Diversité linguistique et musiques actuelles
Questionnements théoriques.
Quel terme employer pour l’analyse de ce champ ? Quel terrain d’études ?
L’absence de notion appropriée et utilisable de façon univoque pour designer l’ensemble
des musiques populaires (par opposition aux musiques savantes) qui ont émergé au début
du 20ème Siècle, semble à la fois logique, et problématique lorsqu’on cherche à l’analyser
en tant qu’objet d’études en sciences humaines.
Logique, car dans la pratique quotidienne, les individus, lors d’une discussion par
exemple, ont tendance à ne pas parler d’un ensemble de genres musicaux, mais d’un ou
plusieurs genres en particulier (le jazz, le rock, le rap, la chanson française…) en les
citant individuellement, sachant que ces genres font eux même l’objet de subdivisions en
sous-genres extrêmement nombreux, et continuent à l’heure actuelle à poursuivre ce
procès de subdivision. De fait, ces genres principaux tiendraient dès lors le rôle
d’ « institution », de dénominateurs communs fixant une certaine définition représentative
de tel ou tel genre au sein des différents groupes sociaux. Cependant ces finitions ne
sont pas toujours les mêmes entre groupes sociaux différents, car font souvent appel à des
références musicales très différentes (relative a la diversité de chaque genre). Ainsi, une
personne née dans les années 40 aura une toute autre finition du rock qu’un adolescent
né au début des années 90. La définition personnelle d’une musique peut varier également
en fonction de la connaissance que l’on en possède et de l’intérêt que l’on y porte.
De survient l’origine problématique de l’objet musical : s’il est donc ardu pour
l’ensemble d’une société de se mettre d’accord sur une définition commune d’un genre
musical, il sera d’autant plus difficile de trouver un terme adéquat pour désigner un
ensemble de genres musicaux. Le terme employé se retrouvera donc toujours d’une
certaine façon erroné d’avance, et de la vient le fait que dans chacun des travaux en
sciences humaines ou politiques, le terme employé pour désigner un ensemble de musique
se trouve être issu d’un choix par défaut, faute d’un terme convenable. On remarquera que
c’est également le cas de nombreux sujets ayant trait au domaine culturel.
La manière la plus évidente a été premièrement de procéder par opposition, bien que la
mise en opposition de genres musicaux soit tout à fait discutable, tout du moins sur un
plan esthétique.Sur ce plan, les musiques populaires ne peuvent être considérées en
opposition totale avec les musiques dites « savantes ». Nous pourrions tenter de
caractériser ces musiques, en les mettant en opposition par leur professionnalisation dans
le domaine de l’enseignement : l’enseignement musical en France reste en grande partie
centrée sur l’apprentissage de la musique classique ou contemporaine. Mais ces pratiques
commencent à changer, le jazz (en passe d’être gitimée comme une musique savante ?),
et même les musiques actuelles commençant à être enseigné dans les écoles de musiques
agrées et les conservatoires.
Le terme de musiques actuelles, appellation ministérielle (donc opératoire) regroupant
l’ensemble des musiques dites « urbaines », que le sociologue Damien Tassin qualifie tout
simplement de « Rock » (le blues, le reggae, le rap, le funk, le hard rock, et leurs dérivés),
auxquelles s’ajoutent d’autres genres musicaux tels le jazz, les musiques du monde, les
musiques traditionnelles, la chanson française… Selon cet auteur (qui ne prend pas
comme sujet d’étude ces derniers genres), « le registre des musiques actuelles s’inscrit
dans un clivage plus large (Culture faiblement administrée et populaire versus culture
administrée et savante) qui relègue ces musiques à une reconnaissance discriminante. ».
La Commission Nationale des Musiques Actuelles, dans son rapport de septembre 1998,
avouait l’adoption par défaut de cette appellation, « qui pose plus de problèmes qu’elle
n’en résout.», renvoyant à une vision éphémère de ses expressions et de ses pratiques, et
« tendant à nier les différences entre les genres musicaux qu’elle englobe (…) oblitérant
du même coup des engagements d’individus et groupes sociaux qui s’y sont
investis. »(cnma)
D’autres termes (musiques amplifiées, populaires…) sont également possibles, mais ne
sont pas adaptées, je développerai pourquoi ultérieurement.
S’il est vrai que de ce point de vue le terme puisse sembler péjoratif, et renvoyer à une
certaine forme de discrimination sociale, l’envergure des styles qu’il prend en compte
semble plus convenable à l’objet de notre recherche.Celui-ci ne portant pas sur un type
particulier de sous culture associé à des genres musicaux (les mouvements rock, hip hop,
techno peuvent être appréhendées en tant que telles) mais plutôt sur l’ensemble de ces
sous cultures, l‘emploi de ce terme de façon « générique » semble approprié dans
l’optique d’un questionnement relatif à l’anthropologie de la communication.(à justifier).
Plus précisément, l’objet de cette recherche serait l’étude du champ de production (= de
création) des musiques actuelles en tenant compte de la part verbale (chant avec textes,
discours des groupes…) et non verbale ( présentation de soi, relations proxémiques) afin
de déterminer quels sont les processus identitaires et sociaux qui s’y forment.A ce
questionnement de nature anthropologique s’ajoute un questionnement linguistique (et
culturel) partant du constat de l’omniprésence de la langue anglaise dans la production
artistique des groupes de musiques actuelles. Ce constat s’expliquerait t’il seulement
comme étant une énième manifestation de l’hégémonie culturelle anglo-saxonne au
niveau mondial? Cela ne saurait être la seule explication possible…
Il serait donc intéressant de « creuser » d’avantage le sujet, et de tenter de comprendre
quelles sont les modalités de choix de la langue anglaise au détriment des langues
nationales des groupes de musiques actuelles, ou l’inverse, afin de saisir logiques et les
régularités éventuelles concernant la manière dont ce choix s’opère. On peut par exemple
se demander si ce choix est conscient (et actif) ou inconscient (et passif), s’il tient à la
musicalité de la langue en elle-même (cette appréciation serait évidemment subjective,
relative à la vision d’un groupe sur sa propre langue) ou à sa facilité d’adaptation au style
musical joué, ou encore à la prégnance de la culture nationale au sein de la société étudiée.
Les apports et les ouvertures possibles des théories issues du «Collège Invisible ».
(Dans La nouvelle Communication, Yves Winkin)
La conception orchestrale de la communication introduite par Bateson, Birdwistell et
Goffman nous éclaire sur la façon d’appréhender la communication interactionnelle,
verbale et non verbale. Comparant la communication à un « orchestre sans chef ni
partition » (Winkin), qui n’est pas déterminée par l’intention de l’acteur mais est l’objet
d’une construction de sens entre les différents acteurs (ou participants) qui y participent
volontairement ou non, récuse la conception télégraphique développée par Shannon et
Weaver à la fin des années 1940, qui semble mal adaptée à l’analyse des interactions entre
êtres vivants. Mal adaptée, car concevant la communication comme un processus
nécessairement intentionnel, « un acte verbal, conscient et volontaire » (Winkin), et
ranimant selon eux (les membres du « collège invisible ») « une tradition philosophique
l’homme est conçu comme un esprit encagé dans un corps, émettant des pensées sous
forme de chapelets de mots. »
Dès lors, cette nouvelle conception appelle de nouvelles façons d’analyser les situations
communicationnelles et l’utilisation de nouveaux outils méthodologiques : si le modèle de
Shannon favorise l’analyse de contenu pour extraire la signification d’un message,
Birdwistell et Scheflen proposent une analyse de contexte, qui consiste en la description
du « fonctionnement des différents modes de comportements dans un contexte donné »
afin de « saisir l’émergence de la signification » (Winkin).Les membres du collège vont
alors procéder dans le cadre de leurs recherches à l’analyse de contexte, la couplant pour
certains à l’analyse de contenu.
Cette nouvelle forme d’analyse suppose donc l’emploi d’outils méthodologiques
d’observation et d’interprétation du réel, tel la photographie de scènes interactionnelles
pour Gregory Bateson ou Edward T. Hall, l’étude de cas filmés et enregistrés pour Ray
Birdwistell, ou encore l’observation directe, « sur le terrain », fondée sur une démarche
ethnographique, qui suppose non pas l’observation passive (qui modifierait le contexte)
mais la participation du chercheur à la vie du groupe étudié. Ce furent notamment les
méthodes employées par Gregory Bateson, Stuart J Sigman et Erving Goffman.
Dans le cadre d’une recherche s’intéressant à la formation identitaire de groupes de
musiques actuelles, ces méthodes semblent très appropriées pour la conception d’un
corpus « empirique » à analyser.
Nous pouvons également noter plusieurs notions et réflexions qui s’avèrent très
pertinentes pour dans notre champ d’études, tel Edward T hall, qui dans ses travaux sur la
proxémique, en prenant comme objet l’interprétation de l’art (ici la peinture), remarque
que « l’artiste est à la fois un observateur et un communicateur. Sa réussite dépend en
partie de sa capacité à analyser et organiser les données perceptuelles en des formes
significatives pour son public. La façon dont les impressions sensorielles sont utilisées par
l’artiste fournit des données tant sur l’artiste que sur son public. »
La notion d’engagement développée par Erving Goffman semble aussi pouvoir s’adapter à
notre sujet de recherche, notamment dans la contribution de la construction identitaire des
individus au sein d’un groupe. (À développer)
De même, l’importance accordée par Gregory Bateson et Don Jackson (entres autres) à la
metacommunication (le fait de communiquer sur sa communication), parait utile et à
prendre en compte dans une éventuelle analyse des interactions au sein d’un groupe de
musique, les membres ayant souvent à commenter, à adopter une attitude réflexive sur
leur musique afin de l‘améliorer (est ce vraiment metacommuniquer ? Oui si l’on
considère la musique comme communication non verbale…)
Les apports des Cultural Studies
(Dans Introduction aux Cultural Studies, Armand Mattelart et Erik Neveu)
Les cultural Studies, courant de recherche britannique engagé voyant le jour à la fin des
années 1950, ont entrepris de façon précoce des recherches pertinentes et novatrices
traitant des rapports entre culture et société.Très attentifs, tels R.Williams, E.P.Thompson,
R.Hoggart et S.Hall, aux rapports entre les classes ouvrières, les cultures populaires et la
société, notamment leur réception des médias, ils théoriseront au cours des années 1960-
70 les capacités de résistance aux message des médias, selon Hoggart « la simple force
d’inertie que représente un style populaire de ‘consommation nonchalante’ qu’il
symbolise par la formule ‘cause toujours’ ». Puis les problématiques aborderont des sujets
de plus en plus variés en rapport avec la culture et son étude dans le quotidien des groupes
sociaux, menant à parler d’un mouvement en « tâche d’huile du culturel »(Mattelart et
Neveu) : analyses des rapports des jeunes de milieu populaire à l’institution scolaire, des
pratiques culturelles tels la publicité ou les musiques rock (Simon Frith). Elles viendront
finalement se concentrer plus précisément sur l’étude des médias audiovisuels. Ce
mouvement connaîtra par la suite deux extensions importantes, la première étant issue
d’un questionnement sur le genre, la variable masculin/féminin (dans les rapports aux bien
culturels par exemple), la seconde étant « l’autre altérité que symbolisent les
communautés immigrantes et la question du racisme» (Mattelart et Neveu)». Ces
recherchent mèneront également d’autres auteurs comme Thompson à analyser l’histoire
sociale et les pratiques contestataires depuis le 18ème Siècle.
Selon Passeron, les Cultural Studies relèvent d’une analyse « idéologique » ou externe de
la culture : « les activités culturelles des classes populaires sont analysées pour interroger
les foncions quelles assument par rapport à la domination sociale.»
On peut remarquer que les questionnements initiaux émis par ce courant de recherche font
également sens dans notre champ d’études : « Comment les classes populaires se dotent
elles de systèmes de valeurs et de sens ? Quelle est l’autonomie de ces systèmes ? Leur
contribution à la constitution d’une identité collective ? Comment s’articulent dans les
identités collectives des groupes dominés les dimensions de la résistance et d’une
acceptation, résignée ou meurtrie de la subordination ? »
On peut donc constater que l’objet culture est ici pensée dans une problématique du
pouvoir, qui amène à un ensemble d’interrogations, selon Mattelart et Neveu, quatre y
prennent une place structurante :
- La notion d’idéologie (influences Marxiennes)
- la thématique de l’hégémonie (Formulée par le théoricien marxiste italien Antonio
Gramsci). « L’hégémonie est fondamentalement une construction du pouvoir par
l’acquiescement des dominés aux valeurs de l’ordre social, la production d’une ‘volonté
générale’ consensuelle »
- La question de la résistance, et sous-jacente, celle des armes des faibles.
- La problématique de l’identité (se profilant « en filigrane »), qui amène à ajouter lors des
travaux de recherches des variables comme la génération, le genre, l’ethnicité la sexualité,
et à des questionnement sur le mode de constitution des collectifs et de structuration des
identités.
Ces interrogations se posent également dans l’optique d’une analyse à la fois
microscopique et macroscopique du champ des musiques actuelles et de son rapport avec
la diversité linguistique.(à développer)
Comme de courant de l’école de Palo Alto, les méthodes de recherches sont le plus
souvent empruntées à l’ethnologie, l’observation terrain étant dans beaucoup de cas la
méthode la plus précise pour mener à bien des travaux d’analyse de la réception.
La suite de mes recherches dans les Cultural Studies se portera plus particulièrement sur
les travaux de Simon Frith, chercheur dit de la 2ème génération des Cultural Studies, dont
la totalité des recherches est vouée à l’étude de la sociologie de la musique.
Croyances collectives et formation identitaire dans la pratique des groupes de
musiques actuelles (le cas des groupes de « rock »)
L’ouvrage de Damien Tassin consacré aux pratiques musicales rock rend compte de la
complexité des dynamiques régissant les rapports au sein des groupes de musique, et de
ces derniers vis-à-vis de leur environnement extérieur.
L’auteur, analysant tout d’abord les sources d’inspiration en sciences sociales s’intéressant
aux pratiques musicales dans leur contexte sociologique évoque le modèle théorique
d’Emile Durkheim sur les croyances collectives dans la vie des sociétés, élaborant
un système totémique : «Les cérémonies festives se détachent du quotidien et permettent
aux participants de renouveler leur adhésion en la société qu’il déifient et symbolisent par
un totem »p54. L’étude des systèmes totémiques, qui comme le note Antoine Hennion, est
le plus grand dénominateur commun des travaux sociologiques, et a engendré chez ceux-
ci la préoccupation principale d’une recherche active, et de tradition marxiste, de
déterminations sociales, « pour expliquer ou rendre à leur illusion- les réalités
subordonnées, apparentes ou superstructurelles comme l’art et les pratiques
culturelles »AH p92.
Selon Damien Tassin, « cette tradition sociologique élabore des causalités issues de la
stratification sociale »p 54, et donna conséquemment lieu à des travaux démontrant une
stratégie de distinction vis-à-vis des goûts musicaux. Anne Marie Green reprenant
Bourdieu, dénote les limites de ces travaux, car « l’analyse de ces conduites musicales ne
peut se limiter aux seuls critères de la distinction »p 55 ; pour Hennion également,
indiquant que cette stratégie de distinction bourdieusienne « fait subir à la musique
populaire un statut négatif et inversé, elle existe en tant que réalité sociologique mais à
travers la musique cultivée car elle cherche a s’en démarquer. »p 55
Cette tendance sociologique (sociologie de la culture) semble en grande partie expliquer la
rareté des études et analyses concernant la production musicale et leur créateurs, plus
portés sur la perception esthétique des consommateurs et des publics, et donc leur pratique
culturelle. Plus rare encore sont les travaux de la sociologie de l’art portant sur la musique
populaire non traditionnelle, à l’instar de ceux consacrés à la « musique savante et
sérieuse ».
Les analyses sociologiques du phénomène rock
Selon Tassin, la complexité du phénomène rock (et de même pour les musiques actuelles)
est porté par sa dimension hétérogène : la population de ses praticiens y est très
diversifiée, la pratique amateur regroupant des individus de tous les âges et de toutes les
classes sociales. La majorité des travaux sociologiques américains et britanniques
abordant le phénomène s’est d’abord inscrite dans la catégorie de la sociologie de la
jeunesse et des comportements d’achat des jeunes. Ces travaux développant les
thématiques du rock comme symbole de la contre culture et analysant sa consommation de
masse peut trouver ses origines dans la thèse d’Adorno révélant que la société capitaliste
« transforme les menaces de désordres en style de vie (et en produits commercialisables)
afin de donner l’illusion d’échapper au système institutionnel. » p 59.
Ces analyses se rejoignent toutes également quant au rôle de la jeunesse dans
l’émergence du phénomène, l’appréhendant donc comme un phénomène de génération.
Mais selon Damien Tassin, considérant que l’analyse du rock doit prendre ses distances
avec l’étude d’un phénomène de masse menant a des analyses globalisantes, il n’est pas
possible de réduire la pratique rock à une sociologie de la jeunesse.
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