Normativité et valeur sociale : son application dans le recrutement Nicole Dubois Laboratoire de psychologie cognitive et clinique Université Nancy 2 Séminaire du laboratoire du LIDILEM 23 juin 2006 Qu’est-ce qu’une norme sociale ? - sens descriptif : est normatif, ce qui est le plus fréquent ; - sens prescriptif : est normatif, ce qu’il faut faire ou penser et ne pas faire ou ne pas penser dans une situation donnée. Si ce qui est normatif peut être éventuellement considéré comme ce qui est conforme au plus grand nombre (c'est ici l’aspect descriptif du concept), ou ce qui traduit l’obéissance à des injonctions (c'est ici son aspect prescriptif), c’est toutefois avec l’idée additionnelle que cette conformité, cette obéissance, sont socialement valables, socialement désirables, socialement souhaitables. En un mot, qu’elles réalisent une valeur sociale. Caractéristiques d’une norme sociale : 1. Ce qui fait le caractère normatif d’un événement, c’est qu’il est socialement prescrit et non pas qu’il est majoritairement réalisé. L’étude de la production effective des comportements et des jugements peut s’avérer inopérante pour révéler les comportements et les jugements normatifs Nécessité de recourir à une situation propice à faire apparaître la normativité des phénomènes qu’on étudie, à savoir : la situation d’évaluation situation dans laquelle se trouve toute personne conduite à penser qu’un évaluateur doté d’un pouvoir social peut se faire une idée de sa valeur à partir de ce qu’elle fait et des propos qu’elle tient 2. Une norme sociale ne peut porter que sur des événements observables dans la vie sociale, que ceuxci soient des comportements ou des jugements A ce titre, elle se différencie d’une valeur qui indique une fin ou un état (liberté…) Les événements concernés par la norme d’internalité sont les explications causales des comportements et des renforcements Comportements : conduites (rouler vite, aider quelqu’un) Renforcements : ce qui arrive en bien comme en mal (être reçu ; perdre ses clefs) explications causales internes : qui privilégient le rôle causal de l’acteur dans ce qu’il fait ou dans ce qui lui arrive explications causales externes : qui minimisent ce rôle causal de l’acteur au profit des causes externes : la situation, les autres, le hasard, la chance, la malchance… Tout comme une norme de comportement définit un ensemble de comportements jugés comme bons, comme désirables par le collectif dont elle émane, par opposition à un autre ensemble de comportements considérés comme moins bons, moins désirables, voire même comme franchement mauvais, une norme de jugement définit certains jugements qui seront vus comme bons par opposition à d’autres qui seront vus comme ne l'étant pas, voire qui feront l’objet d’une dévalorisation Exemples : Comportements ou bons (normatifs) : jugements considérés comme Saluer quand on entre dans une pièce où se trouvent déjà des gens ; Dire qu’on a réussi parce qu’on a beaucoup travaillé Comportements ou jugements considérés comme n’étant pas bons (non normatifs, voire contrenormatifs) : Jeter ses papiers sales par terre Dire qu’on a réussi parce que le sujet était facile Définition de la norme d’internalité valorisation sociale des explications des événements psychologiques qui accentuent le poids de l’acteur comme facteur causal Les jugements qui sont normatifs, ne doivent pas leur caractère de normativité au fait qu’ils sont plus vrais que les jugements qui ne sont pas normatifs « Pierre a eu un accident parce qu’il roulait trop vite » « Pierre a eu un accident parce que la chaussée était glissante » 3. Une norme sociale fait l’objet d’un apprentissage social 4. Une norme sociale est un fait social et non pas un fait individuel 5. Une norme sociale repose toujours sur une attribution de valeur Principaux résultats attestant que les explications causales internes font l’objet d’une attribution de valeur 1. Les groupes sociaux les plus avantagés (NSE..) fournissent davantage d’explications internes que les groupes désavantagés ; 2. Lorsqu’ils doivent deviner comment des gens socialement valorisés versus socialement dévalorisés expliqueraient les événements de leur vie quotidienne, les enfants comme les adultes attribuent plus d’explications internes aux premiers qu’aux seconds 3. On choisit davantage les explications internes à des fins d’auto-présentation que les explications externes 4. Les évaluateurs accordent une préférence aux évalués exhibant des explications internes Beauvois, Bourjade et Pansu (1991) Pansu (1997) Il apparaît clairement que les explications internes ont plus de valeur que les explications externes et que les personnes qui les avancent bénéficient de cette valeur dans le recrutement comme ailleurs Qu’est ce que cette valeur ? 1. Nous l’avons déjà dit, ce n’est pas la valeur de vérité. Les explications internes ne sont pas valorisées parce qu’elles sont plus vraies que les explications externes 2. ce n’est pas non plus en raison de leur usage particulier dans l’activité de communication : les explications internes ne sont pas plus plausibles que les explications externes. 3. Si les explications internes sont socialement valorisées, c’est parce qu’elles sont socialement utiles : elles rendent possibles l’évaluation Informations transmises par les traits de personnalité - Traits apportant la désirabilité sociale l’aptitude d’une personne à satisfaire dans la vie sociale, les relations interpersonnelles - Traits apportant l’utilité sociale l’aptitude d’une personne à réussir ou à échouer Les juges attribuent plus de traits indicateurs d’utilité aux sujets les plus internes et plus de traits indiquant la désirabilité aux sujets les plus externes. De tels résultats ont conforté les chercheurs dans leur idée première selon laquelle la valeur associée à l’internalité est surtout l’utilité sociale. Question : les internes sont-ils mieux jugés parce qu’ils sont normatifs ou parce qu’ils sont utiles ? l’information de normativité (l’internalité) conduit l’évaluateur à inférer l’utilité sociale et réciproquement ; l’information d’utilité sociale conduit l’évaluateur à inférer la normativité (l’internalité)