comme façon économique de résoudre les problèmes et d’obtenir un minimum de soutien. Ces
solutions spontanées suffisent à éviter le sentiment d’isolement et à partager les responsabilités face
aux difficultés du métier, sans pour autant tomber dans la lourdeur des réunions d’équipe. Ne
pourrait-on alors se contenter d’affirmer qu’à l’instar d’autres professions, il suffirait que les
enseignants soient bien préparés à faire leur travail dans le cadre de leur classe, qu’ils suivent des
cours de perfectionnement lorsque cela s’avère nécessaire, qu’ils se tiennent au courant des
nouveautés pédagogiques, didactiques et méthodologiques ? Pourquoi alourdir leur tâche avec des
exigences de travail en équipe ? Pourquoi imposer une coopération dont la plupart ne veulent pas ?
Pourquoi se disperser dans des réunions d’équipe ? N’est-il pas plus simple et plus réaliste de
renforcer la responsabilité individuelle des enseignants face à leurs élèves, de leur donner les outils
nécessaires pour mieux gérer leur classe, de réduire les réunions avec leurs collègues au strict
nécessaire, de dégager un maximum de temps pour la programmation didactique individuelle,
d’éviter les interminables négociations dues aux divergences d’objectifs, aux conflits d’opinions, aux
rapports de force ?
La coopération quand même nécessaire
Contre cette tentation et ce mythe de « l’individualisme efficace », aussi compréhensibles soient-ils,
je soutiendrai que le travail d’équipe et la coopération intensive font partie de la profession
enseignante si on la souhaite à la hauteur des enjeux. Les entraides occasionnelles, les
conversations de salle des maîtres, les « trucs qu’on se passe » ne suffisent pas pour venir à bout
des problèmes que pose le métier, soit dans le quotidien, soit dans la gestion à moyen et à long
terme. Ainsi, lorsqu’il doit réorganiser sa classe pour tenir compte de l’arrivée de plusieurs enfants
migrants, l’enseignant peut tenter de gérer ce problème tout seul. Il peut aussi faire appel à des
intervenants externes ou demander des « tuyaux » à un collègue qui a vécu ou est en train de vivre
une situation semblable. Il peut encore présenter le problème lors d’une réunion à la salle des
maîtres, pour s’entendre dire qu’il n’est pas le seul et que chacun porte sa croix, ou, dans le meilleur
des cas, pour recevoir l’expression de l’empathie de ses collègues. Il est seul, néanmoins, pour
décider d’alléger le programme ou d’aménager l’évaluation pour ces élèves, afin de leur laisser le
temps de s’adapter ; seul pour affronter les parents, pour se défendre face à l’inspecteur ; seul, en
fin de compte, pour décider de se battre ou de laisser tomber. À la fin de l’année, lorsqu’il s’agira de
décider de la promotion ou du redoublement de ces élèves, il se retrouvera seul à prendre les
risques ; seul, mais pas indépendant, car il sait que ses collègues vont hériter de ses élèves et qu’on
ne lui pardonnerait pas de trop grands écarts à la norme. Pour créer des solutions à la mesure du
problème de l’accueil simultané de nombreux enfants migrants, ne sachant pas la langue de
l’enseignant, d’origines diverses, parfois très peu ou pas du tout scolarisés, il faut inventer des
dispositifs qui dépassent la classe et exigent la mise en commun des forces, des espaces, des
talents de plusieurs enseignants, bref, l’émergence d’une véritable équipe.
On pourrait multiplier les exemples pour montrer que la réalité à laquelle les enseignants sont
confrontés appelle la coopération, plus souvent sans doute que dans d’autres métiers. Le médecin,
l’avocat, le chercheur sont moins dépendants les uns des autres, alors que les enseignants sont
« embarqués dans la même galère », une école de quartier, avec des familles qui ont plusieurs
enfants, des élèves qui suivent leur scolarité en passant d’un enseignant à l’autre. En dépit des mille