les ordonnances de De Gaulle et de Pompidou en 1966 et 1967, ordonnances qui concernaient la
Sécurité sociale. A ce moment-là, on a mis le patronat en situation de gérer les caisses avec 50%
des voix et des représentants, cela lui a été facile alors de s’allier avec tel ou tel syndicat contre
un autre, il a du coup presque toujours la majorité. En même temps ont été supprimées les
élections à la Sécurité sociale. Parce que dans le temps, on l’a oublié maintenant, mais il y avait
des élections. Les ayant droits, les assurés votaient et désignaient leurs représentants à leurs
caisses puisqu’il gérait leur argent, leur salaire indirect dont on parlait tout à l’heure. Ils les
désignaient, et donc les contrôlaient quelque part. Eh bien cela a été supprimé. On n'a revoté
qu’une fois en France en 1983. La gauche était revenue en 1981 et a permis une élection. Il y a
d’ailleurs eu beaucoup de votants et cela a renouvelé les gestionnaires des caisses. Ces élections
devaient continuer à avoir lieu, elles étaient prévues en 1989. A l’époque, c’est Michel Rocard qui
a reporté le vote d’une année sur l’autre pendant trois ans. Puis Balladur est arrivé en 1993 et a
repoussé le vote également. Enfin Juppé l’a supprimé en 1995. Le résultat est qu’il n’y a plus de
gestion démocratique des caisses. Par exemple, au lieu de dire "refondons", on pourrait dire
"refaisons des élections meilleures, plus fréquentes, où les organisations syndicales pourraient
présenter des candidats, où les patrons ont leur place et juste leur place". Il y aurait, de cette
façon-là, un contrôle des représentants des salariés, de l’argent des salariés. Moi, j’appellerais
cela un progrès social. Pour cela, il n’y a peut-être pas besoin de dire « refondons ». Ou alors, il
faut lui enlever ce que la droite et le patronat ont voulu faire. Il faut les prendre à contre-pied.
Pascale Fourier : Qu’est-ce qui est mis en cause dans la Sécurité Sociale ? Est-ce que c’est le
dernier dossier ?
Gérard Filoche : Oui. C’est l’un des derniers puisque le patronat et le Medef ont quitté la gestion
des caisses de Sécurité Sociale. Ils prétendent qu’ils n’ont pas de vraie responsabilité, que les
gérants des caisses ne géraient finalement pas, que c’était le Parlement qui le faisait. Je dois
vous dire qu’il y a un élément de vrai parce que cet élément est partagé par les directions
syndicales, confédérales qui cogèrent les caisses en étant nommés et non plus élus. Alors, quel
serait peut-être le bon système si on voulait penser progrès social ? Il faudrait qu’il y ait
vraiment des élus à la direction de toutes les caisses, un assuré, une voix, un ayant droit, une
voix, représentation proportionnelle, et que ces élus aient la responsabilité de faire des
propositions de gestion, des choix qui soient soumis à leurs électeurs. Il y a une campagne
normale, puis un vote, puis une gestion, et ensuite qu’il y ait une navette entre les représentants
des caisses et le Parlement. C’est vrai que la loi de financement des fonds de la Sécurité sociale
telle qu’elle passe aujourd’hui au Parlement ne donne pas lieu à beaucoup de débats démocratique.
Elle est presque expédiée. On va gérer d’un seul coup 2 000 milliards, presque plus que le budget
de la Nation, de façon expéditive, sur la base de rapports de technocrates et sans que les ayant
droits et leurs représentants n’aient leur mot à dire. On pourrait organiser, comme il en existe
déjà entre le Sénat et l’Assemblée, une navette entre les gestionnaires des caisses et le
Parlement. La navette se ferait en deux temps avec le dernier mot au Parlement parce que c’est
l’expression du suffrage universel. Il y aurait alors une vraie responsabilité des gestionnaires des
caisses, il y aurait un vrai contrôle démocratique des fonds de la Sécurité et de la protection
sociale générale, y compris des caisses de retraites. Les 2 200 milliards qui sont le salaire
indirect des salariés seraient sous contrôle et gérés par eux. On répondrait ainsi à l’argument qui
dénonce un mauvais fonctionnement du paritarisme actuel, ou à celui sur l’aspect superficiel de la
gestion des caisses, ou encore à celui sur la prise en main totale du Parlement. Je ne crois pas,
par ailleurs, qu’il faille que le Parlement prenne tout en main. Notre vision des choses en France
était bonne en disant que la protection sociale devait être gérée séparément. L’idée était qu’à la
différence de l’impôt collecté qui n’est pas pré-affecté, les cotisations sociales sont, elles, pré-
affectées au social. Et pourquoi a-t-on séparé les deux caisses au sortir de la guerre ? Pour qu’un