
 
Le principe de cette classification (évidemment un peu arbitraire)  est :  d’un  côté une 
question sur la raison de l’existence d’une entité, de l’autre une question sur sa configuration. 
Mais  j’aurais  pu  aussi  bien  ranger  (a) avec (b1), parce que dans les  deux cas P répond à 
« pourquoi une entité générale S a-t-elle X ? », alors que dans (b2) la question est « pourquoi 
X est-il comme il est ? ».  
Bien qu’assez peu examinée dans la littérature, la stratégie (b2) a une place importante 
dans la pratique scientifique car elle donne lieu à la démarche selon laquelle la connaissance 
de  la  fonction  permet  d’élucider  la  structure  auparavant méconnue de  l’entité  en  question. 
« La fonction de X est Z » permet, si l’on ne connaît pas X, d’inférer que X doit avoir telles et 
telles  capacités  et dispositions,  et finalement,  vu le  contexte où  X  doit se  trouver, d’inférer 
une gamme assez restreinte de structures possibles pour X. Ainsi, la découverte  de  l’ADN 
exemplifie cette stratégie
 : connaissant la fonction de cette structure, qui était de transmettre 
héréditairement l’information, les chercheurs en ont déduit qu’elle devait être susceptible de 
se dupliquer, ce qui les a conduit à chercher une configuration chimique spécifique propre à la 
duplication. Le candidat était alors nécessairement une macromolécule avec une structure en 
double  hélice,  et  des  considérations  sur  le  type  de  système  où  cette  macromolécule  était 
placée ont permis d’inférer que la molécule était l’acide désoxyribonucléique. 
  Les stratégies (a) et (b) se distinguent plus généralement par la classe de contraste 
propre à chacune des questions. En (a), la question à laquelle répond (P) est : « Pourquoi X 
est-il là plutôt que pas là ? » ; en (b), la question est : « pourquoi X est-il fait comme ça plutôt 
qu’autrement ? » (et en (b1), on doit entendre « autrement intégré dans son système », tandis 
qu’en (b2) il faut entendre « autrement constitué en lui-même »)
 . 
  Cette distinction entre les deux stratégies implique une différence dans le cadre de 
référence de l’explication, à savoir la classe d’états de fait qui ne sont pas à expliquer, c’est-à-
dire  qui  sont  présupposés comme  donnés  et  fixes.  Posons  l’ensemble des  Xi qui pourraient 
être  à  la  place  de  X  dans  S,  constitué  d’un  certain  nombre  de  parties  Yi  dans  un 
environnement  décrit  par  des  variables  Ci.  La  classe  de  contraste  est  une  sous-classe  de 
l’ensemble des Xi, le cadre de référence est un sous-ensemble de la réunion des Ci et des Yi. 
Dans la stratégie (a), ce cadre de référence est l’ensemble d’entités réelles ou possibles 
par  rapport  auquel  le  fait  de  faire  Z  grâce  à  X  apporte  une  différence  (par exemple,  des 
individus dans une population). En effet, les systèmes qui ont X contrastent avec l’ensemble 
de systèmes qui leur sont semblables sauf  qu’ils  n’ont  pas  cet  X  qui  fait  Z,  et  c’est  alors 
l’occurrence de X qu’il faut expliquer.  
  Dans la stratégie (b1), le cadre de référence est les autres éléments du système. La 
question  contraste  la  situation  dans  laquelle  est  réellement  X  avec  des  situations 
contrefactuelles où X serait dans  d’autres relations avec les  mêmes ou d'autres éléments  du 
système :  par  là  ce  qui  est  présupposé  fixe  et  n’est  pas  à  expliquer,  c’est  bien  cette 
composition du système. Il faut noter qu’on pourrait poser cette même question relativement à 
chacun des éléments supposés fixés (par exemple : pourquoi les nerfs optiques sont-ils comme 
ils  sont ?).  Dans la stratégie  (b2),  dans  la  mesure  où  l’entité  peut  être  considérée  comme 
appartenant à un système, comme dans le cas des yeux, le cadre de référence est, de même, 
une  sous-classe  du  cadre  de  référence  de  (b1),  soit  une  partie  du  système  lui-même.  (p) 
explique  la  structure  interne  des  yeux  dans  la  mesure  où  on  présuppose  un  système  qui 
connecte  les  yeux,  pour  dire  vite,  à  des  inputs  lumineux  et  à  des  sorties  en  termes 
d’excitations neuronales.  
  Cette  typologie  des  stratégies  implique  une  conséquence  assez  générale  sur  leur 
signification relative. Si on considère leurs classes de contraste et leur cadre de référence, en 
gros la stratégie (a) connecte l’attribution fonctionnelle à une histoire (l’émergence de l’état 
 
 Enç 1979 
 Sur la classe de contraste, cf. Dretske (1971), « Contrastive empiricism », in Sober (1994)