17398 - l`art nous révèle-t-il quelque chose du réel ? Remarques sur

17398 - l'art nous révèle-t-il quelque chose du réel ?
Remarques sur l'intitulé du sujet :
· A priori, l'art est : 1- copie du réel ou 2- divertissement, donc éloignement de la
réalité
· Dans les deux cas, l'art ne révèle rien, car révéler = faire connaître à quelqu'un
quelque chose qui était ignoré, inconnu, ou caché (= dévoiler).
· Mais d'emblée, on a un paradoxe : comment révéler quelque chose du réel
puisque le réel est, par définition, ce qui est donné et non absent ?
· D'où le présupposé du sujet : le réel ne se donne pas immédiatement. D'où la
nécessité d'une médiation ; mais alors, l'art peut-il être ce médiateur ?
· Enjeu : relation Art et Vérité. L'art peut-il être un outil pour connaître ?
Problématique : si l'art est, comme le dit Hegel, ce qui nous élève de la réalité pénible
et bornée, il semble difficile de lui accorder une fonction de révélation (tel serait plutôt le
rôle de la Religion, de la science ou de la philosophie). Mais l'art ne se présente pas
seulement comme un jeu : les artistes prétendent véhiculer un message au travers de
leurs oeuvres et ainsi, l'art serait comme un discours : mais que nous dit-il et comment ?
1- L'ART NE REVELE RIEN DU REEL : IL ELOIGNE DE LA REALITE
Platon : l'art nous attache au sensible
Selon Platon, il n'y a de réalité que des Idées : seules celles-ci sont car elles seules sont
permanente, immuable et éternelle. Connaître le réel = a) contempler les Idées b) est le
propre de l'intelligence spéculative (pas affaire des sens). Or, l'art = redoublement du
sensible dans le sensible. L'art est donc au degré le plus éloigné de la vérité.
Cf. République livre X : 3 sortes de lit : 1- le « concept » de lit, le lit en soi ou en
général 2- le lit construit par l'artisan d'après l'Idée 3- le lit peint par l'artiste d'après le
lit construit par l'artisan.
L'art ne révèle rien du réel : il mime la réalité qui est elle-même un reflet du
monde intelligible. Ainsi, Platon, au nom de la connaissance vraie (celle qui saisit l'unité,
le permanent par-delà le multiple et le changeant), condamne l'art : celui-ci dévoie les
esprit de ce qui est vrai, c'est-à-dire beau, juste et bien.
Cependant, le réel, c'est-à-dire le monde intelligible, exige un cheminement de
l'esprit (Cf. l'ascension du prisonnier sortant de la caverne), une conversion et donc,
n'est pas immédiat. Pourquoi l'art ne participerait-il pas de cette conversion des sens
vers l'esprit ?
Transition :
Le refus par Platon de donner à l'art la fonction d'un médiateur dans la révélation de
quelque chose du réel s'appuie sur un double présupposé :
· L'un ontologique : le monde sensible étant radicalement distinct du monde
intelligible, l'âme, pour connaître le réel doit s'en détourner.
· L'autre ayant trait au procédé de l'artiste : celui-ci fabrique des « ersatz » de réel,
des faux-semblant : l'art = mimésis ; l'imagination est reproductrice, non pas de la
réalité, mais de copie des Idées (oeuvre d'art comme copie d'une copie de l'Idée).
Or, ces deux présupposés sont directement critiqués par Aristote :
· L'être est composé de matière et de forme (le forme ou idée n'existe jamais
séparément de la matière si ce n'est logiquement, c'est-à-dire en pensée)
· Art est reproduction de forme : l'artiste ne copie pas la réalité mais il en abstrait
la forme pour lui donner une autre matière.
Conséquence : Art révèle quelque chose du réel : il nous montre quelle est sa forme.
2- L'ART EST REVELATEUR DES FORMES
Dans la Poétique, Aristote se demande pourquoi nous prenons du plaisir à contempler
des images. Ainsi, il fait remarquer que l'art n'est pas copie du réel (autrement pourquoi
ne pas regarder la réalité directement ?) : l'art est un médiateur. En effet, connaître,
apprendre, provoque du plaisir ; de même pour la contemplation esthétique : les images
nous permettent de prendre plaisir à regarder des choses dont la vue nous est pénible
dans la réalité. Autrement dit, l'art a une fonction de révélateur en ce qu'il nous donne à
voir ce qui, dans le réel nous repousse. Mais comment s'y prend-il ?
a) L'art : entre l'histoire et la philosophie :
Pour Aristote, les évènements quotidiens manquent de portée générale. Et c'est
pour cette raison que l'artiste ou le poète est plus pédagogue que l'historien : là où ce
dernier se borne à rapporter les faits tels qu'il se sont produit comme ils se sont produit,
le poète rapporte ce qui est vraisemblable, « semblable au vrai ». En effet, l'artiste « re-
présente les choses ». Les représentations de l'art subissent certes une « perte »
ontologique comme le dit Platon, mais il ne s'agit pas pour autant d'une dégradation
ontologique. Au contraire pour Aristote, le vraisemblable donne à l'art sa supériorité sur
l'histoire. L'artiste représente en donnant une seconde présentation, mais surtout une
nouvelle présentation. Exple : Homère dépeint moins la colère d'Achille pris
individuellement (Achille, à tel jour, telle heure et tel endroit, pour tel et tel motif, s'est
mis en colère) que l'expression de la colère d'un guerrier. Certes cette colère n'est pas
aussi universelle que celle étudiée par la philosophie quand elle définit les passions
(valables pour tout homme en général) mais elle échappe au défaut de l'histoire qui est
de s'attacher au particulier, aux détails et ne nous apprend rien : avec la poésie, on a
affaire à des types, des modèles, à de l'universel approchant.
Ainsi pour Aristote, « l'ami des mythes est en quelque sorte philosophe »
(Métaphysique, I, 2, 982 b). L'art nous met en chemin vers la science ou la connaissance
du vrai.
b) la catharsis :
Le fait de vivre en représentation certains évènements nous permet de ne pas
avoir à délibérer sur ce qu'il faut faire, nous pouvons simplement contempler. Ainsi, il y a
épuration des passions (catharsis) produite grâce à l'art : je peux, face au spectacle
tragique, appréhender ce qu'est le malheur sans le vivre (ou le vivre mais par
procuration, c'est-à-dire sans en subir personnellement les conséquences). Or lorsque je
vis réellement le malheur, il m'est difficile de le connaître. Ainsi, le coléreux qui voit le
spectacle de la colère peut alors se rendre compte qu'elle est hors de toute mesure
(hubris), ou bien qu'elle peut tel Ajax, le mener à sa perte, aushonneur ; en contraire,
ce même coléreux en colère se laisse porter par sa passion.
Transition :
· Loin d'être, comme le pense Platon, ce qui nous détourne de la réalité, il est ce qui
nous permet de commencer à la connaître (= sorte de propédeutique).
· Cependant, il reste alors à comprendre pourquoi l'intelligence doit s'appuyer sur
l'art. Pourquoi avons-nous besoin, pour connaître quelque chose du réel, de la médiation
de l'art ? Ou, pour parler en termes hégéliens, pourquoi faut-il que l'esprit en passe par
son autre pour prendre conscience de ce qu'il est ?
3- L'ART COMBLE LES LACUNES DU CONCEPT
Bergson remarque que nous avons besoin de l'art parce que nous ne pouvons
tout voir. Nous avons une vision partielle du réel et l'art est justement là pour compenser
cette lacune. En effet, nous ne voyons des choses que ce que nous pouvons en faire ;
notre vision du réel est pratique.
a) L'art révèle « l'essentiel inaperçu »[1]
Les concepts nous éloignent de la réalité. Avec le penseur abstrait, comme le dit
Kierkegaard, « on n'aime pas, on ne croit pas, on agit pas, mais on sait ce qu'est
l'amour, on sait ce qu'est la foi... ». Ainsi, l'impressionnisme s'est donné pour tâche de
révéler ce que nous voyons de la réalité par-delà ce que nous en savons. Monet : « il est
faux que les objets aient une forme. Il n'y a pas la meule ou la cathédrale ou le peuplier ;
il y a la meule et la cathédrale à telle heure et sous tel éclairage ». Autrement dit,
l'artiste restitue notre rapport primitif, presque charnel et immédiat aux choses : il fait
état du réel avant que la réflexion et son outillage conceptuel, logique et pragmatique, ne
s'en empare[2]. Selon les maîtres mots de Husserl, fondateur de la phénoménologie, il
faut « revenir aux choses mêmes », aux choses telles qu'elles se manifestent et se
donnent à la conscience.
Citons Virginia Woolf dont l'écriture est fortement inspirée de la peinture
impressionniste : « Examinez un instant un esprit ordinaire, un jour ordinaire. L'esprit
reçoit une myriade d'impressions, banales, fantasques, évanescentes ou gravées avec la
netteté de l'acier. Elles arrivent de tous côtés, incessantes, pluie d'innombrables atomes.
[...] Est-ce que la tâche du romancier n'est pas de saisir cet esprit changeant, inconnu,
mal délimité, les aberrations ou les complexités qu'il peut présenter? [...] Nous ne
plaidons pas seulement pour le courage et la sincérité, nous essayons de faire
comprendre que la vraie matière du roman est un peu différente de celle que la
convention nous a habitués à considérer ».
Commentaire : 1- la vie est complexe : nous ne raisonnons pas toujours et les sensations
sont telles que 2- on ne peut en rendre compte par des concepts figés, abstraits, car
alors, selon l'expression de Bergson, « les cadres craquent » (introduction de L'évolution
créatrice), ils sont trop étroits pour contenir toute l'essence du vivant.
b) L'art est un complément de l'intelligence :
Si l'art révèle ce que l'intelligence tend à nous faire négliger, ce n'est pas pour
autant que la connaissance doive être restreinte à l'esthétique. Pour reprendre les mots
de Kant : « les intuitions sans concepts sont aveugles et les concepts sans intuitions sont
vides ». En d'autres termes, ce que nous révèle l'art, ce n'est pas l'intuition aveugle,
mais ce qui remplit le concept, ce sans quoi l'intelligence s'exercerait à vide. En effet, la
connaissance du réel implique la généralisation et celle-ci a des règles (a besoin d'une
méthode scientifique) ; cependant, une fois généralisée ou systématisée, la réalité est
vidée du particulier. Or, comme le dit Kierkegaard critiquant la philosophie systématique
qui se vante d'expliquer la réalité alors qu'elle fait abstraction de l'existence : « Penser
l'existence sub specie aeterni, c'est essentiellement la supprimer » (Post-scriptum non
scientifique et définitif aux miettes philosophiques, III, §1). Ainsi, l'art aurait cette
fonction de donner vie aux systèmes, de les faire exister.
[1] Expression empruntée à Alphonse Gratry (1805-1872)
[2] Exemple : l'art nous révèle que nous voyons en perspective : dans les couloirs du
Lycée, je vois que les portes ne sont pas à hauteur égale et pourtant je ne pense pas une
seule seconde qu'elles ne le sont pas car je sais qu'elles sont de hauteur égales.
Autrement dit, le peintre restitue ce que nous voyons tel que nous le voyons et le
concept nous en éloigne.
L'art nous révèle t-il quelque chose du réel ?
L'art nous révèle-t-il quelque chose du réel ?
Partie du programme abordée : L'art.
Analyse du sujet : Un sujet très classique, mais assez difficile à traiter en profondeur
sur les rapports de l'art et du réel. La notion à expliciter est celle de révélation, découvrir
ce qui était recouvert d'un voile, faire apparaître ce qui était secret ou latent, etc.
Conseils pratiques : Chaque mot compte dans cet énoncé. Attachez-vous à leur donner
un sens précis. Par exemple, qui est le nous à qui l'art peut révéler quelque chose ?
Pourquoi ? Comme pour tous les sujets d'esthétique, appuyez-vous sur des exemples
concrets que vous analyserez avec rigueur.
Bibliographie :
Hegel, Esthétique, textes choisis, PUF.
Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, I, Gallimard.
A. Malraux, Les Voix du silence, Gallimard.
Difficulté du sujet : **
Nature du sujet : Classique.
[Introduction]
Parce que l'art a la réputation d'être inutile, on admet volontiers qu'il n'a pas grand
rapport avec la réalité, et propose plutôt une sorte d'univers en marge du réel, qui ne
saurait influer sur ce dernier. On peut également juger que les oeuvres, en nous
éloignant précisément de la réalité telle que nous la vivons quotidiennement, nous
permettent d'en oublier les problèmes. Doit-on se contenter de considérer l'art de cette
façon ? Peut-on au contraire estimer que son rapport avec le réel n'est pas seulement de
marginalité, ou de fuite, et qu'en fait, il nous permet de percevoir autrement ce réel ?
[L'art comme illusion positive]
Si les philosophes s'obstinent à réfléchir sur l'art et à tenter d'en cerner la nature, c'est
peut-être qu'ils y devinent des pratiques susceptibles de rivaliser avec la philosophie elle-
même, dans la manière qu'elles ont de nous informer sur ce que nous nommons la
réalité. De plus l'art aurait sur tout discours philosophique l'avantage de l'immédiateté et
du sensible.
C'est ainsi que Platon dans la "République" dénonce l'art comme illusion et l'artiste
comme un illusionniste (développez ce point avec les remarques ci-dessous).
Toute illusion, réplique Nietzsche, n'est pas négative ou inutile. L'esprit se croit-il assez
résistant pour supporter la cruauté de la réalité ? L'illusion lui est bien nécessaire, qui
rend supportable la dureté de la vie. La grandeur irremplaçable de la tragédie grecque a
précisément consisté à nous montrer à quel point l'esprit apollinien et l'esprit dionysiaque
sont liés, combien la conscience individuelle doit aussi s'évanouir périodiquement dans
l'ivresse ou la mort: dure vérité, qui correspond sans doute" au "coeur" même du réel et
à ce qu'il a de plus profond, mais que seul l'art peut mettre à notre portée, en la voilant
quelque peu. ainsi, c'est en se détournant en apparence de la réaliet du quotidien que
l'oeuvre nous entretient à sa façon de ce qui les fonde.
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