MODALITES DE SEVRAGE
CHEZ LES TOXICOMANES DEPENDANT
DES OPIACES
23 24 avril 1998
SENAT
Palais du Luxembourg
26 rue de Vaugirard
75006 PARIS
Fédération Française de Psychiatrie
3ème Conférence de consensus
Contribution à la question
Implication et articulation des différents intervenants
Expert
Docteur Jean-Claude COQUS
28, cours Langlet
51100 REIMS
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Ouverture.
L’incarcération et l’injonction thérapeutique sont deux modalités de sevrage.
Applications de la loi, elles imposent une loi des hommes, un arrêt, une contrainte
par corps, un cadre. Sont-elles des modalités de sevrage ? Oui. Sont-elles efficaces ?
Oui, temporairement ou en différé. Sont-elles un modèle ? Oui. Sont-elles fondées
et sur quoi ? Elles sont fondées sur la situation d’un être humain dépendant,
jouissant de la liberté par le corps et réalisant la limite symbolique de cette liberté.
Pas de drogue sans loi. Pas de/sans. Limite de la tolérance d’une société, dans
l’actualité de la consommation des drogues à l’heure du débat.
La contrainte est nécessairement une modalité de sevrage. Parce que le bébé
n’est pas sevré entre deux tétées, un temps de rupture élaborant la place des
protagonistes s’ouvre. De l’enfant, la réalisation dans de nouvelles capacités par la
distance de l’autre. De la mère, par la loi, la nécessaire évolution de la notion
d’amour, au-delà du soin nourricier, et de besoin dont ils dépendent tous deux.
Du sevrage.
Nous réservons l’usage du mot sevrage au résultat durable dans les
transformations successives du sujet accédant à une dimension indépendante de
l’objet circonstanciel d’élection. Ceci est inhérent à une notion de progression. La
nature d’objet tient à son passé révolu, à sa perte, à son interdit. Si l’acception
médicalisante de sevrage au sens de manque (syndrome de sevrage), de
désintoxication du produit (cure de désintoxication ou de sevrage sur le modèle
alcool), de rupture avec la démarche toxicomaniaque (distance par substitution) a
cours aujourd’hui, ce n’est pas sans effet de malentendu pour l’implication et
l’articulation des partenaires requis.
Dans les propos des opio-dépendants, le sevrage est élaboré dès lors qu’ils
expriment, chacun à leur façon hautement respectable, que la drogue c’est plus ça,
que son recours ne donne plus les résultats attendus, que le manque crée les
conditions d’un abandon, douloureux certes, mais adulte. Que ce qui
imaginairement pourrait alors prendre sa place n’est pas un faux-semblant mais une
opération qui dépasse le moyen - quel qu’il soit - pour engager le sujet.
Dans la politique d’Etat de l’interdit de la drogue et des alternatives de soins
aux toxicomanes, les possibilités de soins anonymes et gratuits, les institutions
spécialisées et les moyens largement utilisés de substitution visent à l’abstinence.
L’abstinence ne règle pas la dépendance mais met la personne à distance de la
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conduite toxicomaniaque dépendogène, délictueuse et à risques. Tous les
enfermements sont productifs d’abstinence pour autant qu’ils contraignent le
toxicomane se tenant mal à une autre identification (toxicomane-et-rien-d’autre) à
une identité de substitution : prisonnier, contraint, institutionnalisé, substitué,
fidélisé. Le sevrage attendu à terme n’est remarquable que si une conception de la
toxicomanie fait la place de la dépendance, prévalante sur l’opio-dépendance.
Nous utilisons la notion de trajectoires pour inscrire chaque thérapeute et
intervenant à sa place, en limitant les valeurs trop sûres d’échec, de rechute,
d’impuissance et de fuite en avant qui en sont le corollaire. Par exemple, la réussite
d’une cure de désintoxication n’est pas fondée sur le sevrage, mais sur l’accord
entre médecin et patient d’un état de maladie due à la consommation d’opiacés. La
médecine, en la personne du médecin et des équipes concernées, noue un accord
sur la compétence médicale en matière d’intoxication du corps somatique. Tout
autre objectif est voué à l’échec à cause d’une conception réduite de l’être
toxicomane. Une toute puissance en rencontre une autre qui ne fait pas trace sur la
trajectoire, pour un temps qui fait penser à un mésusage des moyens efficaces dans
un tempo et une présentation incongrus. Ces malentendus ont des effets durables
sur les pertes de vue, les ruptures de prise en charge et la difficulté de prendre place
après-coup pour une proposition qui paraît déjà épuisée et sans espoir. La relation
et ses qualités transférentielles prévalent sur les moyens utilisés. La proposition
ainsi formulée : «pas de prescription sans relation» offre une place au médecin, et
une place aux moyens médicaux annoncés par tout intervenant dans le partenariat
souhaitable de prise en charge.
L’implication.
Les personnes, les lieux, les compétences s’impliquent à la demande d’une
personne. Ils sont impliqués à la demande des autorités. Ils s’impliquent sur la
relation de demande obligeante adressée pour une offre qui ne saurait manquer.
Situation singulière d’une rencontre qui oblige. Le professionnel pour ce qu’il sait
faire, pour ce qu’il veut faire et par la formation qu’il a pu recevoir, s’inscrit
volontiers dans une réponse. Ce volontarisme n’est pas toujours rapporté comme
un choix mais souvent comme le résultat d’une pression : c’est la dépendance du
thérapeute et de l’acteur professionnel en matière de toxicomanie. Dans cette
appréciation, la proposition d’une rencontre se solde par un bradage.
L’implication est donc commune, sincère et liée au contact d’un demandeur
qui crée l’obligation de répondre. Répondre n’est pas donné. Mais se conjoint
aujourd’hui l’obligation de moyens dont chaque acteur s’arme pour se maintenir
dans ses prérogatives, en particulier de spécialiste.
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L’articulation.
Les personnes, les lieux, les compétences ne se déterminent pas de la même
façon dans l’articulation des différents partenaires. Ce n’est pas la demande d’un
patient mais la conception clinique de la toxicomanie qui suscite le partenariat. Ceci
se double de l’incitation de la politique de santé à considérer les filières et réseaux
comme un modèle de prise en charge.
Le patient, s’il est demandeur de soins, d’accompagnement, de
désintoxication, de substitution ou de sevrage, demande une relation forte et
exclusive qui prouverait la pertinence de sa quête, fin de recevoir. La mise en place
d’un partenariat complémentaire, dans une série d’objectifs clairement placés entre
l’immédiat nouant et l’avenir diversifié, ne reçoit pas l’approbation sans réserve du
patient, et amène les partenaires à des divergences souvent crispées.
On retrouve la notion d’obligation. « Je vous prends en charge de telle
façon à condition que » : ceci a qualité de cadre, mais ce qui ainsi étaye la notion de
cadre réduit la notion de relation supposée suffisante. De plus, la menace de
l’intrusion sociale ou psychologique ne recouvre pas nécessairement le souhait à ce
moment-là du sujet. Les adresses articulées, bien fondées sur la conception globale
du toxicomane, doivent, pour réussir, reconnaître des priorités, des objectifs, un
tempo. L’annonce de ces nécessités à venir produit meilleur effet que les
obligations impératives immédiates. Cette articulation ne se conçoit qu’après avoir
fait le tour de ce à quoi le patient croit et ne croit pas, les différentes recherches
qu’il a pu déjà faire, l’adhésion par la prise de conscience minimum des effets
somatiques, sociaux et psychologiques dans le bien-fondé de sa plainte. Les moyens
de substitution en cabinet de ville, malgré les recommandations de l’AMM, en
moins de deux ans, contribuent à l’éclairage de ce que représente le partenariat, et,
concurremment, à la redéfinition de l’isolement que chaque partenaire ressent de
manière récurrente.
Implications et articulations des différents partenaires amènent à discuter la
spécificité de chaque champ, les dispositifs en place par zone régionale, le rôle
moteur d’un ou plusieurs acteurs, le redéploiement efficient ou résistant des
moyens mis en œuvre, la place d’un coordinateur et la notion de réseau.
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IMPLICATIONS
Implications des médecins dans leur cabinet.
Le rôle du médecin généraliste a été porté en première ligne depuis plusieurs
années. En plus de l’intérêt de médecins pour les pathologies chroniques
d’addiction, l’apparition du S.I.D.A. puis des hépatites comme question de santé
publique, enfin la mise sur le marché de la buprénorphine-haut-dosage, conduisent
de plus en plus de praticiens à recevoir les toxicomanes comme des patients
traitables. La relation reste cependant particulière et on retrouve dans les prises en
charge en cabinet des implications différentes. Les formations nombreuses et
variées, après la faculté, permettent de limiter les erreurs et de prendre le temps
d’accueillir sans agir en urgence. La conception globale du toxicomane avec les
dimensions somatiques, psychiques et sociales de la dépendance complète ces
formations dans la connaissance des recours complémentaires à l’approche
médicalisée.
Le moins est que le médecin reçoive un patient et, en faisant le point avec
lui, qu’il l’oriente s’il ne se ressent pas de s’embarrasser du toxicomane. S’il effectue
à cette place son travail de médecin, la rencontre n’est pas un non-lieu.
S’il s’estime compétent, l’essentiel est qu’il pratique la prise en charge qu’il
connaît pour lui-même sans s’aventurer dans des recettes, certes licites, mais qu’il
ne sait pas maîtriser.
Pour les médecins de réseau, la prise en charge offre trois propositions qui
ne sont pas hiérarchiques mais appliquées à la demande le jour J.
L’accompagnement, la désintoxication, la substitution répondent à la
demande de soins, sans viser forcément au sevrage comme objectif immédiat. Ces
protocoles mettent en place, avec des effets immédiats et des effets différés, une
relation thérapeutique qui apparaît de plus en plus source de continuité et de
coordination.
L’avancée médicale récente repose les questions de la médecine générale et
d’une pratique spécialisée par le médecin formé, du libéral et de l’institutionnel, des
différentes acceptions de ce qui est recommandé sous le terme générique de
psychothérapie. Il apparaît que le suivi d’un toxicomane dans une relation médicale
a des effets psychothérapeutiques. Le maintien durable d’une relation thérapeutique
avec le médecin diffère la psychothérapie qui ne saurait être une adresse obligatoire
comme condition injonctive. Au contraire, la relation d’un toxicomane à un
médecin qui assure un traitement laisse penser au patient qu’étant soigné, il n’aurait
pas besoin - pas immédiatement en tout cas - d’une démarche complémentaire.
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