En somme, dans cette industrie hyper-concurrentielle, la glocalisation est devenue la règle:
stratégie globale, mais guérilla locale. «Coke est un client très changeant dans son équilibre global-
local. Depuis quelques années, on a senti un grand vent de centralisation et une pression plus forte
pour nous obliger à adapter simplement des pubs conçues pour le monde entier, continue M.
Fauré. Mais, malgré ça, on demeure capable de faire passer des concepts différents, distincts. La
campagne de cet été fait partie de ces exceptions: on a démontré qu’elle avait de meilleurs
résultats que la campagne canadienne ou nord-américaine. Et nous ne sommes pas les seuls. Je
sais que certains pays ont tenté l’approche locale: l’Italie et la France ont par exemple décidé de
plaider des contextes distincts et elles ont pu créer des campagnes locales de publicité.»
De fait, le cas français est étonnant. Depuis des années, l’agence Publicis se contentait de
concevoir, pour le compte de Coke, de vagues adaptations, des annonces sans saveur, à
l’exception de quelques pubs concoctées pour des événements très spéciaux (comme le Mondial de
Foot en 1998). La raison? En France, Coke détient une énorme longueur d’avance sur ses
compétiteurs: rien à voir avec la situation vécue ici. D’où le comportement de leader adopté par
l’entreprise: peu d’investissement en création, beaucoup de promotion et une guerre de
distribution destinée à verrouiller le marché. Mais, en 1999, les ratés se sont succédés: la crise des
cannettes empoisonnées en Belgique, très mal gérée par une direction américaine inconsciente de
la réalité européenne, puis un mariage raté avec la marque favorite des Français, Orangina. La cote
d’amour de Coke s’est effritée, et les ventes avec elle. Au printemps 2001, la compagnie a fait ce
qu’elle n’avait pas fait depuis très longtemps: elle a investi dans une campagne massive, créée en
France et très proche des jeunes du pays, avec des pubs d’une facture très real TV, où
n’apparaissait aucun comédien professionnel.
La campagne a été saluée par les médias spécialisés comme un «bain de Jouvence pour la
marque», loin «des images internationales stéréotypées», pour paraphraser CB News, le magazine
français de la pub, en février 2001. Sébastien Fauré ajoute: «Les stratégies de marque, les
grandes orientations, sont toujours internationales, mais les «opportunités», elles, sont la plupart
du temps d’origine locale. Souvent, la lumière rouge, la sonnette d’alarme, vient du local.» Mais les
positions acquises par l’agence locale demeurent fragiles. «La stratégie de marque, pour des
multinationales comme McDo, Coke ou Nike, est absolument indiscutable. C’est souvent ce qui fait
déborder le vase: le siège social réalise que dans un pays, ses valeurs ne sont pas respectées dans
une pub. En général, la réaction est immédiate, et augure un retour de balancier globalisant!
Après, ces gestionnaires sont généralement mis en pénitence pendant de longs mois», précise M.
Fauré.
Le champion de la glocalisation, c’est McDo. Depuis que l’entreprise a donné le coup d’envoi à sa
conquête de la planète, elle a bien réparti ce qui relève de l’international et du local.
L’international, c’est tout ce qui touche la recette marketing des trois F - pour «food»
(«nourriture»), «folks» («les gens») et «fun» («plaisir») - la promotion, les commandites et les
projets caritatifs. À l’échelle locale, on s’occupe de l’application et de la création culturellement
distincte.
Visionner une vidéocassette des publicités de McDonald’s, c’est faire le tour des régionalismes qui,
parfois, se recoupent grâce à un système généralisé d’échange de publicités. Ainsi, la petite Alice
au téléphone conçue au Québec a été exportée dans une dizaine de pays. «On a exporté certains
spots McValeurs au Portugal, et on est en négociation avec le Danemark pour les mêmes
publicités.»
«Ce qu’on sent chez Mc Do depuis deux ou trois ans, c’est moins un vent de globalisation qu’un
vent de promotion intensive. Du coup, la créativité se remarque moins qu’avec le message Alice ou
celui de la traîne sauvage (les enfants en traîneau qui se croient au paradis), qui ont marqué le
Québec. Mais malgré ces stratégies très contraignantes, on arrive parfois à faire passer de petits
bijoux, comme la couette de la petite fille en forme de M: ce n’était pas une commande, c’est une
idée qui est venue de l’équipe de création, on l’a affichée sur des panneaux et, depuis ce temps-là,
le téléphone n’arrête pas de sonner», explique M. Fauré. Avec McDo, la boucle est donc bouclée: la
pub locale peut devenir universelle et voyager!
Au bout du compte, la seule chose qui peut convaincre une entreprise de décentraliser la création,
c’est le retour sur investissement. Selon Sébastien Fauré, le type d’industrie dans laquelle oeuvre
le client influence également ses stratégies, un détaillant se devant d’être plus à l’écoute des
consommateurs locaux qu’un grand fabricant industriel.