa forme la plus radicale, ce désir de bafouer, souvent subtilement
exprimé, est sans limites; il inclut donc la destruction morale et parfois même
physique de l'autre. Souvent, l'on constate qu'au moins un parent, plus
fréquemment la mère, encourage cette manière d'être où la volupté suprême,
c'est d'être anarchique.
(3)
Vous connaissez, n'est-ce pas, ce soda d'importation à la couleur noirâtre, vendu dans des petites bouteilles
qui ont la forme stylisée d'un corps féminin?
Bien que l'illustration en soit un peu sommaire, on se souviendra de la
mère et de la soeur aînée de Malagnac, le mettant en contact avec
Roger Peyrefitte à l'âge de douze ans, pour qu'il fasse la connaissance
d'un monsieur qui écrivait si bien sur les jeunes adolescents. Trois
heures après, il conversait nu au lit avec l'alerte pédéraste, après une
sieste dominicale agitée ...
- D'autres parents, porteurs de conflits psychiques mal liquidés, peuvent
avoir comme une envie inconsciente de vivre telle ou telle pulsion partielle
par la procuration de leurs enfants. Face à une activité déviante, ils envoient
donc un double message, voire ne la répriment pas du tout.
- Parfois, c'est plus ciblé et indépendant des encouragements des parents
lors d'une mauvaise passe, lors d'un moment de haine particulièrement fort
contre les adultes, lors d'un moment de solitude mal supporté (4) , tout enfant
peut avoir le désir de s'étourdir, de se venger, et peut-être de s'auto- détruire,
en faisant l'expérience de ce qu'il sait être le Mal.
- Mais il y a peut-être plus " banal ", qui a à voir avec l'augmentation de
l'hédonisme ( Lazartigues, 2002 ) et des conduites addictives dans l'ensemble
de la population (5), le recul et l'émoussement des normes sociales et
familiales, couplé à des incitations omniprésentes à la consommation, font
que beaucoup ne se sentent plus contenus par un Père social fort; pour
consommer du plaisir, ils se donnent donc le droit de faire n'importe quoi; si
l'on retenait les leçons de l'Histoire, on se souviendrait que c'est ainsi qu'ont
commencé la décadence puis la mort de bien des civilisations!
Si vous faites entrer le mot-clé « infantilisme » sur un bon moteur de
recherche du web, vous verrez que des milliers de personnes vivent une
partie de leur temps déguisées en bébés, s'oubliant dans leurs langes, se
donnant ou se faisant donner des biberons, avec ou sans tripotages
sexuels associés ... ils échangent des considérations sur leur histoire et
leurs manies dans des forums spécialisés, constituent des couples
symétriques ou complémentaires, hétéro ou homo ... un psychologue
infantiliste intellectuellement bien doué leur explique qu'il ne s'agit pas
d'une perversion, mais d'un épanouissement génétique et leurs
témoignages écrits révèlent que pour une partie des personnes
(4)
Eh oui, ces enfants soit-disant mûrs, qu'on laisse trop seuls parce que papa et maman ne sont pas disponibles,
qui ne peuvent pas se permettre de protester et qui se vivent vaguement désinvestis ... ils peuvent vivre pas mal
d'amertume secrète et de désir de se venger! Et les voici qui occupent salement leur mercredi après-midi, entre se
faire lécher par le chien de la maison, tripoter la petite soeur dont ils ont la garde ou collectionner les " pics les
plus crades " ( = les images pornographiques les plus dégradantes ) qu'ils trouvent à la pelle sur les sex-shops du
web.
(5)
par exemple : cyberdépendanoe, tabagisme, substance abuse, etc ...
concernées, les premiers vols et poses secrètes de langes ont commencé
à partir de sept, huit ans.
II - Combinaison de ces facteurs et évolution de l'organisation perverse.
Le facteur A existe souvent à lui tout seul; c'est probablement alors que le
risque de maintien de l'activité perverse est le plus faible. L'enfant est
davantage libre intérieurement et sa créativité lui trouve d'autres sources de
plaisir.
Lorsque le facteur B existe, le facteur A souvent s'y ajoute souvent
secondairement. Le risque de chronification est grand, surtout si des
attitudes externes de l'entourage persistent à montrer que la rencontre intime
avec l'autre est dangereuse.
Lorsque le facteur C existe, le facteur A vient également souvent le
compléter. Le risque de chronification est surtout lié à la complicité subtile
de l'entourage ou à la solitude perdurant et discrètement mal supportée par
l'enfant.
Donc, ce dernier risque existe bel et bien. Toutefois, même alors,
l'envahissement par le projet pervers est variable.
A la limite inférieure, et sans doute principalement en référence au
mécanisme A, on peut dire qu'il y a des composantes perverses mineures qui
se préparent dès l'enfance et demeurent observables dans le discours et le
comportement sexuel de chacun ( Bokanowski, 1995, p. 1416 ).
A l'autre extrême, le plus touché, le besoin de réaliser l'activité perverse
est contraignant; toute autre forme de sexualité est exclue et la vie
quotidienne est invalidée par la tyrannie de la perversion.
On ne devrait se référer à la dénomination " perversion sexuelle
( effective )" chez l'enfant que lorsque existe une certaine chronification et un
envahissement important de son énergie psychique par la déviance. Sinon,
même s'il s'agit structurellement d'un fonctionnement pervers momentané ou
limité, on protège l'enfant socialement en restant vague dans l'étiquette que
l'on attribue à celui-ci.
III - Une illustration détaillée.
Thibaut relève très probablement d'une combinaison des mécanismes A
et C. Sur l'insistance de ses parents, il finit par accepter de me rencontrer à
13 ans 1/2 à cause de difficultés d'endormissement tenaces ( elles le tiennent
souvent éveillé jusqu'aux alentours d'une heure du matin ) et qui retentissent
sur la qualité de sa vie diurne. Un bilan organique n'a rien mis en évidence.
Petit à petit patiemment nous parviendrons à nous apprivoiser
mutuellement lui et moi. il se mettra alors à parler très personnellement,
comme moi face à lui. Et entre autres, il me confiera le mélange de
préoccupations, de surinvestissement et d'excitation que lui cause sa vie
sexuelle. Parfois, quand c'est trop difficile, il demandera a s'expliquer par email; je marquerai mon accord sous réserve qu'on en reparle de vive voix à
une séance suivante.
Il a maintenant presque seize ans. Souvent il parle avec beaucoup
d'intelligence sensible de lui, de sa famille et des autres. Sur le plan affectif et
sexuel, il me dit que le grand rêve de sa vie c'est de rencontrer une fille juste
un peu plus âgée que lui qu'il ne se ramasse pas un râteau, qu'ils s'aiment et
qu'il lui fasse l'amour la première fois en " assurant " la durée d'un morceau
des Pink Floyds sur fond duquel " ça " se passerait ( superbe, ce fantasme ...
le morceau dure 26' ! ). Il me dit qu'il est un brave type, bon mais timide, et
que d'ailleurs son problème avec les filles, c'est qu'il n'ose pas bien les
aborder. Il m'ajoute que, même s'il se fait des délires dégueu dans sa tête,
jamais, pour du vrai, il ne ferait du mal à une mouche ...
Et pourtant une bonne partie de sa vie sexuelle, il la passe, tel un petit
Méphisto, à jongler avec le plaisir et la douleur, à composer et recomposer
fantasmes et sensations sadiques pour finalement en demeurer le maître.
Voici comment il en parle :
- ( Vers 14 ans ) « Ma première sensation, j'avais 7 ans; on devait descendre
d'une corde à la gym; ça me faisait mal quand ça frottait ... euh, où tu sais; et
en même temps, je crois que ça me faisait déjà triquer (6) et jouir " ; je crois
qu'après, j'ai toujours voulu mélanger les deux : avoir mal et m'exciter ... euh,
qu'est-ce que t'en penses, toi? ".
Ce que j'en pense, je ne vous le dirai pas. Il est probable que Thibaut
abhorre et chérit à la fois ses souvenirs, fantasmes et expériences
actuelles perverses. Il est probable aussi qu'il est ambivalent quand il
m'en parle en thérapie : Souhaite-t-il que je l'aide à s'en débarrasser
ou que je jouisse avec lui? Je crois qu'il ne le sait pas lui-même, d'un
savoir certain! Ce qui lui conviendrait le plus, c'est que je lui dise qu'il
est normal, que je lui donne des trucs pour réussir avec les filles, mais
que je ne condamne quand même pas définitivement tous ses petits
plaisirs raffinés ...
(6)
Un des nombreux termes populaires qui désigne l'érection.
- Un peu plus tard, il me dit: " Chez une vieille, j'avais lu, je devais avoir dix
ou onze ans, toute une analyse de la Passion ( N.D.A. : du Christ ) : on
expliquait que les romains avaient des fouets avec des billes de plomb pour faire
plus mal; la souffrance sur la croix était détaillée ( etc. ) ... c'est juste après que
j'ai vraiment commencé à me branler ...". "Je me souviens aussi d'une
grenouille de bénitier qui nous faisait les cours et prenait un malin plaisir à
nous décrire les supplices des martyrs ...".
- A quatorze ans et dix mois, il demande à m'écrire sur e-mail un acte
commis à quatorze ans et demi et dont l'évocation le rend particulièrement
honteux : Alors qu'il est seul à la maison, Thibaut feuillette la documentation
" Amnesty International " de sa mère, qui y milite (7), à la recherche des
secrets de celle-ci et d'un peu d'excitation... Mais ce qu'il trouve le stimule
particulièrement : " Tu connais certainement cette photo ... je l'avais vue sur
un bouquin de ma mère et j'avais été vraiment impressionné ... d'abord parce
que c'est un contact brutal avec la torture : quelqu'un de nu, un sac sur la tête,
des sacs de sable sur le dos, sur un chevalet ... simple, donc pourquoi pas
essayer ...". ( Il le fait en se mettant nu, à cheval sur un balai horizontal ) " ...
Je me suis branlé et l'éjac. a été la plus forte que j'ai jamais connue ...
Or, ce qu'il me déclare le tracasser passablement, c'est que depuis lors son
intérêt pour les images et histoires sadiques du web a " explosé " et elles
deviennent le stimulant nécessaire de ses masturbations. Et il a peur de ne
plus être normal et encore plus de passer à l'acte.
- Vers quinze ans, il frôle ce passage à l'acte : il a chatté avec un adulte
proche de son domicile ( un infirmier! ), adepte du SM et qui l'invite chez lui
à une petite " partie de plaisir " jouée à deux. A la dernière minute, la
prudence rattrape Thibaut et il ne va pas au rendez-vous fixé. En outre,
ajoute-t-il : " Y avait autre chose; j'ai pas envie de pas être normal; mes délires,
ça doit être seulement dans ma tête ".
- Nous discutons longuement de la place et du sens de la sexualité dans la
vie; je lui demande d'encore bien réfléchir à ce que lui apportent ses vécus
sadiques, et à une possible prise de distance par rapport à eux; nous
travaillons autour de la dimension " addiction " et ses dangers; j'attire son
attention sur l'importance " d'entraîner " ses fantaisies sexuelles vers plus
(7)
Apparemment, les parents de Thibaut sont sans histoires et à mille lieux de se douter des préoccupations
sexuelles de leur fils; on ne peut néanmoins pas ne pas s'interroger sur le choix de sa mère de s'occuper d'A.I.!
Quelque chose, en elle, incite-t-il subtilement la composante sadique existant chez son fils ( mécanisme C )? Par
ailleurs, Thibaut est très attaché à sa mère; en jouant le rôle des prisonniers chéris par celle-ci, a-t-il voulu,
inconsciemment, rivaliser avec eux et capter son regard admiratif? Va savoir! Mais si c'est le cas, on est bien
dans le cadre du mécanisme A - ici la réalisation d'un désir oedipien - qui provoque un plaisir énorme et qu'il
cherche à reproduire.
d'orthodoxie s'il veut réaliser son grand rêve ( souvenez-vous, envoyer une
fille au septième ciel dans les volutes musicales des Pink Floyds ... ).
En alternance avec ces séances parlées, il m'envoie plusieurs e-mail dont voici
l'un ou l'autre extrait significatif : " Et ça c'est MA conception du SM : un
voyage aux frontières floues du plaisir et de la douleur MAIS on reste dans le
plaisir ! ... Comment atteindre 7 frontière? " "On peut remarquer aussi que
dans le langage populaire, jouir est synonyme de douleur ... qq. qui a eu très
mal, dira : j'ai bien joui ... chez le dentiste, par exemple ... je pense aussi que
l'orgasme est une association de douleur et de plaisir ...".
- Alors, " complètement pervers ", Thibaut ? Bien accro, en tout cas;
ennuyé quand même à l'idée de ne pas être normal; compartimentant encore
sa vie et menant parallèlement des activités scolaires et sportives
satisfaisantes ( mais des sports solitaires, type natation et ski ); résistant de
toutes ses forces à la tentation de passer à l'acte et pas sans morale quand il
s'agit de penser la place de l'autre. C'est donc sur un morceau de discours
social que je vais vous laisser, même s'il est exprimé en langage rude. Il
achèvera de vous plonger dans l'incertitude à propos de ces formes modernes
de perversion où une certaine solitude, Internet, l'émoussement général des
normes et le droit que l'on stimule chez chacun pour qu'il se réalise urbi et
orbi jouent un rôle aussi important que les mécanismes psychopathologiques
classiques déjà décrits.
A quinze ans et six mois, il me dit : " J'ai un petit cousin qui a douze ans; à
cet âge-là normalement on commence à se branler ... eh eh ( petit rire
entendu ); eh bien je vais pas lui dire qu'il peut faire mumuse comme moi je
fais (8) ; C'est ce qui doit me distinguer d'un pédophile : chacun est libre de
faire ce qu'il veut et à l'âge où il le sent ! Mais même si on a un intérêt pour le
sexe, on n'a pas forcément envie de faire l'instit du sexe pour les gamins ... ".
... CQFD!
§ III : COMPORTEMENTS INDICATIFS DE L'ACTIVITE PERVERSE.
Pour spéculer prudemment quant à l'existence d'un fonctionnement
pervers, il est important que les indicateurs que je vais énumérer soient
majoritairement présents. Sinon, il est probable que l'on a à faire à une phase
du développement où l'enfant se livre à quelques bizarreries sexuelles de
signification plus banale. Voici ces indicateurs :
I - La forme de l'activité sexuelle est souvent bizarre,
(8)
Référence à ses " délires " sadiques.
éventuellement archaïque. Elle est " hors attente culturelle ", " hors
normalité statistique " de ce que sont le développement et les intérêts sexuels
d'un enfant de l'âge concerné et même d'un enfant précoce. Elle choque
l'adulte témoin par son étrangeté.
En voici l'un ou l'autre exemple, loin d'être exhaustifs :
- Garçons ou filles qui font du sexe avec des animaux, notamment leur chien
ou leur chat;
- certains transvestissements très élaborés, avec port permanent de sousvêtements de l'autre sexe, strip-tease masturbatoire, etc.
- les fétichismes ( avec des objets; portant sur des parties du corps, etc. ); la
collection d'images porno très spécialisées accessibles sur le Net;
- l'infantilisme dont il a déjà été fait mention
- le sadisme ( envers les animaux, les plus jeunes ) ou le plaisir de se faire
mal ou celui de jouer avec la combinaison plaisir- souffrance, par exemple
dans la zone génitale;
- l'entraînement de beaucoup plus jeunes dans des activités sexuelles.
Néanmoins, il existe des faux positifs sur lesquels je reviendrai plus loin :
un certain nombre d'activités bizarres sont générées par des mécanismes
banaux comme la curiosité, la réassurance, le besoin d'avoir de la compagnie
( même celle très intime de son chien ), le désir de défier les normes, etc ...
Il existe aussi des faux négatifs : des activités sexuelles de forme génitale
peuvent résulter des mécanismes d'installation tout juste décrits et répondre
aux autres critères cliniques que nous allons passer en revue. Alors, elles sont
perverses!
Par exemple, certaines masturbations à haute fréquence ne signent pas
une compulsion anxieuse, mais s'avèrent plutôt des conduites
addictives, centrées sur le culte de l'organe génital.
Dans le film Kids ( L. Clarck, 1995 ), le " besoin " du jeune Telly de "
tomber " des jeunes vierges les unes après les autres est tout à fait
pervers.
II - Intense est l'ensemble du plaisir vécu
lors de la préparation de l'activité, de sa réalisation et via les fantasmes qui
raccompagnent et la suivent. C'est principalement un plaisir érotique, à son
acmé dans les zones concernées par l'activité et diffusant dans tout le
corps (9). S'y adjoignent des joies plus " spirituelles ", comme celle de défier
et de transgresser, de faire quelque chose d'exceptionnel ou même parfois
celle de se vautrer dans la boue ( Stoller 1985 ).
Inversement, l'enfant ne vit aucune angoisse profonde à propos de son
acte ... peut-être, inconstamment, un peu de peur raisonnable d'être attrapé
par le gendarme. Il ne ressent non plus aucune culpabilité. Néanmoins, il
peut se sentir humilié et honteux s'il est pris.
III - L'acte pervers est vécu comme important
par l'enfant, partie significative de son projet sexuel du moment. Il n'est
même pas impossible qu'il le positionne au fil du temps comme son
constituant le plus important. Il en découle la mise en place d'indicateurs
comme :
- Une contrainte intérieure plus ou moins forte, épisodique ou permanente, à
répéter l'acte. Ce sentiment de contrainte est proche de l'état de manque vécu
par le toxicomane; ça n'a rien à voir avec le débat intérieur que vit le névrosé
à l'idée de commettre un acte que son Sur-Moi interdit. Freud parle à ce sujet
de « la tyrannie bien organisée d'une pulsion partielle : une des tendances
partielles de la sexualité a pris de dessus et se manifeste soit seule, à l'exclusion
des autres, soit après avoir subordonné les autres à ses propres intentions ».
- Une collaboration active de l'intelligence pour asseoir le projet pervers, et
par exemple :
- Peaufiner le scénario; le sophistiquer de plus en plus autour de son
noyau central immuable (10) ;
- tromper les parents et l'entourage ; installer un secret bien
barricadé; mentir sur la volonté de changer ...
(9)
Les zones traditionnellement érogènes sont donc souvent engagées, mais des plaisirs corporels plus diffus
peuvent exister, comme cet étrange plaisir masochique, possible mais rare chez l'enfant. Quand on y est
confronté, on a l'impression qu'il existe deux variantes du masochisme :
- chez certains, c'est une recherche active et précise d'un dosage optimal plaisir-douleur dans l'activité sexuelle :
à 13 ans, tel préado a trouvé sur Google comment s'envoyer de l'électricité basse tension dans le sexe et y goûter
un plaisir " raffiné " ;
- chez d'autres, le masochisme vient s'ajouter à ce qui était d'abord souffrance morale ou physique dans la
relation; l'enfant, ici, provoque ses bourreaux pour qu'ils le laissent à nouveau souffrir-jouir.
(10)
N'est-ce pas parce qu'il existe une sorte d'accoutumance?
IV - Quand un ou des autres sont impliqués,
ils ne comptent pas fondamentalement comme êtres humains, mais comme
sources de jouissance pour l'initiateur. Ces " partenaires " sont susceptibles
d'avoir tous les âges de la vie.
Eventuellement, l'initiateur fait violence physique sur eux ou les trompe
pour les attirer dans ses filets. Il ignore leur éventuelle souffrance physique
ou morale, voire ... il en jouit encore un peu plus!
Lorsqu'il y a consentement, il n'y a néanmoins pas vraie réciprocité. Pas
de partage attentionné du plaisir ! Chacun joue son scénario et recherche son
plaisir pour son propre compte, mais a besoin de l'apport complémentaire
instrumental de l'autre, sans considération pour ce que celui-ci vit.
Le tableau I compare les caractéristiques cliniques des activités sexuelles
normo-développementales et de celles générées par un fonctionnement
pervers. ( voir doc. II joint).
Note du webmaster: ce document manque ... je le cherche.
§ IV : QUESTIONS DE DIAGNOSTIC ET DE DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL.
I - Il reste malaisé de découvrir les faits et de recueillir des éléments
d'information.
L'enfant réalise le plus souvent sa bizarrerie ou sa perversion en grand
secret. Le reste de sa vie, il donne le change par un comportement qui n'a
rien de spécifique. Une fois découvert, il jure que c'était la première fois,
qu'un autre l'a entraîné et qu'il ne recommencera pas, et la majorité des
parents a tendance à gérer son malaise vécu en le croyant sur parole, en
minimisant la signification de ce qui s'est passé et en déniant la possibilité de
récidive. Donc, les parents n'adoptent pas facilement la position de vigilance
que je recommanderai par la suite.
Lorsqu'il s'agit de décrire ce qu'il a fait et vécu, l'enfant commence donc
souvent pas se bloquer ou par mentir. Cette attitude s'explique par sa
prudence, sa honte du moment, les limites réelles de sa capacité à
s'introspecter mais aussi, pour les plus accros, par l'intuition immédiate qu'il
faut gérer la situation de manière telle que les adultes en sachent le moins
possible et que la récidive soit possible.
Or un discours authentique du sujet est un élément-clé pour un diagnostic
précis!
II - Nous sommes et demeurons souvent bien incertains!
A. A supposer que nous soyons tombés de façon indubitable
sur une activité sexuelle bizarre et que l'enfant fasse même quelques
commentaires plausibles à son sujet, il n'en reste pas moins que ces
bizarreries se répartissent en trois catégories, en référence à la dynamique
intra- psychique en jeu et à leur déroulement dans la durée :
- Comportements souvent transitoires, résultant de dynamiques variées mais
non-perverses
Par exemple et même si cela parait choquant, un petit animal de
compagnie peut être utilisé à des fins de tendresse et de contact sexuel,
en préfiguration de ce que sera la rencontre de l'autre ...
Telle fille pense progressivement à faire l'amour avec un garçon, mais,
faute d'occasion, emprunte les boxers d'un grand frère qui servent
d'accessoires à ses masturbations.
- Les comportements relevant d'une organisation perverse, mais transitoire : le
comportement meurt de sa belle mort après une seule fois ou une " mauvaise
passe " de brève durée ( deux-trois mois ). Plutôt que d'organisation, il aurait
peut-être mieux valu parler de " conjoncture bio-psycho-sociale défavorable
" où des éléments intra-psychiques et relationnels se sont renforcés les uns les
autres pour aboutir à des résultats momentanément pervers.
- Les comportements répétitif et durables relevant d'une organisation perverse
qui se perfectionne, se ridigifie et se chronicise.
B. Ce n'est pas à partir de leur forme externe
que l'on différencie les bizarreries sexuelles " simples " de celles qui sont
perverses. C'est surtout :
- En référence à l'absence ou à la présence des autres critères cliniques qui
ont été évoqués.
On sera notamment attentifs à la stratégie avec laquelle l'acte était
préparé et construit, qui peut évoquer ou non la recherche intelligente
d'un plaisir raffiné; et il y a aussi la récidive et la persistance, malgré
promesse faite par l'enfant de ne plus recommencer dans le cadre d'un
dialogue serein; l'ancienneté de l'installation; l'intelligence avec
laquelle il trompe la vigilance des adultes pour y revenir.
- En référence à une écoute soigneuse et sans a priori de l'enfant et de sa
famille, qui permet parfois d'avancer des hypothèses plus précises sur les
mécanismes à l'oeuvre.
- Complémentairement, l'apparition de formes plus mûres d'activités et de
relations sexuelles, peut prudemment rassurer.
§ V : ÉDUQUER ET SOIGNER S'IL LE FAUT.
Voici cinq catégories d'attitudes susceptibles de favoriser la maturation
sexuelle de cet enfant préoccupant. Elles concernent les parents (P), d'autres
membres adultes de la communauté, en position informelle d'éducation ou
d'enseignement (A), ainsi que les psy dans leur fonction de diagnostic (D) ou
de psychothérapie (T).
Elles concernent ces personnes en ordre principal (+++), au même titre
d'autres (++) ou accessoirement, en surcroît d'autres fonctions plus centrales
(+).
I. Observer le comportement de l'enfant, avec vigilance et discrétion, sans
dramatisation, sans paranoïa, mais également sans ingénuité ni effritement
(P+++ ; A+ ; D et T ++) (11).
II. Faire retour sur soi en tant qu'adulte ; chercher à comprendre le sens de
la sexualité pour soi et la nature de certains messages que l'on envoie à
l'enfant; essayer de les modifier au besoin (P+++, avec l'aide de T; D et T++,
lors de supervisions ). Il faut vérifier, entre autres, si l'on n'a pas véhiculé une
image trop angoissante de la rencontre sexuée, si l'on ne pousse pas l'enfant
au défi des lois ou si l'on n'est pas trop ambivalent dans la régulation de ses
comportements sexuels.
III. Dialoguer avec l'enfant, à propos de son comportement problématique et
de la sexualité en général; dialoguer aussi à propos de lui, de ses richesses,
questions et problèmes (P+++ ; A+ ; D+++ ; s'il s'ensuit une psychothérapie,
T+++ ).
A. Encourager la parole de l'enfant et commencer par accueillir sans
critiques ce qu'il dira éventuellement (12). On n'y arrive pas sans art de
(11)
Ceci pose de délicates questions à propos de la confidentialité; décisions à prendre au cas par cas ...
C'est le moment de se souvenir de la vénérable distinction faite par K. Rogers entre l'acceptation et
l'approbation.
(12)
l'apprivoisement et rarement en une fois ... mais on n'a pas le choix et l'on
doit donc viser à ce qu'il parle de :
- son activité sexuelle problématique : Peut-il la raconter brièvement?
Comment l'idée lui en est-elle venue ( rôle éventuel d'autres, d'Internet, etc.
)? L'a-t-il déjà fait auparavant? Si un ou des autres y étai(en)t impliqué(s),
quelles interactions y a-t-il eu avec lui ( eux )? Qu'y trouve-t-il de bon pour
lui ? Qu'en pense-t-il ? Etc.
- d'autres dimensions éventuelles de sa vie sexuelle, à faire préciser dans le
même état d'esprit;
- d'autres dimensions de sa personne, ses richesses, problèmes, joies, soucis,
intérêts, etc ...
B. Lui donner du répondant; témoigner verbalement, donner des
informations, nous aussi, à propos de la sexualité; en général, la nôtre et la
sienne. Parler du sens que nous y voyons, de la place du plaisir, de celle de
l'autre, du territoire qu'elle est susceptible d'occuper dans toutes les activités
de la vie, etc.
Sur ces terres parfois bien torturées des vécus sexuels de l'enfant et de
l'adolescent l'engagement verbal du thérapeute, à la fois précis, sincère et
délicat n'est ni facile ni impossible ... il aura d'autant plus de répondant qu'il
s'y montre porteur d'idées personnelles, ni « coincé » ni agent d'un
prosélytisme ni d'un voyeurisme troubles, et capable de porter des
confidences entre son jeune client et lui, sans tout de suite avoir mal au
ventre parce que les parents ou le proc. ne sont pas informés!
Alors, souvent l'enfant ou l'ado commencera par des coups de sonde et finira
par partager ses vraies préoccupations sexuelles, qui le rongent parfois
intensément ...
Et sans le brusquer, on connaîtra alors la joie de le faire réfléchir et de
l'amener à décider par lui-même de formes bien sociables de sa vie sexuelle.
En parlant passablement beaucoup de sexe avec moi, Julien ( dixsept ans ) a fini par se convaincre de ne plus agrémenter ses
masturbations grâce à des plaisirs « électriques-basse tension » inspirés
par des dizaines de sites web pervers ... un jour, entre deux entretiens,
j'ai la joie de recevoir l'e-mail suivant : « Savez-vous que j'ai failli
craquer et reprendre mes exp. électro ? Après une journée chiante à la
boîte ( NB. son école ) j'avais besoin de sensations fortes ( il explique les
déboires et l'ennui de sa journée ) ... et j'ai eu envie d'un petit montage
hard ... que je me suis interdit, donc j'ai été me défouler en soulevant de
la fonte ... j'ai été à la muscul ! »
Quelle joie pour un thérapeute, ce mail! Julien s'interdit tout seul de s'autodégrader; il vise à cultiver positivement son corps plutôt que de mettre ses
spermatogonies en péril … et il a trouvé tout seul l'idée de s'épuiser dans la
musculation là où certains manuels de sexologie béhavioristes se limitent à
proposer une masturbation à toute allure et sans fantasmes pour oublier une
envie perverse ...
C. S'efforcer de convenir avec l'enfant d'engagements concrets à propos de
ses pratiques sexuelles à venir ( et parfois, d'autres dimensions de sa vie ).
D. Si l'on constate une souffrance sexuelle ou une souffrance morale plus
générale, on peut lui proposer de continuer ces entretiens par une
psychothérapie : à l'intérieur de celle-ci, on veillera à questionner de temps
en temps son évolution sexuelle, sans pourtant le réduire à sa sexualité et
donc en s'intéressant à lui en général.
S'il n'y a pas souffrance ou que l'enfant ne souhaite pas de psychothérapie,
on lui demandera de se présenter à des entretiens d'évaluation espacés ( par
exemple tous les deux mois ), un certain temps ( par exemple deux ans ).
IV - Interdire clairement et sereinement toute récidive de la pratique sexuelle
préoccupante.
C'est essentiellement l'affaire des parents ( P+++ et A+ ) si la pratique ne
portait que sur une transgression des normes socio-familiales ou de prescrits
culturels : " Chez nous, on ne réalise pas sa sexualité de cette manière-là; si tu
veux faire du sexe, tu peux ...".
Si, en plus, il y a eu transgression des Lois Naturelles ( par exemple, violence
sur autrui; entraînement d'un tout petit ), l'interdiction doit émaner de tous,
et se formuler de façon plus radicale (" Un être humain ne fait pas ce que tu
as fait là "); elle gagne même à s'accompagner d'une exigence de réparation
concrète ou d'autres sanctions si elle s'est accompagnée de la destruction
morale d'autrui.
V - (P+++ ; A++) Il reste à veiller à ce que :
- la présence concrète et spirituelle des adultes soit plus " forte " dans la vie
de l'enfant;
- l'attractivité de son quotidien soit bien réelle : Présence de sources variées
de plaisir et de possibilités de réalisation de soi qui intéressent l'enfant ;
soutien de leur réalisation.
- Notes. -
(1). J.-Y. HAYEZ, pédopsychiatre, docteur en psychologie, responsable de l'unité de pédopsychiatrie et
coordonnateur de t'équipe SOS Enfants-Famille, Cliniques universitaires Saint- Luc,10 avenue
Hippocrate, B-1200 Bruxelles - E-mail : jean-yves. [email protected]
(2). Préoccupantes en référence à l'évaluation faite non par une personne isolée, mais par la majorité des
adultes sereins qui auraient à les connaître. Alors, elles seraient soit simplement pathologiques, soit
pathologiques et mauvaises lorsqu'elles violent les Lois naturelles.
(3). Vous connaissez, n'est-ce pas, ce soda d'importation à la couleur noirâtre, vendu dans des petites
bouteilles qui ont la forme stylisée d'un corps féminin?
(4). Eh oui, ces enfants soit-disant mûrs, qu'on laisse trop seuls parce que papa et maman ne sont pas
disponibles, qui ne peuvent pas se permettre de protester et qui se vivent vaguement désinvestis ... ils
peuvent vivre pas mal d'amertume secrète et de désir de se venger! Et les voici qui occupent salement
leur mercredi après-midi, entre se faire lécher par le chien de la maison, tripoter la petite soeur dont ils
ont la garde ou collectionner les " pics les plus crades " ( = les images pornographiques les plus
dégradantes ) qu'ils trouvent à la pelle sur les sex-shops du web.
(5). par exemple : cyberdépendanoe, tabagisme, substance abuse, etc ...
(6). Un des nombreux termes populaires qui désigne l'érection.
(7). Apparemment, les parents de Thibaut sont sans histoires et à mille lieux de se douter des
préoccupations sexuelles de leur fils; on ne peut néanmoins pas ne pas s'interroger sur le choix de sa
mère de s'occuper d'A.I.! Quelque chose, en elle, incite-t-il subtilement la composante sadique existant
chez son fils ( mécanisme C )? Par ailleurs, Thibaut est très attaché à sa mère; en jouant le rôle des
prisonniers chéris par celle-ci, a-t-il voulu, inconsciemment, rivaliser avec eux et capter son regard
admiratif? Va savoir! Mais si c'est le cas, on est bien dans le cadre du mécanisme A - ici la réalisation
d'un désir oedipien - qui provoque un plaisir énorme et qu'il cherche à reproduire.
(8). Référence à ses " délires " sadiques.
(9). Les zones traditionnellement érogènes sont donc souvent engagées, mais des plaisirs corporels plus
diffus peuvent exister, comme cet étrange plaisir masochique, possible mais rare chez l'enfant. Quand on
y est confronté, on a l'impression qu'il existe deux variantes du masochisme :
- chez certains, c'est une recherche active et précise d'un dosage optimal plaisir-douleur dans l'activité
sexuelle : à 13 ans, tel préado a trouvé sur Google comment s'envoyer de l'électricité basse tension dans
le sexe et y goûter un plaisir " raffiné " ;
- chez d'autres, le masochisme vient s'ajouter à ce qui était d'abord souffrance morale ou physique
dans la relation; l'enfant, ici, provoque ses bourreaux pour qu'ils le laissent à nouveau souffrir-jouir.
(10). N'est-ce pas parce qu'il existe une sorte d'accoutumance?
(11). Ceci pose de délicates questions à propos de la confidentialité; décisions à prendre au cas par cas ...
(12). C'est le moment de se souvenir de la vénérable distinction faite par K. Rogers entre l'acceptation et
l'approbation.
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BOKANOWSKI T.,
Les déviations sexuelles et la question des perversions sexuelles, 1413-1436, in Lebovici S., Diatkine R., Soulé
M., Traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, 2e éd., Paris, PUF, 1995.
CAVANAGH JONHSON T.,
Understanding your child's sexual behaviour, Dakland, New Harbinger public., 1999.
CHILAND C.,
Le sexe mène le monde, Paris, Calmann-Levy, 1999.
HAYEZ J.-Y.,
Sexualité des enfants en âge d'école primaire, Perspectives psychiatriques, 1999, 38-4, 289-299.
HAYEZ J.-Y., ( sous presse )
Les 6-13 ans, leur vie sexuelle et leurs parents, Paris, Odile Jacob ( fin 2003 - début 2004 ).
LAZARTIGUES A.,
La famille contemporaine " fait-elle " de nouveaux enfants? Neuropsychiatr. Enfance Adolesc. , 2001, 49, 264270.
STOLLER R.,
L'imagination érotique telle qu'on l'observe, Paris, PUF, 1985.
RESUMES.
Résumé en français.
Résumé
Dans cet essai, l'auteur fait le point sur les perversions sexuelles chez l'enfant. Les comportements sexuels
bizarres, isolés ou répétés, qu'il arrive à celui-ci de poser, méritent d'être pris en considération avec prudence et
sans a priori. Certains de ceux-ci ont une signification banale et s'avèrent transitoires. Pour d'autres, on peut
faire l'hypothèse d'une organisation perverse en voie d'installation.
L'auteur en rappelle quelques grands mécanismes socio- psychopathologiques, les signes cliniques spécifiques
et comment les différencier d'une sexualité normo- développementale.
En mettant en suspens l'établissement d'un diagnostic de certitude, il suggère enfin comment éduquer et parfois
soigner ces enfants à la sexualité ( momentanément ) bizarre.
Résumé en anglais : Summary.
The author goes through the field of children's sexual perversions. Children's bizarre sexual acts, either
single or repetitive, ought to be considerate cautiously and without a priori. Some are common, healthy
and transient: they constitute signs of a normal sexual maturation. others express the progressive
installation of a perverse socio- and psychodynamic organization.
The author aims to describe what types of mechanisms lead to sexual perversion, which clinical signs are
specific and how to differentiate normality and pathology. He finally suggests how to bring up and help
children with bizarre sexual activities.
Résumé en espagnol : Resumen.
N.B. (N.B.)
Actos sexuales extranos, actos perversos aislados y perversiones sexuales en el niño.
En este articulo, el autor discute lo de las perversiones sexuales en el niño. Los comportamientos
sexuales extranos, aislados y aun mas repetitidos, que unos ninos generan, merecen tenerse en cuenta
con prudencia y sin a priori. Algunos de éstos tienen un significado banal y resultan transitorios. Para
otros, se puede hacer la hipótesis de una organización perversa en curso de instalación.
El autor esbosa algunos mecanismos socio - psicopatológicos que explican este tipo de sexualidad, las
señales clínicas específicas y cómo diferenciarlos de una sexualidad de desarrollo normal.
Al poner en suspenso el establecimiento de un diagnóstico de certeza, sugiere finalmente cómo educar ,
curar ( eventualmente ) .y ocupar a veces estos niños cuyos la sexualidad apparentemente choquea.
Mots clés - Keywords Palabras clave.
MOTS CLES :
Perversion sexuelle, bizarreries sexuelles, comportement pervers.
KEYWORDS :
Sexual perversion - bizarre sexual activities
PALABRAS CLAVE :
Perversión sexual, sexualidad extrana, comportamiento perverso.
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