SUGGESTIONS D’ELEMENTS DE LANGAGE INTERVENTION DE M. DE LA MARTINIERE (10’) Alors qu’ils sont particulièrement élevés en matière d’infrastructures, de financement des entreprises et des collectivités locales, de R&D ou de développement durable, les besoins d’investissement dans l’UE risquent de ne pas être satisfaits notamment en raison des budgets publics sous très forte contrainte pour plusieurs années. Le contexte d’incertitude économique et de crise financière, conjugué avec l’effet des nouvelles régulations déterminent une aversion croissante à la prise de risque. Autant de facteurs qui compromettent le financement de l’économie réelle et le retour à la croissance par l’investissement. C’est dans ce contexte que j’anime, depuis 2011, avec le soutien de la Caisse des Dépôts, une réflexion nationale de Place réunissant tous les acteurs économiques français concernés par le long terme : banques, assurances, entreprises, fédérations professionnelles1, etc. Ensemble nous avons établi un diagnostic sur les besoins d’investissement de long terme de l’économie française, identifié les obstacles structurels générés par les nouveaux régimes applicables à l’épargne et aux activités financières et émis des propositions pour reconstituer les capacités d’investissements longs. Notre groupe de travail poursuit ses travaux et a d’ailleurs contribué au mois de mai dernier à la consultation de la Commission sur l’Union des marchés de capitaux (UMC). Cependant, pour intéressante qu’elle soit, l’initiative d’une Union des marchés de capitaux prendra nécessairement du temps, un temps au demeurant précieux dans la mesure où l’UMC ne répond ni aux questions lancinantes que pose le besoin impérieux d’investissement dans l’Union européenne ni à la nécessité de mobiliser l’épargne (abondante) des ménages pour l’orienter vers l’investissement productif. En effet les travaux de notre Task Force ont mis en évidence le décalage entre les besoins d’investissement de moyen-long terme et la capacité globale d’un secteur financier placé sous contrainte de liquidité à fournir les capitaux nécessaires sur des horizons longs. À notre avis la résorption de ce décalage structurel passe par : 1 Association Française des Investisseurs pour la croissance (AFIC), Association Française des Investisseurs Institutionnels (AF2i), Association Française des Entreprises Privées (AFEP), Association Française de Gestion Financière (AFG), Groupe Caisse des Dépôts, EUROFI, Fédération Bancaire Française (FBF), Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA), Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA), Mouvement des Entreprises de France (MEDEF), Paris Europlace. 1 une concentration des dépenses publiques sur les investissements d’avenir les plus pertinents pour la compétitivité et la croissance ; une adaptation du cadre prudentiel et comptable aux spécificités de l’investissement de long terme afin de permettre le redéploiement de l’offre de capitaux prévus sur ces emplois. Les nouvelles réglementations devraient évoluer pour mieux s’adapter aux différents modèles économiques des institutions financières et tenir compte de la nature et de la duration de leurs passifs ; un cadre fiscal favorable à l’orientation de l’épargne des ménages vers des produits financiers de long terme, destinés notamment à couvrir le risque de longévité, dans le cadre d’un impératif de stabilité. S’agissant de l’UMC, les « investisseurs longs » ont naturellement un rôle important à jouer dans le financement à long terme au moment où l’Europe connaît une transition d’un modèle d’intermédiation bancaire vers un modèle d’intermédiation par le marché. Dans cette perspective, il est difficile de ne pas souscrire à l’idée d’une UMC envisagée comme un moyen d'améliorer l’accès au financement pour les entreprises, en particulier les PME, en développant les sources alternatives de financement. De ce point de vue c’est un complément utile au Plan d’investissement européen de 315 milliards voulu par le Président Juncker. Toutefois, il me semble important de souligner l’importance d’adopter une vision globale du financement des entreprises. En effet, toutes les actions de la Commission en matière bancaire et financière devraient être élaborées en cohérence avec le souci d’assurer un continuum de financement pour les entreprises. Il s’agit de veiller à ce que toutes les entreprises européennes aient accès à une large gamme d’instruments pour couvrir l’ensemble de leur besoins de financements, en dette et en fonds propres (haut de bilan, bas de bilan, trésorerie), et ce, tout au long de leur cycle de vie, depuis l’amorçage jusqu’aux différentes phases de leur croissance. Les 5 domaines prioritaires définis par la Commission pour des actions à court terme2 sont certes pertinents mais 2 autres domaines devraient être priorisés : le maintien d’un écosystème d’acteurs différenciés sur les marchés de capitaux et la nécessité d’un cadre prudentiel et comptable adapté aux investisseurs de long terme. La promotion d'un écosystème diversifié pour le financement de l'économie Du fait des modifications introduites dans la régulation de leurs activités, les banques limitent leur participation au financement des investissements, notamment sur le segment du long terme; le relais ne peut être pris par les marchés financiers que s'ils disposent d'une large palette d'investisseurs opérant sur des objectifs et des horizons diversifiés. 2 Titrisation de haute qualité, réexamen de la directive «prospectus», amélioration de la disponibilité de l’information sur la solvabilité des PME, collaboration avec le secteur privé pour la mise en place un régime paneuropéen de placement privé, soutien au recours aux nouveaux fonds européens d’investissement à long terme – ELTIF 2 Il est indispensable que les investisseurs institutionnels interviennent pour développer le financement à LT de l’économie. Leur mission est quadruple : contribuer directement au financement à long terme de l’économie ; agir comme catalyseur vis-à-vis des banques, entreprises et ménages ; contribuer à l’émergence de marchés dynamiques pour le financement de long terme, et enfin contribuer à la stabilisation des marchés pour prévenir les mouvements excessifs de baisse ou de hausse des valeurs. Il est primordial de préserver l’existence d’acteurs diversifiés pour permettre aux marchés de fonctionner de manière stable et efficiente en évitant les comportements mimétiques préjudiciables au bon fonctionnement d’une économie de marché et à la croissance de long terme. Le financement des investissements à long terme en Europe par les marchés de capitaux nécessite donc avant tout la présence sur ces marchés d’investisseurs capables et désireux de prendre en charge un risque de long terme. Au-delà de leur contribution au maintien d’un écosystème diversifié, les investisseurs de long terme ont un comportement qui favorise le bon fonctionnement des marchés en raison : de leur implication dans la gouvernance des entreprises, de leur comportement contra-cyclique lié à une stratégie reposant sur une évaluation des rendements à long terme, de leur meilleure prise en compte des risques extrêmes en raison de leur horizon. En l’absence de tels investisseurs, les marchés de capitaux ne pourront pas jouer leur rôle d’allocation de l’épargne aux investissements de long terme. La nécessité d’un cadre prudentiel adapté aux investisseurs de long terme Malheureusement, le souci des régulateurs d’élaborer un cadre prudentiel général applicable au plus grand nombre va à l’encontre de la préservation d’un écosystème d’acteurs différenciés. Soumis à des règles proches, les agents adoptent des comportements proches, ce qui est porteur de risque au niveau macroéconomique. Par conséquent, il est indispensable de reconnaître la spécificité des investisseurs de long terme au plan prudentiel (de même qu’en matière de normes comptables même si cette question n’est pas du ressort de la Commission). Comme vient d’ailleurs de le rappeler l’OCDE le mois dernier dans son rapport au G20 3 : “Report to the G20 on Effective Approaches to Support Implementation of the G20/OECD High Level Principles on Long-Term Investment Financing by Institutional Investors”, Août 2015 3 3 “The financial regulatory framework - including valuation rules, any risk-based capital requirements and other prudential measures - for institutional investors should reflect the particular risk characteristics of long-term assets appropriately. The framework should also consider the investment horizon and typical holding period of these investors, while promoting their soundness and solvency as well as broader financial stability and consumer protection. (…). Solvency, accounting and funding requirements for institutional investors should avoid creating incentives for pro-cyclical investment strategies. Any risk-based solvency rules should reflect the suitability of long-term assets for assetliability management purposes, taking into account the level of predictability of cash flows.” Il est regrettable qu’en ce qui concerne les investisseurs de long terme, un régime prudentiel ad hoc ne soit pas envisagé au niveau européen ; en effet, les réglementations bancaires ou assurantielles ne semblent pas adaptées à la nature de leurs passifs. Et s’il semble délicat de concevoir une remise à plat d’ensemble de l’approche prudentielle, il est en revanche possible de proposer une prise en compte explicite de la situation des investisseurs de long terme. Les spécificités d’un investisseur de long terme peuvent ainsi être prises en compte : i) dans la manière dont sont appréhendés les risques : en s’appuyant sur des modélisations sur le long terme des primes de risque (risque actions) ; en reconnaissant les spécificités des actifs spécifiquement de long terme (risque infrastructures) ou en prenant en compte la diversification ; ii) dans la manière dont est évalué leur impact sur le bilan : l’horizon sur lequel cet impact est évalué doit être compatible avec le modèle économique d’un investisseur de LT ; par exemple, si l’approche retenue est celle de la valeur en risque, l’évaluation doit être cohérente avec la duration du passif ; iii) et dans la manière dont ces évaluations interagissent avec la mission d’investisseur de LT : les besoins en fonds propres ou les limites s’appliquant aux besoins de financement et à l’activité de transformation ne doivent pas annihiler le modèle économique de l’investisseur de long terme en le contraignant à liquider prématurément des actifs. Il est donc primordial d’évaluer les risques des actifs en prenant en compte la nature et la duration des passifs et de concevoir un modèle d’évaluation des risques adapté aux investisseurs de long terme, qui reconnaisse l’effet positif d’un passif de long terme. J’ai bon espoir que les débats et discussions que les réunions de l’Intergroupe susciteront durant la mandature seront de nature à convaincre les décideurs bruxellois de prendre ses impératifs en considération au bénéfice du financement de l’économie réelle. En tous cas, la Task Force de la Place de Paris que je représente aujourd’hui entend y participer activement. 4