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Cours TES4 – Chapitre 5 – Année 2004-2005 – E. Charrier
1
CHAPITRE 5. CONFLITS ET MOBILISATION SOCIALE.
INTRODUCTION.
Quelques définitions :
- Le conflit social résulte d’affrontements entre les groupes sociaux ou politiques luttant pour conquérir ou conserver
le pouvoir, des avantages économiques ou une amélioration de leur statut.
- L’action collective désigne toutes les activités par lesquelles un groupe d’individus cherche à agir sur l’agencement
de l’ordre social et à promouvoir les revendications dont il est porteur. C’est encore une action commune menée
par différents individus pour atteindre un certain objectif. L’action collective a deux dimensions :
1. la prise de conscience d’un intérêt commun
2. la mobilisation c’est-à-dire l’organisation pour le satisfaire.
- Le mouvement social désignant toute action collective se déroulant à l’échelle de la société.
SECTION 1. MUTATIONS DU TRAVAIL ET CONFLITS SOCIAUX.
A. La classe ouvrière, acteur central de l’histoire.
1.
Classe ouvrière et conflits du travail au cœur de la société industrielle.
Depuis la Révolution Industrielle, la question ouvrière a tenu une place centrale dans les conflits sociaux.
a.
L’évolution des conflits du travail.
Les conflits du travail reposent sur des revendications relevant d’une même logique : la reconnaissance des intérêts d’une
profession, l’amélioration des conditions de travail et de rémunération.
Mais la forme a changé. Au XIX, l’issue des conflits est souvent violente et la lutte désespérée. Progressivement, on assiste
à une organisation du mouvement ouvrier prise en charge par les syndicats puis par certains partis politiques.
L’élargissement progressif du mouvement revendicatif ne concernera bientôt plus seulement les ouvriers mais un ensemble
plus vaste de salariés. Les conflits sociaux prennent une extension beaucoup plus large : Mai 1968, décembre 1995…
b.
La grève : l’un des « standards » de l’action collective.
La grève : cessation concertée du travail décidée par les salariés et destinée à faire aboutir des revendications collectives
d’ordre professionnel.
Elle doit respecter certaines règles : propriété privée, liberté du travail des non-grévistes, dépôt d’un préavis de 5 jours par
les syndicats représentatifs dans les services publics…
La reconnaissance de la grève s’est faite lentement depuis 1864 pour devenir un droit constitutionnel. Elle a eu partiellement
pour objet de canaliser les conflits sociaux qui, souvent, s’exprimaient de manière violente : bris de machines (Luddisme),
insurrections ouvrières, occupations prolongées d’usines, séquestrations de dirigeants d’entreprise…
Pour autant, les conflits du travail ne se limitent pas aux grèves : débrayages, arrêts temporaires du travail, ralentissement
volontaire des cadences sont aussi l’expression d’un mécontentement des travailleurs ou de tensions entre les partenaires
sociaux. Certaines actions sont spontanées, partent de la base et échappent aux organisations syndicales.
Face à un conflit, le patronat peut choisir de fermer temporairement l’entreprise : c’est le « lock-out ».
Lorsque la grève dure, différentes procédures existent pour tenter de trouver une procédure : conciliation, arbitrage,
médiation…
L’américain Charles Tilly a montré qu’à chaque période historique, les actions protestataires prenaient un nombre limité de
formes formant ce qu’il appelle « les répertoires de l’action collective ». Ainsi, dans la période précédant la RI, les répertoires
étaient de nature communale et patronnée. Avec le développement du capitalisme et des Etats-nations, les répertoires se
modifient au cours du XIXième siècle. L’espace de référence devient national et la protestation prend les formes de la grève
et des grands défilés et mobilise des groupes professionnels et sociaux ayant des intérêts communs à défendre.
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2.
2
Marx ou lutte de classes comme moteur essentiel de l’histoire.
Pour Marx, la société est structurée en classes sociales (en général deux). Celles-ci sont de vastes groupes sociaux
réunissant ceux qui occupent la même position dans les RSP (propriété des moyens de production, maîtrise de la
production, salariat, etc.). Les critères économiques définissent objectivement les classes sociales (on parle de « classes en
soi »). Mais cela ne suffit pas. Pour qu’elles existent réellement (« classes pour soi »), il est nécessaire que les individus
appartenant à une classe aient conscience de cela càd des intérêts communs qui les relient aux autres membres de la
classe et de ceux qui les opposent aux autres classes sociales. L’opposition des intérêts débouche nécessairement sur des
conflits : la lutte des classes. Celle-ci oppose en général deux classes et cette opposition, d’abord économique, se propage
à l’ensemble des pratiques sociales et culturelles : relations familiales, valeurs, loisirs, comportements politiques, etc. La lutte
des classes est indissociable de l’existence des classes sociales et se trouve au cœur de l’histoire càd du changement
social.
Outre le rôle fondamental qu’elle a joué dans les mouvements sociaux depuis plus d’un siècle, on peut retenir de la théorie
marxiste trois principes fondamentaux pour une sociologie des conflits
- les conflits sont un trait permanent de toute société
- ils sont le moteur du changement social
- ils expliquent le changement social par les contradictions internes aux sociétés càd par des facteurs endogènes et
non exogènes (transformations climatiques, principe spirituel guidant les hommes, etc.).
Le marxisme a suscité des critiques :
- on a d’abord reproché à Marx de simplifier de manière outrancière les conflits sociaux en les ramenant à des
conflits de classe alors qu’ils peuvent avoir une toute autre nature – conflits religieux, conflits de générations, etc. –
et induire des changements sociaux tout aussi importants.
- Ensuite, la prédiction qui voulait que la lutte des classes aboutisse à une révolution abolissant le capitalisme et la
propriété privée des moyens de production s’est avérée infondée puisque le changement social n’a pas pris une
forme brutale et radicale mais la forme d’un processus évolutif et relativement pacifique et ce du fait de
l’institutionnalisation du mouvement ouvrier.
3.
De la révolution à l’institutionnalisation et à la régulation.
a.
L’institutionnalisation du mouvement ouvrier.
Institution : ensemble organisé de règles et de pratiques.
Conflits et mouvements sociaux ont une tendance générale à s’institutionnaliser. L’institutionnalisation désigne le processus
par lequel les relations sociales conflictuelles s’organisent peu à peu selon des règles acceptées par tous ce qui leur donne
un caractère prévisible et apaisé. L’institutionnalisation du mouvement ouvrier a pris les formes suivantes :
- grève et syndicats, d’abord illicites, ont été ensuite tolérés et légalisés : reconnaissance des syndicats en 1884,
droit de grève inscrit dans le préambule de la constitution de 1946 ;
- reconnaissance des droits de représentation des salariés avec la possibilité d’élire les délégués du personnel et de
former des sections syndicales ;
- organisation des négociations collectives entre partenaires sociaux aboutissant à des conventions collectives càd
à des accords durables portant sur les conditions d’emploi, les rémunérations (grilles salariales) et des garanties
diverses ;
- la participation à la gestion d’organismes paritaires comme la caisse d’assurances chômage et la caisse
d’assurances maladie.
l’intégration progressive dans la démocratie parlementaire des mouvements politiques se réclamant de la classe
ouvrière et proclamant une idéologie révolutionnaire (le PCF, par exemple) [ En politique, lorsque les acteurs de
mouvements sociaux cherchent à entrer dans le jeu politique soit par calcul rationnel, soit pour faire perdurer l’action collective,
ces mouvements passent d’une situation de protestation à une situation où ils rejoignent les institutions. La démocratie
parlementaire est une forme d’institutionnalisation du conflit politique fondée sur le principe que la majorité doit l’emporter sur la
minorité et respecter ses droits. Elle réduit les conflits à un duel dans lequel la minorité peut toujours devenir la majorité et cela
à tous les échelons de l’appareil politique. Aussi, chaque acteur participant au jeu politique en respecte les règles, les valeurs.]
De cette manière, les syndicats prennent une double dimension : à la fonction de mouvement social (contestation,
revendication et négociation) s’ajoute celle « d’agence sociale » (Rosanvallon) càd d’institution représentant les salariés
dans différents organismes (CES) et participant à la gestion d’instances sociales et parapubliques ou à des prises de
décision relevant de la compétence de l’Etat ;
Cette ébauche de démocratie « sociale » liée à la démocratie politique a eu pour résultat la modération de l’intensité des
conflits sociaux et la réduction de leur fréquence càd une pacification relative des relations sociales. Cela explique pourquoi
les conflits sociaux sont susceptibles de créer des liens sociaux et peuvent être un élément de la régulation sociale.
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b.
3
Le conflit producteur de lien social et de régulation.
E. Durkheim pensait que les conflits sociaux, en particulier les conflits entre ouvriers et patrons, étaient une forme
pathologique de la division du travail qui pouvait remettre en cause la cohésion sociale. En fait, de nombreux sociologues
pensent que les conflits sociaux sont susceptibles de créer des liens sociaux, de renforcer les structures sociales existantes
et d’être ainsi un élément de la régulation sociale.
M. Forsé avance les propositions suivantes :
- le conflit renforce l’identité du groupe (renforcement du sentiment de différence avec ceux à qui on s’oppose et de
l’esprit de corps) ;
- le conflit renforce la cohésion du groupe (dans la lutte on se serre les coudes et l’on fait taire les différences) ;
- le conflit rapproche les adversaires (ne serait-ce que par l’enjeu qui provoque le conflit) ;
- le conflit maintient un équilibre de pouvoir ;
- le conflit peut conduire au changement, sans que cela soit le but recherché par les acteurs.
Le conflit peut donc créer ou renforcer des structures sociales. Un conflit est un lien entre deux groupes et comme il renforce
le consensus dans chacun des groupes en lutte, il renforce l’ordre social.
Les conflits peuvent déboucher sur l’adoption de nouvelles règles qui vont encadrer le jeu social ou, à l’inverse, sur le
maintien des règles en vigueur. Permettant l’apparition, la transformation, le maintien ou la disparition de normes et de
valeurs communes, les conflits sociaux sont donc un élément essentiel de la régulation sociale (cf. en particulier les lois
sociales et les codifications du droit du travail).
C’est aussi ce que s’efforcera de démontrer L.A. Coser en affirmant que « les conflits sociaux ne déchirent pas
nécessairement le tissu social mais participent de l’équilibre de la société permettant une relation dialectique entre ordre et
mouvement » (manuel de terminale ES Hachette) et qu’ils constituent, lorsqu’ils ont un caractère licite, une forme de
« soupape de sécurité » empêchant leur radicalisation et les mouvements révolutionnaires de naître.
4.
Le mouvement ouvrier, mouvement social central de la société industrielle.
Touraine définit trois critères déterminant un mouvement social :
- principe d’identité : les acteurs se reconnaissent des orientations communes
- principe d’opposition : les acteurs se mobilisent pour lutter contre d’autres acteurs
- principe de totalité : Le mouvement social a pour objectif le changement social.
T (totalité)
I (identité)
O (opposition)
Les luttes ouvrières ont été longtemps au cœur du mouvement social en étant des actions collectives qui visaient à
transformer l’ordre social et cherchaient à promouvoir de nouvelles institutions, de nouvelles relations sociales, de nouvelles
valeurs.
Dans le doc. 9 distribué, Dubet et Martucelli montrent que le mouvement ouvrier a constitué le mouvement social central de
la société industrielle pour 3 raisons :
- le mouvement ouvrier par le biais de partis, d’associations et d’organisations a assuré l’intégration des ouvriers et
contribué à la formation d’une communauté de vie ;
- il a été un acteur essentiel de la formation de l’Etat-providence et de la constitution d’un ensemble de droits
sociaux,
- il a forgé une conscience de classe, transformé les plus défavorisés en acteurs collectifs en leur donnant une
dignité nouvelle.
Ce faisant, il a participé à la construction d’une véritable identité professionnelle et fait du salariat un statut social assurant
l’intégration sociale et permettant ainsi aux ouvriers de ne plus « camper aux portes de la ville. »
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B. Un déclin du mouvement ouvrier et des conflits du travail ?
1.
Les manifestations de ce déclin.
a. Baisse et transformations des conflits du travail.
Les manifestations de cette baisse et de ces transformations sont nombreuses :
■ des grèves de moins en moins nombreuses ;
■ des conflits de moins en moins relatifs aux revenus, de plus en plus liés à l’emploi et à la durée du travail ;
■ des conflits plus catégoriels, plus localisés ;
■ des conflits qui s’appuient souvent sur des coordinations et manifestent une méfiance à l’égard des appareils syndicaux
(les coordinations ont été présentes dans le mouvement étudiant, lors de la grève des cheminots, des infirmières… Elles
apparaissent dans des milieux faiblement syndicalisés et rassemblent des travailleurs que les conditions de travail isolent.
Elles ont souvent pour but des professions où les traditions, l’éthique sont fortes. L’élévation du niveau culturel moyen a eu
pour effet un élargissement des capacités d’analyse et d’initiative de chacun ce qui engendre une plus grande autonomie
dans l’organisation des actions collectives) ;
■ des conflits de plus en plus liés au statut (il est remarquable de constater que, d’une part, le secteur public se montre
plus combatif que le secteur privé depuis les années 80 et 90 et que, d’autre part, les catégories les plus revendicatives se
situent souvent au-dessus du niveau moyen des revenus. Chômage et précarisation des emplois rendent difficile la grève
pour les salariés du secteur privé. Ceux du public se battent en général contre les suppressions d’emplois, la remise en
cause du rôle de l’Etat dans certains secteurs et du statut de la fonction publique. Il s’agit de défendre la cohésion sociale en
luttant contre des logiques cherchant à réduire l’emploi public ou la protection sociale).
b. La crise du syndicalisme.
■ Baisse des taux de syndicalisation.
■ Emiettement du syndicalisme et crise du syndicalisme unitaire.
■ Tendances : faible syndicalisation des – de 25 ans, les femmes 2 fois moins syndiquées que les hommes, faible
syndicalisation des travailleurs précaires, phénomène de désyndicalisation commun à tous les pays industrialisés.
2.
Les explications.
■ La montée du chômage et la précarisation de l’emploi ont pour résultat la peur croissante de perdre son emploi et
rendent toute grève ou tout mouvement revendicatif plus difficiles. L’effritement de la société salariale fait éclater le collectif
de travail et a pour effet d’opposer ceux qui sont « in » et dont les revendications apparaissent corporatistes, déplacées et
illégitimes à ceux qui sont « out » càd privés d’emplois et de possibilité de s’exprimer (ce qui engendre un sentiment de
culpabilité chez ceux qui conservent un travail et sur lequel ne se privent pas de jouer les patrons et certains responsables
politiques…).
■ L’éclatement des classes traditionnelles, en particulier l’effritement des bastions ouvriers et la « moyennisation » de la
société. Le progrès technique en suscitant des gains de productivité libère de la main-d’œuvre du primaire et du secondaire
qui va se déverser dans le tertiaire. L’augmentation du niveau de vie déplace la demande vers les services (loi d’Engel) ce
qui provoque le développement de la production et de l’emploi dans le tertiaire. Le monde ouvrier perd son rôle d’acteur
central du système économique et social cédant la place aux cols blancs. Aujourd’hui, la PCS la plus importante est celle
des employés, les ouvriers ne venant plus qu’en seconde position avec moins de 30% de la population active. Le nombre
d’emplois d’ouvriers, en particulier ceux d’ONQ, a fortement chuté. La multiplication de ces positions intermédiaires traduit le
développement des fonctions de contrôle par rapport aux tâches de simple exécution. Les mutations sectorielles ne
demeurent pas sans effet sur les enjeux et les modalités des conflits sociaux. Dans le travail, l’opposition entre conception et
exécution est moins perceptible pour les travailleurs et l’idée d’exploitation semble moins réaliste. Les salariés du tertiaire
subissent en général des conditions de travail moins pénibles, bénéficient d’horaires stables et de salaires réguliers. Ils
risquent donc d’avoir des revendications différentes de celles des ouvriers. De plus, les mutations sociales se sont
accompagnées d’une amélioration des niveaux de vie et d’une atténuation des inégalités (certains allant jusqu’à parler d’un
« embourgeoisement » des ouvriers). Des phénomènes accentués par la montée des effectifs féminins et l’arrivée sur le
marché du travail de jeunes plus qualifiés, catégories toutes deux moins revendicatives. Ainsi, la montée des classes
moyennes, l’amélioration des conditions de vie des classes populaires, la réduction des inégalités, en particulier par la
politique redistributive de l’Etat Providence, auraient contribué à pacifier la société française et à atténuer sa bipolarisation.
■ Individualisme et rationalité seraient aussi à l’origine de ce déclin du mouvement social. Contrairement aux classes
populaires qui privilégient une logique de solidarité de groupe (de « classe »), les couches moyennes ont une représentation
méritocratique de la société et sont à la recherche d’une promotion sociale. Pour ce faire, elles adoptent des stratégies
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individualistes plus rationnelles càd reposant sur des arbitrages coûts/avantages. Le recours aux conflits violents et durs leur
apparaît inefficace et dépassé. La grève est considérée comme perturbatrice. Les solutions négociées sont privilégiées.
SECTION 2. DIVERSIFICATION DES OBJETS ET DES FORMES DE L’ACTION COLLECTIVE.
Travail sur livre : manuel Bréal de terminale ES pages 231 à 245.
TD : entraînement à la dissertation : « Vous analyserez les objets et les formes des nouveaux mouvements sociaux », sujet
pages 251, 252 du livre.
Annexe : THEORIES : LUTTES DE CLASSES OU ACTION COLLECTIVE ?
Deux courants d’analyse s’opposent à propos des conflits sociaux :
l’approche holiste qui considère que la société est structurée par les classes sociales, leurs luttes étant au cœur des conflits sociaux
l’individualisme méthodologique cherchant à déterminer comment, dans une société d’individus, peut naître une action collective.
A. Les conflits sociaux sont-ils des conflits de classes ?
1.
La théorie marxiste.
Pour Marx, la société est structurée en classes sociales (en général deux). Celles-ci sont de vastes groupes sociaux réunissant ceux qui occupent la même
position dans les RSP (propriété des moyens de production, maîtrise de la production, salariat, etc.). Les critères économiques définissent objectivement
les classes sociales (on parle de « classes en soi »). Mais cela ne suffit pas. Pour qu’elles existent réellement (« classes pour soi »), il est nécessaire que
les individus appartenant à une classe aient conscience de cela càd des intérêts communs qui les relient aux autres membres de la classe et de ceux qui
les opposent aux autres classes sociales. L’opposition des intérêts débouche nécessairement sur des conflits : la lutte des classes. Celle-ci oppose en
général deux classes et cette opposition, d’abord économique, se propage à l’ensemble des pratiques sociales et culturelles : relations familiales, valeurs,
loisirs, comportements politiques, etc. La lutte des classes est indissociable de l’existence des classes sociales et se trouve au cœur de l’histoire càd du
changement social.
Outre le rôle fondamental qu’elle a joué dans les mouvements sociaux depuis plus d’un siècle, on peut retenir de la théorie marxiste trois principes
fondamentaux pour une sociologie des conflits
les conflits sont un trait permanent de toute société
ils sont le moteur du changement social
ils expliquent le changement social par les contradictions internes aux sociétés càd par des facteurs endogènes et non exogènes
(transformations climatiques, principe spirituel guidant les hommes, etc.).
Pour autant, certains ont reproché à Marx d’avoir fait de la société capitaliste du XIX° une généralité.
2.
Vers une disparition des conflits de classe ?
De nombreux sociologues considèrent que l’analyse marxiste n’est plus pertinente pour expliquer le fonctionnement des sociétés modernes et, plus
particulièrement pour saisir la nature des conflits sociaux. Pour l’essentiel, les conflits sociaux seraient en déclin et perdraient leur nature de conflits de
classes du fait de la disparition des classes sociales. Cf. chapitre précédent.
D’autres sociologues ont tenté de faire évoluer la théorie en termes de classes sociales en proposant de ne plus lier l’origine des conflits à la propriété
privée des moyens de production
3.
Des conflits sociaux basés sur l’autorité aux nouveaux mouvements sociaux
a.
L’autorité nouvel enjeu des conflits sociaux.
Pour le sociologue R. Dahrendorf, l’erreur de Marx est d’avoir mené une analyse réductrice des conflits sociaux en fonction de la seule question de la
propriété des moyens de production et de subordonner ainsi le social et le politique à l’économique. Si cette confusion est possible dans la société
industrielle du XIX°, elle n’est plus pertinente aujourd’hui. R. Dahrendorf propose de substituer aux rapports de production les relations d’autorité.
S’inspirant de M. Weber, Dahrendorf définit l’autorité comme la probabilité qu’un ordre ayant un contenu spécifique soit suivi par un groupe de personnes.
Dans une société comme la notre, il existe une multitude de groupes sociaux ou d’instances dans lesquels peut s’exercer l’autorité : entreprises,
associations, partis politiques… Dans chacun d’eux s’opère une dichotomie entre ceux qui ont l’exercice de l’autorité et ceux qui en sont privés. Un individu
exerçant l’autorité dans un groupe n’aura pas nécessairement la même position dominante dans les autres groupes sociaux auxquels il appartient.
Autrement dit, la congruence n’est en rien automatique surtout si l’on s’en réfère à la pluralité des rôles sociaux joués par un individu.
Dans chaque instance où s’exerce l’autorité, son inégale distribution engendre des conflits, latents ou manifestes, entre ceux qui veulent le changement et
ceux qui y sont opposés (en général, ceux qui exercent l’autorité). Les conflits donnent naissance à des groupes d’intérêts qui ne sont que de simples
agrégats dans le cas d’intérêts latents ou à des groupes organisés (partis, syndicats, etc.) dans le cas d’intérêts manifestes reconnus comme tels par les
individus.
La pluralité des groupes d’intérêts, leur non superposition systématique (due à la pluralité des rôles et à la non congruence des différentes dichotomies de
l’autorité) engendre une pluralité des conflits entre les divers groupes. Dans ce cadre d’analyse, Dahrendorf interprète la lutte des classes opposant dans un
conflit unique deux grandes classes comme un cas particulier de superposition maximale entre groupes d’intérêts et conflits d’intérêts. Et, admet
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Dahrendorf, dans une telle situation de tension polarisée, le changement social peut prendre une forme révolutionnaire mais cela ne vaut que pour la
société industrielle du XIX°.
A contrario, les sociétés post-industrielles (« post-capitalistes ») se caractériseraient par l’existence d’une multitude de groupes d’intérêts et de conflits et le
changement social y prendrait des formes plus pacifiques.
b.
Société post-industrielle et nouveaux mouvements sociaux (NMS).
Sans renoncer à l’idée de classe sociale et à l’opposition entre dominés et dominants, A. Touraine pense que la théorie marxiste est par bien des aspects
dépassée. En effet, si celle-ci était opératoire dans les sociétés industrielles du passé, elle s’avère inefficace pour comprendre la société post-industrielle
dans laquelle nous vivons. Celle-ci se caractérise d’abord par le fait que l’essentiel n’y est plus de produire un volume croissant de « surplus économique »
mais d’organiser au mieux, d’optimiser l’usage des ressources. Elle se caractérise ensuite par une transformation des structures sociales : émergence
d’une nouvelle classe ouvrière plus qualifiée, apte à maîtriser les nouvelles technologies, intégrée dans la société de consommation, l’exclusion des
ouvriers non qualifiés qui ne sont plus protégés par les anciennes solidarités, la montée en puissance des nouvelles classes moyennes (cadres,
techniciens, etc.). Placées au croisement de la consommation et des tâches d’organisation (par leurs revenus et le niveau culturel), ces nouvelles classes
moyennes confisqueraient à la classe ouvrière son rôle d’avant garde révolutionnaire en étant porteuses d’idées et valeurs nouvelles et en animant les
nouveaux mouvements sociaux : féminisme, écologie… Les classes deviendraient les nouveaux acteurs du changement social qui transformerait nos
sociétés sans révolution.
B.
1.
Les théories de l’action collective.
L’individualisme méthodologique : brefs rappels.
Partant du principe que les classes sociales n’ont jamais existé ou n’existent plus (cf., par exemple, la théorie développée par H. Mendras), certains
sociologues interprètent les conflits sociaux à la lumière des principes de l’individualisme méthodologique. S’inspirant de l’analyse néoclassique, ce courant
de pensée affirme le primat de l’individu sur la société et considère les phénomènes sociaux comme le résultat de l’agrégation des comportements
individuels. Ces derniers sont supposés rationnels et reposent sur un calcul coûts/avantages et la maximisation d’une fonction d’utilité sous contrainte. Le
primat des individus sur la société n’interdit pas théoriquement que ceux-ci décident de s’unir pour mener une action commune afin d’atteindre un certain
objectif. Les théories de l’action collective s’interrogent sur les conditions de son apparition.
2.
Les facteurs organisationnels de l’action collective.
Pour le sociologue Obershall, une action collective suppose deux conditions :
l’existence de communautés de base ou d’associations organisées sur lesquelles l’action collective peut prendre appui
une segmentation des collectivités qui empêche la transmission des protestations aux autorités qui sont alors incapables d’y répondre.
Les deux phénomènes sont cumulatifs. Ainsi, par exemple s’expliquerait le mouvement des Noirs aux USA, ceux-ci faisant l’objet d’une forte ségrégation et
étant fortement structurés par l'Eglise.
Pour autant, l’existence de ces deux conditions ne suffit pas à provoquer spontanément l’éclosion des actions collectives.
Les comportements individuels et supposés rationnels expliquent ce phénomène.
3.
les trois modalités de l’action rationnelle
Pour A. O. Hirschman, face à une situation jugée contraire à son intérêt, un individu peut adopter trois formes d’action rationnelle :
la protestation (voice) qui en général aboutit au conflit
la soumission (loyalty)
le retrait (exit).
Ainsi, suivant les conditions du moment, un acteur social pourra se comporter de manières différentes.
En cas de monopole, un consommateur mécontent ne pourra que se soumettre ou se rebeller alors qu’en cas de concurrence, il aura tendance à se
« retirer » (en se procurant chez un concurrent un produit lui procurant plus de satisfaction).
Si l’on généralise cela à l’échelle de la société, la protestation, càd le conflit, a d’autant moins de chances de se développer que la défection est possible et
cette dernière est tout aussi porteuse d’ajustement et de changement social que le conflit.
4.
Le paradoxe de l’action collective.
Ce paradoxe, mis en évidence par M. Olson en 1966, est né de son interrogation sur les ressorts individuels de l’action collective et sur sa difficulté à
émerger.
Dans cette théorie, la mobilisation des acteurs ne naît pas spontanément de la prise de conscience d’intérêts communs. Elle résulte d’un arbitrage entre les
coûts provoqués par l’engagement dans l’action collective et les bénéfices que l’on peut en retirer. Or, comme l’action collective, lorsqu’elle réussit, rapporte
à tous les avantages recherchés (biens collectifs), les individus auront tout intérêt à ne pas s’engager dans celle-ci puisqu’ils en tireront le maximum de
profit sans en subir les désavantages. Autrement dit, rationnellement, chaque individu a intérêt à faire cavalier seul ou à se comporter en « passager
clandestin » mais, de ce fait, l’action collective ne peut exister, faute d’acteurs, et aboutir aux avantages recherchés (d’où le terme de paradoxe).
Ce paradoxe est souvent évoqué pour expliquer la crise du syndicalisme et semble signifier l’impossibilité pour toute action collective d’exister.
En fait, Olson modère sa pensée en montrant que l’action collective produit non seulement des biens collectifs (avantages accessibles à tous) mais procure
aussi des biens individuels (par exemple, le respect, le prestige ou la sympathie dont peut bénéficier un militant dans son entreprise ou son quartier) qui
vont expliquer pourquoi certains individus s’engagent dans l’action collective tout en étant rationnels.
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