entrées de ville - Ligue Urbaine et Rurale

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Genèse des «entrées de ville»
I. Formation de la ville
– Définition
D’abord, qu’est-ce qu’une ville ?
A une époque où toutes les frontières deviennent floues, le mot ville caractérise encore une
agglomération dont l’activité principale est autre que l’agriculture. Ce sera le commerce, les services
ou l’industrie, et souvent les trois.
La ville peut naître de la volonté du prince. Le plus ancien exemple connu est Milet. Un
certain Hippodamus serait l’initiateur du plan en damier, archétype de la plupart des villes
fondées. Outre leurs capitales, les princes ont créé des villes pour stimuler la renaissance
économique de régions dévastées par les guerres. Un bon exemple est la Ville-basse de
Carcassonne. La fondation est assortie de franchises fiscales pour attirer le commerce. II
n’empêche que toute ville fondée a connu des difficultés de croissance.
En fait, la plupart des villes sont nées spontanément (même quand on y discerne un tracé
régulateur ajouté comme à Lutèce). Elles naissent d’un obstacle: d’un carrefour, d’une rivière à
franchir, d’une frontière politique ou d’un rivage. Dès qu’il y a ralentissement ou rupture de
charge, le négoce s’installe sous forme de boutiques ou de marché. C’est le commerce qui crée
la ville. Le souci de sécurité a longtemps imposé le rempart. La porte fortifiée constitue alors
l’entrée de la ville. Avec l’arme à feu, le rempart devient moins efficace et les nouveaux
habitants s’installent dans les faubourgs. Les boulevards se transforment peu à peu en mails
plantés pour la promenade. Les deux coexistent encore à Vincennes ou à Beaune. Les portes
prennent un aspect plus décoratif que défensif, comme à Crépy-en-Valois. Ainsi la ville se
développe par «enveloppement», se dilate par couches successives. Toutefois, le commerce
ne s’aventure guère hors les murs, il reste groupé près de l’église et du marché, il recherche la
sécurité et la concentration afin de retenir le chaland.
– L’évolution récente
L’automobile a tout changé. On peut désormais construire sa maison à la campagne où le
terrain n’est pas cher, où il y a de l’air et de la lumière, et de plus en plus loin, puisque l’usager
ne supporte pas le coût de l’extension des réseaux. Les ateliers et les usines, à l’étroit au cœur
de la cité, suivent peu à peu. La dilatation de la ville se justifie certes par l’afflux de nouveaux
citadins, leur besoin de place et de points de confort. Mais pas si loin, pas si vite, et pas
n’importe où.
– Échec de l’urbanisme réglementaire
Il serait naïf de croire que l’urbanisme réglementaire aurait pu réguler ce phénomène. Outre
la manie du zonage, l’élaboration des plans d’occupation des sols (POS) a été souvent
conditionnée par un électoralisme primaire, parce que les directions départementales de
l’Équipement (DDE), conseils naturels des communes, ont visé en priorité à satisfaire les élus.
Certes, il n’a pas manqué de maires courageux et animés du sens de l’urbain. Mais dès lors
qu’ils mécontentaient tel ou tel lobby, ils mettaient leur réélection en péril. L’un d’eux me confiait
amèrement : « On ne peut faire du bon urbanisme que sous les dictatures ».
Les porte-parole des agriculteurs et des maraîchers furent les premiers à plaider la
constructibilité de leurs parcelles, d’abord pour leurs hangars, puis pour leur habitation
personnelle, enfin pour leurs enfants et leurs parents, aimables prétextes à tous les dérapages.
On en est ainsi arrivé à ces puzzles incohérents qui caractérisent les POS en France, au mitage
à tout va, aux zones d’activités pléthoriques, souvent aux trois quarts vides, et enfin à des
entrées de ville indéfinies.
II. Les entrées de ville
Très tôt la publicité et les stations-service ont investi le bord des routes. A l’inverse des
lotissements d’habitations, les grandes surfaces commerciales, venues d’Amérique dans les
années 60, s’implantent à leur tour le long des grands axes, afin d’avoir de la place, d’être vues
et faciles d’accès. Il suffira de réserver un terrain pour le stationnement. Les magasins monofonctionnels suivent, les jardineries, les dépôts de vente après faillite, les discothèques (surtout
loin des parents!), les hôtels dits de Formule 1. La publicité concurrence les enseignes qui
deviennent de plus en plus grandes pour être vues de plus loin. Çà et là, subsistent des friches
et de vieilles maisons de banlieue devenues inhabitables. Ajoutons les «zones d’activités»
programmées dans le POS et nous avons le syndrome bien français des «entrées de ville» que
l’architecte-journaliste Francis Rambert qualifie non sans raison «d’horreur absolue».
En mars 1994, les ministres de l’Équipement et de l’Environnement, écoutant les cris
d’alarme des urbanistes, des associations et de certains élus, demandent au sénateur Ambroise
Dupont un bilan de la situation et des propositions pour y remédier. Son rapport, remis dès
novembre 1994, proposait vingt mesures. Une seule fut traduite dans la loi (1995), c’est l’article
L-111/1-4 du code de l’urbanisme, repris dans la loi Paysage (1997), qui interdit toute
construction à moins de 100m des autoroutes et à moins de 75m des voies à grande circulation,
sauf à les intégrer dans un schéma d’ordonnancement global et raisonné. Malheureusement, de
l’aveu même de la Direction Générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction
(DGUHC), les services de l’Équipe-ment n’ont guère joué le jeu et cet article, maintenu dans la loi
SRU (2000) peu ou mal appliqué.
Pourtant, une dynamique était née et un Comité national des Entrées de ville se constituait,
présidé par Ambroise Dupont, animé par Michèle Prats et composé des principaux partenaires
intéressés. Ce comité organisa un colloque en septembre 1997 à Amiens et publia un palmarès
citant des collectivités territoriales qui avaient fait un effort de réflexion sur le sujet.
Malheureusement, la suppression de l’appui logistique que lui accordait le ministère de
l’Équipement n’a plus permis au comité de poursuivre son action. C’est dans ces conditions que
la Ligue Urbaine et Rurale a repris le flambeau et lancé un concours annuel dont le succès va
croissant.
III. Les maux les plus flagrants
– Laideur
L’architecture est sommaire, faite pour durer peu. Dès l’ abandon de l’activité, elle devient
friche. Les bâtiments ne sont pas ordonnés les uns par rapport aux autres.
La cacophonie des publicités par affiches et des enseignes hors d’échelle rebute et nuit à la
lisibilité. Les réseaux (EDF et téléphone) pendent sur des poteaux mal implantés. Les délaissés
sont envahis de matériaux stockés ou de rebut. Le domaine public s’analyse souvent en no
man’s land sans trottoir ni végétal.
– Insécurité
Personne ne se risquerait la nuit, sauf en « bandes », dans ces zones où les vigiles tiennent
seuls lieu de police. L’éclairage public est discontinu ou insuffisant. De jour, l’absence de
trottoirs rend périlleux tout parcours à pied. Les voitures sont fréquemment vandalisées.
– Confusion et difficulté d’accès
Ce qui est commode pour la voiture ne l’est pas du tout pour le piéton ou le cycliste. C’est
trop loin, la signalétique est insuffisante ou occultée par les affiches. Un autre aspect est
essentiel : le visiteur, notamment le touriste, ne sait plus par où accéder au cœur de la cité, là où
il y a les bons hôtels, les commerces de qualité et le patrimoine historique qu’il a repéré dans
son guide, alors que les villes ont souvent fait, et depuis longtemps, des efforts remarquables
pour le mettre en valeur.
Les investisseurs eux-mêmes ont fini par se plaindre de l’isolement, de la précarité et du
désordre. Les publicistes reconnaissent que « trop de publicité tue la publicité ». Les grandes
surfaces qui commencent très vite à structurer leurs parkings, demandent plus d’aménagement,
plus de lisibilité et accepteraient volontiers des contraintes esthétiques qu’on ne leur impose
jamais.
Les élus, interpellés par le gâchis des entrées de ville, se sont trouvés affrontés à trois types
de difficultés :
•
•
•
Comment faire mieux à l’avenir ?
Comment réhabiliter l’existant ?
Où trouver l’argent ?
IV. Des facteurs favorables
– L’amendement Dupont
Son premier mérite est d’imposer pour toute implantation nouvelle une réflexion globale et
non plus limitée à la demande isolée d’un promoteur. On voit bien que l’obligation de s’éloigner
de la circulation est dissuasive dès qu’il s’agit d’activité commerciale. Il faudra donc organiser
l’espace, et ce d’autant plus qu’il faut concevoir préalablement les infrastructures.
– L’intercommunalité
L’incitation à l’intercommunalité, présente dans le rapport Dupont et introduite par la loi
Chevènement, a été rapidement écoutée. Les avantages sont évidents pour peu qu’on en
adopte la disposition essentielle, à savoir la mise en commun des taxes professionnelle et
foncière. Les moyens sont regroupés et il n’y a plus motif à multiplier les zones d’activités. Les
services techniques sont plus performants et ils ont naturellement tendance à raisonner en
termes de globalité. C’est accessoirement un bon moyen d’aborder calmement le traitement
délicat de l’espace intermédiaire entre deux communes.
– Le recours aux hommes de l’art
Alors qu’on ne discutait pas la nécessité d’intervention de l’ingénieur en infrastructures,
l’utilité de recourir à des urbanistes, à des paysagistes, à des architectes, était souvent peu
ressentie. On doit savoir gré aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environne-ment
(CAUE) d’avoir peu à peu instillé dans la conscience des élus l’idée que le coût d’intervention des
hommes de l’art était largement amorti par un aménagement de meilleure qualité.
V. Les objectifs
– Commodité
Il faut accéder facilement du dehors comme du dedans. Ceci implique une signalétique lisible
(et donc une discipline de l’affichage). Il faut des dessertes autres que pour l’automobile,
notamment le bus ou le tramway et des voies séparées pour les piétons et les deux-roues.
Certes, l’acheteur continuera à utiliser sa voiture. Il en va tout autrement de ceux qui travaillent
sur la zone. Cet impératif mettra souvent en évidence la nécessité d’une rocade afin de
détourner la circulation de transit, comme à La Couronne (16). On notera que les plantations
d’alignement peuvent constituer un précieux repère pour accéder au centre-ville.
– Sécurité
Éclairer correctement la nuit, créer une zone trente, séparer les voies, aménager des trottoirs
et des carrefours, toutes choses faciles à concevoir. Attention aux giratoires qui ne sauraient
être une panacée. Du seul point de vue du trafic, les experts du Centre d’étude techniques de
l’équipement (CETE) admettent une distance optimale de 2 km d’un giratoire au suivant, alors
qu’on en fabrique à la moindre rencontre de deux rues. Le giratoire est mauvais pour la sécurité
des deux-roues, faute d’un espace suffisant. Il rebute le piéton et n’améliore nullement la qualité
du paysage urbain.
– Aménité
Il est essentiel que l’utilisateur éprouve un certain plaisir à se trouver à l’entrée de sa ville. Il
faut donc qu’elle soit belle et conviviale.
a – Paysage
On voit trop de petites fleurs que les jardiniers changent chaque mois. On voit trop de
sculptures évoquant de façon souvent dérisoire ou agressive les symboles de la ville. Je n’ai
rien contre les fleurs, mais il faut planter à l’échelle de l’urbain. Inventer un paysage est un
métier complexe qui ne s’exerce valablement qu’en fonction du relief, de l’infrastructure, des
eaux, du bâti et des circulations. Autrement dit en pluridisciplinarité ou au moins en concertation
avec les autres concepteurs. Il y a le relief, qui existe, et celui que l’on sculpte comme à
Hérouville-Saint-Clair. Quant à l’eau, les jardiniers de l’Andalousie, et plus tard ceux d’Italie, ont
fait des merveilles avec les jeux de l’eau, ou encore le promoteur Pallu au Vésinet. Nos élus n’y
pensent pas toujours. C’est le rôle du paysagiste d’y penser, d’autant plus que
l’imperméabilisation croissante des sols pose de redoutables problèmes de drainage et
d’absorption. Il faut donc travailler avec.
Autre difficulté, le passage du rural à l’urbain. Ce n’est pas évident, mais on sent l’intérêt d’un
événement sympathique, modeste et clair, comme à Rouen-Canteleu.
b – La qualité architecturale
Les architectes ont un défaut connu: ils veulent faire un chef-d’œuvre à chaque projet. Il faut
reconnaître que l’abus des concours ne peut que les inciter à la recherche de l’image.
L’originalité n’est pas une qualité en soi et l’œuvre n’est réussie que si elle a tenu compte de
tout ce qui l’environne. Il ne s’agit nullement d’imposer quelque mimétisme, mais d’obliger à une
réflexion en termes d’espaces, de couleur et d’équilibre des masses. On ne pourra jamais
imposer que des gabarits, des alignements de rythmes ainsi que des normes en matière
d’enseignes. Ici aussi, pluridisciplinarité ou concertation sont indispensables, et j’ajouterai
modestie.
c – La convivialité
On sait maintenant que le zonage est le facteur privilégié de l’exclusion. Dès qu’une entrée
de ville prend quelque importance, il faut en diversifier les fonctions. A commencer par la
cafétéria, premier lieu de rencontre et d’échange des travailleurs sur le site. Suivent une
placette, un jardin d’agrément ou un terrain de basket, pourquoi pas une crèche et un multiplex.
VI. La réhabilitation
La réhabilitation d’une entrée dégradée procède des mêmes principes de base, mais c’est
une entreprise qui implique de l’obstination. On voit tout de suite qu’il faut équiper la zone de
réseaux, de trottoirs, de lampadaires, de voies séparées et limiter la vitesse. Il est également
prioritaire de discipliner l’affichage. Dans les faubourgs d’Amiens, la simple application de la loi
de 1979 a permis d’évacuer les trois quarts des panneaux. (Ne pas oublier que la régie
municipale y perd chaque fois le produit d’une taxe !)
Un deuxième point est la récupération des friches. Par voie amiable, expropriation ou
préemption. Ce dernier moyen est le plus souple, mais demande du temps. Réhabiliter une
entrée de ville est en quelque sorte un travail de ravaudage.
Troisième point, introduire la diversité des fonctions. C’est évidemment plus difficile qu’en
terrain vierge.
Enfin, il est important d’inviter le végétal dans le domaine public et de l’imposer sur les
parcelles privées, ne serait-ce que pour dissimuler les scories et les véhicules de service, à
l’exemple de Mouen-Verson.
VII. Le financement
Création ou réhabilitation impliquent des investissements très lourds. Le premier atout est
l’intercommunalité qui permet le regroupement des moyens. Les établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) seront beaucoup plus convaincants qu’une commune isolée
pour faire appel aux sources classiques de trésorerie : les banques, le département, la région et
l’Europe (FEOGA, FEDER, LEADER, URBAN). L’Europe interviendra toutefois de moins en moins, à
mesure de son élargissement vers l’Est. Il faut le savoir. Quant à l’État, il sera présent avec ses
routes nationales, soit pour les reprofiler, soit pour leur substituer des rocades. Enfin, chaque fois
que l’on crée une autoroute, l’investisseur doit consacrer 1% de la dépense au titre du «paysage
et de l’aménagement ». Cette disposition a été étendue aux grands axes routiers. Dans bien des
cas, les fonds ainsi affectés peuvent constituer un appoint très précieux au traitement de « l’entrée
de ville » vue de la route ou de l’autoroute.
Tout aménagement est un travail de longue haleine qui implique un pari sur l’avenir et un
étalement sur plusieurs mandatures. C’est bien pourquoi on devra se satisfaire de progrès partiels.
En fait, une ville n’est jamais finie, et ses entrées ne seront jamais que des étapes, les portes d’une
époque qui sera à son tour revisitée par la suivante.
Charles BOURÉLY
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