Première - Lecture analytique de L’ALBATROS de Baudelaire
Introduction :
Fondé sur le souvenir d’une scène de la vie en mer certainement observée
par Baudelaire pendant son « tour du monde » de 1841, ce poème développe l’image
symbolique d’un oiseau capturé. L’albatros est victime de la cruauté des marins comme le
poète est victime de son inadaptation sociale. Il faut donc lire ce texte comme une parabole.
Nous mettrons donc en valeur dans un premier temps la coexistence du monde humain et
du monde céleste puis nous expliciterons la comparaison.
Premier axe : la coexistence de deux mondes
La chute du poète dans le monde des hommes fait s’alterner deux champs
lexicaux opposés : celui du ciel (oiseaux, azur, ailes, volait, ailé, nuées) et celui du
monde des humains (hommes d’équipage, navire, planches, exilé sur le sol).
L’albatros occupe pacifiquement le monde du ciel et malgré sa situation supérieure,
ne semble pas en tirer vanité : la périphrase « indolents compagnons de voyage »
insiste sur la tranquillité des oiseaux, sur leur innocence aussi puisqu’ils ne se
méfient pas des marins (ils sont des compagnons bienveillants). Ils appartiennent au
paysage familier du marin : une 2e périphrase « voyageur ailé » renforce ce
compagnonnage (les oiseaux font partie du voyage). L’innocence des albatros est
renforcée par l’emploi du verbe suivre au v.3, gage d’une certaine passivité. De
même si nous pensons à la couleur blanche des albatros, elle renforce leur pureté,
leur innocence, leur majesté.
La mer appartient au monde des hommes. Elle apparaît comme facteur de risque,
comme on le voit par la rime « mers/amers » et par le participe présent « glissant ».
Les navigateurs sont donc implicitement présentés comme des hommes rudes,
aguerris dans le combat quotidien contre les dangers (Baudelaire utilise des mots
expressifs pour désigner ces risques : les « gouffres », les « tempêtes »).
Cependant pour troubler cette image et en même temps la renforcer (ces hommes
sont capables de « s’amuser » et ce jeu est un jeu cruel), Baudelaire détaille le
passe-temps futile de ces marins. On peut suivre le déroulement de cette scène :
1. La capture (strophe 1), qui est symbolisée par l’utilisation du verbe prendre.
2. L’observation de l’oiseau (strophe 2), et notamment de son handicap : des ailes
trop grandes dès qu’il est au sol.
3. La torture physique (le brûle-gueule est la pipe qui va lui chauffer le bec) et la
torture morale (l’imitation humiliante). Cet asservissement est amplifié par le
balancement « l’un »/’l’autre » (strophe 3).
Le monde des hommes opère une métamorphose dévalorisante qui se construit par
une série d’oppositions :
1. La pureté de l’élément « air » se transforme en un huis clos : le « plancher » du
pont.
2. La caractéristique de leur vol (« grandes ailes ») se transforme en marque
d’immobilisation (« comme des avirons », objets encombrants)
3. Leur majesté évoquée par un champ lexical très important (rois, princes, géant)
se transforme en maladresse (v.6) et en infirmité (v.12)