Dissertation L`innovation et l`économie de la connaissance

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Conférence d’Economie M. Bittner
Croissance et progrès technique
Dissertation n°6 18 mars 2009
Cécile Rispal
L’innovation et l’économie de la connaissance favorisent-elles la croissance ?
Innovation ? Recherche ? Développement ? Il importe tout d’abord de définir le terme
même d’innovation, constituant avant tout un concept large. S’il peut recouvrir les champs du
changement technique, organisationnel, ou même commercial, on peut également y inclure les
nouveaux systèmes technologiques. Qu’en est-il alors de l’assimilation entre innovation et
recherche ? Selon une conception traditionnelle de l’innovation c’est l’invention qui engendre
l’innovation, qui se diffuse ensuite au rythme de ce que l’on pourrait appeler un « cercle
vertueux » et aboutit à de nouveaux produits et processus technologiques engendrant à leur
tour de nouvelles recherches et découvertes. L’activité de RD (recherche et développement)
étant considérée comme le tout premier déterminant du développement économique et de la
croissance, une appréhension linéaire de la politique industrielle a mené à l’amalgame entre
recherche et innovation. Le rapport Boyer/Didier
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dissipe toute hésitation par un vif (et
réducteur ?) « La recherche est l’affaire des scientifiques et l’innovation celle des
entrepreneurs. » Les entreprises investissement dans la RD dans le même but que
lorsqu’elles acquièrent des machines : pour augmenter leur profit, et par -même leur
croissance. Le niveau d’investissement dans la RD dépend alors essentiellement de la
fécondité de la recherche et de la protection intellectuelle qui lui est accordée, du degré
d’appropriabilité des résultats.
Dans quelle mesure l’investissement dans l’innovation et dans l’économie de la
connaissance est-il alors un levier de croissance et plus avant postule-t-il un nouveau régime
de croissance, inhérent à la globalisation ?
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Robert Boyer et Michel Didier, Innovation et croissance, Rapport de 1998, Conseil
d’analyse économique
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Si l’innovation et l’économie de la connaissance représentent indéniablement des moteurs
clés du progrès technique et de la croissance sur le long terme (I), il n’en reste pas moins que
la mondialisation et l’avènement par conséquent d’une économie mondiale de la connaissance
appellent un nouveau régime de croissance économique (II).
I. L’innovation et l’économie de la connaissance : moteurs principaux du progrès
technique et du taux de croissance à long terme
La question qui se pose est avant tout celle de déterminer si le taux de croissance est
positivement corrélé ou non au progrès technique in fine, à l’éducation et surtout de quelle
manière.
Le modèle néoclassique présenté par Solow en 1956 postule une vision exogène de la
croissance seul le critère du capital humain est pertinent. Il s’appuie sur la fonction de
production comportant les deux facteurs du capital et du travail, en résultent les hypothèses de
la constance des rendements d’échelle et de la décroissance de la productivité marginale des
facteurs ainsi que celles de convergence conditionnelle du PIB par tête et de convergence des
économies mondiales. Robert Solow construit l’estimation du progrès technique suivant le
principe que chaque facteur est rémunéré à sa productivité marginale. Les effets du progrès
technique sont mesurés par le résidu
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c'est-à-dire ce qui reste de la croissance et que l’on ne
peut attribuer ni à l’augmentation de la quantité de travail ni à celle du stock de capital.
La seule source de croissance est le capital physique par tête. La croissance dépend alors
uniquement du taux de croissance de la population et du progrès technique externe mais les
agents n’ont pas d’influence sur le long terme par leur comportement économique. Le
progrès technique est donc facteur de croissance, mais il y est exogène et inexpliqué, l’impact
de l’éducation sur le taux de croissance est celui de l’efficacité de la force de travail, à savoir
que le taux de croissance du PIB par tête sur le court terme est proportionnel au niveau
d’éducation. La croissance économique de long terme se heurte à une impossibilité
conceptuelle en l’absence de progrès technique et de croissance de la population en raison de
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Il s’agit du Résidu de Solow que l’on appelle aussi taux de croissance de la productivité totale des facteurs.
Pour le calculer il faut connaître les données suivantes : les taux de croissance et de production du travail et du
capital et les parts du travail et du capital dans le revenu.
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la théorie de la productivité marginale décroissante du capital. En suivant le raisonnement
exposé précédemment pour maintenir le niveau de croissance, il faudrait augmenter à l’infini
le niveau d’éducation.
Ce modèle est pourtant confronté à la réalité dès la présentation des données de Madison en
1982 qui lui, conclue d’ores et déjà à des taux de croissance positifs par tête pendant plus d’un
siècle.
Les nouveaux modèles de la croissance « endogène » partent à priori d’une critique du
modèle de Solow. Ces théories font prévaloir le rôle économique des agents qui sont motivés
par l’appât du gain, investissent dans les nouvelles technologies et l’économie de la
connaissance et c’est précisément cela qui détermine le taux de croissance. Elles admettent
également la présence potentielle d’ «externalités positives » et de rendements d’échelles
croissants, la productivité marginale du capital ne décroissant pas quand le stock de capital
augmente. Avec Romer et Lucas sont pris en compte à la fois l’accumulation du capital
physique et du capital humain. Romer met en avant dans les années 1990 que les premiers
déterminants de la croissance sont l’accumulation des connaissances et la RD. Les
connaissances se caractérisent selon lui par la « non rivalité » et « l’exclusivité » ce qui
facilite leur diffusion et promeut l’investissement des pouvoirs privés ou publics. Lorsque le
capital humain est associé au capital physique comme c’est le cas avec Robert Lucas, on
résout le problème de la fatalité des rendements d’échelle décroissants. L’apport majeur de
Lucas est qu’il montre l’existence des deux sources d’accumulation du capital humain : à
savoir l’éducation et l’apprentissage par la pratique.
Ces nouvelles théories de la croissance reposent sur l’idée que l’innovation est le moteur de
la croissance de la productivité, produite majoritairement par les entreprises. Schumpeter, en
faisant prévaloir dans ses travaux
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le postulat d’une violence dans le processus d’innovation,
profitant à l’économie toute entière mais résultant d’une violente mutation économique. Le
processus de « destruction créatrice » rend bien compte du fait que toute innovation nouvelle
projette la mort d’une ancienne et accentuent les inégalités d’adaptation au progrès technique.
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Joseph Schumpeter, in Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Paris, Payot, 1970théorie de la croissance
mettant les innovations et les entrepreneurs au centre du système.
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Un pays ne peut innover qu’en fonction de son capital humain, selon Nelson et Phelps
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, le
progrès technique reflétant les « rendements de l’éducation ».
Si « l’éducation et la recherche sont facteurs de croissance dans tous les pays quel que
soit leur niveau de développement technologique »
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, il apparaît évident que la mondialisation
et les nouvelles configurations géostratégiques et géopolitiques impliquent la recherche d’un
nouvel équilibre de croissance sous forme d’un effort sans précédent en matière d’éducation,
de RD, et d’innovation.
II. La mondialisation et l’avènement d’une économie mondiale de la connaissance
appellent un nouveau régime de croissance économique
Le lien concret entre éducation et croissance se matérialise donc aussi par le progrès
technologique. Les économistes Benhaib et Spiegel
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ont produit en 1994 l’une des plus
vigoureuses critiques du modèle néo-classique -fondé principalement sur l’accumulation du
capital- promouvant une vision technologique, en suivant l’idée de Nelson et Phelps. L’effet
du capital humain est significatif, pas seulement son taux de croissance, l’effet de l’éducation
est alors sensible en fonction du rythme d’adaptation au progrès technologique et donc
impacte la croissance de long terme. Il n’en faut pas pour autant nier complètement
l’accumulation du capital humain.
L’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication
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va de
pair avec un nouveau régime de croissance depuis les années 1980. La diffusion des NTIC
repose à la fois sur une réorganisation et sur les progrès techniques et scientifiques. Le
ralentissement de la croissance des PDEM depuis 1980 reflète bien l’impératif pour les
économies non seulement d’intégrer les NTIC pour atteindre un sentier de croissance mais
aussi d’opérer des mutations longues et coûteuses. C’est en partie ce qui explique le fameux
paradoxe de Solow
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« On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques » ou paradoxe
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Nelson, R. and E. Phelps. 1966. “Investment in Humans, Technological Diffusion and Economic Growth”,
American Economic Review, 61, 69-75.
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Philippe Aghion et Elie Cohen in Education et croissance, Rapport publié à la documentation française 2004
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Benhaib J., Spiegel M.M. (1994), « The role of human capital in Economic Development : Evidence from
aggregate Gross Country Data », Journal of Monetary Economics 34
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Nous emploierons désormais l’acronyme NTIC.
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Enoncé en 1987 par Solow
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de la productivité. Daniel Cohen et Michèle Debonneuil
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évacuent totalement cette
contradiction en montrant que depuis les années 1990, le taux de croissance et les gains de
productivité étaient corrélés positivement au développement des NTIC. Aux Etats-Unis, ils le
sont pour moitié à part égale avec la hausse « résiduelle » de la productivité globale des
facteurs.
Dans le développement des NTIC, le rôle du gouvernement américain est fondamental dans
la mesure il rend « l’environnement favorable à la propagation de la troisième révolution
industrielle »
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L’investissement dans la RD initiée par le ministère de la Défense, suivi par
les entreprises, la déréglementation qui a mis fin aux monopoles, la révolution financière et la
politique de « policy mix » (fondée sur une action à la fois budgétaire et monétaire) a autorisé
une croissance durablement élevée. Le rôle d’encadrement et d’impulsion de l’Etat apparaît
comme un déterminant concomitant de l’investissement dans l’économie de la connaissance,
de l’innovation et du progrès technique et par conséquent de la croissance sur le long terme.
L’Etat et les institutions peuvent et doivent donc agir en termes d’investissement public, et
de propriété intellectuelle, même si la législation en cette matière pose une question difficile :
choisir entre trop peu de protection avec le risque de freiner l’incitation à l’investissement
dans la recherche, ou trop de protection avec le risque du défaut d’accessibilité des anciennes
découvertes ce qui peut bloquer le processus de création. Ceci étant posé, il convient de
rappeler que ce sont les entreprises qui innovent et non l’Etat (celui-ci ne doit pas intervenir à
proprement parler) mais il peut proposer des instruments juridiques et financiers attractifs
comme des crédits d’impôt par exemple.
Si l’on se place au niveau de l’Union Européenne, la stratégie de Lisbonne établie par la
Commission européenne en mars 2000 affiche l’objectif de l’Union Européenne de « devenir
l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable
d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et
qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». L’objectif était qu’à l’horizon
2010, les Etats membres consacrent 3% de leur PIB à la recherche et au développement de
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« La Nouvelle économie », 2000, La Documentation française
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Olivier Blanchard et Daniel Cohen in Macroéconomie, Pearson Education, 2007
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