Si tous les ménages décident de réduire leur consommation afin d'épargner plus, la baisse des dépenses va
entraîner la chute de la production, des revenus et, finalement, de l'épargne. La présence d'incertitudes
empêche donc le marché de coordonner efficacement les décisions dans le temps long et explique les crises.
Un autre problème apparaît lorsque certains effets des activités économiques ne sont pas pris en compte
dans les prix. Par exemple, si une aciérie pollue l'air sans avoir à payer de taxe, le coût de cette pollution pour
la collectivité est négligé dans le calcul du prix de l'acier; celui-ci est donc "faux", il n'intègre pas les coûts que
la production fait subir à l'ensemble de la société. Outre ces externalités (*), le marché est également pris en
défaut lorsqu'il s'agit de produire des biens collectifs (*) : s'il est impossible d'obliger le consommateur à
payer pour l'utilisation des biens, comme dans le cas de l'éclairage public ou de la défense nationale, il est
difficile de fixer un prix.
Ces problèmes sont sérieux, car les externalités ou les biens collectifs sont nombreux. Il est en général
possible de les surmonter avec l'aide de l'Etat. Dans le cas de certaines pollutions, une taxe peut rétablit le
prix juste en accroissant le coût de production d'un montant équivalent au dommage résultant de la
pollution (mais cette solution ne s'applique pas à tous les problèmes d'environnement). Dans le cas de la
défense nationale, le financement se fait par l'impôt, la délibération politique étant censée révéler quelle
somme la société souhaite consacrer à ce bien. Il est également possible de trouver des modèles économiques
alternatifs: puisqu'il est impossible de contraindre les auditeurs à payer pour une émission de radio, au lieu
de vendre une émission à des auditeurs, l'entreprise vendra de la publicité - du "temps de cerveau disponible",
avait déclaré Patrick Le Lay, lorsqu'il dirigeait TF1 - à des annonceurs.
Enfin, lorsque les coûts de production de certains biens sont essentiellement des coûts fixes, c'est-à-dire des
coûts qui ne progressent pas avec la quantité produite, correspondant à la construction de lourdes
infrastructures (un réseau ferré ou de télécommunication, par exemple), le marché est dominé par un
"monopole naturel". Par exemple, une société de distribution d'électricité ayant pour coût principal la
construction d'un réseau: une fois celui-ci construit, le coût n'augmente pas avec le nombre d'utilisateurs. A
l'inverse, une fois le réseau construit, plus il a d'utilisateurs payants, plus il est rentable. Il serait
économiquement absurde d'avoir plusieurs réseaux concurrents sillonnant le territoire. Mais un monopole
est généralement inefficace dans la mesure où il a tendance à profiter de sa position pour fixer des prix
élevés. Il faut le nationaliser ou le réguler, pour obliger l'entreprise à pratiquer des prix bas et empêcher la
formation d'une rente injustifiée.
Ces dernières années, de nombreux gouvernements et la Commission européenne ont essayé de casser ces
monopoles naturels afin d'introduire de la concurrence. L'évolution technique a conduit à un certain succès
de cette démarche dans le cas du téléphone; mais l'ouverture à la concurrence pose beaucoup de problèmes
pour d'autres réseaux comme l'électricité, les chemins de fer ou la Poste). Le nombre d'entreprises est trop
faible pour garantir la concurrence, si bien que des autorités de régulation sont chargées de contrôler les prix.
Faute de connaître les coûts, elles naviguent entre des prix trop bas, qui découragent l'investissement et
mènent à des pénuries (cas de l'électricité en Californie), et des prix trop élevés, qui assurent des rentes
confortables aux opérateurs et mécontentent les consommateurs (cas de l'électricité au Royaume-Uni).
Malgré tous ses mérites, le marché ne peut donc à lui seul organiser toute l'activité économique. Son
fonctionnement doit souvent être encadré par l'Etat et d'autres formes d'organisation sont souvent
nécessaires pour assurer une coordination efficace des agents économiques.
* Externalité : effet économique sur des tiers non pris en compte par celui qui prend la décision. Une
externalité peut être positive (lorsque je me fais vacciner, je réduis les risques pour mon entourage) ou
négative (si je construis un mur élevé, je réduis l'ensoleillement pour mes voisins).
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