Développement économique et développement durable Pour une stratégie gagnante de la lutte contre l'obsolescence programmée Propositions du Comité économique et social européen OCTOBRE 2013 Contact presse Izquierdo Alejandro, attaché de presse [email protected] +32 2 546 9406 Pour la première fois en Europe, une institution de l’Union Européenne, s'intéresse à la question de l'obsolescence programmée. Si de telles stratégies existent depuis plus d’un siècle, ce n’est que ces dernières années qu’elles sont devenues un objet de débat public et d’interpellation politique. Le Comité économique et social européen est convaincu qu'il est possible de mener un nécessaire débat évitant amalgames et diabolisation d'un phénomène inhérent au développement économique. En s'interrogeant sur les dérives les plus flagrantes, la Société civile au travers le Comité économique et social européen souhaite prouver que la lutte contre l'obsolescence programmée peut permettre d'allier développement économique et développement durable et d’améliorer la confiance des consommateurs européens envers leurs entreprises). SOMMAIRE 1 - L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UNE MAUVAISE STRATEGIE… … pour la société … pour les entreprises La nécessaire prise de conscience collective 2 - LA LUTTE CONTRE L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UN LEVIER DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE Une stratégie à promouvoir pour créer de l'emploi Un tournant à prendre vers des stratégies d'entreprises gagnantes 3- LA LUTTE CONTRE L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UN LEVIER DE DEVELOPPEMENT DURABLE 1 L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UNE MAUVAISE STRATEGIE… … pour la société L'obsolescence programmée est une stratégie industrielle de plus en plus répandue dans nos économies dont les impacts sur notre environnement, et notamment sur notre environnement économique, ne sont pas neutres. En poussant à une consommation artificielle des produits, la stratégie de l'obsolescence programmée conduit inévitablement à un impact négatif sur notre environnement au sens global. En effet, en mettant sur le marché des produits conçus pour tomber en panne deux ou trois ans après avoir été achetés – de façon opportune, une fois la garantie expirée parfois -, les entreprises assurent une demande continue dont les ressorts restent artificiels. Qu'est-ce que l'obsolescence programmée? Stratégie commerciale reconnue, elle consiste à concevoir et fabriquer des produits destinés à s'user ou à devenir indésirables dans un "court" délai ou à empêcher toute réparation. Obligeant ainsi les consommateurs à acheter de nouveaux biens en remplacement, elle entend garantir un volume de ventes à long terme, en réduisant le laps de temps qui sépare les achats répétés - ou "raccourcissant le cycle de remplacement"-. La stratégie d'obsolescence programmée impacte de nombreux domaines au-delà de l'impact direct et évident sur l'environnement qu'engendre cette consommation "supplémentaire" du bien. La santé publique est affectée non seulement par la mise en décharge et l'incinération locales des déchets, mais aussi par la tendance à exporter les déchets, parfois de manière illégale, vers des pays en développement dont les lois sont moins strictes. L'économie européenne est fragilisée par l'importation de produits à faible durée de vie. Le phénomène d'endettement personnel est également nourri par l'accroissement des crédits à la consommation que génère l'accès à des biens rapidement consommés et tout aussi vite jetés. "L'obsolescence programmée n'est pas un phénomène marginal. C'est une véritable stratégie qui, depuis dix ans, gagne en importance dans tous les secteurs" JeanPierre Haber, corapporteur. … pour les entreprises Véritables "dictateurs industriels", c'est ainsi que certains dénoncent les entreprises qui ont adopté la stratégie de l'obsolescence programmée. Au-delà d'un choix purement opportuniste, cette attitude conduit à "tromper" d'une certaine façon les consommateurs qui paient le prix fort pour des produits dont le cycle de vie est restreint. Les 3 types d’obsolescence programmée la conception de produits pour une durée de vie limitée => des semelles de chaussures de sport conçues pour une durée de vie inférieure à 2 ans. la conception d’appareils pour empêcher toute réparation => certains smartphones ou tablettes. la conception technique du système prévu pour accélérer voire créer la défaillance (extrêmement rare) => des imprimantes s’arrêtant à la millième impression grâce à un microprocesseur intégré au système. Cette tromperie est même double lorsqu'elle permet de développer un nouveau service celui des extensions de garantie. Cette pratique est d'ailleurs le fait non seulement du fabricant mais aussi du revendeur, le consommateur se voyant proposer deux extensions de garantie alors même que le produit acheté est déjà couvert par des garanties légales. L'existence de ces pratiques entame durablement la confiance qu'accordent les consommateurs à l'industrie. Le sentiment d'être trompé est d'autant plus fort que bien souvent les consommateurs méconnaissent leurs droits. Le risque encouru est d'autant plus fort que les stratégies pour regagner la confiance, notamment dans un monde où les réputations se font et se défont à l'échelle de 'l'économie mondialisée, peuvent aller jusqu'à l'adoption d'un nouveau nom, d'une nouvelle image. La nécessaire prise de conscience collective Mieux armer les consommateurs pour assurer un acte d'achat éclairé est le préalable indispensable que préconise le Comité économique et social européen. Les outils – notamment les réseaux sociaux ou les outils internet – existent pour y parvenir; il ne manque qu'une volonté des Etats pour mettre en place : Une meilleure information des consommateurs sur leurs droits et notamment le contenu des garanties légales; Une meilleure information des consommateurs sur la durée de vie estimée d'un objet; Une sensibilisation des citoyens pour une consommation responsable, et notamment les jeunes, en les informant des conséquences environnementales de leurs achats. Afin de réunir tous les acteurs concernés pour trouver des solutions concrètes, le Comité prévoit d'organiser une grande table ronde européenne dès 2014. S'appuyant sur la réussite d'un atelier de travail organisé en mai 2013 sur ce thème – et qui avait déjà attiré de grandes entreprises telles que Samsung, Apple ou Electrolux -, il souhaite amener autour de la table l'industrie, la distribution, la finance, les associations de consommateurs et de protection de l’environnement, les syndicats. Parallèlement, un Forum ouvert devra permettre aux citoyens européens d'exprimer leur point de vue, formuler critiques et propositions. Le Comité souhaite que l'obsolescence programmée devienne ainsi un véritable sujet de travail au niveau européen, notamment pour mieux identifier son impact social et économique. Pour en savoir plus : Pour la première fois en Europe, une institution s'attaque à l'obsolescence programmée. Avis CESE CCMI/112 - Durée de vie des produits et information du consommateur Rapporteur -Thierry Libaert Co-rapporteur – Jean-Pierre Haber 2 LA LUTTE CONTRE L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UN LEVIER DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE Une stratégie à promouvoir pour créer de l'emploi L'obsolescence programmée est presque stérile en matière d'emplois en Europe. Bien souvent, les produits sont fabriqués hors les frontières des Etats membres, dans des pays où les coûts de main d'œuvre sont très concurrentiels. L'alternative à l'obsolescence programmée est, elle, créatrice d'emplois de proximité. Celle qui consiste à réparer les objets au lieu de les remplacer impose d'avoir une main d'œuvre à proximité du consommateur: dans le domaine électronique, la marge de création est très importante puisque plus d'un produit sur deux est remplacé alors qu'il aurait pu faire l'objet d'une réparation. Cette filière qui présente la particularité d'être non délocalisable et composée d'emplois stables, bénéficierait fortement d'un soutien dans la perspective de créations d'emplois. Seuls 44% des appareils électroniques sont réparés . 1 Pour cela, des priorités doivent être définies. Le Comité estime qu'il est devenu essentiel aujourd'hui d'interdire tout produit pour lequel la défectuosité est calculée afin de provoquer la fin de vie de l’appareil. Dans cette optique, les entreprises devraient être incitées à faciliter la réparation de leurs produits, notamment en produisant les pièces de rechange nécessaires. Exemple de business plan basé sur la durabilité Depuis 1851, une célèbre entreprise de machines de couture a fait de la durabilité un point central de son modèle économique. Cette stratégie est au cœur de sa communication qui met en avant la proximité de son réseau de réparation et la possibilité de recevoir les notices d'utilisation et réparation en permanence. Deux autres pistes devraient être étudiées: La mise en œuvre d'un système d'étiquetage garantissant une durée d’utilisation minimum des produits que la loi n'exige pas actuellement La prise en charge par les producteurs du coût du recyclage de leurs produits si la durée de ceux-ci est inférieure à cinq ans. 1 Rapport 2012 Ademe Un tournant à prendre vers des stratégies d'entreprises gagnantes Exemple de produit créé pour atteindre le recyclage maximal Une entreprise européenne dans le secteur du café a créé un concept de machine à café facilement, entièrement et à moindre coût recyclable. L'entreprise souhaitait également qu'elle soit réparable à l'infini. Son principe ? Un ensemble de modules assemblés par clips, aisément démontables et remplaçables (donc facilement recyclable), comportant un minimum de matières différentes. 36 brevets protègent l’invention, fabriquée par une vingtaine de PME hexagonales. En se positionnant à contre-courant de la stratégie d'obsolescence programmée, les entreprises européennes trouveront un élément pour prendre l’avantage sur les produits émanant d’entreprises, majoritairement américaines ou asiatiques, qui en ont fait leur modèle économique. "Lutter contre l'obsolescence programmée ne pourra être efficace que si elle emmène avec elle l'ensemble des acteurs socio-économiques et donc pour cela, si nous l'abordons comme une véritable source d'opportunités économiques, sociales et écologiques." Henri Malosse, président du Comité économique et social européen Le modèle de l'économie circulaire. Basée sur le recyclage tout au long du cycle de vie où rien n'est gaspillé, l'économie circulaire intéresse en premier lieu les autorités territoriales – communes, intercommunalités, région …- car elle conduit à valoriser ce qui était initialement une source de dépenses. L'économie circulaire pourrait réaliser jusqu'à 515 milliards€ d'économies en Europe2. Les marges de progrès y sont d'ailleurs considérables. A titre d'exemple, en France, seuls 47% des papiers seraient recyclés, contre 75% en Allemagne. 2 Le choix de l'intercommunalité du pays d'Evian Soucieuse de préserver la qualité de son eau et le maintien des AOC (reblochon et abondance), l'intercommunalité a décidé de prendre en charge la gestion des effluents issus de ses élevages. Elle a acquis alors un terrain pour y installer une unité de méthanisation, organisant la délégation de service public pour sa construction et son exploitation. Les agriculteurs peuvent ainsi vendre leurs effluents à l'unité et racheter le digestat sous forme de compost prêt à être épandu. Economie sur les matériaux pour la seule production des biens de consommations - Estimation de la Fondation Ellen MacArthur dans son analyse "Vers une économie circulaire : opportunités pour le secteur des biens de consommation". Le modèle de l'écoconception considère toutes les étapes du cycle de vie d'un produit (fabrication - distribution - utilisation - valorisation finale) de manière à limiter les impacts du produit sur l'environnement. En intégrant cette stratégie, les entreprises améliorent leur impact environnemental et gagnent en réputation auprès des consommateurs, dès lors que ceux-ci y sont sensibilisés. Une grande entreprise de pneumatique française remplace la vente du pneu par la vente des km parcourus… … et choisit alors de prolonger la vie de ses pneus en accumulant conseil de conduite, ajustement du gonflage, rechape… Là où il fallait 64 pneus, l'entreprise n'en utilise plus que 20. Aujourd'hui, ce sont 300 000 véhicules en gestion à travers 24 pays. Le modèle de l'économie de fonctionnalité met quant à lui l'accent sur l'utilisation d'un produit plutôt que sur sa possession. En partant du principe que l'objet répond à un "service", l'entreprise qui choisit de se positionner comme prestataire dudit service a un intérêt à ce que le produit qui lui permet de réaliser sa prestation dure le plus longtemps possible. Pour le Comité, en se saisissant du sujet de la lutte contre l'obsolescence programmée, l'Union européenne offrirait un moyen à ses entreprises de se distinguer par leur pratique effective de la durabilité. Mais, c'est aussi une façon d'entamer une véritable transition économique. 3 LA LUTTE CONTRE L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE, UN LEVIER DE DEVELOPPEMENT DURABLE "Il s'agit pour le Comité de passer d'une société de gaspillage à une société durable, où la croissance est orientée pour répondre aux besoins des consommateurs dans une perspective citoyenne et jamais comme un simple objectif en soi." Thierry Libaert, rapporteur L'obsolescence programmée a un poids sur l'environnement que nul ne peut plus ignorer tout simplement car elle engendre une consommation "supplémentaire" d'énergie et de ressources, génératrice de nouveaux déchets. Elle fait également la promotion de comportements écologiquement irresponsables de la part des producteurs mais également des consommateurs. Basée sur le principe du remplacement d'un produit par un autre parfois sans l'existence d'un besoin, elle engendre des comportements d'achat privés de réflexion sur l'acte d'achat lui-même. Un peu d'histoire…la pratique de l'obsolescence programmée n'est pas nouvelle. Elle est apparue dans les années 1930, avec alors pour objectif, celui d'encourager la demande et de mettre un terme à la grande dépression. A cette époque, les ressources naturelles étaient considérées comme inépuisables et on ne se préoccupait guère de l'environnement. Le fameux Cartel Phoebus (composé notamment de Philips, Osram et General Electric) fut l'une des premières tentatives d'obsolescence programmée à l'échelle industrielle. Il tenta entre 1924 et 1939 de contrôler la fabrication/ vente des lampes à incandescence en en limitant sciemment la durabilité, en empêchant les progrès technologiques qui leur auraient permis d'être plus durables. Or l'Europe est dans une dynamique de dégradation de son empreinte écologique et ce, depuis plusieurs années. Les ressources naturelles consommées par les Européens ont augmenté de 50 % au cours des trente dernières années. Le volume des déchets ménagers produits dans l’UE est estimé à 220 millions de tonnes, soit un peu plus de 500 kilos par habitant3 – Chaque jour, les Européens consomment 43 kilos de ressources par personne contre 10 kilos/jour/personne en Afrique. Lutter contre l'obsolescence programmée est une des voies majeures pour inscrire la société européenne dans une transition économique et écologique. 3 Chiffres 2011 source Eurostat, hors déchets industriels