Croyances collectives et formation identitaire dans la pratique des groupes de
musiques actuelles (le cas des groupes de « rock »)
L’ouvrage de Damien Tassin consacré aux pratiques musicales rock rend compte de la
complexité des dynamiques régissant les rapports au sein des groupes de musique, et de
ces derniers vis-à-vis de leur environnement extérieur.
L’auteur, analysant tout d’abord les sources d’inspiration en sciences sociales s’intéressant
aux pratiques musicales dans leur contexte sociologique évoque le modèle théorique
d’Emile Durkheim sur les croyances collectives dans la vie des sociétés, élaborant
un système totémique : «Les cérémonies festives se détachent du quotidien et permettent
aux participants de renouveler leur adhésion en la société qu’il déifient et symbolisent par
un totem »p54. L’étude des systèmes totémiques, qui comme le note Antoine Hennion, est
le plus grand dénominateur commun des travaux sociologiques, et a engendré chez ceux-
ci la préoccupation principale d’une recherche active, et de tradition marxiste, de
déterminations sociales, « pour expliquer ou rendre à leur illusion- les réalités
subordonnées, apparentes ou superstructurelles comme l’art et les pratiques
culturelles »AH p92.
Selon Damien Tassin, « cette tradition sociologique élabore des causalités issues de la
stratification sociale »p 54, et donna conséquemment lieu à des travaux démontrant une
stratégie de distinction vis-à-vis des goûts musicaux. Anne Marie Green reprenant
Bourdieu, dénote les limites de ces travaux, car « l’analyse de ces conduites musicales ne
peut se limiter aux seuls critères de la distinction »p 55 ; pour Hennion également,
indiquant que cette stratégie de distinction bourdieusienne « fait subir à la musique
populaire un statut négatif et inversé, elle existe en tant que réalité sociologique mais à
travers la musique cultivée car elle cherche a s’en démarquer. »p 55
Cette tendance sociologique (sociologie de la culture) semble en grande partie expliquer la
rareté des études et analyses concernant la production musicale et leur créateurs, plus
portés sur la perception esthétique des consommateurs et des publics, et donc leur pratique
culturelle. Plus rare encore sont les travaux de la sociologie de l’art portant sur la musique
populaire non traditionnelle, à l’instar de ceux consacrés à la « musique savante et
sérieuse ».
Les analyses sociologiques du phénomène rock
Selon Tassin, la complexité du phénomène rock (et de même pour les musiques actuelles)
est porté par sa dimension hétérogène : la population de ses praticiens y est très
diversifiée, la pratique amateur regroupant des individus de tous les âges et de toutes les
classes sociales. La majorité des travaux sociologiques américains et britanniques
abordant le phénomène s’est d’abord inscrite dans la catégorie de la sociologie de la
jeunesse et des comportements d’achat des jeunes. Ces travaux développant les
thématiques du rock comme symbole de la contre culture et analysant sa consommation de
masse peut trouver ses origines dans la thèse d’Adorno révélant que la société capitaliste
« transforme les menaces de désordres en style de vie (et en produits commercialisables)
afin de donner l’illusion d’échapper au système institutionnel. » p 59.
Ces analyses se rejoignent toutes également quant au rôle de la jeunesse dans
l’émergence du phénomène, l’appréhendant donc comme un phénomène de génération.
Mais selon Damien Tassin, considérant que l’analyse du rock doit prendre ses distances
avec l’étude d’un phénomène de masse menant a des analyses globalisantes, il n’est pas
possible de réduire la pratique rock à une sociologie de la jeunesse.
Les travaux issus de la sociologie du loisir, en revanche, inscrit la pratique musicale des
adultes dans leurs analyses. Joffre Dumazedier définit le loisir à travers quatre propriétés
fondamentales caractérisées par des besoins individuels : ses caractères libératoire,
désintéressé, hédoniste et personnel, le loisir le plus complet étant « celui qui offre aux
individus des activités d’expression de soi l’individu est une fin, par opposition aux
activités instrumentales ou l’individu est un moyen. » Selon cet auteur, le loisir est donc
une « révolte contre la culture répressive » et une forme d’affirmation du droit a
« l’épanouissement des tendances les plus profondes de l’être, qui sont réprimées dans
l’exercice des obligations institutionnelles ». Cependant, comme le note Tassin, la
sociologie des loisirs procède trop souvent à une dichotomie issue d’une vision trop
libératrice du loisir et aliénante du travail, le loisir occupe également souvent un rôle
instrumentale, et l’enquête que ce dernier à mené révèle des situations bien plus
complexes.
Les travaux sociologiques plus récents analysants les pratiques musicales nous apportent
plusieurs éléments de réflexions, tel le travail d’enquête de François Dubet, cherchant à
comprendre dans l’expérience de la galère l’éventuelle naissance d’un acteur social.
L’auteur prend en compte la complexité de ce fait social, la positionne en tant
qu’expérience sociale et interroge « les formes d’engagement des musiciens à travers le
rapport qu’ils entretiennent avec cette pratique »p 66. A travers ses observations, Il
remarque un rapport passionnel des jeunes avec la musique, l’incitant à focaliser son
attention tant sur la musique que sur l’expérience sociale qui en est le support, sans pour
autant les dissocier. Il affirme que « les principes de renversement de la « galère » ne sont
pas liés au travail mais plutôt à des « espaces passion » qui peuvent conduire a une
sistance privée »p 66, et met en avant la pratique musicale comme élément moteur de
l’autodétermination du sujet. Poursuivant son raisonnement, la pratique musicale
caractériserait donc également un refus global de classement et d’une position sociale
déterminée. Cependant, il faut prendre en compte que les travaux d’enquête menée par
l’équipe de François Dubet se sont construits spécifiquement autour des jeunes issus des
classes populaires, et il est très probable qu’une étude analysant des jeunes issus de classe
plus aisées fassent ressortir des logiques différentes.
L’enquête de Jean Marie Séca réalisée à partir de groupes d’origines sociale plus large,
s’appuie sur la théorie de l’influence sociale. Selon lui, le groupe de rock constitue une
« situation minoritaire » avide de reconnaissance sociale. Il différencie selon les catégories
socioprofessionnelles les formes de l’engagement, et distingue trois groupes dont les
motivations à pratiquer cette musique sont différentes, mais dans un désir commun de
reconnaissance sociale : « Le premier qui refuse la destinée de leurs aînés vers l’usine ou
le bureau, fortement attirés par un désir de réalisation personnelle, un second qui cherche
à retarder leur entrée dans la vie active, un troisième, intégré au monde du travail et qui
manifeste une certaine insatisfaction très pudique et ritualisée vis-à-vis de leur principale
activité ». Ces classes sociales dominées manifesteraient donc les signes d’une confusion
identitaire et d’une instrumentalisation du travail, en revanche, pour les classes moyennes
et supérieures, n’exprimant pas le besoin d’une reconnaissance sociale, il faut donc
concevoir cet engouement « comme un phénomène culturel de masse et comme conduite
psychosociale fortement chargée de symbole de prestige. », la présence des classes
supérieures et intellectuelles s’expliquant alors comme par « un désir d’expression
artistique longtemps mis en veille et réprimé au profit de la poursuite d’études longues et
d’activités professionnelles sérieuses ». Selon Patrick Mignon, rejoignant d’une certaine
manière cette dernière analyse, constate en observant le développement chez les musiciens
de professions intermédiaires tel qu’instituteur, éducateurs, animateur ou maître auxiliaire,
« disposant de temps » et « aux contours flous », favorisent « le flottement de l’identité
professionnelle et le maintien de la quête d’une autre identité. ».
Les formes de structuration et les logiques à l’œuvre au sein de la pratique musicale
rock (ou musiques actuelles)
Apres avoir constaté la grande diversité des caractéristiques sociologiques des groupes et
des musiciens par une enquête quantitative, remarquant principalement l’élargissement de
l’age des musiciens, le caractère très faiblement sexué de ceux-ci (majoritairement des
hommes), et la segmentation globale de la pratique dans des « micro espaces sociaux »
qui se révèlent dans les enquêtes de terrain locales, Damien Tassin justifie donc la
pertinence de la construction de typologies « centrée sur une observation directe des
groupes ». En effet, la diversité de cette population rend difficile la description précise des
« lignes de forces qui la traversent et la structurent en fonction des variables
sociologiques ». Il propose donc l’étude de cette diversité par l’établissement de
classifications selon des perspectives « longitudinales et synchroniques», saisissant la
structuration et les dynamiques a l’œuvre dans l’espace social de la pratique et
contextualisant les modalités d’existence des groupes selon leur environnements sociaux
et leurs évolutions.
Une première classification différencie les durées d’engagement dans la pratique, qui ne
doit pas se confondre avec un progrès cumulatif centré sur la technicité instrumentale : les
durées des pratiques constituent un cadre évolutif dans lequel se transmettent les
connaissances et les savoirs sociaux du rock. Cette évolution est alors découpée selon trois
périodes : « l’entrée dans la pratique rock » l’on assiste à la mise en place d’une
situation de « premier groupe » ; la « continuation dans la pratique » appréhendant les
musiciens jouant depuis plusieurs années dans des « groupes médians », qui sont parfois la
poursuite du premier groupe ; et « l’engagement durable », ayant au moins une dizaine
d’années de pratique, le collectif est alors nommé « groupe expérimenté ».
Une seconde classification appréhendant deux variables, l’age et le statut des groupes en
fonction de leur expérience, procède également à une répartition en trois catégories
principales : amateurs, intermédiaires et professionnel, et définit cinq profils-types selon
cette répartition : les amateurs-jeunes, les amateurs vétérans, les intermédiaires, les
professionnels intermédiaires et les professionnels majors.
L’auteur s’intéresse tout d’abord aux trois périodes ou catégories de la première
classification, commençant par la présentation du « premier groupe », puis du « groupe
expérimenté » afin d’en faire apparaître les différences, et concluant par celle du « groupe
médian ».
La constitution du « premier groupe » se fait en général pendant l’adolescence, et
témoigne d’une « cooptation de type affinitaire entre les membres d’un même groupe,
généralement inscrite dans une proximité territoriale liée à l’habitat ou à la scolarisation. »
Des affinités et amitiés sont présentes dans les discours des membres, reposant sur le goût
partagé de la musique et le souhait d’une pratique collective, souvent antérieure à la
constitution du groupe.S’il est difficile de statuer sur les appartenances sociales des
membres, qui relèveraient plus généralement de l’environnement socio économique
immédiat, les enquêtes et observations concernant la ségrégation sociale et spatiale de
l’environnement relèvent plus des regroupement de forme hétérogames. Le premier
groupe se situant dans une phase d’apprentissage de l’instrument et de la mise en place
collective, il est socialement peu visible : les lieux de répétitions sont très souvent privés,
le nombre de concert effectués est restreint, et les durées de répétition sont plutôt longues,
amis et proches peuvent y assister. Selon Christian Guinchard, les groupes débutants
produisent « des formes de sociabilité a faible visibilité sociale », et constate par exemple
l’absence de barrière symbolique bien nette entre les musiciens et les autres personnes
présentes lors des répétitions. Ces observations rejoignent celle de Damien Tassin : Le
premier groupe est donc un lieu dans lequel les membres « s’essayent ensemble pour
jouer »p92, il correspond à une période de construction progressive du groupe, ce qui tend
a expliquer le peu de stabilité de ceux-ci dans la longévité.
« Le premier groupe s’élabore en expérimentant « la musique en situation collective » et
le « collectif en situation musicale », cette intrication de la dimension musicale et sociale
conclut surtout dans le début de la pratique à des expériences éphémères, à des échecs, à
des essais et à des confrontations. »p 92 Par opposition, les groupes médians et
expérimentés témoignent d’une plus grande stabilité et d’une plus grande longévité.
Damien Tassin note toutefois que le début de la pratique n’est pas toujours lié a
l’adolescence, quand cette pratique commence à l’age adulte, l’entrée dans celle-ci est
différente : les membres ont généralement pris des cours de pratique musicale, et
possèdent donc une certaine technique instrumentale (ils connaissent un répertoire),
cependant ils n’ont pas d’expérience musicale de groupe antérieure. Ce genre de groupe se
trouve donc proche de la définition du premier groupe, on y constate des ages proches et
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