
sèche, je  ne  saurais approcher cette vie  que  dans  le  domaine  de  l'abstraction.» Hegel,  donc, 
Kant surtout dont il traduira les trois «  Critiques » et aussi les grandes écoles du bouddhisme 
chinois  :  en  tout  cela,  cet  homme  qui  n'a  jamais  vécu  hors  de  Chine  tente  «  d'instituer  entre 
Chine et Occident un espace commun d'intercompréhension et d'évaluation » (p. 56). Il en sort 
une oeuvre considérable, « abrupte et presque héroïque dans son déploiement solitaire », une 
authentique réinvention du confucianisme pour les uns, mais pour certains, tels Fu Weixun, une 
rhapsodie de méprises et sur la philosophie kantienne et sur la transmutation philosophique des 
notions religieuses du bouddhisme. 
Egalement nouveau, enfin, est l'attention soutenue portée au christianisme dans ces dix 
conférences.  Les  prédécesseurs  de  Mou  Zongsan  avait  bien  perçu  le  rôle  «  philosophique  » 
joué par le christianisme en Europe, et une équivalence entre « aller à l'Eglise » en Occident et 
« philosopher » en Chine, mais ils n'avaient pas juger utile de s'informer sur la Bible et encore 
moins sur la théologie. Mou Zongsan, lui, monte au créneau, expliquant qu'à la différence des « 
valeurs universelles » que sont la science et la démocratie, le christianisme constitue l'essence 
même  de  l'Occident  ;  seule  une  Chine  christianisée  serait  véritablement  «  occidentalisée.  » 
Citant les Evangiles et 
La philosophie de la  religion 
de Hegel, Mou Zongsan insère  donc  une 
intrigue théologique dans le discours confucéen. Ainsi, « le concept de Rédemption correspond 
à la notion chinoise d'Eveil ou d'Illumination », mais en régime chrétien il n'est pas possible que 
la nature divine « soit constitutive de notre propre subjectivité. » (p.105) Le christianisme ne peut 
pas  non  plus  «  articuler  une moralité  éthique, mais  seulement  des  notions  morales  purement 
religieuses. » (p.144) Par ailleurs, « l'explication que Hegel donne de la notion  de Trinité peut 
être  utilisée  pour  relire  le  développement  de  la  pensée  confucéenne.  »  Quant  à  l'idée  de 
Révélation divine, elle n'est pas « totalement absente » en Chine ; mais « elle n'a pas, comme 
ce  fut  le  cas  dans  le  christianisme,  évolué  vers  une  doctrine  établissant  fermement  la  notion 
d'Incarnation et de Fils unique de Dieu. » (p. 230) 
Une  fois  tout  cela  dit,  la  question  revient  de  plus  belle  :  Mou  Zongsan  dit-il  quelque 
chose  ?  Et  a-t-il  quelque  chose  à  dire  à  d'autres  interlocuteurs  que  ses  auditeurs  chinois  de 
1973 ? Je pense que `oui',  et  c'est  que tradition chinoise et tradition occidentale représentent 
deux  manières  de  gérer  la  relation  transcendance/immanence.  L'Occident  pose  Dieu  comme 
extériorité,  un  Dieu  qui  dicte  des  commandements  sans  dire  comment  ces  derniers 
correspondent à  la nature foncière de l'homme. La Chine, elle, se concentre sur  cette nature, 
sur l'homme. Bref, si pour le chrétien il s'agit de faire la volonté de Dieu, avec l'aide de sa grâce,