9) La loyauté du salarié en arrêt maladie à l`égard de son

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Institut d'Etudes Judiciaires
PREPARATION E.N.M.
Année 2008 - 2009
EPREUVE D’ENTRAINEMENT :
MARS 2009.
NOTE DE SYNTHESE
Rédiger à partir des documents joints, une note de synthèse de quatre pages
environ, relative à :
LA LOYAUTE.
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Note de synthèse : La loyauté
1) Assemblée plén., 27 février 2009
2) Rapport Magendie I, 2004
3) Assemblée plén., 7 juillet 2006
4) La légalité procédurale, L. Cadiet (extrait)
5) Article 1351 C. civ.
6) Article 780 CPC
7) Principes de droit européen des contrats, article 1 :201
8) Principes de droit européen des contrats, article 1 :202
9) La loyauté du salarié en arrêt maladie à l’égard de son employeur par Céline Braz
10) Com., 24 fév. 1998
11) Code de la consommation, L. 212-1
12) Code commerce, L134-4
13) Code civil, 1134
14) Civ. 1ère, 10 mai 1989
15) Manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi sanctionné par un
licenciement abusif, par Agathe Euvrard, Avocate
16) Les clauses de non-concurrence, par Laurent Babin, Avocat.
17) L’arbitrage interne par C. Jarosson
1) Assemblée plén., 27 février 2009
Arrêt n° 573 du 27 février 2009 (07-19.841) - Cour de cassation - Assemblée
plénière
Donne acte à la société Sédéa électronique du désistement de son pourvoi en tant qu'il était dirigé contre
la société Viaccess ;
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de
procédure civile ;
Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
Attendu que la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas
nécessairement fin de non-recevoir ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que par arrêt irrévocable du 21 avril 2004, la cour
d'appel de Grenoble, statuant en matière de référé, a rejeté la demande formée au printemps 2002 par
la société Sédéa électronique (société Sédéa) et tendant à ce que la société X-Com multimédia, devenue
la société Pace Europe, soit condamnée sous astreinte à lui livrer un certain nombre de récepteurs
numériques de télévision par satellite fabriqués par elle ; qu'aux mois de mai et de juin 2002, la société
Sédéa a acquis de la société Distratel, devenue la société Kaorka, un lot de récepteurs du même type
également fabriqués par la société X-Com multimédia ; que, le 22 août 2002, la société Viaccess a
informé la société Sédéa qu'elle n'avait pas consenti à la société X-Com multimédia la licence nécessaire
à la fabrication et à la commercialisation de l'un des dispositifs de décryptage incorporés aux récepteurs
de ce type ; qu'après avoir obtenu, par ordonnance de référé du 30 août 2002, qu'il soit ordonné sous
astreinte à la société Distratel de consigner le montant de deux lettres de change émises en règlement
d'une partie du prix, la société Sédéa électronique a, au mois d'octobre 2002, saisi le tribunal de
commerce de demandes tendant à la condamnation des sociétés Distratel, X-Com multimédia et Viaccess
au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à l'institution d'une expertise
technique pour rechercher, compte tenu des contestations élevées à cet égard par les sociétés Distratel
et X-Com multimédia si les matériels litigieux étaient ou non, à la date de leur achat, couverts par une
licence conférée par la société Viaccess ; que, par conclusions du 31 août 2004 déposées devant le
tribunal de commerce, la société Sédéa a demandé la nullité ou la résolution de la vente ainsi que des
dommages-intérêts ;
3
Attendu que, pour déclarer les demandes irrecevables, l'arrêt relève qu'il ressort de l'examen des
procédures successivement menées en référé puis au fond par la société Sédéa que celle-ci n'a pas cessé
de se contredire au détriment de ses adversaires, et retient que ce comportement doit être sanctionné,
«en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d'autrui (théorie de
l'estoppel)» ;
Qu'en statuant par ce seul motif, alors qu'en l'espèce, notamment, les actions engagées par la société
Sédéa n'étaient ni de même nature, ni fondées sur les mêmes conventions et n'opposaient pas les
mêmes parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juillet 2007, entre les parties, par la
cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient
avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
2) Rapport Magendie I, 2004 (extrait)
La loyauté est indispensable au déroulement de la procédure22. Il
n’existe pourtant pas de principe directeur de loyauté expressément visé dans le
nouveau Code de procédure civile. Certains auteurs considèrent cependant qu’un réel
principe de loyauté existe et se dégage des dispositions liminaires du nouveau Code
de procédure civile23. Ce principe découle, notamment, de l’obligation de ne pratiquer
que des mesures “légalement admissibles”, de communiquer les pièces en temps
utile24.
Henry Motulsky y voyait, quant à lui, une composante des droits de la
défense25. Un principe de loyauté est par ailleurs prévu en tant que tel dans le projet
de l’American law institut et d’Unidroit concernant des règles transnationales de
procédure applicables en matière de commerce international26.
Qu’elle existe ou non en tant que principe, la loyauté est certainement
une composante essentielle du procès civil.
Le respect de la loyauté processuelle devrait figurer explicitement au
nombre des principes directeurs du procès pour mieux asseoir sa nécessité et servir
de référent pour toutes les procédures et devant tous les juges (Section 1). Il impose
également des réformes plus techniques qui visent toutes les phases de la procédure,
notamment celles de première instance (Section 2).
Section 1 - La loyauté processuelle, principe directeur de procédure civile
Les rôles respectifs des parties et du juge au cours de l’instance sont
présentés en ouverture du nouveau Code de procédure civile, aux articles 2 et 3 27. La
formulation de ces deux articles n’apparaît pas satisfaisante. Elle recèle en effet une
certaine contradiction, ou à tout le moins une grande ambiguïté. En outre, ces textes
rendent mal compte des attributions respectives des parties et du juge en droit positif.
En tout cas, la consécration du renforcement des pouvoirs que l’on voudrait
reconnaître au juge dans le cadre de la présente Mission nécessite une réécriture de
ces dispositions liminaires du nouveau Code de procédure civile.
Selon l’article 2, « Les parties conduisent l’instance », une instance qu’elles
sont seules, en principe, à pouvoir engager. La référence faite à la «conduite» semble
étendre la maîtrise qu’elles ont de l’introduction de l’instance au déroulement de celle-ci.
Mais le texte poursuit qu’il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les
“délais requis”. Et l’on découvre ailleurs que c’est le juge qui impartit ces délais, autrement
dit qui rythme la progression de l’instance. La «conduite» qu’assureraient les parties serait
tout au plus une «conduite guidée» par le juge.
Aux termes de l’article 3, « le juge veille au bon déroulement [...] de
l’instance». Formule feutrée28 qui pourrait évoquer une simple «surveillance» et n’irait pas
sans rappeler l’expérience malheureuse d’un certain juge chargé de «suivre» la procédure.
4
Il est toutefois précisé que le juge a «le pouvoir d’impartir des délais et d’ordonner les
mesures nécessaires». Il n’est cependant pas précisé ici s’il le fait de façon systématique ou
s’il intervient seulement à titre subsidiaire, lorsque les choses ne vont pas bien.
L’article 2 donne ainsi l’impression que les parties dirigent l’instance,
qu’elles en ont la maîtrise tout comme elles ont la maîtrise du déclenchement du procès29
et de la matière litigieuse30. Or, cela ne correspond pas à la réalité.
Dans les textes, l’intervention du juge résulte déjà du final de l’article 2 :
“sous les charges qui leur incombent”. Ensuite, la surveillance du juge figure à l’article 3 :
“Le juge veille au bon déroulement [...]”. Toute hésitation est levée lorsque l’on consulte
les dispositions que le nouveau Code consacre, beaucoup plus loin, à la mise en état des
causes devant le tribunal de grande instance. C’est bien d’obligation, et d’obligation
permanente, qu’il s’agit. Par ailleurs, si l’article 763 dispose timidement que le juge a pour
mission de “veiller” au déroulement loyal de la procédure, et spécialement à la ponctualité
de l’échange des conclusions et de la communication des pièces, ajoutant même qu’il peut,
“si besoin est” adresser des injonctions, c’est sans aucune ambiguïté que l’article 764
dispose que ce juge “fixe, au fur et à mesure, les délais nécessaires à l’instruction de
l’affaire” […] après avoir - il est vrai - “provoqué l’avis des avocats”. Présent de l’indicatif
(à connotation impérative), généralité du propos : l’équivoque est levée.
La même tonalité dirigiste ressort de l’article 761, propre à la mise en état
simplifiée : le président peut décider que les avocats se présenteront à nouveau “à la date
qu’il fixe” pour conférer une dernière fois de l’affaire. Il impartit à chacun le délai
nécessaire à la signification des conclusions et à la communication des pièces.
C’est bien ainsi incontestablement le juge qui imprime à la procédure son
rythme et lui confère l’impulsion nécessaire à sa progression, dans un esprit de concertation,
mais avec les moyens de se faire obéir, puisqu’il dispose d’un double pouvoir d’injonction
et de sanction31.
Il n’est donc pas exact de dire que les parties “conduisent” l’instance, sauf
à donner à cette expression un sens très particulier. Il est vrai, en effet, que ce sont elles qui
apportent à l’instance la substance dont elle est faite, en échangeant les conclusions qui
déterminent la matière litigieuse, en procédant aux mises en cause ou aux appels en garantie,
en soulevant les incidents (exceptions, fins de non-recevoir, demande de mesures
d’instruction). La “conduite” qui leur revient concerne donc la substance de l’instance, non
son cheminement procédural32. C’est ainsi que le juge, parce qu’il a mission de veiller au
bon déroulement de l’instance dans un délai raisonnable, peut refuser une demande de
renvoi à une audience ultérieure présentée conjointement par les parties33.
Il apparaît utile de sortir de cette ambiguïté et de renforcer l’idée selon
laquelle les parties font les actes de procédure sous la direction du juge, en substituant au
terme : “conduire”, celui de : “diligenter”. En effet, diligenter, ce peut être conduire, comme
on parle de diligenter une enquête. Mais c’est aussi apporter tous ses soins, tout son zèle,
se hâter de faire ce que l’on doit effectuer34. Cette idée est d’ailleurs présente dans la
formulation retenue par l’American Law Institute et par l’Association Unidroit dans le
dernier état de leur projet commun de “Principes uniformes de procédure civile
transnationale”. Il est en effet indiqué que “Les parties partagent avec le tribunal la charge
de favoriser une solution du litige équitable, efficace et raisonnablement rapide.”35
Dans le souci d’asseoir plus nettement le principe de loyauté en droit
processuel, il importe encore d’indiquer que les diligences des parties dans le déroulement
de l’instance doivent se faire loyalement.
Pour répondre à cet objectif, l’article 2 du nouveau Code de procédure civile
devrait être ainsi nouvellement rédigé :
“Les parties diligentent loyalement la procédure sous les charges qui leur
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incombent ; il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais
requis”.
Faudrait-il retoucher également l’article 3 et aller jusqu’à poser explicitement
le principe que le juge «assure le bon déroulement de l’instance» ? Ce serait sans doute
excessif et dangereux.
Excessif, car le juge n’«assure» pas seul le bon déroulement de l’instance.
Certes, l’autorité, les pouvoirs de décision et de sanction sont entre ses mains. Mais cette
autorité s’exerce dans un esprit de coopération institutionnalisée, ce qui ne signifie pas que
les juges et les parties doivent avoir des charges et des prérogatives processuelles égales. Le
juge doit constamment «provoquer l’avis des avocats» ; et ces derniers ne sont pas interdits
d’initiative36. Une part importante, celle de l’accomplissement des actes, revient de toute
façon aux parties. Par là, elles «assurent», elles aussi, le bon déroulement de l’instance.
Dangereux aussi, peut-être. La crainte a été exprimée qu’à trop insister sur
le rôle du juge dans la direction de l’instance, l’on ne provoque un transfert du centre de
gravité sur le terrain de l’appréciation du délai raisonnable, les parties n’ayant plus de
diligences à accomplir que sur décision du juge.
Le risque est réel, mais inégalement réparti.
Du point de vue des responsabilités en jeu dans l’inobservation du délai
raisonnable, on peut considérer que, de toute façon, la cause est d’ores et déjà entendue. Il
faut se reporter, sur ce point, à l’arrêt E.R. c/ France rendu par la Cour européenne des
droits de l’homme le 15 juillet 2003 37. Ayant à apprécier si la cause avait été entendue dans
un délai raisonnable et si la lenteur constatée de la procédure était susceptible d’engager la
responsabilité de l’État, la Cour rappelle que, si l’article 2 laisse l’initiative aux parties, cela
ne dispense pas le tribunal de «veiller à ce que le procès se déroule dans un délai
raisonnable», l’article 3 lui prescrivant précisément de «veiller au bon déroulement de
l’instance» et l’investissant du pouvoir d’impartir des délais et d’ordonner les mesures. Elle
stigmatise en l’espèce la longue période d’inertie du conseiller de la mise en état, qui n’avait
fixé aucun délai ni délivré la moindre injonction.
Reste la question de la péremption d’instance38. On pourrait penser que, la
direction de l’instance appartenant au juge, celui-ci ne pourrait plus reprocher aux parties
leur inaction, comme cela se passe déjà, par exemple, en matière prud’homale39. Mais
devant le tribunal de grande instance, durant la phase de mise en état, il est admis que “les
pouvoirs conférés au juge après l'exécution d'une mesure d'instruction n’ont pas pour effet
de priver les parties de la possibilité d’accomplir les diligences”40. Cette jurisprudence a fait
l’objet de critiques, au motif qu’elle ferait supporter aux justiciables les conséquences d’un
dysfonctionnement judiciaire41. Il apparaît pourtant légitime que, dès lors que la péremption
d’instance sanctionne le fait que les parties se désintéressent de la procédure, les actes
accomplis par le juge ne soient pas considérés comme des diligences susceptibles
d’interrompre le délai de péremption42. La Cour de cassation n’hésite cependant pas à
admettre l’interruption de ce délai dès que les juges du fond ont pu caractériser sans
équivoque une manifestation de volonté de poursuivre l’instance, de faire progresser
l’affaire. Nombreuses sont les démarches révélant, à ses yeux, une réelle impulsion
La péremption d’instance reste marquée par ses fondements plus
complémentaires que contradictoires. Elle manifeste la place que conserve le principe
dispositif dans le procès civil tout autant que la nécessité de conserver en toutes
circonstances le souci d'une bonne administration de la justice. Le principe de coopération
entre le juge et les parties trouve dans cette institution une nouvelle illustration.
3) Assemblée plénière, 7 juillet 2006
6
04-10.672
Arrêt n° 540 du 7 juillet 2006
Cour de cassation - Assemblée plénière
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Agen, 29 avril 2003) que se prétendant titulaire d’une créance de salaire
différé sur la succession de son père pour avoir travaillé sans rémunération au service de celui-ci, Gilbert
X... a, sur ce fondement, assigné son frère, M. René X..., pris en sa qualité de seul autre cohéritier du
défunt, en paiement d’une somme d’argent ; qu’après qu’un jugement eut rejeté cette demande au motif
que l’activité professionnelle litigieuse n’avait pas été exercée au sein d’une exploitation agricole, Gilbert
X... a de nouveau assigné son frère en paiement de la même somme d’argent sur le fondement de
l’enrichissement sans cause ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée
attachée au jugement rejetant la première demande alors, selon le moyen, “que l’autorité de la chose
jugée n’a lieu qu’en cas d’identité de cause, c’est-à-dire si les demandes successives sont fondées sur le
même texte ou le même principe ; que la cour d’appel a constaté que la première demande de Gilbert
X... avait été fondée sur le salaire différé défini par le code rural, tandis que la demande dont elle était
saisie était fondée sur l’enrichissement sans cause ; qu’en estimant que ces deux demandes avaient une
cause identique, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les
articles
1351
du
code
civil
et
480
du
nouveau
code
de
procédure
civile”
;
Mais attendu qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande
l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ;
Qu’ayant constaté que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les
mêmes parties, tendait à obtenir paiement d’une somme d’argent à titre de rémunération d’un travail
prétendument effectué sans contrepartie financière, la cour d’appel en a exactement déduit que Gilbert
X... ne pouvait être admis à contester l’identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement
juridique qu’il s’était abstenu de soulever en temps utile, de sorte que la demande se heurtait à la chose
précédemment jugée relativement à la même contestation ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
4) La légalité procédurale, L. Cadiet (extrait)
1. Lorsque, il y a quelques mois, M. le premier président Canivet m'a expliqué qu'il organisait à la Cour
de cassation un cycle de conférences intitulé « Droit et technique de cassation » et qu'il m'a proposé d'y
intervenir sur la légalité procédurale en matière civile, j'ai accepté, négligemment, sans trop me poser de
questions. La légalité procédurale en matière civile, cela me semblait aller de soi et je n'y ai plus trop
pensé. Ce sujet ayant un rapport avec la technique de cassation, j'avais seulement pris le soin
d'interroger un certain nombre de spécialistes de la cassation, magistrats ou avocats, pour leur
demander de m'éclairer sur la manière dont ils appréhendaient la légalité procédurale dans leur pratique
professionnelle et, spécialement, s'il leur semblaient que leur rapport à la légalité procédurale avait
évolué depuis le début de leur activité à la Cour de cassation. Puis les choses ont passé. Les difficultés
ont commencé il y a quelques semaines lorsque j'ai repris mon dossier pour préparer le résumé destiné à
l'annonce de mon intervention. Je me suis alors aperçu que ce qui me paraissait évident ne l'était
absolument pas, que la notion de légalité procédurale était en vérité énigmatique et que la recherche de
ses applications en droit positif révélait bien des paradoxes. L'invitation à participer au cycle de
conférences « Droit et technique de cassation » devenait ainsi, très nettement pour moi, une invitation à
tenter de donner de la consistance à une notion qui n'est claire qu'en apparence et dont on peut même
se demander si elle existe.
2.La relative discrétion des réponses à mon enquête auprès des professionnels de la cassation, autant
que la diversité de leur perception, interrogative, de la notion de légalité procédurale, peut d'ailleurs être
comprise comme traduisant une certaine perplexité quant au concept même de légalité procédurale, pour
deux raisons au moins.
En premier lieu, l'expression n'est pas d'un usage fréquent, quel que soit du reste le domaine du droit
considéré, public, privé ou pénal, interne ou international. Il ne me semble pas qu'on la trouve dans la
loi, où l'on trouve pourtant beaucoup de choses qui ne devraient pas s'y trouver (les fameux « neutrons
législatifs » !), ni dans la jurisprudence dont les décisions sont, il est vrai, plutôt économes de leurs mots
dans la tradition judiciaire française. Et, à quelques rares exceptions près, on ne la trouve guère sous la
plume des auteurs français. Il est notable, à cet égard, que deux ouvrages récemment publiés,
7
consacrés, l'un à la loi[1], l'autre à la Cour de cassation et l'élaboration du droit[2], ne fassent pas allusion
à la légalité procédurale en matière civile.
En second lieu, la légalité procédurale n'entre pas naturellement dans les catégories de la technique de
cassation. En exagérant à peine, on pourrait même dire que la tradition, en la matière, est au contraire
de dissocier la légalité et la procédure. Aux termes, en effet, de l'article 3 de la loi du 27 novembre 1790
portant institution d'un Tribunal de cassation, le Tribunal de cassation était institué pour annuler « toutes
procédures dans lesquelles les formes auront été violées, et tout jugement qui contiendra une
contravention expresse au texte de la loi ». Cette présentation donne à penser que la seule légalité qui
vaille est matérielle, ou substantielle ; seules les règles de fond en relèvent, à l'exclusion des règles de
procédure. Peut-on même parler de « règles » de procédure ? La procédure est réduite à la forme tandis
que le fond du droit constitue seul la matière de la légalité. Il reste encore quelque chose de la
séparation traditionnelle dans la loi n° 67-523 du 3 juillet 1967 relative à la Cour de cassation,
spécialement à l'article 17, qui définit le pourvoi dans l'intérêt de la loi comme le pourvoi exercé par le
procureur général près la Cour de cassation, en l'absence de pourvoi des parties, contre « une décision
contraire aux lois, aux règlements ou aux formes de procéder ». Cette distinction peut être considérée
comme étant au fondement de l'analyse dualiste du contrôle du juge de cassation conçu, d'une part,
comme contrôle normatif et, d'autre part, comme contrôle disciplinaire[3], le premier permettant la
sanction des atteintes à la légalité, le second la sanction des atteintes à la logique[4].
Sans doute, le nouveau Code de procédure civile a pris acte du sens de la loi élargi au droit quand il
définit l'office du juge à l'article 12, alinéa 1er : trancher le litige « conformément aux règles de droit qui
lui sont applicables », auquel répond la définition de la fonction du pourvoi en cassation par l'article 604 :
« faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de
droit ». A travers la référence aux règles de droit, ce sont certainement les règles de fond aussi bien que
les règles de procédure qui sont visées. Cependant, l'article 1020 du nouveau Code de procédure civile
dispose toujours que « l'arrêt vise le texte de loi sur lequel la cassation est fondée » et, dans les traités
de la cassation civile, la violation des formes de procédure n'en subsiste pas moins dans la liste des cas
d'ouverture à cassation[5], à côté, outre la violation de la règle de droit, de l'incompétence et de l'excès
de pouvoir, de la contrariété de jugements, de la perte de fondement juridique, du défaut de motifs, du
défaut de base légale et de la dénaturation[6].
3. Pour essayer de donner un sens à la notion de légalité procédurale, le mieux est donc encore de partir
de la légalité.
Dans le langage courant, la légalité est le caractère de ce qui est légal, c'est-à-dire conforme à la loi. La
langue juridique est plus subtile, qui révèle quatre sens de la légalité. Si le premier sens de la légalité
est, comme dans le langage courant, la conformité à la loi, la légalité s'entend aussi, en un deuxième
sens, du « caractère de ce qui doit être établi par la loi », comme par exemple dans le principe de la
légalité des délits et des peines, en un troisième sens, du « caractère de ce que la loi impose de faire »,
comme par exemple dans le système de la légalité des poursuites, et, en un quatrième sens, le plus
large, comme « l'ensemble des dispositions de la loi ou du droit écrit, ou du droit positif » : la légalité,
c'est alors l'ordre juridique, le droit objectif.
Nous écarterons ce dernier sens, qui est trop large. Nous écarterons également la deuxième et la
troisième acceptions, qui font sens en matière pénale, mais qui n'ont pas leur équivalent en matière
civile, si ce n'est par référence à l'hypothèse marginale du principe de la légalité des preuves (article
1345 du Code civil). Reste alors le premier sens, celui de la conformité à la loi, comprise au sens des
règles de droit, quelle qu'en soit l'origine, sauf à préciser que la conformité peut être entendue aussi bien
comme un état - ce qui est conforme - que comme un devoir être - ce qui doit être conforme. Et l'on
devine alors qu'une réflexion sur la légalité procédurale en matière civile conduit à s'intéresser davantage
au devoir de légalité qu'à l'état de légalité. On rejoint ici un principe traditionnel du droit français, le
principe de légalité, que M. Gaudemet définit « au sens le plus large comme au sens littéral » comme
« la soumission d'un acte juridique, mais aussi d'une activité matérielle à la norme juridique, elle-même
élargie au-delà de la loi formelle à l'ensemble de la normativité »[7]. Appliqué à la procédure, le principe
de légalité renvoie alors au respect des normes procédurales et, a priori, cette légalité procédurale a
pour destinataires tous ceux qui, à un titre ou à un autre, participent à la procédure de décision, les
parties, certes, mais aussi l'auteur de la décision, le juge singulièrement, et leurs auxiliaires respectifs.
Cette définition liminaire sous-entend que la légalité procédurale n'est pas seulement une exigence
applicable au procès civil et, de fait, c'est de la légalité procédurale en matière civile qu'il s'agit : à
l'instar de la matière pénale, qui est plus large que le procès pénal[8], l'exigence de légalité rayonne audelà du procès civil vers toute les procédures de droit civil au terme desquelles est prise une décision
susceptible d'affecter un intérêt au moins partiellement distinct de celui de son auteur. S'il n'y a pas de
procès sans procédure, il y a des procédures sans procès[9] et, que la procédure donne lieu ou non à une
décision juridictionnelle, c'est en toute hypothèse que la qualité de cette décision doit d'apprécier, non
seulement au regard des règles de fond dont il a été fait application (la légalité matérielle), mais aussi au
regard de la régularité de la procédure qui y a conduit (la légalité procédurale). Il est notable, à cet
égard, que, au nombre des quelques rares auteurs employant expressément l'expression « légalité
procédurale », figure Hervé Croze dans son article aux Etudes offertes à Jacques Normand où il dessine
8
les fondations, au-delà du droit processuel, d'une théorie juridique de la décision, inspirée des exigences
du procès équitable[10]. Procès équitable, le mot est lâché.
4. C'est peu dire que le droit au procès équitable a troublé la quiétude des juristes français qui
jouissaient pourtant, depuis le milieu des années 1970, d'un nouveau code de procédure civile, d'une
grande modernité, proclamant haut et fort, dès son seuil, les principes directeurs du procès civil.
Moderne, ne le serait-il donc pas, assez ? Faudrait-il être post-moderne et se contenter, pour tout droit
procédural, de la seule disposition de l'article 6.1, Conv. EDH, dans l'interprétation qu'en livre la Cour de
Strasbourg ? Après tout, quelques bons auteurs, et non les moindres, ont bien imaginé que le Code civil
pourrait être réduit aux seules dispositions de l'article 1134 et de l'article 1382, complétés du principe
selon lequel nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui. Mais c'était à la manière d'une
boutade et ce serait un bien singulier progrès d'en revenir à la Loi des XII Tables. En tout cas, la
Convention européenne des droits de l'homme, qui proclame le droit au procès équitable, a pu
apparaître, tantôt, comme l'objet d'un véritable culte, sinon l'évangile d'une nouvelle religion, tantôt,
comme l'expression d'un droit venu d'ailleurs, propre à ruiner les fondements de l'ordre juridique
français.
Il peut donc y avoir, dans ces conditions, quelque paradoxe à parler de la légalité procédurale, comme
d'un ensemble unitaire et homogène. C'est précisément ce qui justifie que l'on s'y intéresse aujourd'hui.
Mais comment en traiter ? J'ai choisi de l'embrasser dans la généralité de ce que je crois être ses
manifestations parce qu'il s'agit d'une catégorie à construire et qu'à ce stade on ne peut donc pas se
permettre d'être sélectif. Tous les matériaux sont bons à prendre. L'inconvénient de la méthode est le
risque d'être superficiel, que j'assume, car la matière est vaste qui invite à revisiter, en quelque sorte,
l'essentiel du droit judiciaire privé à la lumière de ce nouveau concept. J'essayerai donc, dans un premier
temps, de mettre au clair la notion de légalité procédurale en recherchant, dans l'évolution
contemporaine de la procédure en matière civile, ce qui peut servir à l'élaboration de la notion (I).
J'essayerai ensuite et en retour, la notion ainsi circonscrite, de mesurer son incidence sur le procès civil à
travers l'identification et l'analyse des difficultés que suscite sa mise en œuvre (II).
I. - La notion de légalité procédurale
5. D'un point de vue historique, ce qui frappe, c'est le développement des sources de la légalité
procédurale et la diversification de son domaine, ce en quoi elle obéit au même mouvement que celui qui
affecte le droit dans son ensemble[11]. Les sources ne sont sans doute pas inépuisables mais, en
revanche, le domaine de la légalité procédurale paraît difficile à borner. Cet éclatement rend plus
aléatoire qu'il n'y paraît l'identification de la notion de légalité procédurale.
A. - Développement des sources de la légalité procédurale
6. Puisque l'année 2006 offre l'occasion de célébrer, à la fois, les 200 ans de l'ancien Code de procédure
civile et les 30 ans du nouveau Code de procédure civile, on ne peut manquer d'être saisi par l'évolution
considérable des sources de la légalité procédurale. Il y a deux siècles la question des sources se
présentait de manière relativement simple : le droit était tout entier dans la loi, conçue au sens formel
ou organique du terme, et la loi était toute entière dans les codes. La codification napoléonienne, c'était
l'esprit de caserne appliqué au droit. L'avènement de la Ve République a été l'occasion d'un
bouleversement complet de la question avec, d'une part, le déclin de la légalité procédurale issue de la
loi (1°) et, d'autre part, l'essor de la légalité procédurale en dehors de la loi (2°).
1°) Le déclin de la légalité procédurale issue de la loi
7. Ce déclin tient bien sûr à la répartition des compétences opérée par la Constitution de 1958 entre le
parlement et le gouvernement. La distinction des articles 34 et 37 est trop connue pour s'y attarder.
Disons simplement que, dans le nouveau système constitutionnel, selon l'expression même de M. Jean
Foyer, « c'est le règlement qui est le droit commun, et c'est la loi qui est l'exception »[12] et que la
procédure civile relève de la compétence de droit commun du Gouvernement, non pas de la compétence
d'attribution du Parlement. Il s'agit en ce sens d'un déclin de la légalité procédurale issue de la loi.
Mais ce déclin doit être nuancé.
D'abord, pour n'être pas une loi parlementaire ou loi stricto sensu, le règlement autonome de l'article
37[13], le décret loco legis comme le nomme le doyen Carbonnier[14], qui tient lieu de loi, n'en est pas
moins une loi au sens matériel du terme. Au demeurant, la compétence du Gouvernement en matière
procédurale n'est pas totale. En vertu de la lettre expresse de l'article 34, alinéa 2, de la Constitution, le
parlement demeure compétent pour fixer les règles concernant « la création de nouveaux ordres de
juridiction et le statut des magistrats ».
Par ailleurs, les règles de procédure civile peuvent indirectement relever de la loi parlementaire,
lorsqu'elles sont l'accessoire de règles de fond pour lesquelles compétence est attribuée au parlement[15]
ou lorsqu'il appartient à la loi parlementaire de déterminer les principes fondamentaux dans un certain
nombre de matières[16].
9
8. Pour autant, ce partage des compétences a suscité et continue de susciter une réaction mélangée.
Plus particulièrement, l'éviction de la procédure civile hors du champ de la compétence parlementaire est
parfois ressentie comme un déclassement contestable, voire inadmissible. Il faudrait « rendre au
Parlement ce qui lui appartient », selon l'expression de Me Raymond Martin[17]. On pourrait voir, dans
cette contestation, l'expression d'une nostalgie de la République des avocats ; mais, plus
fondamentalement, l'opinion traduit aussi l'idée que la procédure civile intéresserait autant les libertés
publiques que la procédure pénale.
Que la procédure civile intéresse les libertés civiles en tant qu'elle permet la mise en œuvre de la
sanction judiciaire des droits, qui participe de l'Etat de droit, ce n'est pas discutable ; qu'elle intéresse les
libertés publiques à l'égal de la procédure pénale, c'est autre chose. Il me semble, en tout cas, que la
compétence réglementaire convient mieux à l'objet et au contenu des règles de procédure civile que la
compétence parlementaire. Le nouveau Code de procédure civile que l'on célèbre tant depuis son
vingtième anniversaire[18], et à juste titre, ne serait sans doute pas advenu sans la grâce de l'article 37
de la Constitution[19]. La médaille a certes son revers, qui risque de faire de la procédure civile « un
chantier permanent »[20] et du Code un ouvrage toujours remis sur le métier, de manière plus ou moins
transparente, plus ou moins pertinente. La quantité risque de nuire à la qualité. Ces modifications
incessantes, depuis 1981, n'ont pas toujours la même qualité formelle que la lettre originelle du Code[21].
Surtout, c'est la doctrine même du nouveau Code de procédure civile, sa conception fondamentale du
procès civil et la cohérence de son architecture d'ensemble dont on craint qu'elles soient altérées par la
succession ininterrompue de ces modifications ponctuelles. On se souvient, par exemple, du débat qui
avait suivi le décret du 28 décembre 1998, faisant suite au rapport de Jean-Marie Coulon, sur le point de
savoir si les nouvelles exigences faites aux parties quant à leurs écritures, l'exigence de qualification
notamment, ne remettaient pas en cause la conception de l'office du juge[22]. Un nouveau débat se
développe aujourd'hui en raison des décrets du 20 août 2004 et du 28 décembre 2005, qui font suite au
rapport de la commission présidée par Jean-Claude Magendie[23].
Je n'entrerai pas dans le détail de ces débats, qui me feraient sortir des limites de mon exposé.
J'observerai simplement : primo, que la compétence parlementaire en matière de procédure pénale n'a
pas davantage mis la procédure pénale à l'abri de modifications successives qui tirent le procès pénal à
hue et à dia au mépris de la stabilité et de la lisibilité que l'on peut attendre de la loi pénale ; secundo,
que la procédure civile n'est pas un sanctuaire et qu'il ne faut pas répudier, par principe, son adaptation
à l'évolution de la réalité judiciaire et sociale, dès lors, du moins, que cette adaptation est raisonnable
dans son inspiration et cohérente dans ses modalités ; tertio, que la compétence réglementaire, pas plus
du reste que la compétence parlementaire, n'échappe à tout contrôle, contrôle de la légalité des décrets
par le Conseil d'Etat, contrôle de la constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel qui, chacun
de son côté et à sa manière, veillent au respect des principes fondamentaux du procès[24]. Mais c'est
alors l'occasion d'observer que la légalité procédurale progresse en dehors de la loi.
2°) L'essor de la légalité procédurale en dehors de la loi
9. L'essor de la légalité procédurale en dehors de la loi, au sens matériel et national du terme, était-il
inscrit dans la Constitution de 1958 ? On pourrait en débattre : il faudrait sans doute distinguer, en
faisant la part de la contribution prétorienne à la légalité procédurale (a) et de l'élaboration internationale
de la légalité procédurale (b).
a) La contribution prétorienne à la légalité procédurale
10. Il va de soi que la Cour de cassation contribue à l'élaboration de la légalité procédurale dans son
travail de contrôle de la légalité et d'interprétation, à cette occasion, des textes de procédure[25]. Je
n'insisterai donc pas sur ce point. Il convient, en revanche, de rappeler la contribution du Conseil d'Etat
et du Conseil constitutionnel à la définition de la légalité procédurale.
On peut considérer que l'élaboration prétorienne de la légalité procédurale par le Conseil d'Etat est
impliquée par la Constitution de 1958. En raison de leur nature réglementaire, les décrets de procédure
sont soumis au contrôle du Conseil d'Etat qui a charge d'en apprécier la légalité et ce contrôle est
d'autant plus étendu que cette légalité est appréciée au regard, non seulement de la loi, mais aussi des
principes généraux du droit[26]. Le Conseil d'Etat est ainsi une source du droit judiciaire privé et sa
contribution à la légalité procédurale est loin d'être négligeable, que son intervention ait porté sur les
principes directeurs du procès, sur les autres dispositions plus techniques du Code[27] ou sur d'autres
textes comportant des dispositions de procédure civile[28]. L'arrêt Dame X..., à propos du principe de la
publicité des débats[29], et l'arrêt Rassemblement des nouveaux avocats de France, à propos du principe
du contradictoire[30], sont de grands arrêts du droit judiciaire privé.
11. L'élaboration prétorienne de la légalité procédurale par le Conseil constitutionnel, en revanche,
n'était pas impliquée par la lettre originelle de la Constitution de 1958. L'évolution sur ce terrain résulte
principalement de l'extension du contrôle de constitutionnalité à la Déclaration des droits de l'homme et
au préambule de la Constitution de 1946[31]. A partir de là, le Conseil constitutionnel, gardien de la
séparation des pouvoirs, devenait aussi gardien des libertés fondamentales[32]. C'est sur ces deux
terrains que la jurisprudence procédurale du Conseil constitutionnel s'est développée.
10
Sur le terrain des compétences respectives du Parlement et du Gouvernement, le Conseil constitutionnel
a notamment développé une interprétation large de la disposition de l'article 34 réservant au Parlement
la création de nouveaux ordres de juridiction[33], ce qui a conduit, notamment, à inclure dans le domaine
de la loi les règles relatives à l'organisation et à la compétence matérielle des juridictions[34].
Sur le terrain des droits fondamentaux ensuite, sa contribution à l'élaboration de la légalité procédurale a
été plus importante car l'examen des lois qui lui étaient soumises l'a conduit à procéder à la
constitutionnalisation de certains principes de droit processuel, qu'il s'agisse de l'indépendance des
juridictions, de l'égalité devant la justice, des droits de la défense, de la contradiction ou du droit au
recours juridictionnel effectif[35], qui figurent au nombre des « garanties fondamentales accordées aux
citoyens pour l'exercice des libertés publiques » visées par l'article 34, alinéa 2, de la Constitution.
Certes, comme l'a observé Nicolas Molfessis, « cette constitutionnalisation de la procédure reste toutefois
encore limitée, sinon marginale »[36]. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, à proprement parler, pas
plus que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, ne crée les principes fondamentaux de la procédure ; il
donne valeur constitutionnelle à des principes généraux de procédure déjà dégagés par les textes ou
révélés par la jurisprudence des juridictions ordinaires. Autrement dit, ce n'est pas parce que ces
principes se voient reconnaître une valeur constitutionnelle qu'ils sont fondamentaux ; c'est parce qu'ils
sont fondamentaux qu'ils peuvent se voir reconnaître une valeur constitutionnelle[37]. Il n'en reste pas
moins que le Conseil constitutionnel contribue ainsi à la définition de la légalité procédurale, d'une
manière qui, d'ailleurs, vaut souvent pour l'ensemble des procédures, ce qui définit, au cœur de la
légalité procédurale, sinon un droit commun, du moins un noyau dur de principes communs, et si son
rôle demeure limité, cela tient à son refus de contrôler la conformité des lois aux conventions
internationales[38], qui sont aussi une source de la légalité procédurale.
b) L'élaboration internationale de la légalité procédurale
12. L'élaboration internationale de la légalité procédurale est, pour partie, une conséquence de la
Constitution de 1958. En effet, aux termes de l'article 55, « Les traités ou accords régulièrement ratifiés
ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour
chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».
Bien que la question soit aujourd'hui réglée au regard de l'article 88-1 de la Constitution[39], on ne
négligera pas l'apport, en la matière, du droit communautaire[40], dont l'incidence aurait été amplifiée
avec l'adoption du traité pour une Constitution de l'Europe qui aurait donné un effet normatif à la Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne, avec l'article 47 qui consacre le droit à un recours
effectif et à accéder à un tribunal impartial[41].
13. Mais on n'en est pas là, de sorte que, au regard de la légalité procédurale en matière civile, la source
internationale majeure tient à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales qui, quant à elle, est directement applicable par les juridictions
françaises aux litiges purement internes. Par l'effet de l'article 55 de la Constitution, articulé à la règle de
la subsidiarité de la Convention[42], le juge national est le premier garant du respect de la Convention.
Cette convention étant devenue un standard de la pensée juridique française, qu'on s'en loue ou qu'on
s'en plaigne, je me bornerai à l'essentiel en rappelant que c'est à partir de 1980 et, plus encore, à partir
de 1990[43], que l'effet de la Convention européenne des droits de l'homme s'est véritablement fait sentir
en France. Chacun sait, aujourd'hui, quel que soit son sentiment à cet égard, que cet effet a été
considérable sur le terrain de la légalité procédurale[44], tant et si bien qu'on a pu se demander, tantôt,
s'il ne fallait pas transformer la Cour de cassation en Cour nationale des droits de l'homme[45], tantôt, s'il
ne fallait pas plutôt supprimer la Cour européenne des droits de l'homme[46]. Depuis que l'habitude a été
prise d'invoquer ce droit devant les juridictions françaises et d'en obtenir la sanction devant la Cour
européenne, il est vrai que les règles françaises de procédure civile ont été progressivement passées au
tamis des principes du procès équitable[47].
Le droit au procès équitable qui, pour parler court, combine droit au juge et droits de la défense, ne
renvoie pas immédiatement au concept de la légalité procédurale. La version anglaise de procès
équitable, fair trial, qui participe du due process of law, du procès dû[48], exprime mieux l'inscription du
droit au procès équitable dans la légalité procédurale. Le due process, en effet, selon la définition qu'en
donne Elizabeth Zoller, désigne « la procédure légale régulière prévue par la loi du pays, c'est-à-dire
d'une procédure intrinsèquement juste et équitable »[49]. Ainsi mise en perspective par rapport à la
notion de due process, l'expression de légalité procédurale ajoute, me semble-t-il, une importante plusvalue à la notion de droit au procès équitable. Elle traduit l'idée que le droit au procès équitable est
générateur de devoirs, tant il est vrai, comme l'a écrit Paul Ricoeur, que « chaque nouvelle zone de
pouvoir est aussi une zone de responsabilité »[50], devoirs de l'Etat à l'égard des personnes relevant de
sa juridiction, devoirs de la juridiction à l'égard des parties, sans doute, d'impartialité, de diligence, de
transparence [51], mais aussi devoirs des parties entre elles et devoirs des parties à l'égard de la
juridiction elle-même, on l'oublie trop souvent. La notion de légalité procédurale exprime bien ce
déplacement de la considération des droits à la considération des devoirs et cette manière de présenter
les choses me semble un progrès car elle est de nature à rappeler, contre le risque d'une dérive
libertarienne et individualiste, pour ne pas dire égocentrique, des libertés fondamentales[52], que les
droits de l'homme ont vocation à s'épanouir, pour reprendre les expressions mêmes de l'article 6.1,
11
dans une « société démocratique » où « l'intérêt de la moralité », « l'ordre public » et « la sécurité
nationale » ont aussi droit de cité. La protection des droits fondamentaux ne doit pas être assurée au
mépris du lien social qui est au fondement de la société démocratique.
Une première leçon se dégage de ce panorama des sources de la légalité procédurale en matière civile.
Cette légalité procédurale est un ensemble de règles ordonnant l'administration de la justice dans les
litiges d'intérêt privé, auxquelles doivent se conformer tous les acteurs du procès civil. Mais cet ensemble
n'est pas homogène : ces règles puisent à des sources diverses, légales et prétoriennes, nationales et
internationales, dont le champ d'application ne coïncide pas nécessairement et qui introduisent, dans la
légalité procédurale, une hiérarchie normative de nature à en diversifier le domaine.
B. - Diversification du domaine de la légalité procédurale
14. S'interroger sur la légalité procédurale en matière civile postule que la légalité procédurale s'applique
au-delà des seules procédures juridictionnelles. Mais à quelles procédures ? Cette question a partie liée
avec l'identification des règles constitutives de la légalité procédurale car on imagine mal que les mêmes
règles de procédure soient applicables en totalité à toutes les procédures, qu'elles soient juridictionnelles
ou non, et qu'elles s'y appliquent identiquement. Mais quelles règles ? C'est bien la diversité qui règne
ainsi au regard du domaine de la légalité procédurale, que ce soit du point de vue des procédures qui en
relèvent (1°) ou des règles qui la composent (2°).
1°) Quant aux procédures relevant de la légalité procédurale
15. L'applicabilité de la légalité procédurale aux procédures juridictionnelles ne soulève aucune difficulté
de principe en matière civile. Ces procédures sont en principe soumises aux règles du nouveau Code de
procédure civile, qui s'appliquent à défaut de dispositions contraires. Il y a, de ce point de vue, un droit
commun et des droits spéciaux de la légalité procédurale en matière civile, cette distinction étant même
inscrite au cœur du nouveau Code de procédure civile dont elle constitue l'architecture[53].
Soumises aux règles du nouveau Code de procédure civile ou aux autres normes légales ou
réglementaires qui leur sont applicables, ces procédures ne sont pas pour autant assujetties, par
principe, aux exigences du procès équitable. Les dispositions de l'article 6.1 Conv. EDH supposent en
effet l'existence, d'une part, d'un tribunal établi par la loi, d'autre part, d'une contestation sur des droits
et obligations de caractère civil. Ces deux conditions ont conduit la jurisprudence à préciser le champ
d'application du droit au procès équitable. C'est ainsi que la nécessité d'un tribunal établi par la loi
conduit, par exemple, à ne pas appliquer l'article 6.1, en tant que tel, aux procédures d'arbitrage[54], et
la nécessité d'une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil à en exclure
l'application aux procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime[55].
16. Le fait que l'article 6.1 Conv. EDH ne soit pas applicable en tant que tel ne signifie toutefois pas que
les principes qu'il impose ne valent pas en dehors des hypothèses qui entrent dans son champ
d'application[56]. Un arrêt assez récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation souligne
parfaitement cette distinction, qui n'est paradoxale qu'en apparence[57]. Dans cet arrêt du 31 mai 2005,
relatif à une procédure de redressement fiscal, la chambre commerciale juge, tout à la fois, que « l'article
6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas
applicable devant la commission départementale de conciliation prévue à l'article 1653 A du Code général
des impôts, qui est un organisme consultatif... », mais que le principe d'impartialité « doit cependant
présider aux débats de la commission ».
La raison en est que les exigences du procès équitable ne sont qu'une manifestation de l'équité
procédurale. Ce qui est à l'oeuvre, dans le droit au procès équitable, ce n'est pas l'équité substantielle,
traditionnellement conçue comme correctif de la règle de droit applicable à la solution matérielle du litige
; c'est l'équité du processus délibératif que constitue le procès dans la recherche de cette solution ; c'est
la garantie que la décision prononcée par le juge le sera bien dans des conditions d'impartialité du juge,
donc de juste distance entre celui-ci et les parties, répondant à l'exigence de validité universelle qui
seule rend le jugement légitime et acceptable au regard du contrat social.
Mais ce qui vaut pour le procès vaut plus largement pour toutes les procédures susceptibles d'affecter les
intérêts d'une personne. Avant d'être saisie dans la substance de la décision prononcée, la justice doit
s'observer dans le déroulement de la procédure qui y conduit. Si une procédure juste ne prémunit pas
des décisions injustes, il y a peu de chances, en revanche, qu'une procédure injuste conduise à de
justes décisions. C'est bien pourquoi la Charte DFUE consacre ainsi un « droit à une bonne
administration », défini comme le droit de tout citoyen de voir ses affaires traitées impartialement,
équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union (article 41). Et c'est
bien pourquoi il est naturel que certaines exigences consacrées au titre du procès équitable, comme le
principe de l'impartialité ou le principe de la contradiction, dépassent les limites du procès pour
s'appliquer à l'ensemble des procédures de décision, aussi diverses que celles des autorités de régulation
des marchés[58], des procédures de sanction dans les relations de droit privé, que ce soit en droit des
groupements[59] ou en droit des contrats[60]. Ainsi que l'écrit Hervé Croze, la légalité procédurale, c'est-àdire « les droits de la défense, le respect du contradictoire, plus généralement le droit à des formes
procédurales, ainsi que le droit à une motivation de la décision s'apparentent davantage à la catégorie
des droits fondamentaux qu'au droit processuel strict. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un procès pour
12
que ces droits existent, il suffit que quelqu'un puisse prendre une décision qui risque de porter préjudice
à autrui. Ce qui est présenté quelquefois comme un droit commun du procès est bien plutôt un droit
commun de la prise de décision juridique »[61].
J'irai même au-delà. C'est à l'ensemble des procédures susceptibles d'affecter les intérêts d'une
personne[62] que les principes de la légalité procédurale doivent être appliqués, que ces procédures soient
unilatérales ou contractuelles, que l'issue de ces procédures soit une décision ou une convention : d'où
l'existence, assez naturelle, de principes directeurs des modes alternatifs de règlement des conflits[63] ;
d'où la sanction, moins évidente, au visa de l'article 1315 du Code civil et de l'article 6.1 Conv. EDH,
d'une convention qui portait atteinte à la liberté de la preuve, en limitant la preuve du sinistre à certains
indices prédéterminés[64] ; d'où, peut-être aussi, l'obligation faite au concédant de motiver la décision de
refus d'agrément d'un concessionnaire[65]. Mais cette expansion est loin d'être homogène, comme en
témoigne la question, que la chambre commerciale a récemment tranchée de manière négative, de
l'application du principe de la contradiction à l'expertise de prix dans la cession de droits sociaux[66].
Ce constat de la diversité des procédures auxquelles la légalité procédurale a vocation à s'appliquer ne
signifie cependant pas que les mêmes règles de procédure soient applicables en totalité à toutes les
procédures, juridictionnelles ou non, ni qu'elles s'y appliquent identiquement. Le champ d'application de
la légalité procédurale est également diversifié quant aux règles qui la composent.
2°) Quant aux règles constitutives de la légalité procédurale
17. Les règles qui composent la légalité procédurale sont d'une grande diversité. On pourrait bien sûr
faire la part des règles de forme et des règles de fond, sans négliger les règles imposant une formalité
substantielle[67] ou, encore, la part des règles impératives et des règles supplétives, que la convention
des parties peut écarter, suscitant ainsi l'apparition d'une légalité procédurale d'origine contractuelle à
laquelle la loi elle-même semble de plus en plus prêter la main[68]. Mais le phénomène le plus frappant
dans cet ensemble normatif au regard duquel doit s'apprécier la légalité des procédures, c'est que les
règles de procédure n'ont pas la même valeur normative : il s'opère, en quelque sorte, une distillation
des normes procédurales depuis la règle de nature technique jusqu'au principe à caractère éthique. La
légalité procédurale en matière civile appelle donc, a priori, un jugement identique à celui qu'Yves
Gaudemet porte sur la légalité en général : elle est « à la fois composite et hiérarchisée »[69].
L'affirmation doit cependant être précisée car cette hiérarchie des normes procédurales fait débat en ce
qui concerne tant sa conception (a) que son fondement (b).
a) La conception de la hiérarchie des normes procédurales
18. La légalité procédurale se présente, comme la légalité en général, à la manière d'une pyramide, mais
cette pyramide n'est plus une hiérarchie formelle découlant de la hiérarchie des sources dont les normes
procédurales sont issues ; c'est une hiérarchie matérielle reposant sur les valeurs dont la norme a pour
fonction d'assurer le respect.
Les principes directeurs du procès, consacrés au seuil du nouveau Code de procédure civile, sont le
symbole de cette dissociation[70]. Ainsi que l'a écrit le doyen Cornu, si, « en tête du Code, les principes
sont au premier rang des dispositions liminaires par lesquelles s'ouvrent les dispositions communes à
toutes les juridictions », c'est que « cette inscription d'honneur au fronton du Code les désigne comme
un coeur de règles primordiales à proclamer dès le seuil : elles recèlent la quintessence du procès civil
»[71].
Règles primordiales, ces règles s'imposeraient-elles avec une autorité supérieure aux autres règles du
nouveau Code de procédure civile ?
A priori, non. Les règles des articles 1er à 24 du nouveau Code de procédure civile sont des règles de
nature réglementaire qui n'ont pas une valeur supérieure à celle des autres règles qui composent le
Code, ce qui confère aux principes directeurs du procès civil une autorité a priori inférieure à celle des
principes directeurs des autres procès, pénal[72] aussi bien qu'administratif[73], qui sont de source
législative.
Mais l'on sait aujourd'hui que l'a priori doit être nuancé. Il ne faut pas s'en tenir aux apparences de la
hiérarchie des sources. L'autorité réelle des principes ne coïncide pas avec leur autorité formelle ; elle
peut lui être supérieure. La distorsion est manifeste pour certains principes directeurs du procès civil
comme, par exemple, le principe de la contradiction et le principe de la publicité, qui ont été qualifiés de
principes généraux du droit[74], voire de principes à valeur constitutionnelle[75], sans oublier qu'ils
relèvent aussi du droit à un procès équitable au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des
droits de l'homme[76]. La jurisprudence, celle du Conseil constitutionnel, celle du Conseil d'Etat, celle de
la Cour de cassation[77], a été l'instrument de cette revalorisation normative qui dit assez que l'autorité
des principes directeurs du procès doit être appréciée par référence, non pas à la source formelle du
principe, mais à la valeur fondamentale qu'ils véhiculent[78]. Cette revalorisation laisse cependant
subsister quelques difficultés quant au fondement de la hiérarchisation des normes procédurales.
b) Le fondement de la hiérarchie des normes procédurales
19. Pourquoi certaines normes, au sein de la légalité procédurale, sont-elles plus importantes que
d'autres ? Le critère de distinction des principes et des règles conserve encore une part importante de
son mystère. La distinction continue pourtant d'être faite, à la manière d'une évidence. L'élaboration
13
récente, par Unidroit[79], d'un corpus de principes et de règles transnationales de procédure civile en
fournit une illustration topique.
Dans ce corpus de droit savant, la question du critère de distinction des principes et des règles n'est pas
abordée en tant que telle. Il est simplement fait référence au caractère plus « détaillé » des règles par
rapport aux principes. Mais le degré du détail ne saurait bien sûr être raisonnablement retenu comme
criterium. Une indication est cependant fournie à propos d'un des principes consacrés par le projet, le
Principe 16 qui définit le régime des « Dépositions écrites et orales ». A propos de ce principe, Frédérique
Ferrand, qui représentait la France au sein du comité d'experts d'Unidroit, observe qu'à son sens, ce
principe « n'est pas fondamental », et d'ajouter : « il relèverait plutôt de simples règles, car (il) ne
contient pas de principe fondamental dans l'objectif d'une procédure équitable »[80]. Est-ce à dire que le
critère de distinction entre le principe et la règle tiendrait à la fondamentalité du premier, par référence
aux exigences du principe équitable ? La piste est intéressante. Mais cela supposerait d'admettre que la
fondamentalité soit un élément de la définition du principe directeur ou, pour le dire autrement, que les
principes directeurs du procès ne soient rien d'autres que les exigences du droit au procès équitable. Or il
est permis de douter que tel soit bien le cas : toutes les exigences du procès équitable ne figurent pas au
nombre des principes directeurs du procès et tous les principes directeurs du procès ne relèvent pas des
exigences du procès équitable[81]. Peut-on du moins, sans passer par le filtre de l'article 6.1 Conv. EDH,
admettre la référence à la fondamentalité des principes directeurs comme raison de leur autorité
normative accrue par rapport à la source dont ils émanent ? La chose est envisageable, mais cette
référence ne règle pas toutes les difficultés. Il en subsiste au moins deux.
20. La première difficulté tient à l'origine de la fondamentalité, qui participe du débat plus général sur la
constitutionnalisation du droit. Dans cette dispute, qui a suscité une littérature importante, je souscris,
pour ma part[82], aux analyses de Bernard Beignier : s'il existe depuis toujours des droits fondamentaux
de la procédure, il est « inutile et inexact » de rechercher leur fondement dans le bloc de
constitutionnalité[83]. Ce n'est pas parce qu'ils ont une valeur constitutionnelle que certains principes
directeurs du procès sont fondamentaux ; c'est parce qu'ils sont fondamentaux qu'ils peuvent se voir
reconnaître une valeur constitutionnelle : la constitutionnalisation n'est pas le passage obligé de leur
fondamentalité[84]. Au demeurant, on y reviendra, la conformité à la Constitution n'est pas un gage de
respect du droit fondamental à un procès équitable[85].
21. Reste alors à régler la deuxième difficulté qui a trait aux limites de la fondamentalité. Tous les
principes directeurs du procès doivent-ils être qualifiés de principes généraux du droit, voire de principes
à valeur constitutionnelle ou cette qualification doit-elle être réservée à certains d'entre eux seulement
et, dans ce cas, lesquels ? On peut vouloir envelopper l'ensemble des principes directeurs du procès dans
le même manteau[86] ou, au contraire, les apprécier distinctement en fonction du rôle exact qui est le leur
dans l'ordonnancement du procès, au sein de la légalité procédurale. Ce deuxième parti me paraît
préférable. Tous les principes directeurs du procès n'ont pas la même importance.
Un critère de distinction pourrait conduire à faire un sort particulier aux seuls principes qui participent de
la notion même de procès, qui expriment l'essence de tout procès. Tels sont le principe de la
contradiction et le principe de l'impartialité. Impartialité et contradiction s'épaulent mutuellement ; l'une
est la condition de l'autre et toutes les deux sont la condition d'une procédure équitable susceptible de
conduire à un juste jugement, en y ajoutant l'égalité des armes qui ferme le triangle. Il faut donc se
réjouir des arrêts de la Cour de cassation qui, ces derniers mois, voire ces dernières semaines, sont
venus rappeler à un respect plus sourcilleux du principe de la contradiction[87]. C'est ce caractère
essentiel qui fait de la contradiction et de l'impartialité des principes communs à tous les procès et qui
justifie qu'on les étende au delà à tous les modes de résolution des différends, y compris les modes
extrajudiciaires, comme l'arbitrage, y compris les modes conventionnels, comme la conciliation[88]. Ainsi,
lorsque le règlement amiable passe par l'intervention d'un tiers, la procédure doit être soumise au
principe de l'impartialité du tiers[89], cette impartialité étant requise non pas parce que le tiers est un
juge, mais parce qu'il est un tiers par rapport aux parties. Le fait que le juge tranche le litige tandis que
le conciliateur aide les parties à résoudre elles-mêmes leur différend ne change rien à la condition de
tiers qu'ils ont en commun ; dans les deux cas, le tiers ne doit pas prendre parti ; il doit maintenir la
balance égale entre les parties ; il doit rester à la juste distance qui seule confère légitimité à son
intervention[90].
Avec le principe de la contradiction et le principe de l'impartialité, nous nous trouvons à la pointe de la
pyramide de la légalité procédurale[91]. En eux s'exprime l'équité procédurale dans son état le plus pur. Il
peut paraître paradoxal que l'équité, qui est traditionnellement exception à la loi quand celle-ci cesse
d'être juste[92], devienne la meilleure expression de la légalité procédurale. Mais ici encore, le paradoxe
n'est qu'apparent. On peut le dire à la manière anglo-américaine, déjà évoquée : le fair trial participe du
due process of law[93]. On peut aussi l'exprimer comme le doyen Carbonnier, pour lequel ces principes
d'équité « forment un peu le droit naturel de la procédure »[94]. S'il devait n'en rester que deux, ce serait
ces deux-là, les balises les plus sûres quand la tourmente sévit et emporte avec elle les autres repères
de la légalité procédurale. A une époque où la légalité matérielle peut apparaître chancelante, où, si j'en
crois même Hervé Croze, « l'idée de soumission du juge à la légalité est vigoureusement contestée, au
nom d'une idée de la justice qui transcenderait la hiérarchie des normes, et, plus prosaïquement, de la
prétendue incompétence du ‘législateur' »[95], la contradiction et l'impartialité, plus qu'aucun autre
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élément de la légalité procédurale, sont des facteurs essentiels de la légitimité du juge. Ces deux
principes ajoutent au fondement institutionnel de cette légitimité, tiré de la Constitution, une justification
fonctionnelle, fondée sur une méthodologie juridictionnelle ramenée, pour l'essentiel, au débat
contradictoire qu'un juge impartial et indépendant fait respecter et respecte lui-même[96] dans le cadre
d'une justice démocratique[97].
Faut-il aller jusqu'à les transcender en un principe unique de loyauté[98] ? L'idée est à la mode[99] ; la
Cour de cassation lui fait écho qui vise expressément la loyauté des débats dans quelques arrêts récents,
notamment un arrêt relatif à une élection delphinale qui a fait couler beaucoup d'encre[100]. Elle n'est
cependant pas nouvelle et n'apporte pas grand chose de plus aux principes fondamentaux du procès civil
déjà consacrés à travers les exigences du procès équitable, les principes directeurs du procès et bien
d'autres règles du Code, qui la sous-entendent[101]. Lorsque l'article 3 du nouveau Code de procédure
civile confie au juge le pouvoir de veiller « au bon déroulement de l'instance » c'est le « déroulement
loyal de la procédure » qu'il entend, ainsi que le confirme expressément l'article 763 du nouveau Code de
procédure civile[102], et, cette mission, il la confie à un juge qui a prêté serment « de bien et fidèlement
remplir (s)es fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de (s)e conduire en tout
comme un digne et loyal magistrat »[103]. La loyauté est donc une qualité générale attendue du juge et
une qualité particulière attendue des parties dans le respect de la contradiction et de leur obligation de
concourir à la manifestation de la vérité[104], davantage qu'un principe directeur autonome du procès
civil[105]. Il n'est pas anodin, à cet égard, que la première chambre civile en appelle au respect de la
loyauté au visa des articles 10 du Code civil et 3 du nouveau Code de procédure civile en donnant à son
rappel une rédaction très clairement empruntée à l'article 16, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure
civile : « Attendu que le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats ». Il n'est
donc pas souhaitable, de mon point de vue, que le principe de loyauté soit érigé en principe autonome,
sauf à vider le 1er chapitre du nouveau Code de procédure civile de sa substance éprouvée au profit d'un
concept trop général et trop subjectif pour servir de grammaire commune fiable et sûre[106]. A tout
prendre, il vaudrait encore mieux consacrer un devoir de cohérence, qui apparaît aussi ici et là, au fil de
certaines décisions[107].
Quoi qu'il en soit, ces décisions sont exemplaires à d'autres égards et surtout en ceci que, en conduisant
la Cour de cassation à écarter l'application de dispositions du nouveau Code de procédure civile dont
l'application littérale aurait pu conduire à une solution différente, elle révèle les perturbations que la mise
en œuvre de la légalité procédurale provoque dans l'ordonnancement du procès civil. Après avoir tenté
de cerner la notion de légalité procédurale, essayons donc maintenant d'observer la légalité procédurale
à l'œuvre.
5) Article 1351 du Code civil
L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que
la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la
demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
6) Article 780 du Code de procédure civile
Si l'un des avocats n'a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le juge
peut ordonner la clôture à son égard, d'office ou à la demande d'une autre partie, sauf, en ce
dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de
recours. Copie de l'ordonnance est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa
résidence.
Le juge rétracte l'ordonnance de clôture partielle, d'office ou lorsqu'il est saisi de conclusions
à cette fin, pour permettre de répliquer à des demandes ou des moyens nouveaux présentés par
une partie postérieurement à cette ordonnance. Il en est de même en cas de cause grave et
dûment justifiée.
Si aucune autre partie ne doit conclure, le juge ordonne la clôture de l'instruction et le renvoi
devant le tribunal.
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7) Principes de droit européen des contrats, article 1 :201
Article 1:201: Bonne foi
(1) Chaque partie est tenue d'agir conformément aux exigences de la bonne foi.
(2) Les parties ne peuvent exclure ce devoir ni le limiter.
8) Principes de droit européen des contrats, article 1 : 202
Article 1:202: Devoir de collaboration
Chaque partie doit à l'autre une collaboration qui permette au contrat de produire son plein
effet.
9) La loyauté du salarié en arrêt maladie à l’égard de son employeur par Céline Braz
Tout contrat de travail donne naissance à une obligation de loyauté réciproque entre
l’employeur et le salarié. Pour le salarié, cette obligation consiste de façon générale à ne pas
nuire à la société employeur, et ce tant à l’intérieur (équivaut à savoir "tenir sa langue") qu’à
l’extérieur de l’entreprise (ne pas exercer une activité concurrente à celle de son employeur
pendant la durée du contrat de travail). Notons que cette obligation est loin de n’être que
formelle, comme le prouve sa sanction. En effet, la violation de cette obligation peut être une
cause réelle et sérieuse de licenciement, voire constitutive d’une faute grave ou lourde
pouvant justifier le départ immédiat du salarié de l’entreprise sans préavis ni indemnités.
Mais qu’en est-il de cette obligation en cas d’arrêt de travail du salarié ?
Pendant l’arrêt de travail, le contrat de travail est suspendu. Toutefois, l’obligation de loyauté
subsiste, contrairement aux autres obligations du contrat qui elles disparaissent. En ce
domaine, la Cour de cassation a développé une jurisprudence particulièrement intéressante et
s’orientant vers un élargissement du contenu d’une telle obligation.
Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est montrée favorable au salarié, estimant que
celui-ci est en droit de refuser de communiquer des informations à son employeur pendant son
arrêt de travail. C’est ce qui ressort d’un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en
date du 15 juin 1999.
Dans cette espèce, la Cour avait condamné une entreprise qui avait licenciée une salariée pour
avoir au cours de son arrêt maladie "coupé catégoriquement toute possibilité de contact avec
ses collègues" et par là même refusé de passer des consignes à sa remplaçante. La Cour avait
en effet décidé que "si la suspension du contrat de travail provoquée par la maladie ou
l’accident ne supprimait pas l’obligation de loyauté du salarié à l’égard de l’employeur, la
cour d’appel a exactement décidé que l’intéressée, dispensée de son obligation de fournir sa
prestation de travail, ne saurait être tenue, durant cette période, de poursuivre une
collaboration avec l’employeur".
Dans un second temps, la Cour de cassation est venue apporter une nuance à cette
jurisprudence, que nous pouvons illustrer au travers de deux décisions.
Un premier arrêt du 6 février 2001 a justifié le licenciement d’une salariée pour faute grave
consistant en son refus répété de restituer les fiches clients indispensables au bon
fonctionnement de l’entreprise. Ainsi, la Cour a décidé que "la suspension du contrat de
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travail provoquée par la maladie ou l’accident, si elle dispense le salarié de son obligation de
fournir sa prestation de travail, de sorte qu’il ne saurait être tenu durant cette période de
poursuivre une collaboration avec l’employeur, ne dispense pas le salarié, tenu d’une
obligation de loyauté, de restituer à l’employeur qui en fait la demande, les éléments matériels
qui sont détenus par lui et qui sont nécessaires à la poursuite de l’activité de l’entreprise".
Un second arrêt du 18 mars 2003 a jugé qu’un salarié en arrêt maladie commettait une faute
passible de licenciement s’il entravait le fonctionnement de l’entreprise en refusant de
communiquer le code d’accès personnel à son ordinateur professionnel. L’attendu de cet arrêt
énonce à nouveau que "le salarié n’est pas dispensé de communiquer à l’employeur, qui en
fait la demande, les informations qui sont détenues par lui et qui sont nécessaires à la
poursuite de l’activité de l’entreprise".
Au regard de ces deux décisions, on comprend aisément que l’obligation de loyauté, dont la
force avait été mise en cause suite à l’arrêt de 1999, trouve pleinement à s’appliquer lorsque la
bonne marche de l’entreprise l’exige.
Mais alors quid du salarié qui exerce une autre activité pendant son arrêt de travail ? N’est-ce
pas contraire à cette même obligation de loyauté et à la bonne marche de l’entreprise ?
Dans un arrêt en date du 4 juin 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation a déclaré que
"l’exercice d’une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas
en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet
arrêt". En l’espèce, il ne faut cependant pas omettre le fait que, si la Cour a pris une telle
position, ce n’est qu’après avoir relevé que l’activité avait été exercée par le salarié à titre
bénévole et dans un secteur ne faisant aucune concurrence à l’employeur.
En conséquence, l’exercice d’une activité dans une autre entreprise par un salarié en arrêt
maladie n’est pas nécessairement fautif et ne constitue pas en lui-même un acte déloyal
pouvant justifier son licenciement.
Toutefois, il faut mettre à part le cas dans lequel un salarié en arrêt maladie aura démontré par
ses activités qu’il est apte à reprendre le travail bien que le terme de l’arrêt ne soit pas atteint,
et qu’il n’en aura pas averti l’employeur. Dans cette hypothèse, la déloyauté du salarié sera
caractérisée et celui-ci encourra la sanction de licenciement.
10) Cour de Cassation Chambre commerciale 24 février 1998
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que M. Kopcio, après avoir travaillé en qualité de
directeur de région dans la société CRPI, a été nommé le 25 janvier 1990 gérant d'une de ses filiales la société
PIC ayant pour objet la distribution et l'entretien de matériels de lutte contre l'incendie ; que cette nomination
s'est accompagnée d'un engagement de non-concurrence pour une durée de trois années à dater de la cessation de
ses fonctions, la clause de non-concurrence s'accompagnant, en cas de non-respect, du versement d'une
indemnité de 1 million de francs ; que, le 26 décembre 1990, la société PIC s'est transformée en société anonyme
et il a été mis fin aux fonctions de gérant de M. Kopcio ; que le 15 mars 1991, le conseil d'administration l'a
nommé directeur général étant précisé dans le procès verbal que, de ce fait, il était mis fin sans contrepartie et
sans indemnité à tout contrat de travail ayant pu exister entre la société et l'intéressé ; que le 30 mars 1992, M.
Kopcio a démissionné de ses fonctions et a créé, peu après une société concurrente, la société ORSI ; que la
société PIC l'a alors assigné en dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance pour non respect de la
clause de non-concurrence signée le 25 janvier 1990 ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
17
Attendu que pour rejeter la demande en dommages-intérêts formée par la société PIC, l'arrêt énonce que M.
Kopcio étant délié de la clause de non-concurrence, avait totale liberté de travail et de concurrence avec la
société PIC et, que si à l'époque où il a démissionné de la société, d'autres collaborateurs de cette entreprise ont "
massivement démissionné ", il n'est pas établi que cette démission collective ait relevé d'une action concertée,
organisée par M. Kopcio ; que l'arrêt relève encore que par la suite certains d'entre eux faisant l'objet de plaintes
ou de procédures de la part de la société PIC ont été embauchés par la société ORSI créée par M. Kopcio, mais
que la preuve n'est pas rapportée que celui-ci ait usé de manoeuvres ou de pressions pour débaucher le personnel
; Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'ayant constaté que M. Kopcio avait exercé successivement les
fonctions de gérant, puis après sa transformation en société anonyme, de directeur général de la société PIC, ce
dont il découlait qu'il était tenu à une obligation de loyauté à l'égard de cette entreprise, et après avoir relevé les
démissions massives des salariés de la société PIC pour rejoindre la société créée par M. Kopcio, sans vérifier de
façon concrète, ainsi que le soutenait la société PIC dans ses écritures, les conditions dans lesquelles certains
d'entre eux avaient été déliés de la clause de non-concurrence qu'ils avaient souscrite, M. Kopcio étant encore
directeur général de cette entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; PAR CES
MOTIFS : CASSE ET ANNULE
11) Code de la consommation, L. 212-1
Modifié par Ordonnance n°2004-670 du 9 juillet 2004 - art. 6 JORF 10 juillet 2004
Dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en
vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions
commerciales et à la protection des consommateurs.
Le responsable de la première mise sur le marché d'un produit est donc tenu de vérifier que
celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur.
A la demande des agents habilités pour appliquer le présent livre, il est tenu de justifier les
vérifications et contrôles effectués.
12) Code commerce, L134-4
Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans
l'intérêt commun des parties.
Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et
un devoir réciproque d'information.
L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre
l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
13) Code civil, 1134
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la
loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.
14) Civ. 1ère, 10 mai 1989
18
Sur le deuxième moyen :
Vu les articles 1116 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;
Attendu que, par acte sous seing privé du 20 juin 1979, intitulé " contrat d'ouverture de crédit en compte courant
", la caisse régionale de crédit agricole mutuel des Deux-Sèvres a prêté à M. et Mme Doche la somme de cent
mille francs " destinée à leur permettre de faire face à leurs besoins courants de trésorerie " ; qu'à cette même
date M. et Mme Pougnand ont signé un engagement de caution, limité à la somme de cent mille francs, stipulant
qu'après avoir pris connaissance des clauses et conditions du contrat précité, ils s'engageaient solidairement " à
garantir à la caisse régionale prêteuse le remboursement de toutes sommes qui pourrait être dues par
l'emprunteur, y compris les intérêts, frais et accessoires " ; qu'après que la liquidation des biens de M. Doche eut
été prononcée, le crédit agricole, se prévalant du cautionnement consenti par M. et Mme Pougnand, a assigné
ceux-ci en remboursement de sommes qui lui étaient dues par M. et Mme Doche ;
Attendu que pour infirmer la décision du tribunal qui, sur la demande reconventionnelle formée par M. et Mme
Pougnand, avait annulé pour dol leur cautionnement et condamné la banque à leur restituer les sommes qu'ils lui
avaient déjà versées en exécution de celui-ci, l'arrêt attaqué retient que s'il est exact que le crédit agricole n'a pas
pris l'initiative de faire connaître aux intéressés, lorsque ceux-ci ont consenti ce cautionnement, que la dette de
M. Doche à son égard s'élevait à 113 366,86 francs, M. et Mme Pougnand n'apportent pas la preuve que cette
réticence a été pour eux dolosive dès l'instant où il n'est pas certain que, même valablement renseignés sur la
situation financière réelle de M. Doche et sur sa dette envers la banque, ils n'auraient pas consenti à cautionner ce
dernier ;
Attendu cependant que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence
la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins
lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin d'inciter celle-ci à
s'engager ;
D'où il suit qu'en statuant comme ils ont fait alors qu'ils ne pouvaient exclure le caractère dolosif de la réticence
par eux retenue à l'encontre du crédit agricole sans relever aucun élément propre à établir qu'en l'espèce ladite
réticence n'était pas de nature à inciter les intéressés à consentir le cautionnement litigieux, les juges du second
degré n'ont pas donné de base légale à leur décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les premier et troisième moyens :
CASSE ET ANNULE
15) Manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi sanctionné par un
licenciement abusif, par Agathe Euvrard, Avocate
Le Conseil de Prud’hommes de PARIS a fait droit à nos demandes en condamnant, par
jugement notifié le 16 janvier 2008, à présent définitif, un employeur ayant prononcé une
mise à pied injustifiée, traduisant un manquement caractérisé de sa part à son obligation
d’exécuter le contrat de travail de bonne foi et à son obligation générale de loyauté envers son
salarié.
L’employeur, reprochant à son salarié son comportement et notamment de faire preuve de
"laxisme", avait adressé à ce dernier un courrier d’avertissement, puis l’avait contraint à subir
trois semaines de mise à pied avec effet immédiat, avant d’opérer un revirement en lui
demandant de reprendre ses fonctions.
Le salarié avait alors pris acte de la rupture de son contrat de travail du fait de l’employeur,
estimant qu’elle devait produire tous les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il ressort en effet d’une jurisprudence établie que : "lorsqu’un salarié prend acte de la rupture
de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture
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produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la
justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission".
En l’espèce, le salarié avait pris acte de la rupture du fait des revirements de décision de
l’employeur ayant engagé à son encontre des procédures particulièrement vexatoires, et alors
même que les griefs invoqués n’étaient étayés par aucun élément probant.
Le Juge retient que l’attitude de l’employeur n’est pas sérieuse et qu’il n’a pas rempli avec
loyauté l’exécution de son obligation dans le cadre du contrat de travail.
Cette rupture aux torts de l’employeur s’analyse donc en un licenciement ce qui entraîne le
règlement au salarié de toutes les sommes dues à ce titre.
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur est condamné à payer
une indemnité supplémentaire de l’ordre de six mois de salaire, en raison du grave préjudice
subi par le salarié.
L’obligation de bonne foi figure expressément depuis 2002 dans le code du travail et recouvre
pour l’employeur un devoir de loyauté dans l’exécution du contrat de travail.
A défaut d’avoir respecté cette obligation, l’employeur se voit ici sanctionné et contraint
d’assumer toutes les conséquences d’un licenciement abusif avec un jugement de
condamnation sévère du Conseil de Prud’hommes de Paris.
16) Les clauses de non-concurrence, par Laurent Babin, Avocat.
Lorsqu’un salarié exerce une fonction commerciale ou occupe un poste important dans
l’entreprise, lui donnant accès à des " savoir-faire " techniques, commerciaux ou financiers, il
est très fréquent que son contrat de travail intègre une clause de non-concurrence.
L’objectif de cette clause est d’interdire à un ancien salarié, après son départ de l’entreprise,
d’exercer une activité professionnelle concurrente qui porterait atteinte aux intérêts de son
ancien employeur.
Dès lors que la Cour de cassation a admis le principe de la licéité des clauses de nonconcurrence, il convenait de déterminer leur régime, afin d’éviter une atteinte excessive à la
liberté du travail et à la libre concurrence, principes fondamentaux de notre droit.
En l’absence de dispositions législatives applicables, c’est la jurisprudence qui a
progressivement déterminé les conditions de validité et de mise en oeuvre de ces clauses.
Elles nourrissent, aujourd’hui encore, un contentieux important.
L’objectif de cette contribution, intégrée dans le cadre d’une réflexion plus large sur la
loyauté et les relations de travail, n’est pas de dresser un bilan exhaustif de la matière des
clauses de non-concurrence.
En revanche, une question particulièrement intéressante concerne les rapports entre
l’obligation de loyauté, qui conna”t des applications de plus en plus fréquentes en droit du
travail, et l’obligation de non-concurrence.
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Dans le domaine des relations de travail, le devoir de loyauté peut être défini comme
l’obligation pour les parties au contrat d’exécuter fidèlement leurs engagements. Découlant de
l’article 1134 alinéa 3 du Code civil aux termes duquel les conventions doivent être exécutées
de bonne foi, ce devoir de loyauté existe également au stade de la conclusion du contrat, l’une
des parties ne pouvant en principe user de la mauvaise foi pour déterminer l’autre à
contracter.
Cette obligation de loyauté peut-elle imposer une obligation de non-concurrence en l’absence
de toute clause contractuelle (I) ? Au contraire, lorsqu’une clause de non-concurrence est
prévue au contrat, l’obligation de loyauté permet-elle d’apprécier cette clause sous un
éclairage nouveau, tant au stade de sa validité que de sa mise en oeuvre (II ) ?
I ö L’OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE EN L’ABSENCE DE CLAUSE DE NONCONCURRENCE
L’obligation de loyauté découlant de l’article 1134 du Code civil s’applique aux relations de
travail, sans qu’il soit besoin d’une quelconque stipulation contractuelle.
C’est ainsi que bien avant la reprise de l’obligation d’adaptation par la loi AUBRY II du 19
janvier 2000 (art. L. 932-2 du Code du travail), la Cour de cassation avait eu l’occasion de
juger que l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer
l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi (Soc. 25 février 1992, D. 1992. 390).
Cette obligation de loyauté, inhérente au contrat de travail, vient restreindre la possibilité pour
un salarié ou un ancien salarié de faire concurrence à son employeur ou à son ancien
employeur, en l’absence ou indépendamment de toute clause de non-concurrence.
En premier lieu, pendant l’exécution du contrat de travail, un salarié ne saurait exercer
pour son propre compte ou pour le compte d’une autre entreprise, une activité concurrente de
celle de son employeur (Cass. soc., 5 mai 1971, n¡ 70-40.021 : Bull. civ. V, n¡ 327).
Dans le cas contraire, il manquerait à son obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne
foi, les actes de concurrences exercés constituant en principe un motif réel et sérieux de
licenciement, et même parfois une faute grave.
Cette obligation du salarié, souvent appelée " obligation de loyauté " ou " obligation de
fidélité ", a été affirmée par la jurisprudence même en l’absence de contrat écrit, ou même si
le contrat ne contient aucune clause à ce sujet.
La concurrence faite par un salarié pendant l’exécution de son contrat peut prendre des formes
diverses :
- exercice direct d’une activité concurrente,
- participation à l’activité d’une entreprise concurrente dirigée par un membre de la famille du
salarié,
- détournement de clientèle au profit d’une entreprise concurrente,
- dénigrement systématique des produits ou de la gestion d’une entreprise.
Les contours de cette obligation de non-concurrence contemporaine de l’exécution du contrat
de travail sont parfois difficiles à saisir.
21
C’est ainsi que le fait pour des salariés d’avoir posé leur candidature à un emploi auprès d’une
entreprise concurrente de celle de leur employeur n’est pas contraire à l’obligation de loyauté
qui leur incombe et, par voie de conséquence, ne constitue pas une cause de licenciement
(Cass. soc., 7 avril 1999, n¡ 96-45.135, 97-40.834, Aramendi et a. c/ SA Scamar).
Dans les cas où le contrat comporte une clause de non-concurrence, il ne faut surtout pas
confondre l’obligation découlant de cette clause avec l’obligation de loyauté.
La Cour de cassation a eu l’occasion de souligner la distinction entre l’obligation de loyauté
d’une part, à laquelle le salarié se trouve soumis pendant la durée d’exécution de son contrat,
et la clause de non-concurrence d’autre part, qui ne peut entrer en application qu’à compter de
la rupture du contrat de travail.
Dans l’affaire Sté L’Oréal c/ Goncalves (Cass. Soc. 10 nov. 1998, Bull. civ. V, n¡ 484),
Monsieur Goncalves, ingénieur, avait pris par l’intermédiaire de tiers membres de sa famille,
des brevets pour des produits qu’il avait créés au cours de son contrat, et qui étaient la
propriété de l’employeur. La Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l’ingénieur
avait commis un acte de déloyauté justifiant son licenciement pour faute lourde. En revanche,
ces faits ne constituaient pas, par eux-mêmes, des infractions à la clause de non-concurrence.
En second lieu, après la fin du contrat, il serait incompréhensible qu’un salarié soit privé de
la possibilité d’entrer immédiatement au service d’un nouvel employeur concurrent du
précédent, faute d’avoir expressément renoncé à cette possibilité par l’acceptation d’une
clause de non-concurrence.
La jurisprudence a donc clairement consacré cette liberté d’embauche du salarié par une
entreprise concurrente, la concurrence provenant des anciens employés étant un aspect normal
de toute activité commerciale ( T. Com. Paris, 14 mars 1973, Gaz. Pal. 73-II-740).
En l’absence de clause de non-concurrence, l’ancien salarié n’est donc tenu d’aucune
obligation de non-concurrence. L’obligation de loyauté, effective pendant l’exécution du
contrat, s’efface devant le principe de liberté du travail une fois que le contrat a pris fin.
En revanche, le salarié ne saurait abuser de cette liberté, qui a pour seul but de lui permettre
d’exercer dans un domaine où il est spécialement compétent . S’il peut faire concurrence à
son ancien employeur, c’est à la condition de ne pas faire preuve de déloyauté. En dénigrant
des produits de son ancien employeur ou en entretenant volontairement la confusion entre
l’ancienne et la nouvelle entreprise, le salarié commettrait un acte de concurrence déloyale,
susceptible d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
II ö L’OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE DECOULANT D’UNE CLAUSE DE
NON-CONCURRENCE
Lorsqu’une entreprise permet à un de ses salariés de nouer des liens privilégiés avec clientèle,
de développer un savoir-faire ou des techniques spécifiques, d’accéder à des informations
stratégiques, il est légitime qu’elle se protège en incluant au contrat de travail une clause de
non-concurrence.
22
Pourtant, une telle clause constitue une restriction au libre exercice de leur profession par les
salariés, puisqu’elle leur interdit de rechercher certains emplois : cette clause n’est donc licite
que dans la mesure où elle ne fait pas totalement échec à la liberté du travail.
S’il faut se garder de toute confusion entre une clause de non-concurrence et l’obligation de
loyauté existant au stade de l’exécution du contrat de travail en l’absence de clause, il n’en
demeure pas moins que la clause constitue en elle-même une stipulation contractuelle : en tant
que telle, aux termes de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, elle doit être exécutée de bonne
foi, étant entendu que la bonne foi doit également irriguer l’accord de volonté qui lui donne
naissance.
Quelle peut donc être la place de l’obligation de loyauté dans l’appréciation des conditions de
validité et de mise en oeuvre des clauses de non-concurrence ?
S’agissant de la validité de la clause, le champ laissé à l’obligation de loyauté semble très
réduit.
En effet, s’il évident que la clause doit être expressément convenue entre les parties, on ne
voit pas quelle déloyauté pourrait bien vicier la volonté des parties, ou quelles informations
pourraient être dissimulées par l’employeur afin de déterminer le salarié à accepter une clause
de non-concurrence.
La seule difficulté qui pouvait se poser concerne l’hypothèse où la clause de non-concurrence
ne résulterait pas du contrat, mais de dispositions conventionnelles. En effet, certaines
conventions collectives, fort peu nombreuses, indiquent expressément que tout salarié quittant
l’entreprise ne devra pas exercer une activité concurrente, et fixent avec précision la durée et
le champ d’application territorial de cette interdiction.
Aujourd’hui, la Cour de cassation a admis que les obligations mises à la charge d’un salarié
par une convention collective lui sont opposables, en l’absence de mention dans le contrat de
travail, dès lors qu’il a été informé de l’existence d’une convention collective et mis en
mesure d’en prendre connaissance (Cass. soc., 8 janv. 1997, n¡ 93-40.009, Pied c/ Sté Gras
Savoye : Bull. civ. V, n¡ 8).
L’employeur est donc tenu d’une obligation de loyauté et doit informer le salarié de
l’existence des dispositions conventionnelles. A défaut, la clause de non-concurrence résultant
des seules dispositions conventionnelles sera considérée comme inopposable au salarié. Bien
entendu et pour éviter toute difficulté, il est préférable d’insérer expressément les dispositions
conventionnelles relatives à la clause de non-concurrence dans le contrat de travail.
De manière simplifiée, la jurisprudence admet la licéité d’une clause de non-concurrence à
une double condition : d’une part, elle doit être indispensable à la protection des intérêts
légitimes de l’entreprise, notamment en raison des fonctions du salarié (Soc. 14 mai 1992,
bull. civ. V n¡ 309) ; d’autre part, elle doit être limitée à raison de son étendue dans le temps
et dans l’espace, compte tenu de la possibilité pour le salarié d’exercer des activités
correspondant à sa formation et à son expérience ( par exemple Cass. Soc. 22 fév. 2000, n¡
97-45.868, SA Douglas Parfumerie France c/ Roucher).
En réalité, il n’est pas ici question de loyauté, laquelle concernerait l’intégrité des
consentements, mais de limitation imposée par la clause de non-concurrence à la liberté du
23
travail : la clause ne doit pas avoir pour objet ou pour effet d’empêcher totalement le salarié
de retrouver un emploi, en l’obligeant à s’expatrier ou à changer radicalement d’activité.
En revanche, l’obligation de loyauté semble pouvoir jouer un certain rôle au stade de la mise
en oeuvre de la clause de non-concurrence.
Tout d’abord, certaines conventions collectives mettent expressément un devoir de loyauté à
la charge de l’employeur qui souhaite renoncer à l’application d’une clause de nonconcurrence prévue au contrat, en lui imposant un délai.
C’est ainsi que la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie prévoit que
la renonciation à se prévaloir d’une telle clause doit intervenir dans les 8 jours qui suivent la
notification de la rupture.
Il s’agit là de ne pas laisser le salarié dans une incertitude qui lui serait préjudiciable, en
différant la possibilité de conclure un nouveau contrat de travail avec une entreprise
concurrente.
En l’absence de dispositions conventionnelles, c’est à dire lorsque aucun délai de renonciation
n’est fixé par la convention collective ou le contrat, la jurisprudence s’attache à mettre en
avant une obligation de diligence et de loyauté.
Pour être valable, la renonciation doit être notifiée au salarié avant la date à laquelle il quitte
l’entreprise ou dès la date à laquelle le préavis a cessé de s’exécuter. Dans le cas où le salarié
est dispensé d’exécuter son préavis, la clause de non-concurrence le lie dès son départ effectif
de l’entreprise : la renonciation de l’employeur doit donc intervenir au moment du
licenciement du salarié pour lui permettre, le cas échéant, d’entrer au service d’une entreprise
concurrente pendant la durée du préavis (Soc. 15 juillet 1998, Prévost c/ Sté Lee Cooper, bull.
civ. V, n¡ 382).
Il est également possible de s’interroger sur le rôle que pourrait jouer l’obligation de loyauté
en ce qui concerne l’application d’une clause de non-concurrence par un employeur qui
licencie abusivement un salarié, sans justifier d’une cause réelle et sérieuse.
En effet, en droit commun des contrats, le devoir de loyauté interdit à un contractant
d’appliquer une clause contractuelle invoquée de mauvaise foi : ainsi une clause
d’irresponsabilité ne saurait être appliquée en cas de dol ou de faute lourde de la partie qui
invoque la clause en sa faveur (Ass. plén. 30 juin 1998, bull. civ. n¡ 2).
De la même manière, ne pourrait-on pas considérer que lorsque le licenciement du salarié est
intervenu en l’absence de cause réelle et sérieuse, le caractère abusif du licenciement fait
obstacle à ce que l’employeur se prévale de bonne foi de la clause de non-concurrence ? Il
s’agirait alors de ne pas ajouter à un licenciement injustifié, la difficulté de retrouver un
travail dans un secteur où le salarié est justement le plus compétent.
Telle ne semble pas être pour l’instant la position retenue par la Cour de cassation (Cass. Soc.
6 déc. 1984, n¡ 81-42.872).
24
Enfin, l’obligation de loyauté pourrait permettre d’écarter l’application d’une clause de nonconcurrence en cas de rupture d’une période d’essai.
Faut-il admettre que pour quelques semaines passées par l’entreprise, l’employeur puisse
interdire au salarié d’exercer l’activité qui est la sienne pendant plusieurs années et sur un
secteur géographique souvent étendu.
La jurisprudence ne semple pas être fixée sur ce point.
En matière de clauses de mobilité, la jurisprudence considère que l’employeur qui fait un
usage abusif de la clause de mobilité manque à son obligation d’exécuter le contrat de bonne
foi (Soc. 18 mai 1999, JCP éd. E 2000. 40).
De la même manière, il semble que l’on puisse soutenir que l’employeur qui invoque
l’application d’une clause de non-concurrence manque à son obligation de loyauté, lorsque le
salarié, compte tenu du temps réduit passé dans l’entreprise, n’a pu avoir connaissance des
secrets financiers ou techniques de l’entreprise ni lier des contacts avec la clientèle.
En l’état actuel de la jurisprudence, l’appréciation de la validité de la clause au regard de la
nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise est également un moyen assez
satisfaisant d’assurer le respect de l’obligation de loyauté.
17) L’arbitrage interne par C. Jarosson
par
Professeur à l'Université de Paris II
Charles
Jarrosson
A la demande des organisateurs de cette journée(1), mon propos sera limité à deux questions qui ont été
évoquées par Monsieur le conseiller Etienne dans son exposé : celle du contrôle du respect par l'amiable
compositeur de sa mission, d'une part (I), et celle de savoir, d'autre part, si une partie doit être déclarée
irrecevable à invoquer devant la cour d'appel les irrégularités de la procédure d'arbitrage qu'elles aurait
pu soulever devant les arbitres (II).
I.- Le respect de sa mission par l'amiable compositeur
a) Rappel des solutions classiques
La mission de l'amiable compositeur n'a pas toujours eu une spécificité par rapport à l'arbitrage en droit.
En effet, au Moyen âge on trouvait des auteurs pour en faire une notion différente de l'arbitrage, tandis
que d'autres considéraient que tout arbitre était amiable compositeur. Aujourd'hui, en droit français, la
distinction est bien connue. L'amiable composition est un pouvoir particulier que les parties peuvent
conférer à l'arbitre. Ce pouvoir ne réside pas en un rejet du droit, il ne dispense pas l'arbitre de raisonner
en droit, mais lui permet de corriger la solution à laquelle il parvient au terme d'un raisonnement en
droit, si cette solution ne lui apparaît pas équitable. L'amiable composition est donc un correctif ; ce mot
est celui qui illustre de la manière la plus exacte la spécificité de l'amiable composition.
Par la clause d'amiable composition, les parties renoncent, comme l'a bien montré M. Loquin (2), à la
stricte sanction des droits dont elles sont titulaires et dont elles peuvent disposer au moment du litige,
qu'elles tiennent ces droits de la loi ou du contrat. L'amiable composition est certes prévue par les textes
(art. 1474 NCPC en matière interne, art. 1497 NCPC en matière internationale), mais ce sont les parties
qui, au cas par cas, confèrent ce pouvoir aux arbitres. Dès lors, l'arbitre qui s'arroge ce pouvoir dépasse
sa mission, et sa sentence sera annulée en vertu de l'article 1484-3 NCPC, car l'arbitre aura statué sans
se conformer à sa mission. Cet aspect du contrôle ne pose en pratique pas de difficulté dès lors que ce
dépassement de mission est certain.
Toutefois, les apparences sont parfois trompeuses : tel est le cas de l'arbitre devant statuer en droit et
qui se réfère à l'équité C comme pour mieux asseoir sa solution C mais sans pour autant que celle-ci en
soit modifiée ; la référence à l'équité apparaît alors comme une redondance, une remarque faite obiter.
La jurisprudence est compréhensive pour cet arbitre trop prolixe et ne lui en tient pas rigueur : elle
exerce son contrôle et, dès lors qu'elle se rend compte que la référence à l'équité n'a pas modifié au fond
25
la solution, elle refuse l'annulation de la sentence. C'est l'application ici de la théorie de l'équivalence des
solutions : la sentence est sauvée, car le résultat atteint est le même que celui qui l'aurait été sans le
défaut qui lui est reproché(3).
D'autres aspects du contrôle de l'amiable compositeur ne nous retiendront pas, car ils ne sont pas
spécifiques : en effet, le respect des dispositions d'ordre public, l'obligation de motiver la sentence sont
des obligations qui pèsent sur tout arbitre, fût-il amiable compositeur.
b) Naissance d'un nouveau courant de jurisprudence : l'amiable composition fait naître un
devoir spécifique
L'amiable compositeur a une mission spécifique : éliminer l'inéquité. Or, toute la question posée par un
nouveau courant de jurisprudence de cette Chambre de la Cour de cassation vient de rompre avec le
passé en considérant que viole sa mission l'amiable compositeur qui statue sans montrer qu'il a cherché
à éliminer l'inéquité, c'est-à-dire qu'il a vérifié si sa solution était conforme à l'équité. En conséquence, la
sentence est annulée.
En d'autres termes, la mission d'amiable composition vue sous l'angle de l'arbitre n'est plus seulement
un pouvoir, mais un devoir dont l'inaccomplissement est sanctionné par la nullité de la sentence. Deux
arrêts ont été rendus en ce sens : l'un le 15 février 2001(4), l'autre le 18 octobre 2001(5). Dans la
première affaire, un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait refusé d'annuler une sentence
rendue exclusivement en droit par un amiable compositeur qui, à l'occasion d'un litige relatif à une
garantie de passif ne s'était pas expliqué sur la conformité de celle-ci à l'équité est cassé. Dans la
deuxième affaire, celle qui a donné lieu à l'arrêt du 18 octobre 2001, l'arbitre amiable compositeur avait
appliqué mécaniquement une clause pénale en multipliant l'indemnité journalière prévue par le nombre
de jours de retard, sans égard pour le pouvoir modérateur que lui donnaient tant la clause d'amiable
composition que l'article 1152 C. civ. L'arrêt de la cour d'appel de Grenoble qui avait annulé la sentence
est maintenu par votre Cour(6).
Cette appréciation de la mission de l'amiable compositeur peut être contestée sur deux terrains
différents. D'abord sur celui de la philosophie, de la conception que chacun se fait de l'amiable
composition. Certes, il est exact de dire que l'amiable compositeur a le devoir d'éliminer l'inéquité, mais
je préfère considérer qu'en se référant à l'amiable composition les parties ont voulu conférer aux arbitres
une liberté plus grande, leur offrir une faculté supplémentaire. C'est là une marque de confiance plus
grande, car la marge de manœuvre des arbitres est plus large encore que pour l'arbitrage en droit. Le
mot * devoir + est à mon sens à comprendre comme synonyme d' * ardente obligation +.
Ce qui me gêne surtout dans l'idée de devoir, c'est la sanction qui résultera mécaniquement de son
inaccomplissement : c'est là le deuxième, et principal, terrain sur lequel on peut contester ce nouveau
courant jurisprudentiel.
c) L'annulation de la sentence, sanction contestable
Cette sanction est ici la nullité et elle a été retenue par cette Chambre dans les arrêts précités ; elle est
appliquée par symétrie avec ce qui se fait lorsque l'arbitre dépasse son pouvoir, alors qu'ici l'arbitre ne
remplit pas toute sa mission. Or, le parallélisme n'est pas parfait : outrepasser son pouvoir me paraît
plus grave que ne pas l'exercer dans toute sa dimension.
Quelques mots sur le deuxième arrêt (celui du 18 octobre 2001), qui aurait avantageusement pu retenir
une autre solution. En effet, s'agissant d'une clause pénale, le pouvoir modérateur de l'arbitre ne tenait
pas seulement au pouvoir de statuer en amiable composition (pouvoir modérateur général pourrait-on
dire), mais à la loi elle-même (l'article 1152 C. civ.) qui lui donne en la matière un pouvoir modérateur
spécial. L'amiable composition s'effaçait derrière le droit commun de ce qui est demandé au juge ou à
l'arbitre, même statuant en droit. Or, la Cour de cassation elle-même refuse de sanctionner le juge qui
n'utilise pas ce pouvoir modérateur ; la 1re chambre civile a rappelé dans un arrêt du 26 juin 2001 que
* les juges du fond, pour qui la réduction des effets d'une clause pénale n'est qu'une simple faculté,
n'ont pas à motiver spécialement leur décision lorsque (...) ils font application pure et simple de la
convention des parties +(7). Le juge, en matière de clause pénale, n'a-t-il pas lui aussi le devoir
d'éliminer l'inéquité ? Pourquoi traiter plus sévèrement l'amiable compositeur ?
Les raisons principales pour lesquelles je crois préférable que la jurisprudence abandonne la voie sur
laquelle elle vient de s'engager, tiennent à des considérations pratiques. En effet, il me paraît impossible
d'exercer un contrôle effectif et cohérent du respect de son "devoir d'élimination de l'inéquité" par
l'amiable compositeur.
1re difficulté : comment contrôler que l'arbitre a effectivement éliminé l'inéquité ? On pourrait tout
d'abord penser que cela suppose un contrôle sur le fond de la sentence, c'est-à-dire une appréciation par
le juge de l'annulation de ce qu'une solution équitable aurait dû être. Comment concilier un contrôle si
poussé avec le reste de la jurisprudence : refus du contrôle de la dénaturation, contrôle réduit au
minimum en matière de qualification dans l'appréciation du respect de l'ordre public ?
26
2e difficulté : si la jurisprudence veut éviter de contrôler la sentence au fond, elle devra nécessairement
se contenter de vérifier si l'arbitre a cherché à éliminer l'inéquité. Le glissement se fera alors du contrôle
du résultat vers le contrôle de l'apparence, celui de la recherche dudit résultat, lequel passera par un
contrôle de la motivation. Mais on se heurte à une solution maintenant bien acquise en jurisprudence et
selon laquelle le contrôle de la motivation est très limité et ne prend même pas en compte la
contradiction de motifs(8).
Ainsi, le contrôle du respect de sa mission par l'amiable compositeur sera approximatif et deviendra vite
inutile, dès lors que la pratique aura mis au point un motif passe-partout qui affranchira la sentence de
tout reproche, alors même que l'arbitre n'aura pas nécessairement cherché à éliminer l'inéquité.
En bref, le contrôle est parti d'un bon sentiment, mais il n'est pas réalisable dans des conditions
satisfaisantes, car il engage, sinon dans la voie d'un contrôle au fond, du moins dans celle d'un contrôle
de la motivation, ou au minimum dans celle d'un formalisme inutile et inefficace.
Outre un risque d'accroissement du contentieux, je crains que le remède soit pire que le mal. La
sentence annulée, il faudra repartir à zéro, ou voir le fond tranché par la cour d'appel, sans être sûr que
la solution au fond sera différente, car l'application du droit conduit souvent B et heureusement B à une
solution équitable...
Je proposerais de limiter l'annulation au cas, très marginal, dans lequel la sentence ferait apparaître que
l'arbitre a ignoré qu'il était amiable compositeur alors qu'il aurait souhaité la prendre en considération.
Pour le reste, je pense qu'il vaudrait mieux laisser sans sanction l'amiable compositeur qui n'a pas utilisé
toute la liberté dont il disposait, ou B si l'on préfère -qui n'a pas complètement rempli son devoir. Il
arrive assez souvent que l'inaccomplissement d'un devoir ne soit pas sanctionné : qu'on songe à l'arbitre
qui omet de préciser où la sentence a été rendue, ou qui ne rappelle pas succinctement les prétentions
respectives des parties. Par ailleurs, l'arbitre qui a statué infra petita peut toujours compléter sa
sentence ; or, on imagine mal l'amiable compositeur reprendre sa sentence pour la remanier
conformément à l'équité ; cela déboucherait soit sur une révision de celle-ci, soit plus souvent sur une
sentence identique car l'arbitre ne voudra pas se déjuger et prétendra que sa sentence était déjà inspirée
par l'équité, même s'il ne s'y était pas formellement référé. Il est surprenant que l'amiable compositeur
soit traité plus sévèrement que l'arbitre qui a omis de statuer sur un chef de la demande. Après tout, les
parties doivent supporter les conséquences de leur choix. Tant pis pour elles si l'arbitre n'a pas été aussi
brillant que prévu.
Passons maintenant, avec la deuxième question qui est posée, de l'appréciation du comportement de
l'arbitre à l'appréciation du comportement des parties.
II.- Une partie est-elle irrecevable à invoquer devant la cour d'appel les irrégularités de la
procédure d'arbitrage qu'elle aurait pu soulever devant les arbitres ?
a) Position du problème
La seule condition pour l'annulation d'une sentence est-elle l'existence d'un grief posé par l'article 1484
NCPC ? Au-delà de cet effet quasi-mécanique, y aurait-il d'autres conditions, tenant à l'existence d'une
règle non écrite pouvant paralyser la recevabilité du grief ? La question posée par M. le conseiller Etienne
faisait référence à l'idée de bonne foi dans l'exécution du contrat de procédure que les parties concluent
à l'occasion d'une procédure d'arbitrage.
Les références aux notions de bonne foi, de loyauté dans le comportement procédural, sont anciennes et
largement répandues en droit comparé ; plus récemment on s'est même demandé si elles ne devaient
pas s'appliquer également aux modes alternatifs de règlement des conflits. Leur invocation en matière
d'arbitrage s'autorise de précédents. Qu'il suffise de citer, parmi d'autres exemples, dès 1977, le
règlement d'arbitrage de la CNUDCI (art. 30)(9), puis en 1985, la loi-type de la CNUDCI (art. 4)(10), et
plus récemment, en 1998, le règlement d'arbitrage de la CCI (art. 33)(11). En doctrine, le professeur L.
Cadiet a publié en 1996, et déjà à partir de décisions de jurisprudence, une étude sur * La renonciation à
se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale +, et il s'interrogeait longuement sur les rapports
entre ces diverses notions(12).
Le temps est-il venu, pour la jurisprudence, de consacrer cette règle
b) Précision du sujet
Le sujet ici traité le sera sous un angle principalement pratique et concret. En effet, son étude théorique
ou systématique nous entraînerait largement au-delà des limites assignées à la présente réunion. Je
laisse à d'autres les interrogations sur la nature juridique (principe général du droit ?) et le contenu
précis de la règle. De même, je ne tenterai pas ici de mener une analyse conceptuelle comparée des
notions de loyauté procédurale, de bonne foi, d'estoppel au sens d'interdiction de se contredire au
détriment d'autrui. Il serait également intéressant de tracer les limites respectives de la règle qui nous
retient et d'autres règles comme * pas de nullité sans grief + (art. 114 NCPC). Je me limiterai donc
volontairement à la question de savoir si la Cour de cassation doit ou non poser une telle règle.
27
c) Analyse de la jurisprudence. : existence de la règle ?
On peut légitimement se demander si, en réalité, cette règle n'existe pas déjà. En effet, on en rencontre
des illustrations plus ou moins diffuses qui se trouvent au moins en filigrane dans des décisions, émanant
principalement de la Cour d'appel de Paris.
Sa formalisation la plus nette a me semble-t-il été opérée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt qui a
moins d'un an (1re Ch. C, 5 juillet 2001, société SFHT). La Cour s'exprime à propos de l'article 1484-1
NCPC, mais elle le fait en termes généraux :
* Considérant que pour être recevable, le grief invoqué à l'encontre de la sentence doit avoir été soulevé,
chaque fois que cela était possible, devant le tribunal arbitral lui-même ;
Considérant que le comportement consistant à invoquer un vice de la sentence seulement dans le cadre
du recours en annulation, alors que ledit vice aurait déjà pu être soulevé en cours de procédure,
constitue une violation du principe de la bonne foi que les pouvoirs d'amiable composition conférés aux
arbitres n'affranchissent pas les parties de respecter +.
La solution emporte la conviction. Quelques remarques peuvent être faites toutefois sur la motivation.
Habilement, la Cour se réfère à un devoir de réaction, conditionnant la recevabilité du grief, et consistant
pour la partie recourante à soulever devant l'arbitre la difficulté * à chaque fois que cela est possible +.
Cette formulation permet une appréciation objective de la situation et évite de se demander si cette
partie avait effectivement conscience de l'existence du grief. Mais la Cour consacre le * considérant +
suivant à relier ce devoir à une appréciation subjective : elle affirme que le comportement consistant à
invoquer un vice qui aurait pu être soulevé en cours de procédure constitue une violation du principe de
bonne foi. La référence à la bonne foi C laquelle est toujours présumée C n'est-elle pas de nature à
compliquer la situation? En effet, il faut prouver la mauvaise foi, ce qui peut certes se faire à partir de
l'analyse du comportement d'une partie, mais pour qu'il y ait violation du principe de bonne foi, il faut
que cette partie ait eu conscience qu'elle pouvait réagir en cours de procédure et donc qu'elle ait eu
connaissance de l'existence de ce vice et qu'elle ait préféré le * garder dans sa manche + pour le faire
fructifier en cas de besoin. La preuve de cette conscience est délicate. Je me demande si la référence à la
bonne foi n'est pas de nature à paralyser partiellement le jeu de la règle en raison des difficultés de
preuve.
C'est à une même solution qu'était parvenue une décision plus ancienne, en 1995, mais la motivation
était différente puisqu'elle s'appuyait à la fois sur la renonciation d'une partie à se prévaloir du vice
invoqué et sur l'absence de preuve d'un grief que lui aurait causé ce vice(13). La décision est intéressante,
car elle combine la renonciation et la preuve par la partie recourante de l'existence concrète du grief
subi. La présente Chambre de la Cour de cassation a cependant récemment écarté la référence à la règle
* pas de nullité sans grief + telle qu'elle est énoncée par l'art. 114 NCPC, au motif qu'elle concernerait
les nullités de procédure et ne serait pas applicable à la sentence qui est un acte juridictionnel(14).
L'argument est techniquement exact, mais on peut légitimement penser que la règle dépasse le seul
cadre de ce texte, et je proposerais volontiers son application générale, ne serait-ce que parce que j'y
vois là un moyen de faire prévaloir l'esprit des textes relatifs au recours en annulation sur leur lettre.
Un rapide tour d'horizon jurisprudentiel des premiers mois de cette année 2002 montre que la
jurisprudence continue de motiver diversement la solution par laquelle elle déclare irrecevable le grief
soulevé par la partie qui n'a pas réagi suffisamment vite.
Parfois, elle fustige un comportement contradictoire : avoir contesté la compétence du tribunal de
commerce en raison de l'existence d'une clause compromissoire, puis avoir participé sans réserve à
l'arbitrage et enfin avoir déposé un recours en annulation sur le fondement de la nullité de la clause(15) :
c'est ici l'idée d'estoppel procédural qui est sous-jacente. Elle n'est pas sans lien avec d'autres
fondements utilisés par la jurisprudence, comme la bonne foi, ou l'idée de renonciation(16).
Le même jour, par une autre décision, la même Cour se limite à une simple et sobre constatation : une
partie qui n'a pas invoqué l'inexistence de la convention d'arbitrage devant le tribunal arbitral alors
qu'elle pouvait le faire est mal fondée à demander à la Cour, saisie d'un recours en annulation, de
surseoir à statuer dans l'attente d'une décision pénale engagée tardivement après coup et pouvant
démontrer cette inexistence(17). Plus nette encore, cette autre décision qui relève incidemment que la
partie recourante * n'articule pas une violation du contradictoire, dont elle serait d'ailleurs irrecevable à
tirer une cause d'annulation pour ne pas avoir protesté sans délai devant le tribunal arbitral +(18).
Dans d'autres décisions encore, la cour d'appel de Paris s'attache à vérifier qu'une partie n'a pas adopté
de comportement procédural contradictoire et/ou recherche une renonciation expresse et non équivoque
à se prévaloir de la clause compromissoire.
d) Formalisation de la règle ?
On brûle de formaliser une règle synthétisant toutes ces excellentes solutions. Comment faire ? Il faut
être lucide sur les inconvénients d'une telle démarche et sur la difficulté de sa mise en œuvre.
* Les inconvénients :
28
Il ne faut pas sous-estimer le contentieux qui pourrait naître, parallèlement à celui de l'article 1484 que
nous connaissons déjà, à propos de l'application de cette règle. Plus en amont, le risque existe de pêcher
par un attachement excessif au comportement procédural des parties, d'autant plus qu'il serait apprécié
à la loupe et après coup. Cela ne durcira-tBil pas encore davantage la procédure arbitrale en raison de la
menace supplémentaire pesant sur les parties et surtout sur leurs conseils qui se sentiront à chaque
instant en liberté surveillée? Il serait dangereux de faire de la procédure arbitrale un terrain miné. Enfin,
il n'est pas simple, pour une partie, d'émettre des critiques ou des réserves devant les arbitres, en cours
de procédure, sans craindre qu'ils ne lui en tiennent rigueur.
* La difficulté de mise en œuvre :
La formalisation n'est pas sans risque. Certes, la solution est bonne : la preuve en est que ses
fondements sont multiples. Comme les chemins à Rome, tous les fondements mènent à la solution, qu'ils
tiennent à la mauvaise foi, à l'incurie ou à la contradiction dans le comportement d'une partie, à l'idée de
renonciation, à l'absence de grief concret...
Cependant c'est là que gît le piège : comment formaliser de manière intelligible une règle aux
fondements si divers? Comment être sûr qu'elle serait applicable à tous les griefs énoncés à l'article 1484
NCPC ? Ne faudra-t-il pas distinguer selon que le grief est d'ordre privé ou d'ordre public(19) ? Voilà
beaucoup de questions.
e) En guise de conclusion
Pour toute réponse, je me limiterai à une prudente conclusion.
Les diverses règles existantes (loi-type de la CNUDCI, règlements d'arbitrage...) se réfèrent à l'idée de
renonciation. Mais à chaque fois, on retrouve la même formule : la partie qui n'a pas réagi à temps * est
réputée avoir renoncé + à se prévaloir du grief. Par cette approche objective l'on se débarrasse des
difficultés de preuve : point n'est besoin de sonder les reins et les cœurs des parties. Toutefois, la
renonciation ainsi conçue suffit-elle à embrasser toutes les hypothèses dans lesquelles, au nom de la
bonne foi, de la loyauté contractuelle, de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, de
l'absence de grief, une partie doit se voir opposer l'irrecevabilité de son recours en annulation ?
Il faudrait se contenter d'une règle extrêmement simple, qui serait davantage l'expression de son
résultat que de ses fondements. Mais alors la formalisation d'une telle règle est-elle utile ? La question,
en forme de mise en garde, s'adresse aussi bien à la jurisprudence, tentée de poser une règle
prétorienne, qu'au législateur qui se heurtera aux mêmes difficultés. En outre, et même réglée la
question de l'utilité, celle de la rédaction demeure.
Ne doit-on pas, dès lors, se contenter de savoir qu'existe un principe général du droit de l'arbitrage, non
écrit, souple, aux contours flous, mais dont il ressort qu'il ne suffit pas, pour que l'annulation soit
acquise, qu'existe formellement un grief visé à l'article 1484 NCPC. Des conditions diverses, variables, se
recoupant en tout ou partie, viendraient s'appliquer de façon négative comme autant de fins de nonrecevoir spéciales au recours en annulation. En outre, des règles de procédure existantes permettent de
compléter ou de renforcer ce principe général : cet argument a conduit un auteur à montrer sa réticence
devant l'énoncé d'un principe d'interdiction de se contredire au détriment d'autrui(20).
La prudence est donc de mise. L'énoncé d'une règle sous forme de principe est peut-être encore un peu
prématuré.
Sans doute les réactions de l'auditoire, au cours des débats qui vont maintenant s'ouvrir, seront-elles
plus audacieuses.
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