
plômés peuvent valoriser leurs compétences, ce qui, en retour, accroît l'incitation des familles et des 
Etats à investir dans l'éducation. 
La transmission rapide et bon marché de l'information d'un pays à l'autre permet de délocaliser dans 
les pays en développement des tâches d'audit, de recherche, d'analyse médicale ou d'écriture de 
programmes informatiques. Cette délocalisation se justifie par le coût du travail: un programmeur in-
dien gagne 12 000 dollars par an, quand son collègue américain en gagne 80 000. Même si la compa-
raison est délicate, le programmeur indien a sans doute un niveau de vie aussi élevé que son homo-
logue américain, car il peut se faire construire une maison, louer un taxi ou se faire faire des vête-
ments pour une somme très modique, compte tenu des salaires sur le marché de son pays. 
La stratégie éducative consistant à privilégier la formation d'une élite restreinte devient donc payante 
elle aussi. Mais les conséquences pour l'économie et la société dans son ensemble sont très diffé-
rentes. Alors que l'instruction de masse débouche sur une croissance égalitaire et relativement auto-
centrée, la priorité aux élites accroît les inégalités et entraîne un développement à plusieurs vitesses. 
Ajoutons que l'éducation de masse, notamment celle des femmes, a des effets bénéfiques essentiels 
sur la maîtrise de la fécondité; elle favorise l'éducation des générations suivantes. 
3 La France doit-elle changer de stratégie éducative? 
L'acclimatation au progrès technique suppose un niveau de formation d'autant plus élevé qu'il s'agit 
de techniques sophistiquées. A mesure qu'un pays se développe, il utilise des techniques nécessitant 
davantage de travail d'ingénieurs et de chercheurs. La croissance des pays les plus développés, 
quant à elle, repose sur la capacité d'innovation. La politique éducative devrait donc mettre l'accent 
sur l'enseignement primaire et secondaire dans les premiers stades du développement, puis s'orienter 
progressivement vers l'enseignement supérieur. 
En ce qui concerne la France, un rapport du Conseil d'analyse économique estime qu'elle a terminé 
son rattrapage vers la fin des années 70 et qu'elle est désormais proche de la frontière technologique. 
Elle croît depuis par innovation plus que par imitation, ce qui requiert une hausse sensible de l'inves-
tissement dans l'enseignement supérieur et la recherche. Cette affirmation est parfois contestée: dans 
un article étonnant publié dans Libération, les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat écri-
vent: "L'économie n'a-t-elle pas de plus en plus besoin d'emplois qualifiés ? Rien n'est moins sûr. 
Dans quelques décennies, plus de 40 % de la population active sera au moins bachelière, alors 
qu'aucune donnée fiable ne permet d'escompter que les besoins en qualifications seront massivement 
plus élevés: depuis l'éclatement de la "bulle Internet", le mythe d'une explosion des emplois très quali-
fiés est sérieusement ébranlé, et on constate par ailleurs que, depuis une dizaine d'années, les em-
plois dits non qualifiés ont recommencé à croître dans notre pays." 
Il s'agit là d'un contresens: les allégements massifs de cotisations sociales sur les bas salaires (qui 
représentent deux fois plus d'argent que la totalité du budget de l'enseignement supérieur !) ont favo-
risé depuis dix ans les emplois peu qualifiés au détriment des emplois qualifiés. S'il est impossible 
d'estimer précisément les besoins en qualifications à l'horizon de plusieurs décennies, les travaux du 
défunt Commissariat général du Plan laissent prévoir une pénurie de main-d'œuvre qualifiée d'ici à 
2010. Dominique Goux et Eric Maurin, de leur côté, estiment que "les nouvelles générations de tech-
nologies semblent désormais déformer la demande de travail en faveur des emplois très qualifiés". 
L'idée que le système de formation devrait produire des qualifications en réponse à des besoins clai-
rement identifiés du système productif est d'ailleurs trompeuse. Un pays a l'économie de ses facteurs 
de production. Dans une économie de marché, la présence d'un réservoir de main-d'œuvre qualifiée 
attire les entreprises ayant besoin de compétences. 
A l'évidence, l'investissement de la France dans ce domaine n'a pas été suffisant pour rattraper les 
autres pays développés. Certes, le nombre d'étudiants a augmenté dans des proportions remar-
quables depuis le début des années 60, de sorte que la proportion de diplômés de l'enseignement 
supérieur parmi les 25-34 ans se situe dans la moyenne des pays développés. Mais ça ne suffit pas à 
compenser le faible niveau de formation des plus âgés; si bien que la proportion de diplômés de l'en-
seignement supérieur est moins élevée en France qu'au Japon, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou 
dans les pays scandinaves, mais aussi en Corée du Sud ou en Russie. La France est en 23e position 
parmi les 30 pays de l'OCDE (le club des pays riches) pour le nombre moyen d'années d'études de la 
population adulte. 
Ajoutons que la dépense par étudiant est nettement inférieure dans l'Hexagone à celle du Royaume-
Uni et qu'elle dépasse à peine le tiers de celle des Etats-Unis: l'enseignement supérieur n'est donc 
pas une priorité budgétaire. Au contraire, c'est à ce niveau du système éducatif que les dépenses par 
élève sont les plus faibles, particulièrement à l'université. Il serait certainement utile pour la croissance 
de les augmenter. Cependant, les performances ne dépendent pas seulement des moyens financiers.