annexes

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MODALITES DE SEVRAGE
CHEZ LES TOXICOMANES DEPENDANT
DES OPIACES
23 – 24 avril 1998
SENAT
Palais du Luxembourg
26 rue de Vaugirard
75006 PARIS
Fédération Française de Psychiatrie
3ème Conférence de consensus
Contribution à la question
Implication et articulation des différents intervenants
Expert
Docteur Jean-Claude COQUS
28, cours Langlet
51100 REIMS
Ouverture.
L’incarcération et l’injonction thérapeutique sont deux modalités de sevrage.
Applications de la loi, elles imposent une loi des hommes, un arrêt, une contrainte
par corps, un cadre. Sont-elles des modalités de sevrage ? Oui. Sont-elles efficaces ?
Oui, temporairement ou en différé. Sont-elles un modèle ? Oui. Sont-elles fondées
et sur quoi ? Elles sont fondées sur la situation d’un être humain dépendant,
jouissant de la liberté par le corps et réalisant la limite symbolique de cette liberté.
Pas de drogue sans loi. Pas de/sans. Limite de la tolérance d’une société, dans
l’actualité de la consommation des drogues à l’heure du débat.
La contrainte est nécessairement une modalité de sevrage. Parce que le bébé
n’est pas sevré entre deux tétées, un temps de rupture élaborant la place des
protagonistes s’ouvre. De l’enfant, la réalisation dans de nouvelles capacités par la
distance de l’autre. De la mère, par la loi, la nécessaire évolution de la notion
d’amour, au-delà du soin nourricier, et de besoin dont ils dépendent tous deux.
Du sevrage.
Nous réservons l’usage du mot sevrage au résultat durable dans les
transformations successives du sujet accédant à une dimension indépendante de
l’objet circonstanciel d’élection. Ceci est inhérent à une notion de progression. La
nature d’objet tient à son passé révolu, à sa perte, à son interdit. Si l’acception
médicalisante de sevrage au sens de manque (syndrome de sevrage), de
désintoxication du produit (cure de désintoxication ou de sevrage sur le modèle
alcool), de rupture avec la démarche toxicomaniaque (distance par substitution) a
cours aujourd’hui, ce n’est pas sans effet de malentendu pour l’implication et
l’articulation des partenaires requis.
Dans les propos des opio-dépendants, le sevrage est élaboré dès lors qu’ils
expriment, chacun à leur façon hautement respectable, que la drogue c’est plus ça,
que son recours ne donne plus les résultats attendus, que le manque crée les
conditions d’un abandon, douloureux certes, mais adulte. Que ce qui
imaginairement pourrait alors prendre sa place n’est pas un faux-semblant mais une
opération qui dépasse le moyen - quel qu’il soit - pour engager le sujet.
Dans la politique d’Etat de l’interdit de la drogue et des alternatives de soins
aux toxicomanes, les possibilités de soins anonymes et gratuits, les institutions
spécialisées et les moyens largement utilisés de substitution visent à l’abstinence.
L’abstinence ne règle pas la dépendance mais met la personne à distance de la
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conduite toxicomaniaque dépendogène, délictueuse et à risques. Tous les
enfermements sont productifs d’abstinence pour autant qu’ils contraignent le
toxicomane se tenant mal à une autre identification (toxicomane-et-rien-d’autre) à
une identité de substitution : prisonnier, contraint, institutionnalisé, substitué,
fidélisé. Le sevrage attendu à terme n’est remarquable que si une conception de la
toxicomanie fait la place de la dépendance, prévalante sur l’opio-dépendance.
Nous utilisons la notion de trajectoires pour inscrire chaque thérapeute et
intervenant à sa place, en limitant les valeurs trop sûres d’échec, de rechute,
d’impuissance et de fuite en avant qui en sont le corollaire. Par exemple, la réussite
d’une cure de désintoxication n’est pas fondée sur le sevrage, mais sur l’accord
entre médecin et patient d’un état de maladie due à la consommation d’opiacés. La
médecine, en la personne du médecin et des équipes concernées, noue un accord
sur la compétence médicale en matière d’intoxication du corps somatique. Tout
autre objectif est voué à l’échec à cause d’une conception réduite de l’être
toxicomane. Une toute puissance en rencontre une autre qui ne fait pas trace sur la
trajectoire, pour un temps qui fait penser à un mésusage des moyens efficaces dans
un tempo et une présentation incongrus. Ces malentendus ont des effets durables
sur les pertes de vue, les ruptures de prise en charge et la difficulté de prendre place
après-coup pour une proposition qui paraît déjà épuisée et sans espoir. La relation
et ses qualités transférentielles prévalent sur les moyens utilisés. La proposition
ainsi formulée : «pas de prescription sans relation» offre une place au médecin, et
une place aux moyens médicaux annoncés par tout intervenant dans le partenariat
souhaitable de prise en charge.
L’implication.
Les personnes, les lieux, les compétences s’impliquent à la demande d’une
personne. Ils sont impliqués à la demande des autorités. Ils s’impliquent sur la
relation de demande obligeante adressée pour une offre qui ne saurait manquer.
Situation singulière d’une rencontre qui oblige. Le professionnel pour ce qu’il sait
faire, pour ce qu’il veut faire et par la formation qu’il a pu recevoir, s’inscrit
volontiers dans une réponse. Ce volontarisme n’est pas toujours rapporté comme
un choix mais souvent comme le résultat d’une pression : c’est la dépendance du
thérapeute et de l’acteur professionnel en matière de toxicomanie. Dans cette
appréciation, la proposition d’une rencontre se solde par un bradage.
L’implication est donc commune, sincère et liée au contact d’un demandeur
qui crée l’obligation de répondre. Répondre n’est pas donné. Mais se conjoint
aujourd’hui l’obligation de moyens dont chaque acteur s’arme pour se maintenir
dans ses prérogatives, en particulier de spécialiste.
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L’articulation.
Les personnes, les lieux, les compétences ne se déterminent pas de la même
façon dans l’articulation des différents partenaires. Ce n’est pas la demande d’un
patient mais la conception clinique de la toxicomanie qui suscite le partenariat. Ceci
se double de l’incitation de la politique de santé à considérer les filières et réseaux
comme un modèle de prise en charge.
Le patient, s’il est demandeur de soins, d’accompagnement, de
désintoxication, de substitution ou de sevrage, demande une relation forte et
exclusive qui prouverait la pertinence de sa quête, fin de recevoir. La mise en place
d’un partenariat complémentaire, dans une série d’objectifs clairement placés entre
l’immédiat nouant et l’avenir diversifié, ne reçoit pas l’approbation sans réserve du
patient, et amène les partenaires à des divergences souvent crispées.
On retrouve là la notion d’obligation. « Je vous prends en charge de telle
façon à condition que » : ceci a qualité de cadre, mais ce qui ainsi étaye la notion de
cadre réduit la notion de relation supposée suffisante. De plus, la menace de
l’intrusion sociale ou psychologique ne recouvre pas nécessairement le souhait à ce
moment-là du sujet. Les adresses articulées, bien fondées sur la conception globale
du toxicomane, doivent, pour réussir, reconnaître des priorités, des objectifs, un
tempo. L’annonce de ces nécessités à venir produit meilleur effet que les
obligations impératives immédiates. Cette articulation ne se conçoit qu’après avoir
fait le tour de ce à quoi le patient croit et ne croit pas, les différentes recherches
qu’il a pu déjà faire, l’adhésion par la prise de conscience minimum des effets
somatiques, sociaux et psychologiques dans le bien-fondé de sa plainte. Les moyens
de substitution en cabinet de ville, malgré les recommandations de l’AMM, en
moins de deux ans, contribuent à l’éclairage de ce que représente le partenariat, et,
concurremment, à la redéfinition de l’isolement que chaque partenaire ressent de
manière récurrente.
Implications et articulations des différents partenaires amènent à discuter la
spécificité de chaque champ, les dispositifs en place par zone régionale, le rôle
moteur d’un ou plusieurs acteurs, le redéploiement efficient ou résistant des
moyens mis en œuvre, la place d’un coordinateur et la notion de réseau.
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IMPLICATIONS
Implications des médecins dans leur cabinet.
Le rôle du médecin généraliste a été porté en première ligne depuis plusieurs
années. En plus de l’intérêt de médecins pour les pathologies chroniques
d’addiction, l’apparition du S.I.D.A. puis des hépatites comme question de santé
publique, enfin la mise sur le marché de la buprénorphine-haut-dosage, conduisent
de plus en plus de praticiens à recevoir les toxicomanes comme des patients
traitables. La relation reste cependant particulière et on retrouve dans les prises en
charge en cabinet des implications différentes. Les formations nombreuses et
variées, après la faculté, permettent de limiter les erreurs et de prendre le temps
d’accueillir sans agir en urgence. La conception globale du toxicomane avec les
dimensions somatiques, psychiques et sociales de la dépendance complète ces
formations dans la connaissance des recours complémentaires à l’approche
médicalisée.
Le moins est que le médecin reçoive un patient et, en faisant le point avec
lui, qu’il l’oriente s’il ne se ressent pas de s’embarrasser du toxicomane. S’il effectue
à cette place son travail de médecin, la rencontre n’est pas un non-lieu.
S’il s’estime compétent, l’essentiel est qu’il pratique la prise en charge qu’il
connaît pour lui-même sans s’aventurer dans des recettes, certes licites, mais qu’il
ne sait pas maîtriser.
Pour les médecins de réseau, la prise en charge offre trois propositions qui
ne sont pas hiérarchiques mais appliquées à la demande le jour J.
L’accompagnement, la désintoxication, la substitution répondent à la
demande de soins, sans viser forcément au sevrage comme objectif immédiat. Ces
protocoles mettent en place, avec des effets immédiats et des effets différés, une
relation thérapeutique qui apparaît de plus en plus source de continuité et de
coordination.
L’avancée médicale récente repose les questions de la médecine générale et
d’une pratique spécialisée par le médecin formé, du libéral et de l’institutionnel, des
différentes acceptions de ce qui est recommandé sous le terme générique de
psychothérapie. Il apparaît que le suivi d’un toxicomane dans une relation médicale
a des effets psychothérapeutiques. Le maintien durable d’une relation thérapeutique
avec le médecin diffère la psychothérapie qui ne saurait être une adresse obligatoire
comme condition injonctive. Au contraire, la relation d’un toxicomane à un
médecin qui assure un traitement laisse penser au patient qu’étant soigné, il n’aurait
pas besoin - pas immédiatement en tout cas - d’une démarche complémentaire.
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C’est le leurre du bon médicament de la toxicomanie, mais c’est aussi la qualité de la
relation qui s’impose. Les adresses obligatoires, forcées, conditionnelles et ne tenant
pas compte d’un tempo engendrent plus de malentendus et de ruptures de soins
que de thérapies efficientes, comprises et durables. L’attente des psychologues, et
en particulier des thérapeutes des institutions spécialisées, n’est ainsi pas satisfaite.
Risque de réduction par le médical ou place indispensable du médecin traitant, tels
sont les pôles pour indiquer en son temps avec l'adhésion du patient une
articulation pour une prise en charge efficace tant sur le manque que sur la
dépendance.
Reste que le médecin qui n’a pas le temps, qui ne peut dégager un temps de
consultation répétée, qui pare à ce qu’il estime être le plus pressé selon un modèle
de traitement symptomatique ou de décision médicamenteuse, occupe rarement
cette place décrite. Recevoir une file active importante de toxicomanes est un autre
écueil qui montre ses limites du côté de la réduction de la prise en charge globale
ou articulée. Par exemple, résultat d’une enquête récente, des médecins recevant de
nombreux toxicomanes ne peuvent plus les compter et les singulariser.
Le partenariat ponctuel avec le psychiatre, autre médecin, pour avis sur la
psychopathologie sous-jacente un temps masquée par l’intoxication installée, est
fréquemment utilisé. La demande de partenariat avec les institutions spécialisées
correspond aux cas d’emblée ou secondairement les plus complexes quand les
moyens institutionnels, pluridisciplinaires, de séjour, d’hébergement,
d’accompagnement 24h/24 s’avèrent indiqués. Le médecin a souvent à se plaindre
du peu de retour partenarial dans ce cas. Comme si l’adresse par un médecin à une
institution signait le refus, le désengagement, l’incompétence de l’envoyeur. Le
téléphone est plus efficace que la lettre pour réduire les malentendus
dommageables pour tous, et d’abord le patient.
Les rapports avec les services hospitaliers, renouvelés depuis le retour des
toxicomanes en services spécialisés d’infectiologie et d’hépatologie, et en psychiatrie
pour des lits réservés aux cures de désintoxication, sont aussi l’objet de travaux de
préparation en amont et de préparation à la sortie en aval par le médecin traitant.
Les traitements de substitution ont marqué l’implication des pharmaciens
d’officine en tant que premier partenaire des médecins. Très demandeurs et actifs
dans les formations le plus souvent communes avec les médecins, ils tiennent une
réelle place de partenaires dans l’initiation et le suivi quotidien des premiers temps
de délivrances serrées selon les recommandations. Les échanges confidentiels, avec
l’accord du patient, enrichissent les éléments d’évaluation des résultats de la
prescription. De vendeur de seringue anonyme et de codéines incontrôlées qu’ils
étaient, les pharmaciens d’officine deviennent des intervenants en toxicomanie dans
un rôle autrement intéressant.
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Parce qu’ils sont impliqués par une politique de santé publique et d’Etat, les
différentes compétences se situent d’abord comme des lieux reconnus, comme
étant par exemple spécialisés.
Lieux institutionnels.
Les institutions spécialisées,
nées de l’après 1970, donc de
l’insuffisance des structures et compétences contemporaines, travaillent depuis
vingt-huit ans sur les acquis de cette nécessité. Reprenant le plus souvent dans leur
raison sociale les mots Toxicomane, Centre, Association, Service, Soins, Aide,
Accueil, elles auront été des lieux référents qu’ils ne sont plus toujours aujourd’hui
dans le redéploiement des moyens. Ils présentent souvent leurs offres de soins
comme ayant une histoire, un passé, une notoriété. Leur place nécessaire, reconnue
de tous, laisse entendre une argumentation théorique indispensable, mais à la fois
une revendication de droits acquis nourrissant des polémiques moins dignes. Que
l’Institution soit pluridisciplinaire, souvent riche en personnels de tous les champs ce qui fait entendre qu’ils n’auraient besoin de personne- ou sans grands moyens,
en situation précaire quant à la pérennisation de leur offre, sociale, psychologique,
limitée en capacité d’ouverture, sans moyens d’hébergement, nourrit une attitude
défensive grevant l’inscription dans les dynamiques de réseau qui les décentrent.
L’obtention de l’offre de méthadone en est un effet, même si leur point de vue
critique sur la place de la substitution côtoie leur place de spécialiste obligé par ce
nouveau moyen.
Les Institutions spécialisées, en remaniement, proposent plus souvent des
filières qu’une concrète participation aux réseaux. Lorsqu’elles s’intègrent aux
réseaux, elles revendiquent, ou bien de recevoir les cas les plus lourds, ou bien font
des offres de collaborations marquées par la nécessité de leur place. Mais ceci, qui
ne retire rien à leur spécificité, s’avère aujourd’hui non systématique et ne propose
pas d’articulation diversifiée en fonction des cas. Pourtant, être un recours fait
partie de leur mission et accepter le redéploiement ne dévalorise pas leur place qui
est indispensable. Leur implication est réelle et sincère, mais les articulations sont
difficiles et source de retard pour un consensus.
Les institutions qualifiées de postcure, attachées ou pas aux lieux de soins,
fournissent un très riche répertoire de lieux d’hébergement, d’encadrement et
d’accompagnement dans le temps de l’abstinence ouvrant à un possible sevrage.
Leurs références sont variées, à la ville ou à la campagne, en milieu thérapeutique
ou de réinsertion, avec des moyens humains irremplaçables pour la qualité de leur
présence physique et leur disponibilité 24h/24. Lieux protégés, elles ont l’exigence
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d’autonomiser et, tout particulièrement, d’évaluer et de traiter les dépendances en
dehors de la drogue afin que la réussite durable de l’abstinence aboutisse à la
réalisation de ce qu’aura été la drogue pour l’économie psychique de la personne.
Obligées par leur raison d’être, elles s’impliquent au nom d’une théorie,
d’une conception de la toxicomanie ou d’une offre spécifique qui ne les mettent pas
nécessairement à la place de recours immédiat. Elles peuvent ainsi se plaindre de
devoir faire du social et d’être convoquées pour résoudre des précarités.
Le rôle des lieux et personnes du champs social s’avère
ainsi très présent dans la trajectoire des patients. Non spécialisés en toxicomanie,
ils ont une sérieuse approche de ce qu’on nomme volontiers « la rue » et des réalités
de la vie quotidienne d’un toxicomane, notamment pour l’aspect dépendance
relationnelle, sociale et financière d’un patient en traitement. Ils peuvent en
apprendre à tout thérapeute quant à ce qui se passe pendant une prise en charge,
entre deux consultations, lors d’une rechute ou d’une perte de vue au cours d’un
traitement même s’il semblait bien marcher. Il est plus utile de partager les points
de vue entre thérapeute, animateur ou éducateur spécialisé, que de rester soi-disant
à sa place et stigmatiser le profil menteur et manipulateur des consommateurs de
drogue. A moins d’être en cure individuelle déjà reconnue comme lieu intime sur le
modèle psychanalytique, quand le langage, l’écoute et le transfert sont à l’œuvre, les
articulations entre tout thérapeute et les travailleurs sociaux hors institution
spécialisée et cabinet limitent les ruptures.
Les assistantes sociales et les services d’aide des communes, ainsi que les
services économiques sont systématiquement sollicités pour trouver les moyens
d’accès aux soins, d’inscriptions et d’insertion qui sont un traitement de la
dépendance sociale à la drogue.
Ces partenaires de la prise en charge sont classiquement formés à l’adresse
aux lieux spécialisés. Mais ils redécouvrent progressivement l’intérêt du travail de
proximité avec les compétences du lieu, du quartier, de la petite ville, des zones
rurales, tissant un réseau de première approche évitant de précipiter l’envoi ailleurs
sans élaboration de la demande.
Les services hospitaliers impliqués dans le dispositif de soins aux
opio-dépendants par secteur et par zone se sont diversement offerts à la réalisation
de cette mission. Comme quoi, hormis les institutions strictement spécialisées, les
autres lieux et compétences s’inscrivent par les personnes et leur intérêt. Les
services d’urgence, les services généralistes, les services d’infectiologie,
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d’hépatologie et les services de psychiatrie peuvent s’imposer selon les régions
comme services d’accueil ou d’hospitalisation, avec des équipes préparées et
formées. Il existe en général des services connus pour leur capacité, et des services
connus pour leur réticence qui devient une incapacité. En effet, on ne force pas un
service sur le dos du patient ; on forme une équipe sous l’autorité de médecins
responsables.
Ainsi se dégagent des filières hospitalières avec une offre spécifique comme,
par exemple, l’attribution de lits inter-secteur réservés aux toxicomanes, des
services de psychiatrie à orientation « addictions », des services spécialisés infectieux
ou hépatologiques faisant des prises en charge globales, des services de médecine
générale acceptant quelques patients en file discrète. Les services d’urgence offrent
un accueil extrêmement variable comparable au sort réservé à d’autres types de
pathologies comme l’alcoolisme. Des services hospitaliers ont pris a leur compte le
dispositif de réseau pour officialiser des réseaux dits «ville-hôpital» qui donnent des
résultats dépendants du nombre de flèches et des sens qu’elles ont, entre ces deux
mots associés.
La place des psychologues, psychothérapeutes et
psychiatres est liée à la définition de ce que l’on entend par psychothérapie et
effet psychothérapeutique.
La psychothérapie mêle le normal et le pathologique par le mot-même et la
diversité de ce qu’il recouvre.
- La notion de thérapie connote une anomalie qui serait accessible par
l’action d’un tiers vers une évolutivité favorable, voire la guérison ou le sevrage.
- La notion de «psychisme» ou «psychique» définit un mode d’existence de
l’être humain. Deux approches s’opposent : ou bien ce terme répond du système
nerveux central et son fonctionnement intriquant le somatique et la personnalité ou
structure ; ou bien il fait théorie de la dualité complémentaire du psychologique
hors le corps, avec le somatique. Ces deux approches ne résolvent pas la quadrature
du cercle.
C’est donc un terme riche mais confus, source d’approches créant autant des
ouvertures que des malentendus produisant des fermetures. On laissera là l’effet le
plus radical de rejet, de refus, d’exclusion : excès biologique totalisant, dérision
idéologique ou refoulement personnel. Ces considérations respectables peuvent
s’imposer à tout moment chez chacun - patient, entourage ou médecin - et
nécessitent un accompagnement didactique le temps d’une compréhension pour
convenir de la place - même si celle-ci reste vide transitoirement - du «psy». Le psy :
une manière simple de dire ce complexe.
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La psychothérapie, avec ses effets attendus, mêle le subjectif, transmis
comme ressenti par le patient, et l’objectif, mesuré selon des critères scientifiques par le thérapeute. Ce dernier se doit de préciser les critères auxquels il se réfère.
Au passage, le médecin comme nous en parlions plus haut n’est pas étranger
dans son art à la qualité de thérapeute différent de soignant. Les thérapeutes
rassemblent des intervenants médecins, soignants et non médicaux. Ici par
expérience, par constat quotidien des soignants et des psychologues, l’idée d’«effets
psychothérapeutiques» étend à toute présence humaine professionnelle et aussi non
professionnelle les actes efficients. La rencontre compte.
Si le médecin se dit non psychologue, ne faisant pas de psychologie,
somaticien ne souhaitant pas s’engager dans une relation pour laquelle il n’est pas
formé ou qu’il ne souhaite pas pour lui même, sa position n’épuise pas pour autant
l’effet psychothérapeutique que le patient exprime ou que les confrères repèrent
lors d’exposés de cas. Cette dimension de l’acte et de la relation médicale est
repérée et admise comme inhérente à l’exercice médical, pour indiquer une
psychothérapie à son patient. Sinon, cette indication, aussi pertinente soit-elle,
remanie toujours, bouleverse parfois la relation médecin/malade,
thérapeute/patient. Il existe un temps pour l’accompagnement - chaque médecin le
fait à sa façon -, un temps pour compléter le médical par une autre thérapie, mais le
médecin reste, à sa place, celui qui aura entendu et orienté.
Mêlant le normal et le pathologique, l’indication de psychothérapie peut
avoir un effet de soulagement pour le médecin qui fait bien son travail, limite son
savoir dans son champ de compétence et propose aide à son patient. Mais elle peut
avoir, à l’opposé, un effet redoutable de lâchage et de diagnostic péjoratif, source
d’inquiétude pour le patient. Sont ainsi souhaitables :
- un minimum de conscience de ces notions explorant la relation,
- un minimum de formation sur les pathologies de ces patients quant à leur
incidence psychique,
- du temps,
- des partenaires connus du champ de la psychothérapie,
- un partage des compétences en réseau de personnes,
- des critères d’évaluation des effets attendus et réalisés, précisant les moyens
et les résultats.
Les psychanalyses - que l’on peut rapprocher de ces psychothérapies - se
démarquent d’abord en ne répondant pas à la dualité normal/pathologique. Elles
peuvent être indiquées mais elles demeurent des démarches personnelles, un
investissement, une quête, une aventure particulière, parfois secrète. Les effets sont
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repérables en médecine, mais avec des arguments culturels extraterritoriaux pour le
corps médical, souvent mal compris.
Car les psychanalyses n’empêchent pas le patient de venir se plaindre. Il s’agit
de savoir comment l’écouter, dès lors qu’il «est en analyse». La confrontation
constructive entre médecins, psychothérapeutes et psychanalystes, lorsqu’un cadre
de travail est sagement élaboré, peut limiter les malentendus, conforter chaque
praticien dans sa fonction, même si des tensions sont à attendre- comme on dit :
« pour le bien du patient », et , de surcroît, pour le médecin. On peut ici parler de
médecine moderne, avec des médecins à l’aise avec la dimension du sujet, laissée
pour compte depuis cent ans, masquée entre autre par le succès des sciences
appliquées en médecine, avec les excès que l’on sait. Ici, la désintoxication et la
substitution comme traitements de la toxicomanie recèlent à la fois le progrès et le
refoulement.
La psychologie et les psychothérapies sont largement intégrées à la médecine
d’aujourd’hui. Mais ceci ne suffit pas à en faire une panacée aisément maniable de la
médecine moderne. La médecine actuelle, scientifique, technique et biologique,
tend à tout expliquer et à répondre à tout en médicalisant les réponses. Conscient
d’une tentation illusoire de toute puissance, remarquable en cas d’addiction aux
opiacés, le médecin mal à l’aise sur ces prescriptions peut alors faire valoir «qu’il y a
autre chose» de non médical.
Ici, la place des psychothérapies se catégorise en :
- indication supplémentaire des manuels de thérapeutique médicale. Cette
place est tellement fréquente que l’on peut se demander si elle n’indique pas un
dualisme mal interrogé entre somatique et psychique.
- une indication nécessaire de maintenir le patient en soins dans un suivi
médical assuré. Il s’agit là d’un complément aux fins médicales.
- une indication principale. Là, le médecin a sans doute des moyens
médicaux mais il n’attend pas de ceux-ci une mobilisation du sujet telle qu’il puisse
éthiquement en rester là. Ceci définit, entre autres, les demandes de patients qui
pourraient répondre aux effets des produits psychotropes coprescrits.
Ainsi les partenaires psychothérapeutes semblent d’autant plus retenus qu’ils
reçoivent un patient sans viser à la drogue : psychopathologie, symptômes d’une
structure, dépression, etc. L’accompagnement psychologique du traitement médical
d’une part, l’émergence d’une investigation singulière d’autre part, sont deux
aspects de ce même « psy ». La notion de psychothérapie scelle donc l’enjeu
essentiel de ce que chaque partenaire réalise.
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ARTICULATIONS.
1. Les relations d’un patient
à ces lieux et personnes choisis
contribuent à un premier mode d’articulation. Spontanées, elles se présentent
sous l’image d’une chaîne, articulée certes par les début et fin partiels de prise en
charge, passage fulgurant, début de fidélisation, refus de poursuivre, disparition.
L’articulation est horizontale temporelle sans lien entre les personnes.
Recherche de réponses successives sans que le patient en quête ne dépasse la
réponse immédiate comme satisfaisante ou ne retienne les propositions plus
conditionnelles comme acceptables, cette articulation est la chaîne sans tiers
reconnu. Ainsi, chaque acteur sur la trajectoire du toxicomane peut être à son
tour une borne sur le chemin sans pouvoir rendre compte d’une suite au
moment des rencontres. Le nomadisme ainsi que les désillusions successives
entretiennent le doute des médecins, en particulier sur les modes d’assurance
que leurs prescriptions légitimes pourraient avoir en installant des procédures de
contrôle des patients par une instance référente. Nous n’en somme pas là et la
bonne conduite de l’acte médical, la prescription dans une relation suivie, les
délivrances fractionnées, le partenariat avec le pharmacien, l’inscription dans le
social et les rapports à l’entourage limitent ces réserves - même pour un
praticien non encore utilisateur d’un réseau.
Les services économiques, l’aide départementale, la Sécurité Sociale, les
inspections régionales de pharmacie, les Comités de Suivi sont des partenaires qui
permettent d’articuler nos évaluations en utilisant des sources toutes partielles et
incomplètes.
Mais à un moment de sa trajectoire, lorsqu’un lien privilégié installe la prise
en charge, le patient, sur conseil ou par besoin, se sert des différents champs utiles.
Avec son accord, doucement et sans le faire à son insu, des articulations
complémentaires prennent alors l’image d’un triangle ou d’un bouquet entre les
mains du patient. C’est le réseau du patient, sans formalisme aucun.
2. L’institution pluri- ou multidisciplinaire est une forme d’articulation
en un lieu des différentes compétences. Entretien d’accueil, soins immédiats,
consultation sociale sur les droits et les situations judiciaires, proposition
ambulatoire ou hébergée. C’est la grandeur de ces lieux hautement spécialisés par
tous ses professionnels, qui pousse cependant à l’autonomie autarcique. Les
partenaires d’amont sont des envoyeurs qui se débarrasseraient du toxicomane, et
en aval, peu de salut. Ces centres, comme d’une autre manière les hôpitaux, tendent
à mettre en place des réseaux centro-centristes qui ne peuvent longtemps ignorer la
diversité des résultats liés à son fonctionnement, par manque d’articulation avec
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l’extérieur, l’avant et l’après du patient institutionnel. Ce que l’envoyeur,
professionnel ou familier, et le patient lui-même attendent d’une telle spécialité
n’est pas toujours la prise en charge globale unique. Les liens antérieurs du patient
ne sont pas lettre morte et son inscription à la lettre dans les protocoles peut, en
travaillant à l’abstinence par exemple, déclencher des écarts qui peuvent être
difficilement reprenables. L’articulation entre les différentes compétences s’appuie
sur un solide travail d’ouverture et de synthèse, mais on sait que ces dispositifs ne
réduisent pas les questions qui continuent de se poser comme ailleurs et dans la
rue.
3. Les arbres décisionnels pour les médecins, les filières, lien
minimum d’une mise complémentaire, donnent une image médicalisée de la prise
en charge sans réelle articulation autre qu’une succession de moyens. On peut
évoquer ici les expériences en cours pour la préparation à la sortie des toxicomanes
incarcérés. Des incitations officielles à entreprendre un traitement de substitution,
puis bientôt une utilisation d’antagonistes purs, fondent l’articulation entre
l’intérieur carcéral et l’extérieur de liberté sur l’apport des médicaments. Reste que
le partenariat dans et hors les murs et les modalités pour maintenir un sujet
abstinent dans les retrouvailles avec la vie sociale et ce qu’il sait en faire constituent
un objectif sérieux pour améliorer le partenariat.
4. Les réseaux
pour ce qu’ils collent à la réalités des lieux, des
personnes et des compétences dans une région. Deux métaphores imaginarisent
cette intention : d’une part celle de la mise sous tension des contacts existant pour
un patient ; d’autre part celle d’un filet, suffisamment fin pour recevoir à tout
moment tout patient lâchant prise, mais point trop tendu afin de ne pas faire
rebondir et disparaître ce dernier dans un espace hors de portée ! Récupérer les
toxicomanes dans leur trajectoire sans rompre tous les liens sous prétexte de l’échec
d’un seul, telle est l’idée du réseau. Nous donnons en annexe un exemple de mise à
disposition des partenaires d’un département à l’adresse de tous les acteurs
impliqués. Toute personne, à sa place, interlocuteur valable dans le moment d’une
rencontre, est formée pour accueillir sans urgence et orienter selon les cas, en
connaissant d’abord les partenaires du patient et ensuite les compétences requises
de proximité. Dans un secteur géographique limité à un département et ses zones
limitrophes, le réseau connaît et fait connaître les offres, les lieux, les compétences
et les personnes. Afin qu’une orientation précise soit réussie, celle-ci nécessite une
préparation avec un acteur principal, tenant compte des conseils des collègues dont
ce dernier s’entoure. Cet acteur principal ne lâche pas son patient et reste un
recours en cas de difficultés. Ce qu’on appelle hâtivement rechute par exemple, ou
exclusion d’un traitement - si ces difficultés sont traitées rapidement – est une
pierre sur le chemin qui n’aboutira pas à une reprise toxicomaniaque, une fois de
plus incomptable. Les échecs apparents, repris avec un patient qui recouvre ses
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esprits et réalise son acte, permettent de réduire les temps toujours trop longs de
perte de vue.
Ainsi fonctionne le réseau du coordinateur. Les articulations dans une région
qui ne manque pas gravement de moyens dépendent des personnes. Chaque lieu et
chaque compétence ( le médical, le social, le psychothérapeutique), chaque mode
d’activité ( le libéral, l’hospitalier, l’institutionnel spécialisé) reconnaîtra en temps
réel pour un patient, et en réunion d’étude de cas pour la formation, ceux sur qui il
peut compter. Nous en sommes à l’époque de la diversification, et donc à
l’accumulation d’offres. Il s’agit de ne pas accélérer le tournis de la quête, mais au
contraire d’accompagner dans des démarches adaptées, ce qui exclut la prévalence
des filières.
Le sevrage, dans notre acception, sera ce qu’un patient repérera un jour
quand la drogue, sa consommation et la dépendance psychique à cette trajectoire
seront mis à distance pour la vie reprise selon ses désirs. L’accompagnement
encore, dans l’abstinence, nécessitera des partenariats. Car désintoxiqué et traité,
substitué ou abstinent celui qui aura été toxicomane reconnaît longtemps encore un
don sinon un goût pour les dépendances.
Chacun, passant, s’appliquera à la rencontre.
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ANNEXES :
I. Trajectoire de Toxicomane
II. Tableau sémantique
III.
Plaquette
Réseau Ville-Hôpitaux-Associations
et autres partenaires
pour les Toxicomanies – Marne 1997
IV. Bibliographie
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