sociaux. En effet comme le montre Lilian Mathieu dans son article Des mouvements sociaux
à la politique contestataire : les voies de tâtonnement d’un renouvellement de perspective
(Revue française de sociologie, 2004), il existe aujourd’hui un volonté de révision critique de
cette perspective classique dominante, souvent trop statique et objectiviste, avec la parution
récente de trois ouvrages qui posent les bases d’une approche davantage dynamique et
relationnelle de l’action collective protestataire : dans Silence and voice in the study of
contentious politics, R. Aminzade et al. se donnent pour tâche de combler les principaux «
silences » de la sociologie des mobilisations, tandis que dans Dynamics of contention, D.
McAdam, S. Tarrow et Ch. Tilly posent les bases d’une approche unifiée des différentes
formes de politique contestataire et que J. Goldstone, dans States, parties and social
movements, tente d’en développer le potentiel pour l’étude des rapports entre politiques «
institutionnelle » et « non institutionnelle ».
Le modèle classique se structure autour de trois pôles d’analyse :
- le premier pôle s’intéresse à la structuration des univers sociaux dans lesquels émergent les
mouvements sociaux et aux formes organisationnelles par lesquelles se réalise la mobilisation
;
- le deuxième est celui de la structure des opportunités politiques ;
- le troisième pôle est celui de l’activité de « cadrage » des revendications par les
organisations de mouvement social et de la « résonance » de leur discours auprès des
sympathisants ou militants potentiels qu’elles cherchent à convertir ou à recruter.
Les auteurs ont selon les cas soit privilégié l’étude d’une de ces dimensions, soit traité les
trois parallèlement, soit depuis peu tenté de les synthétiser. L’originalité de leur démarche
réside dans le fait que le travail de révision théorique entrepris dans les trois ouvrages est le
fruit, non d’une controverse scientifique, mais d’un retour critique de sociologues aujourd’hui
consacrés sur les carences de leurs propres contributions au développement de leur domaine
de recherche.
L’analyse qui me paraît la plus intéressante pour compléter celle d’Isabelle Sommier
est celle que développent les auteurs à partir du constat suivant : la sociologie des
mouvements sociaux ne porte justement que sur ces derniers alors que d’évidentes similarités
les unissent à d’autres phénomènes contestataires comme les révolutions, les luttes
nationalistes ou les transitions à la démocratie. Les auteurs cherchent un cadre unifié pour
traiter l’ensemble de la politique contestataire qui est « épisodique plutôt que continue, se
déroule en public, suppose une interaction entre des requérants et d’autres, est reconnue par
ces autres comme pesant sur leurs intérêts, et engage le gouvernement comme un médiateur,
une cible ou un requérant », selon la définition de McAdam, Tarrow et Tilly. Le but de cette
nouvelle approche est de surmonter les divisions artificielles qu’une hyper-spécialisation
disciplinaire impose à l’appréhension sociologique d’un ensemble d’objets phénoménalement
proches. Ces auteurs proposent un ensemble d’outils conceptuels aptes à rendre compte de
mécanismes et de processus similaires. L’avantage de cette approche est de ne pas étudier que
les causes et les effets des mouvements mais aussi ce qui se passe dans le cours même de
l’épisode contestataire. De plus les auteurs ouvrent leur analyse à d’autres pays que ceux de la
démocratie occidentale veillant ainsi à tester la pertinence du modèle pour la compréhension
de phénomènes situés dans des contextes historiques et politiques des plus divers. Dans
Dynamics of contention, parmi les nombreux concepts que les trois auteurs développent, celui
de courtage (brokerage) apparaît comme un des plus importants, en ce qu’il participe à la
dynamique de la quasi-totalité des phénomènes abordés dans l’ouvrage. Il est défini comme «
la connexion, par une unité médiatrice, d’au moins deux sites sociaux auparavant sans
contact. Sous sa forme la plus simple, les sites et les unités sont des personnes singulières,
mais le courtage opère également entre cliques, organisations, lieux et, à la limite,
programmes » ; il « réduit les coûts de communication et de coordination entre sites, facilite
l’usage combiné de ressources présentes dans différents sites, et crée de nouveaux acteurs
collectifs potentiels ». Les agents de ce mécanisme, les courtiers (brokers), sont présentés
comme variant « significativement selon leur localisation sociale et leur modus operandi,
avec des conséquences importantes pour la contestation à laquelle ils participent » ; les
marchands itinérants kenyans, par exemple, auraient joué ce rôle en connectant Nairobi et les