Aspects théoriques de l´intégration régionale et des Politiques Agricoles Communes (PACs) BROUILLON À NE PAS CIRCULER À NE PAS CITER SANS AUTORISATION DES AUTEURS Jean Balié*, Anna Ricoy** Septembre 2008 Fondements de l’intégration régionale ..................................................................................... 2 1.1 Les différentes vagues de l’intégration régionale .................................................................. 2 1.2 Une hiérarchie des intégrations régionales ............................................................................ 2 2 L´agriculture comme axe fédérateur de l´intégration régionale ............................................ 3 2.1 L´évolution de la perception de l’agriculture......................................................................... 3 2.1.1 Du délaissement historique de l’agriculture… ............................................................. 3 2.1.2 A la reconnaissance récente de son rôle majeur pour le développement ..................... 3 2.2 L’intégration régionale par l’agriculture en Afrique .............................................................. 5 2.2.1 Politiques Agricoles Communes : une acception et une interprétation variables ......... 5 2.2.2 L’enjeu agricole ne peut pas être différencié des enjeux politique et commercial ....... 6 2.3 Une faiblesse des échanges intra régionaux qui s’explique ................................................... 7 2.3.1 La faible complémentarité des économies africaines et la difficile libéralisation........ 8 2.3.2 L’absence de coordination et d’harmonisation des politiques de commercialisation .. 8 2.4 Des PACs aux formes diverses mais aboutissant à des résultats similaires ........................... 9 2.4.1 En commun, des objectifs ambitieux… ....................................................................... 9 2.4.2 Des schémas d’intégration régionale par l’agriculture toutefois différents ................ 10 2.4.3 Globalement, des instruments non mis en œuvre ....................................................... 11 2.4.4 Poids prépondérant des acteurs extérieurs .................................................................. 11 2.4.5 Manque de ressources financières et humaines .......................................................... 12 3 Comment concrétiser les PACs ............................................................................................... 12 3.1 Améliorer les articulations possibles entre les échelles nationale et régionale ................... 12 3.1.1 Renforcer la cohésion régionale et les liens de solidarité........................................... 12 3.1.2 Cohérence entre niveaux national et régional ............................................................ 13 3.1.3 Convergence des intérêts nationaux et cohérence des espaces régionaux ................. 13 3.1.4 Soutenir l’effet de « catalyse » via le niveau régional ? ............................................. 14 3.2 Promouvoir des mesures de politiques pragmatiques et fondamentales .............................. 14 3.2.1 Nécessité au niveau national de développement de capacités analytiques................. 14 3.2.2 Promotion du développement du commerce intra régional ........................................ 14 3.2.3 Mise en place de mécanisme adapté et ciblé de protection aux frontières ................. 15 3.2.4 Valorisation des alternatives locales ........................................................................... 16 3.2.5 Financement autonome des PACs .............................................................................. 16 3.3 Renforcer la mécanique institutionnelle des négociations intra régionales ......................... 16 3.3.1 Un rôle accru pour les Organisations Paysannes (OP) ............................................... 16 3.3.2 Transparence et développement de la qualité de l’information .................................. 17 3.3.3 Importance de se préparer au niveau national aux négociations régionales ............... 17 4 Conclusions ............................................................................................................................... 18 1 * Économiste, FAO, Division de l’Économie du Développement Agricole, Rome ** Consultante, FAO, Division de l’Assistance aux Politiques, Rome 1 1 1.1 Fondements de l’intégration régionale Les différentes vagues de l’intégration régionale Les accords commerciaux régionaux (intra-régionaux et interrégionaux) sont aujourd’hui une caractéristique essentielle de l’économie mondiale. Depuis le début des années 1990, le processus de création d’accords commerciaux régionaux se poursuit sans discontinuer. Jusqu’en juillet 2007, près de 380 accords de ce type avaient été déclarés au GATT/OMC, dont environ 300 notifiés au titre de l'article XXIV du GATT de 1947 ou du GATT de 1994. À la même date, 205 accords étaient entrés en vigueur. Le processus de mise en place de ces accords a suivi trois vagues essentiellement. Entre les années 1940 et 1970, les pays s’accommodaient du libre échange multilatéral et les accords régionaux étaient peu nombreux. Plus fréquents dans les années 1960-1970, ils avaient pour but principal d’étendre à l’échelle régionale les politiques de substitution aux importations pratiquées au niveau national. Politique visant à satisfaire la de domestique en remplaçant progressivement les produits importés par la production locale, la stratégie de substitution aux importations renvoyait à des objectifs d’industrialisation, de croissance équilibrée et de réduction de la dépendance d’une économie à l’égard des marchés internationaux. Puis, au cours des années 80, est apparue une nouvelle vision de l’intégration régionale, dite de « régionalisme ouvert », se caractérisant par une absence de politiques commerciales discriminatoires à l’égard des pays non membres de l’espace d’intégration régionale concerné afin de privilégier le libre échange mondial, et par un unilatéralisme concerté. C’est dans le cadre de cette « troisième vague »de l’histoire de l’intégration régionale dans les pays en développement, que les initiatives de PAC africaines ont vu le jour, ce qui explique un certain nombre de leurs caractéristiques. De nos jours, la motivation sous-jacente de toute intégration régionale provient de la conviction que l’union fait la force dans un monde globalisé où les équilibres entre les principaux acteurs mondiaux reposent sur des éléments de rapport de puissance . Le principal enjeu consiste alors à concilier ces objectifs de pouvoir avec les demandes de respect des identités et spécificités nationales. Une autre motivation pour l’intégration régionale plus ou moins explicitement évoquée est celle de développement. Il s’agirait pour les organisations économiques régionales de stimuler l’économie par la promotion des échanges et également de mobiliser des ressources supplémentaires pour l’investissement. En effet, la régionalisation vue d’un point de vue pragmatique mais rarement explicite permet aux décideurs africains d’attirer des capitaux via l’aide de l’Union européenne surtout (Coussy, 1995) en faveur de l’agriculture et au-delà. Cependant, d’après Robson (1998), en Afrique, la plupart des initiatives d’intégration fondées sur les échanges n’ont à l’heure actuelle apportée qu’une faible contribution, voire pas de contribution du tout, au développement économique et commercial. 1.2 Une hiérarchie des intégrations régionales La forme la plus simple est une zone de préférence. Dans ce cas, au moins deux pays s’engagent à s’accorder des conditions préférentielles (abaissement des droits de douane) pour les échanges portant sur certains produits. Dans le cas d’une zone de libre-échange, les obstacles au commerce sont supprimés entre les pays concernés pour l’ensemble de la circulation des marchandises. Il n’existe pas de politique commerciale commune vis-à-vis des pays tiers. C’est ce qui se passe dans le cas d’une union douanière où des tarifs douaniers communs pour les pays tiers sont convenus alors qu’à l’intérieur, les droits de douane et les obstacles au commerce non tarifaires (quotas d’importation, limitations volontaires des exportations) sont supprimés. Un marché commun représente une union douanière dans laquelle les mouvements des facteurs de production tels que le travail et le capital entre les Etats membres sont complètement libéralisés. Dans une union économique, en outre, les politiques économiques nationales sont harmonisées et structurées en commun. S’ensuit alors une union monétaire qui soit adopte la forme de taux de change fixes, soit aboutit à 2 une devise commune. Dans une union politique, les Etats concernés abandonnent leur souveraineté politique et délèguent leurs compétences de décision à des institutions supranationales. Au-delà des différent schémas d’intégration régionale, et des influences multiples et multiformes, rien ne prouve que l’agriculture soit le secteur le plus pertinent pour engager une politique régionale commune en Afrique, au contraire c’est peut le secteur le plus difficile alors comment expliquer ce choix ? 2 L´agriculture comme axe fédérateur de l´intégration régionale 2.1 2.1.1 L´évolution de la perception de l’agriculture Du délaissement historique de l’agriculture… La classe politique africaine a longtemps négligé l’agriculture comme enjeu de politique publique, lui accordant souvent une part très faible – et en baisse ces dernières années- du budget des Etats. Entre 1997 et 2001, les pays d’Afrique subsaharienne ont alloué en moyenne 5% de leur budget total à l’agriculture contre 6% entre 1990 et 1997 [Badiane, Delgado, 1995]. En termes d’instruments mis en œuvre, au contraire de l’histoire des pays développés, où les politiques de redistribution et les instruments de soutien à la production agricole sont partout vigoureusement présents, la plupart des pays africains depuis la période d’indépendance ont une tradition de taxation du secteur agricole afin de financer leur développement industriel [Bates, 1983 ; Timmer, 1991]. En Tanzanie par exemple, les taxes à l’exportation sur les produits agricoles d’environ 2% n’ont été éliminées qu’en juillet 19981. Si les discours sur l’importance de l’agriculture comme moteur du développement pour éliminer la pauvreté des zones rurales abondent, les politiques agricoles sont rares ou correspondent à une accumulation de textes non mis en œuvre. Au Bénin par exemple, depuis 1991, ont été mis en place : une « Lettre de déclaration politique agricole », un « Document de politique de développement rural et agricole », un « Schéma directeur du secteur rural », un « Plan stratégique opérationnel », de s »plans d’actions pour 15 domaines prioritaires qui seront suivis d’études régionales » [Blein, D’Andlau, 2003]. Il a fallu attendre la décision de l’Union Africaine à Maputo, en 2003, pour que les États prennent l’engagement « d’allouer au moins 10% des budgets d’investissements nationaux au développement du secteur agricole afin d’améliorer la productivité et de réduire l’insécurité alimentaire ». 2.1.2 A la reconnaissance récente de son rôle majeur pour le développement Le renouveau de la reconnaissance d’un rôle majeur de l’agriculture dans le développement notamment à la faveur de la publication du rapport de la banque mondiale (WDR 2008) fait fidèlement écho à la réalité économique dans la mesure où l’agriculture - qui inclut, dans une acception large, les productions végétales, la transformation agroalimentaire, l’élevage, la pêche et l’exploitation forestière -constitue l’épine dorsale de la plupart des économies africaines. C'est le pivot de l'économie puisqu’elle représente plus de 30% de la richesse nationale mesurée par le produit intérieur brut (PIB) dans bon nombre de pays africains subsahariens et contribue pour 40 % aux recettes d’exportation 1 “Trade policy for a competitive economy and export-led growth”, Ministry of Industry and Trade of Tanzania, 2003. 3 Produit intérieur brut agricole en Afrique Source: Banque Mondiale, World development indicators, 2006 Le poids du secteur agricole dans l’économie peut cependant considérablement varier d'un pays à un autre : ainsi, si l'économie d’un pays est basée sur le pétrole, la part du secteur agricole dans le PIB est moindre. Il reste cependant plus important dans tous les pays africains, comparé à d'autres pays du Sud et bien davantage encore comparé aux pays développés. L'agriculture est aussi de première importance dans les revenus d’exportations, puisque les produits agricoles représentent les premiers postes d’exportation dans la plupart des pays africains. Importance de l’agriculture en Afrique et dans d’autres régions du monde Part de la population active agricole (2004) Part des exportations agricoles dans les exportations totales (2002-2004) Afrique subsaharienne 60 % 12,4 % Amérique latine et Caraïbes 18 % 16 % Asie et Pacifique 58 % 5,1 % Économies de marché développées 3% 7,2 % Source: FAO, State of Food and Agriculture, 2006 4 Le rôle crucial de l’agriculture dans le développement africain est désormais reconnu mais comme l’article le montrera par la suite les politiques agricoles en Afrique restent loin d’être à la hauteur du poids que représentent l’agriculture et ses enjeux. 2.2 2.2.1 L’intégration régionale par l’agriculture en Afrique Politiques Agricoles Communes : une acception et une interprétation variables Le début des années 2000 a vu se multiplier en Afrique les projets de mise en place de politiques agricoles communes (PAC), qui ne reposent pourtant pas sur une définition claire et une compréhension partagée de la notion de PAC. Nous proposons de définir une PAC par extension par rapport à la définition de politique agricole. De manière générale, l’usage même de terme « politique » est polysémique en fonction des lieux, des personnes, des institutions ou des trajectoires historiques des pays auxquels elles s’appliquent. Nous conviendrons qu’une politique agricole se traduit à la fois par un contenu et un processus d’élaboration et de mise en oeuvre. Du point de vue du contenu, la politique agricole est constituée d’une suite cohérente d’éléments, à savoir : une vision, des objectifs, des instruments ou des mesures de mise en œuvre, des arrangements financiers et institutionnels pour sa concrétisation. Du point de vue du processus, la réalisation d’une politique agricole passe par différentes étapes depuis la phase de diagnostic (enjeux, opportunités, menaces), formulation, à la mise en œuvre, et évaluation pour atteindre le résultat. Cet enchaînement est également appelé le cycle d’une politique. S’inscrivant dans le mouvement de relance récente des initiatives d’intégration régionale sur ce continent, des arrangements agricoles sont apparus dans des groupements régionaux aussi divers que la CEDEAO2 et l’UEMOA3 pour l’Afrique de l’Ouest, la COMESA4 et l’EAC5 dans les zones Est et Sud du continent, ou encore la CEMAC6, la CEN-SAD7 ou l’UMA8 pour l’Afrique du Nord et centrale. La plupart de ces initiatives ont été baptisées PACs même si chacun de ces groupements a adopté des schémas en pratique assez différents et atteint des résultats variables. Le contenu ou les processus qui ont donné naissance à ces arrangements agricoles se rapportent rarement à la définition donnée plus haut. En effet, comme nous le verrons plus loin, du point de vue du contenu, lesdites PACs se résument bien souvent à des déclarations d’intentions non mises en œuvre, et vis-à-vis des processus. L’étape cruciale de formulation est escamotée et marquée par une influence extérieure au détriment d’une implication et d’une appropriation forte des acteurs nationaux et régionaux. Toutefois, tous ces projets sont basés sur la reconnaissance d’un rôle essentiel du secteur agricole dans l’économie et la croissance. En revanche, il est important de noter que d’autres régions y compris en La Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest créée en 1975 regroupe 15 pays : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. 3 L’Union Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, créée en 1994, regroupe 6 pays : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. 4 Common Market of East and Southern Africa: le Marché Commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Australe, créé fin 1993, regroupe 19 pays : Angola, Burundi, Comores, Congo (R.D.), Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Ile Maurice, Namibie, Ouganda, Rwanda, Seychelles, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Zambie, et Zimbabwe. 5 East African Community, créée fin 1999, regroupe 3 pays: Kenya, Ouganda, Tanzanie. 6 La Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale, créée en 1994, regroupe 6 pays : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, Tchad. 7 La Communauté des Etats Sahélo Sahéliens créée en 1998 regroupe 21 pays : Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Djibouti, Egypte, Erythrée, Gambie, Guinée-Bissau, Libéria, Libye, Maroc, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tunisie. 8 L’Union du Maghreb Arabe, créée en 1989, regroupe 5 pays: Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie. 2 5 Afrique, à l’exemple de la SACU9 en Afrique Australe, ont délaissé, au moins temporairement, l’enjeu agricole et se sont concentrées sur l’industrie comme moteur de l’intégration. En effet, pourquoi baser l'intégration régionale sur l'agriculture ? L’agriculture représente-t-elle le secteur permettant le mieux et le plus rapidement d’atteindre les objectifs affichés pour l’intégration régionale (développement économique, stabilité, cohésion et puissance politique) ? Que se propose-t-on de mettre en commun d’un point de vue agricole ? Voilà une série de questions qui paraissent essentielles et stratégiques mais n’ont été que rarement explicitement traitées dans la genèse des projets d’intégration régionale centrés sur l’enjeu agricole. 2.2.2 L’enjeu agricole ne peut pas être différencié des enjeux politique et commercial Outre l’interdépendance économique, l’intégration régionale a également pour objet et effet de lier les pays entre eux sur un plan politique, dès lors que la confiance et la compréhension mutuelle augmentent entre les partenaires économiques. Par le biais d’une association régionale, les conflits entre pays voisins peuvent être réduits et les risques liés à la politique de sécurité et posés par des pays tiers peuvent être mieux contenus grâce à une meilleure coopération. L’exemple de l’UE éclaire de manière évidente le rôle important que peut jouer la sécurité dans le processus d’intégration régionale : la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 a servi à souder l’Europe politiquement par le biais d’une coopération sectorielle. Une autre motivation politique consiste, grâce à une association, à renforcer le pouvoir de négociation des pays membres au plan international. Le COMESA, la CEDEAO et l’UEMOA témoignent de la conception de l’intégration régionale comme instrument de coalition dans les négociations internationales visant à rééquilibrer des relations inégalitaires ou rompre des relations jugées désavantageuses. Par ailleurs, l’intégration régionale par l’agriculture repose avant tout sur la conclusion d’accords commerciaux intra régionaux. On attend de ceux-ci qu’ils déclenchent un processus de développement et de croissance dans les pays concernés. Cette attente se fonde sur les avantages que la création de telles zones d’intégration régionale est sensée procurer. Elle se base sur le principe de complémentarité des économies nationales. La théorie du commerce international (David Ricardo) suggère que la spécialisation selon des avantages de coûts comparatifs augmente en raison de la disparition de la protection. Suite à la suppression de droits de douane à l’intérieur de l’espace régional, et du moment où il existe une complémentarité des productions régionales (par exemple déficit céréalier ici, contre excédent là) et une offre couplée à la demande locale, la création d’échanges augmente. La concurrence sur le marché élargi augmente également et si l’intégration régionale est protectrice il existe la possibilité de réintégration dans le circuit de production pour les exploitations les moins rentables, d’où une efficience accrue de la production. En outre, la suppression des formalités douanières et frontalières débouche directement sur la réduction des coûts de transaction et des asymétries d’information. Toutefois, le commerce en Afrique reste fortement pénalisé par l’ampleur des coûts informels. En Amérique Latine et aux Caraïbes, il existe de nombreux traités qui visent la réalisation d’un marché commun et qui se trouvent à divers niveaux de développement d’une union douanière et sont sur le point d’accepter un tarif douanier extérieur commun ou l’ont déjà fait. Les plus importants d’entre eux sont le MERCOSUR10, le Groupe Andin11 et le CARICOM12. Alors que pour ces groupes la valeur des échanges pour les pays d’un bloc a significativement augmenté entre 1960 et 2006, l’intégration régionale en Afrique n’a entraîné ni un accroissement du commerce intra régional, ni la diversification des exportations, ni encore une spécialisation intra industrielle, comme le montre le graphique 1. La SACU regroupe cinq pays: l’Afrique de Sud (RSA), le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland. Mercado Común del Sur qui signifie littéralement Marché Commun du Sud, créé en mars 1991 11 Colombie, Équateur, Pérou et Bolivie 12 Acronyme anglais de Caribbean Community. Elle née en 1973 entre 4 pays : La Barbade, le Guyana, la Jamaïque et le Trinidad et Tobago 9 10 6 2.3 Une faiblesse des échanges intra régionaux qui s’explique En dépit des nombreuses dispositions institutionnelles prises par les communautés économiques régionales en vue de promouvoir le commerce intra africain dans le cadre des différents accords commerciaux régionaux qu’ils ont signé, notamment les unions douanières (UEMOA, UDEAC13, SACU), on constate aujourd’hui que les échanges officiels entre pays africains ne représentent qu’une faible part de la totalité de leur commerce et ont tendance à stagner, voire à régresser. Les échanges intra régionaux en Afrique demeurent même insignifiants par rapport au total de leurs exportations en dehors du continent. En revanche, dans d’autres espaces économiques régionaux comme l’ASEAN14 et le CARICOM, les accords intra régionaux ont entraîné un commerce intra régional significatif. Graphique 1 : Proportion du commerce intra régional dans le commerce total de 1961 à 2006 Source: Rapport sur le commerce et le développement, CNUCED 2007 La faible performance du commerce africain s’explique par plusieurs contraintes et obstacles au commerce. 13 14 Union Douanière et Économique d’Afrique Centrale Association of South-East Asian Nations 7 2.3.1 La faible complémentarité des économies africaines et la difficile libéralisation Au-delà de considérations d’ordre général telles l’importance du secteur informel qui fait supposer qu’une partie des transactions commerciales entre les pays voisins n’est pas enregistrée (en particulier dans les zones où les frontières sont perméables) et la non convertibilité de la plupart des monnaies des pays africains, un des obstacles majeurs à la réalisation des gains liés à l’intégration régionale résulte de la faible complémentarité des économies africaines, qui réduit considérablement les possibilités d’échanges commerciaux sous-régionaux à grande échelle. En effet, les économies africaines présentent globalement des dotations en facteurs de production (travail, capital, ressources naturelles) semblables. Forouton (1993) conclut son étude de l’intégration régionale subsaharienne en écrivant : « les caractéristiques structurelles des économies subsahariennes, la poursuite de politiques de substitution aux importations et la répartition très inégale des coûts et bénéfices de l’intégration, découlant des différences économiques entre les pays partenaires, ont jusqu’à présent empêché toute intégration commerciale conséquente en Afrique subsaharienne … ». Toutefois, la majorité du commerce mondial se réalise entre pays qui ont des structures de production similaires comme l’indiquent les volumes considérables d’échanges intra européens ou encore ceux entre les Etats-Unis et l’union européenne. La libéralisation du commerce se relève particulièrement dure pour les pays africains, le commerce international étant la principale source de recettes fiscales de nombreux pays africains (certains pays dépendent à raison de plus de 50% de recettes douanières). Les pays qui ont des échanges importants au sein d’un espace régional peuvent subir des pertes de recettes publiques considérables du fait de l’intégration. Ceci constitue un obstacle majeur au développement du commerce intra africain. 2.3.2 L’absence de coordination et d’harmonisation des politiques de commercialisation L’absence de coordination et d’harmonisation des politiques de production et de commercialisation relève d’une absence de vision stratégique et de priorités politiques claires au plan national. Cela se traduit par une absence de connaissances détaillées sur les filières de production. En effet, le manque de compréhension relative aux acteurs qui interviennent de manière directe ou indirecte dans le système, au degré et au type de concurrence qui affecte les filières régionales, au niveau de transparence des différents niveaux d’échanges, et à l’existence ou non d’avantages comparatifs réels débouche sur une mauvaise connaissance des marchés potentiels (national et régional) qui empêche toute planification de production, et constitue une entrave majeure au développement du commerce intra régional. Par ailleurs, le commerce intra africain se trouve entravé par l’insuffisance de l'infrastructure, notamment dans le domaine des transports et des communications. Le réseau routier est constitué en grande partie de voies non bitumées, donc impraticables durant toute l'année. À cela s’ajoutent les coûts de transaction des péages, qui constituent des taxes informelles qui s’ajoutent au coût du transport. À ces contraintes liées aux infrastructures s’ajoutent les contraintes liées aux normes et standards sanitaires. Alors que la plupart des pays africains disposent d’unités au sein des ministères de l’agriculture et de l’industrie qui sont responsables de la question des normes et standards et qui assurent leur application, celles-ci ne sont pas encore effectivement appliqués au frontières. De plus, l’absence d’harmonisation des normes entre pays d’une même zone complique les procédures d’inspection et il existe un danger important que les normes et standards soient utilisés comme des barrières non-tarifaires au commerce. Finalement, l’existence de réseaux de commercialisation informels entrave l’accès au marché inter et intra régional et constitue un risque pour le consommateur. C’est donc le manque de stratégie pour une approche de la sécurité alimentaire axée sur l’ensemble de la filière alimentaire et qui incombe tout d’abord à ceux qui produisent, transforment et commercialisent les denrées, soit les agriculteurs, les pêcheurs, le personnel des abattoirs, les transformateurs, les transporteurs, les distributeurs et les consommateurs ainsi que les pouvoirs publics, qui ne permet souvent pas de tirer des profits commerciaux du processus d’intégration régionale. D´autre part le manque de coordination des politiques nationales conduit à des duplications de projets 8 concurrents non viables. De nombreux pays appartiennent simultanément à plusieurs groupements régionaux (Graphique 2), qui correspondent à des réalités différentes et ont parfois des objectifs divers contradictoires. Mali, Burkina Faso et Niger par exemple, appartiennent à la fois à l’ UEMOA, la CEDEAO, la CEN-SAD, le CILSS15, et à l’Union Africaine. Ce chevauchement des accords intra régionaux entraîne des problèmes, par exemple lorsqu´un pays d´une union douanière (tarif douanier extérieur commun vis-à-vis de pays tiers) a un traité de libre échange avec des pays tiers. Dans ce cas des conditions spéciales et des clauses d´exclusion peuvent être nécessaires pour résoudre le problème, ce qui complique les accords. Graphique 2 : Le chevauchement des accords intra régionaux* en Afrique *Ne figurent pas la CEN-SAD, le CILSS et l’UDEAC Source: Rapport sur le commerce et le développement, CNUCED 2007 2.4 2.4.1 Des PACs aux formes diverses mais aboutissant à des résultats similaires En commun, des objectifs ambitieux… Les PACs africaines reconnaissent le rôle essentiel du secteur agricole dans la croissance de l’économie. La Politique Agricole de l’UEMOA (PAU), mise en place en décembre 2001, première PAC approuvée par une organisation économique régionale africaine, évoque ainsi la « place stratégique du secteur agricole dans l’économie des États membres de l’Union et le rôle fondamental qui lui est assigné de 15 Le Comité Inter-États de Lutte contre la Sécheresse au Sahel est une organisation internationale regroupant les pays sahéliens. Créé en 1973, il regroupe Burkina Faso, Cap Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad. 9 nourrir les populations et réduire la pauvreté en milieu rural »16. L’ECOWAP17, PAC de la CEDEAO, adoptée en 2005, se justifie par « la place prépondérante de l’agriculture dans l’économie ouest-africaine et le rôle d’entraînement que son développement est susceptible d’exercer sur les autres secteurs économiques » et l’objectif de « contribuer de manière durable à la satisfaction des besoins alimentaires de la population, au développement économique et social et à l’éradication de la pauvreté dans les États membres, ainsi qu’à la réduction des inégalités entre les territoires »18. Contrairement à la politique européenne qui s’est initialement basée sur la préférence communautaire, la plupart des PACs africaines affichent des objectifs de promotion des échanges et d’ouverture des marchés situés à l’extérieur des frontières régionales. La PAU de l’UEMOA par exemple se donne trois axes d’intervention : le développement et l’adaptation des grandes filières régionales, l’approfondissement du marché commun pour le secteur agricole, et l’insertion de l’agriculture régionale dans le marché mondial. Quant à l’ECOWAP de la CEDEAO, elle vise l’amélioration de la productivité et de la compétitivité de l’agriculture, la mise en œuvre du régime commercial intra-communautaire, et l’harmonisation du régime commercial extérieur (protection et harmonisation des positions de négociation). En tant que politiques communes « ouvertes » sur l’extérieur les PACs africaines se situent ainsi dans le prolongement « naturel » dans le temps (des années 80 à nos jours) et dans l’espace (du niveau international – FMI, BM, OMC – vers le niveau national puis régional) des représentations dominantes en matière de politiques économiques héritées de vingt années de politiques d’ajustement structurel appliquées dans tous les pays en Afrique. Ainsi, les recettes généralement appliquées dans el cadre des PACs africaines, s’inscrivent très clairement dans le débat controversé sur la notion d’autosuffisance et d’indépendance alimentaire. Inspirés par la vague néo-libérale des années 90, de nombreux textes fondateurs de PACs africaines insistent sur la nécessité, non pas de produire la nourriture, mais d’avoir les capacités financières pour l’acheter, au plus bas prix possible, sur les marchés internationaux.. Ainsi peut-on lire dans le compterendu de la consultation tenue au Niger sur l’élaboration de la PAU :« La sécurité alimentaire du pays doit donc s’appuyer non sur la recherche de l’autosuffisance mais sur le dégagement de ressources grâce à l’ouverture des marchés » 2.4.2 Des schémas d’intégration régionale par l’agriculture toutefois différents On peut toutefois noter une évolution nette du contenu des PACs successivement mises en place, avec en particulier un affranchissement progressif par rapport au discours du régionalisme ouvert. La première, la PAU de l’UEMOA, est la plus « libérale » : elle est essentiellement axée sur les performances des productions et des filières vis-à-vis du commerce mondial et limitée dans ses interventions par un niveau de tarif extérieur commun bas. L’ECOWAP de la CEDEAO vise aussi une modernisation du secteur, tout en accordant plus d’importance au développement du marché intra communautaire. Quant à la plus récente, la Stratégie Agricole de la CEMAC, elle se démarque fortement des deux autres avec ses quatre axes stratégiques : « améliorer les conditions de vie des producteurs par l’accroissement des revenus », « développer les infrastructures pour l’accès au marché », « augmenter les budgets nationaux alloués au secteur agricole », « négocier des accords commerciaux régionaux et internationaux stimulants et bénéfiques pour le secteur agricole et rural ». Elle est la seule à citer explicitement la recherche de meilleures conditions de vie pour les producteurs, à évoquer au premier plan les enjeux non strictement agricoles mais également ruraux, et à afficher la nécessité non pas de se mettre en adéquation avec les règles internationales, mais d’avoir une approche plus proactive des négociations. Par ailleurs, les héritages coloniaux, institutionnels et culturels ont contribué au façonnement de différents schémas d’intégration régionale. Par exemple, les structures institutionnelles de l’UEMOA et les principes de fonctionnement affichés de la CEDEAO (subsidiarité, proportionnalité, complémentarité, régionalité, solidarité, partenariat, concertation, progressivité) sont calqués sur ceux de l’UE. Alors que les Extrait de l’Acte additionnel 03/2001 portant sur l’adoption de la politique agricole de l’UEMOA - préambule Agricultural Policy of the Economic Community of West African States 18 Décision portent sur l’adoption de la PAC de la CEDEAO le 19 janvier 2005 16 17 10 PACs de l’UEMOA et de la CEDEAO ont été « concrétisées », dans d’autres cas l’affichage correspond en réalité à des mesures ponctuelles de coopération entre pays sans qu’une politique sectorielle ne soit élaborée, formulée ou mise en œuvre au niveau régional, comme dans le cas du COMESA. 2.4.3 Globalement, des instruments non mis en œuvre À l’image de ce qui se produit au niveau national, les PACs se réduisent la plupart du temps à des déclarations d’intention, annonces officielles souvent ambitieuses mais peu suivies d’effets en pratique. Dans le cas de la CEMAC par exemple, presque dix ans après son lancement, le document de Stratégie n’est toujours pas intégralement approuvé. Si une décision du 11 décembre 2000 autorise son secrétariat exécutif « à engager toutes les actions susceptibles d’assurer la coordination des politiques agricoles des Etats membres conformément aux dispositions des articles 33 et 34 de la Convention de l’UEAC », le manque de moyens humains et financiers, mais également les problématiques et priorités politiques complètement divergentes des pays membres (sahéliens ou équatoriaux, producteurs de pétrole ou pas du tout, en guerre pour certains, enclavés pour d’autres, etc.) empêchent tout avancement dans ce sens. Quant à la CEDEAO, si une politique agricole commune, l’ECOWAP a été approuvée en janvier 2005, aucune mesure concrète n’est encore en vigueur. L’Union du Maghreb Arabe projetait dès l’origine la création d’un marché commun des produits agricoles, et l’un des premiers textes adoptés fut une convention sur les échanges de produits agricoles, prévoyant à son article premier l’édification progressive d’une union douanière en vue de réaliser le marché commun. En vigueur depuis plus de 10 ans, elle n’est toujours pas appliquée. Quand elle n’est pas complètement absente, la mise en œuvre est très souvent « différentielle », les instruments relatifs au fonctionnement et à la libéralisation des marchés étant appliqués, et les objectifs affichés correspondant aux dimensions transversales (développement rural ou recherche et vulgarisation) restant lettre morte. Dans le cas de l’UEMOA par exemple, le Fonds Régional de Développement Agricole (FRDA) initialement prévu pour financer des actions structurelles n’a jamais vu le jour pour des raisons budgétaires. Quant au fonds pour soutenir les investissements en zone rurale, s’il a bien été créé, son volet agricole (qui consistait en un guichet temporaire en attendant la création du FRDA) n’a jamais été suffisamment doté pour permettre le financement de mesures de soutien. 2.4.4 Poids prépondérant des acteurs extérieurs Le poids des acteurs extérieurs dans la mise en place des PACs s’explique par la nécessité des structures régionales de passer par les bailleurs de fonds pour financer les politiques et de s’exposer à leurs exigences normatives, donc entre autres au régionalisme ouvert. Cette « coopération » avec les bailleurs et organisations internationales se traduit parfois par une certaine « exogénéisation » des processus de formulation des politiques (Balié et Fouilleux, 2008, Dieye, XXXX). L´élaboration de la PAU de l´UEMOA, issue d´un processus restreint, rapide, peu politisé, et entièrement confié à des intervenants extérieurs, fournit une excellente illustration de ce phénomène. Ces interventions extérieures ne favorisent ni l’appropriation du débat par les élites concernées, ni son développement dans la sphère publique, et empêchent la mise en place de phénomènes d’apprentissage et de capitalisation des expériences et des acteurs. Les paysans, qui sont restés longtemps très faiblement organisés, n’ont pas de poids dans la plupart des pays africains et sont peu associés à la formulation des politiques agricoles. Par exemple, dans le cas de la préparation de la stratégie agricole pour les pays de la CEMAC, il a fallu 8 ans de réunions d’experts plus ou moins impliqués pour améliorer un document qu’aucun paysan de la région n’a jamais vu et qui n’est toujours pas validé ni mis en œuvre. En revanche, les organisations paysannes africaines se sont nettement renforcées à partir des années 1990 et deviennent des interlocuteurs de plus en plus importants du débat régional et international. Certaines développent même des relations transnationales (Ténier, 2003) avec des ONG et organisations syndicales agricoles du nord qui leur apportent visibilité internationale, soutien et assistance. Le Réseau des Organisations Paysannes et de 11 Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) créé en juillet 2000 à Cotonou en réaction à la mise en place de la PAU de l´UEMOA s´est ainsi donné pour mission de porter les doléances de l´ensemble des paysans et producteurs agricoles auprès des instances de l´UEMOA (Tremblay 2003). 2.4.5 Manque de ressources financières et humaines Par ailleurs, le manque de ressources matérielles et humaines mobilisables dans le secteur agricole aux niveaux régional et national handicape le fonctionnement des PACs africaines. Le morcellement de l’administration centrale dans la plupart des pays entraîne une dispersion des moyens et ne facilite ni la définition d’une vision commune et cohérente du secteur, ni la coordination national/régional nécessaire. Au niveau national, ce sont souvent quelques individus qui suivent les affaires régionales pour un pays donné. Au niveau régional la situation est similaire. En 2005, la Commission de l’UEMOA ne disposait que de six fonctionnaires permanents chargés de l’ensemble du travail administratif lié à la PAU, également en charge de la Politique Commune d’Amélioration de l’Environnement. Le contexte de fragilité et de marginalisation des politiques agricoles nationales fait entrevoir la création de PACs sinon comme paradoxale, du moins comme un défi en termes de fonctionnement, de coordination et de mise en œuvre. 3 Comment concrétiser les PACs 3.1 3.1.1 Améliorer les articulations possibles entre les échelles nationale et régionale Renforcer la cohésion régionale et les liens de solidarité Nous avons vu que la mise en oeuvre de marchés communs de produits agricoles que suppose l’union douanière fait apparaître des gagnants et des perdants en fonction du profil des économies nationales et de la force relative et de la compétitivité des différents secteurs. En effet, en l’absence de mécanismes de compensation opérationnels, les pays les moins industrialisés d’une union économique sortent perdants sur deux fronts : ils perdent d’abord des revenus tarifaires lorsque certains produits importés jusque-là du reste du monde sont importés de pays voisins à des tarifs douaniers réduits ; puis ils risquent de perdre le peu qu’ils ont de tissu industriel face à la concurrence de leurs voisins plus industrialisés. Afin de ne pas mettre le projet d’intégration régionale en péril, il est utile de prévoir dans le cadre d’unions douanières des mécanismes de compensations financières adaptés. L’expérience de la SACU propose un mécanisme intéressant de compensation en faveur des pays les moins industrialisés de l’Union douanière. En effet, l’accord de la SACU reconnaît l’inégalité de développement de l’industrie entre la RSA et les pays BLNS19. Des mesures ont été prévues pour la protection de l’industrie dans l’enfance de ces pays (c’est-à-dire installée depuis moins de huit ans dans l’État membre), qui peuvent décider de taxes additionnelles sur les biens importés du reste de l’union douanière, pour combler l’écart de concurrence (Balié, 200 ?) Les attentes en termes de cohésion pour le tissu agricole et rural sont nombreuses notamment en Afrique. Toutefois, c’est à l’aune de la cohérence entre les objectifs de politiques et les instruments réellement mis en œuvre qu’il est possible de mesurer les progrès accomplis en terme de cohésion. L’expérience européenne des fonds structurels montre le degré d’engagement requis (notamment financier et institutionnel) afin de réduire les écarts de développement entre zones. Dans le cas de l’UEMOA le principe de la solidarité financière semble être total, puisque la redistribution des fonds favorise les zones les plus en retard de la région, alors que l’on peut estimer que les pays qui importent le plus, et donc contribuent plus fortement au budget de l’Union, sont les plus développés. Cependant il faudra attendre plusieurs exécutions quinquennales pour vérifier que dans les faits ce principe est bien respecté. 19 Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland 12 Ce sont donc les mesures de politiques qui sont porteuses de cohésion. Ainsi en fonction de la situation et des objectifs assignés à une politique, des options tarifaires ou des subventions à la production pourront être plus ou moins favorables à la cohésion. En outre, la force de cohésion de la politique agricole au niveau régional dépend à l’évidence de son degré de mise en œuvre. Or tant que les politiques communes resteront à l’état de projets, la cohésion ne se matérialisera pas. 3.1.2 Cohérence entre niveaux national et régional Le manque de coordination des politiques nationales conduit à des duplications de projets concurrents non viables (Hugon, 1997). La politique régionale doit si possible prolonger et renforcer les politiques nationales. Une telle situation où politique des niveaux régional et national se correspondent, se complètent ou se renforcent est également de nature à renforcer la cohésion régionale sur les politiques agricoles. Cela suppose toutefois, qu’un travail approfondi d’inventaire et d’analyse des politiques existantes au niveau national soit effectué avant d’initier la formulation d’une politique agricole commune. C’est la cohérence des mesures de politiques décidées au niveau régional par rapport à ce qui existe au niveau national plus encore que la correspondance des objectifs qui fera que les deux niveaux sont pratiquement liés et complémentaires. Cette phase de diagnostic, absolument nécessaire, et qui comprend l’identification des besoins à combler, n’a pas été réalisée systématiquement et en profondeur dans les expériences étudiés (UEMOA, CEDEAO, CEMAC, EAC, etc.). Il en résulte des contradictions entre objectifs et instruments définis au plan régional et national et parfois, un manque de continuité du niveau régional au niveau national quand dans un pays donné on est passé directement à la formulation d’une PAC alors qu’une politique agricole au sens strict n’existe pas. Enfin, le diagnostic nécessite en outre la contribution de multiples acteurs au premier rang desquels il est essentiel de trouver les représentants des producteurs et des consommateurs que la politique agricole prend généralement pour cible. 3.1.3 Convergence des intérêts nationaux et cohérence des espaces régionaux La question de la cohérence rejoint celle de la convergence des intérêts nationaux. En effet, il est essentiel de consacrer du temps et des moyens à l’identification des intérêts agricoles de chaque pays et même de chaque zone nationale dans le processus d’élaboration d’un politique agricole commune. Quels sont les produits les plus compétitifs ? Quelles sont les filières sensibles ? Quelles sont les catégories de producteurs vulnérables ? Quelles sont les motivations des producteurs vis-à-vis d’un projet de politique agricole commune ? Quelles sont leurs craintes ? En effet, la convergence des intérêts entre zones de production n’est pas automatique. Par exemple, par rapport aux mesures de soutien à envisager dans le cadre d’une PAC, un pays côtier tel que la Côte d’Ivoire n’a à priori pas les mêmes intérêts qu’un pays sahélien enclavé dont le profil des filières de productions est très différent tel que le Burkina Faso. En revanche, il peut exister des complémentarités à exploiter dés lors que les potentiels et la compétitivité des filières sont mieux analysés et donc mieux connus. Il est préférable de recenser ces enjeux et de rendre explicite les motivations de chaque communauté d’acteurs pour éviter de s’exposer une fois que la politique est adoptée à des revendications difficiles à prendre en compte. Encore une fois la phase de dialogue avec les représentants professionnels est essentielle à cette fin. De même, il est essentiel de développer les capacités d’analyse de filière à des fins de politique en particulier pour mieux cerner le potentiel de complémentarité entre zones de production. En revanche, il existe des cas ou les intérêts agricoles nationaux sont compatibles et convergents. Une telle situation permet de transposer plus facilement la défense de ces intérêts au niveau régional dés lors que ceux-ci sont portés par des acteurs organisés et déterminés. On a pu le voir lorsque les pays producteurs de coton - Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad - ont parlé d’une seule voix dans les négociations à l’OMC. L’élément fondamental de cette convergence au niveau régional a été la capacité de structuration des producteurs via le ROPPA et son efficacité à organiser le débat sur la question du coton pour qu’il soit finalement repris à leur compte par les décideurs régionaux vis-à-vis de leurs interlocuteurs extérieurs. La question de la convergence des intérêts se pose encore aujourd’hui dans le cadre des négociations 13 sur les Accords de Partenariat Économique (APE) avec l’Union européenne ou dans le cadre de partenariats avec de nouveaux acteurs tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil. Comment les pays de la CEDEAO par exemple pourront-ils concilier leurs intérêts divergents? 3.1.4 Soutenir l’effet de « catalyse » via le niveau régional ? Alors qu’en Europe l’enjeu agricole a d’abord été défini dans un cadre national avec des politiques sectorielles fortement institutionnalisées, puis transféré au niveau communautaire avec une politique commune « compromis » entre les politiques nationales existantes, en Afrique, on assisterait plutôt à un mouvement inverse, avec effet de catalyse du niveau régional : d’abord une absence ou vacuité des politiques agricoles nationales, puis la mise en place de politiques régionales, pourtant très faiblement mises en œuvre, qui induiraient dans un second temps le renforcement de l’organisation du secteur et des politiques au plan national. Par ailleurs, la mise en place des PACs a suscité l’apparition de nouveaux acteurs au niveau régional, souvent mieux organisés qu’au niveau national et capables de participer au débat dans des enceintes sousrégionales comme l’UEMOA ou la CEDEAO tel que le montre l’expérience du ROPPA notamment. 3.2 3.2.1 Promouvoir des mesures de politiques pragmatiques et fondamentales Nécessité au niveau national de développement de capacités analytiques Comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, la connaissance de la réalité des agricultures nationales et locales est indispensable pour l’élaboration de politiques qui répondent aux enjeux réels de manière adaptée et efficace. Cette connaissance repose sur la maîtrise de capacités en analyse des politiques qui intègrent la connaissance et l’analyse des filières et vont au-delà pour inclure l’analyse institutionnelle, le processus d’élaboration des politiques, la participation d’un large spectre d’acteurs agricoles et ruraux., etc. Les pays africains sont, en majorité, pénalisés par un manque de capacité analytique en particulier en politique. Le renforcement de ces capacités fait d’ailleurs parti de leurs revendications dans le cadre des négociations internationales et de leurs requêtes auprès des bailleurs de fonds. En effet, une bonne maîtrise de la réalité agricole nationale en préalable aux négociations d’intégration régionale sur l’agriculture (et à fortiori lors des négociations internationales) doit permettre aux décideurs nationaux de mieux promouvoir et défendre les intérêts nationaux. Ainsi, l’intégration régionale dans certaines conditions et sous réserve que certaines mesures de politiques soient adoptées en référence au contexte local peut permettre de définir de véritables politiques de filières permettant à certains produits de trouver leur place sur marché régional voire mondial. Sous impulsion régionale, certaines filières peuvent évoluer, se restructurer. On pourrait par exemple imaginer que la filière coton en Afrique de l’ouest relève de la compétence de l’UEMOA ou de la CEDEAO. L’analyse de filière est un outil qui permet d’identifier les sources de compétitivité, les nœuds d’étranglement qui rendent les échanges difficiles, ou les acteurs les plus vulnérables. Un espace d’intégration peut trouver un intérêt via des capacités analytiques renforcées à identifier les filières qui représentent un enjeu pour la sécurité alimentaire et la subsistance, celles qui ont besoin de soutien. 3.2.2 Promotion du développement du commerce intra régional Comme nous l’avons évoqué plus haut, la promotion du commerce notamment intra régional est un objectif classique de l’intégration régionale. Cependant, il est plus souvent question de baisses tarifaires ou de développement des infrastructures de transport ou de marché que de mesures de soutien ou d’accompagnement à la production ou à la commercialisation. Il existe pourtant là des effets leviers considérables. Ces mesures peuvent dans certains cas prendre la forme de biens publics et donc ne pas 14 fausser la concurrence. Il peut s’agir de mesures de promotion de produits sur certains marchés, d’analyse de marchés, de la mise à disposition de nouvelles technologies de production ou de conservation, etc…De même, il est rarement question de s’attaquer réellement aux obstacles informels au commerce des biens. Ces obstacles font pourtant augmenter de manière significative (+10% pour la filière riz au Mali, par exemple) les coûts des transactions. En outre, l’application et le contrôle des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) constituent encore des enjeux majeurs pour la facilitation des échanges notamment pour le bétail sur pied, et les produits frais. De ce point de vue, le niveau régional peut jouer un rôle clé en assurant la coordination et le suivi des politiques nationales. De même, le niveau régional peut avoir vocation comme le montre l’exemple européen notamment, à mettre en place un système cohérent et unique de normes et standards. Enfin, les recherches ont également beaucoup mis en exergue le besoin d’une plus grande coordination des politiques des prix des produits alimentaires, pour mettre un frein aux échanges parallèles de produits céréaliers importés, occasionnés par des différences de prix dans les différents pays. 3.2.3 Mise en place de mécanisme adapté et ciblé de protection aux frontières Le consensus prédominant des économistes du développement ne s’oppose pas au protectionnisme en toutes circonstances ou dans toutes ses formes mais plutôt à la combinaison d’une protection excessive et d’un taux de change surévalué (Badiane, XXXX). Le premier est défavorable aux consommateurs et induit des effets de rentes au profit des producteurs les moins compétitifs. Le second est défavorable aux exportations y compris vers des partenaires régionaux en l’absence d’une union monétaire. Ensemble ces deux aspects freinent la croissance économique. Pour être efficace, la protection doit s’accompagner de certains critères de performance, comme ce fut le cas en Asie du sud-est (Banque mondiale, 1993), et évoluer de façon dégressive et stratégique. Les textes adoptés à l’OMC réservent des marges de manœuvre spécifiques aux pays en développement (clause de minimis, traitement spécial et différencié, clause de sauvegarde, définition de liste de produits spéciaux ou sensibles) qui sont rarement pleinement utilisées par les pays concernés dans le cadre des négociations bilatérales avec l’UE par exemple et multilatérales à l’OMC. Par ailleurs, les engagements multilatéraux des pays africains à baisser leurs barrières douanières sont faibles avec des tarifs consolidés à des taux relativement hauts (150% environ pour le Burkina Faso, 310% pour le Cameroun). Il leur reste donc des moyens de protection tarifaire importants. Aussi le relèvement des tarifs (communs) est-il envisageable. Il est cependant important de noter que, comme on verra par la suite, la mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) dans le cadre des unions douanières a souvent induit à une libéralisation beaucoup plus poussée que ce à quoi ont abouti les pays dans le cadre des négociation multilatérales sur le commerce. Pour l’UEMOA par exemple, les droits de douanes moyens sont passés de 29% en 1997 à 15 % en 2003 (Alpha, 2007). Il en résulte que le niveau du TEC de l’UEMOA ne permet à la PAU d’accorder qu’un niveau de protection très marginal à l’agriculture de la sous-région. En outre, les mesures tarifaires doivent être cohérentes par rapport aux objectifs de politique. Ainsi, un objectif de souveraineté alimentaire ou d’indépendance alimentaire s’accompagnera nécessairement de tarifs élevés pour les principaux produits alimentaires de base si la région considérée ne dispose pas non seulement des avantages comparatifs absolus mais aussi des capacités de soutiens directs et indirects des principaux pays concurrents. 15 3.2.4 Valorisation des alternatives locales Une des principales difficultés auxquelles les PACs comme les politiques nationales doivent faire face est l’évolution du mode de consommation d’une population africaine de plus en plus urbaine. La globalisation a achevé la promotion d’un mode de vie standardisé qui affecte également l’Afrique. Ainsi, les habitudes alimentaires intègrent-elles de manière croissante le recours à des produits importés. Sans aller jusqu’aux produits agro-alimentaire transformés, certains produits de base tels que le blé et le riz ont pris une place prépondérante dans la consommation au détriment de productions locales. Il est essentiel pour des enjeux agricoles aussi bien que vis-à-vis du maintien de l’agrobiodiversité de revaloriser des produits de base tels que le mil, millet, sorgho, manioc, etc. 3.2.5 Financement autonome des PACs L’agriculture comme d’autres secteurs longtemps considérés comme secondaires (santé, éducation, culture) par rapport au secteurs jugés prioritaires (infrastructure, défense, etc.) fait les frais des arbitrages budgétaires interministériels. Or comme nous l’avons évoqué plus haut le mode de financement d’une politique fait intégralement partie de la politique. Nous avons aussi indiqué que l’influence des partenaires extérieurs sur le contenu même des PACs résulte avant tout du fait que leur financement est très souvent lié aux contributions des bailleurs (Balié et Fouilleux, 2008). Une plus grande autonomie dans la définition des politiques passe donc nécessairement par une augmentation de la part du budget consacré à l’agriculture. En d’autres termes, l’Afrique doit se préoccuper de son agriculture et y consacrer une part substantielle de ses propres moyens financiers. Cela répondrait en même temps à une autre limitation qu’est la nécessité d’inscrire le financement des politiques dans la durée (Ribier, 2007). La déclaration de Maputo (juillet 2003) incite les gouvernements à consacrer au moins 10% de leur budget au secteur agricole (FAO, 2004). La difficulté réside souvent dans le fait que le volet recette du budget national est le plus difficile à constituer. Les taxes sur les exportations ont jusqu’à une époque récente permis d’alimenter les recettes budgétaires mais elles ont en même temps fortement pénalisé l’agriculture (Bates, 1983 ; Timmer, 1991). Une possibilité rarement explorée, car très controversée notamment chez les économistes, est de raisonner en terme de taxes et revenus affectés. En effet, le volume des échanges agricoles vis-à-vis de l’extérieur est significatif dans la plupart des organisations économiques régionales (entre 70 et 95% par rapport au commerce intra régional en fonction des régions). Il pourrait être envisagé que les revenus générés par les tarifs appliqués aux frontières extérieures soient directement affectés au budget agricole du niveau régional. Ainsi, les revenus issus des échanges agricoles, notamment liés à la consommation de biens primaires importés et à l’exportation des cultures de rentes, retourneraient à l’agriculture afin de financer les mesures envisagées dans les documents de politique. Ce type de proposition est susceptible de générer des tensions politiques dans la mesure où il va à l’encontre du principe bien établi de l’universalité des recettes et des dépenses dans un budget public. L’obtention d’un consensus en faveur de la priorité que représente le secteur agricole permettrait en partie de répondre à un besoin d’autonomie pour les dépenses agricoles. 3.3 3.3.1 Renforcer la mécanique institutionnelle des négociations intra régionales Un rôle accru pour les Organisations Paysannes (OP) Certaines OP africaines deviennent de plus en plus des acteurs incontournables des négociations régionales et internationales, défendant des politiques agricoles plus participatives et plus appropriées. Par exemple, le rôle de premier plan du ROPPA dans l’affaire du coton à Cancún, ses stratégies d’alliance avec des interlocuteurs bien choisis au nord, ou la reprise de ses priorités par la CEDEAO attestent de son influence croissante. Le ROPPA souhaite faire émerger un nouvel « espace politique régional permettant de restaurer une souveraineté mise à mal dans les domaines qui intéressent les paysans et, avec eux, tous les citoyens de la sous-région20 » et demande à l’UEMOA d’agir pour que la communauté internationale 20 Conclusions de l’Atelier Régional sur la Politique Agricole Commune de l’UEMOA, Ouagadougou, octobre 2001 16 reconnaisse d’une part le droit de construire un espace économique régional assorti d’une véritable politique agricole et d’autre part le droit à la « souveraineté alimentaire » définie à l’échelle sous-régionale, et que des instruments et des mécanismes soient mis sur pied pour assurer à la fois une protection externe et une libéralisation interne, de manière à ce que puissent s’ établir dans la sous-région des prix « normalement rémunérateurs ». On peut toutefois noter qu’autre le ROPPA peu d’OP ont jusqu’à aujourd’hui émergé. Comme le souligne Michel Petit, « les euros sont indispensables mais… une intelligence est tout aussi indispensable, pour appuyer tant les acteurs publics que les OP et le secteurs privé ». L’enjeu concerne l’appropriation de la politique agricole commune qui ne peut être atteint qu’à partir du moment où les espaces de débat où décideurs, fonctionnaires et organisations paysannes se rencontrent existent et sont organisés. De même, il est essentiel qu’en préalable aux négociations régionales qui mettent en présence des représentants des autorités nationales, ces derniers aient eu la possibilité de rencontrer les représentants des producteurs et des consommateurs pour élaborer et nourrir les débats sur la politique agricole et si possible forger des consensus nationaux. 3.3.2 Transparence et développement de la qualité de l’information Faute de moyens humains et financiers suffisants, l’information circule mal et les acteurs sont mal préparés au débat et à la mise en œuvre des politiques. Des textes adoptés au niveau régional sont parfois inconnus dans les ministères des pays membres21. En janvier 2007 ni les textes réglementaires, ni la PAU elle-même n’étaient accessibles sur le site web de l’UEMOA alors qu’elle date de 2001. Il en est de même pour la CEDEAO où l’ECOWAP est introuvable et où la page sur l’agriculture n’était toujours pas disponible en août 2008. Dans le même ordre d’idées, il arrive que les administrations des pays membres de groupements régionaux s’adressent à des organisations extérieures (FAO, UNOPS22, UE) pour obtenir des documents et textes réglementaires. Souvent, les organisations paysannes sont mieux informées que les administrations elles-mêmes du fait de leurs réseaux et de leurs liens avec les organisations de producteurs des pays du nord. Grâce à l’usage des nouvelles technologies, et dés lors que la volonté politique existe, des mesures simples et peu coûteuses peuvent permettre de favoriser la transparence et d’améliorer l’accès à l’information. 3.3.3 Importance de se préparer au niveau national aux négociations régionales Le manque de préparation au niveau national, notamment la non hiérarchisation des intérêts stratégiques lors des négociations régionales peut aboutir à un mécanisme d’intégration mal géré aux conséquences dévastatrices pour le secteur agricole, comme le démontre l’exemple de la négociation du TEC de l’UEMOA. Celui-ci a en effet été mis en place avant que ne soit définie une politique agricole commune. Or avec le schéma d’intégration régionale de l’UEMOA le TEC a été défini à 0-5-10-20%23. De conception très libérale, ce TEC ne permet pas de protéger l’agriculture des pays membres. Ses effets pervers sont manifestes et dramatiques : Le cas du riz au Burkina Faso et au Mali Le Burkina Faso a beaucoup investi pour développer de grandes rizières, et il continue d’investir. Pendant ce temps là, les producteurs de ces rizières s’enfoncent dans la misère. En effet, ce pays, comme les autres pays de l’UEMOA, importent de grandes quantités de riz à des prix très bas. Les importateurs de riz profitent notamment de la chute du dollar (près de 40 % en deux ans), alors que la taxe à l’importation, définie en l’an 2000 par le TEC, n’a pas varié: elle s’élève à 10 % (à comparer à la taxe douanière du Nigeria qui s’élève à 100 %). Les producteurs de riz sont découragés, beaucoup ont abandonné les rizières, d’autres se sont tournés vers les cultures maraîchères. Au Mali également, la situation est grave. Alors que le pays pouvait, il y a quelques années, approvisionner suffisamment sa o 21 Entretien, fonctionnaires travaillant notamment en Guinée Bissau et au Niger. United Nations Office for Project Services, Dakar. 23 Concernant respectivement les biens de 1ère nécessité, les matières premières et biens d’équipement, les biens intermédiaires, et les biens de consommation courants et produits de luxe 22 17 population en riz, aujourd’hui, à Bamako, ses magasins sont remplis de riz asiatique. Pourtant, un TEC plus élevé permettrait de garantir un prix plancher entre 120 FCFA et 150 FCFA le kilo de riz paddy. Au contraire, la production de riz pourrait exploser, et des pays comme le Mali et le Burkina Faso pourrait bientôt exporter vers le Nigeria (premier importateur mondial de riz) par exemple. Le cas du blé Le blé est taxé à 5 % selon le TEC de l’UEMOA. Comme de plus, il est largement subventionné par l’UE, il envahit les pays de l’UEMOA. Les boulangeries fleurissent, les habitudes alimentaires changent (pain, pâtes alimentaires...)... et les producteurs de maïs, de mil, de sorgho n’arrivent plus à vendre leurs céréales à un prix rémunérateur. o De manière similaire, le TEC a été défini à 5-10-20-30% pour les pays de la CEMAC. L’adoption de ces TEC de conception libérale signifie l’impossibilité par les pays membres d’exercer leur droit à appliquer les politiques définies dans le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Cela montre l’incohérence des pays qui, d’un coté, ont fait et font encore beaucoup d’efforts pour la définition et l’exécution de ce cadre et qui, de l’autre, acceptent une ouverture sans limite au marché mondial. À ce titre, une capacité propre d’analyse au niveau national de la situation des politiques, la hiérarchisation des enjeux et des priorités à traiter, et une bonne maîtrise de la réalité agricole nationale en préalable aux négociations pourrait constituer un levier efficace pour véhiculer un certain message politique au moment des négociations au niveau régional (et à fortiori lors des négociations internationales) et devrait permettre au décideurs nationaux et régionaux de mieux promouvoir et défendre les intérêts. 4 Conclusions Nous avons vu que l’intégration régionale par l’agriculture en Afrique relève d’une interprétation variable et bien qu’elle soit basée sur la reconnaissance d’un rôle essentiel du secteur agricole dans l’économie et la croissance, l’enjeu agricole ne peut pas être différencié des enjeux politique et commercial. Nous avons montré que la conclusion d’accords commerciaux n’a pourtant pas entraîné un accroissement du commerce intra régional, ce qui s’explique par la faible complémentarité des économies africaines et les difficultés liées à la libéralisation d’une part, et par l’absence de coordination et d’harmonisation des politiques de production et de commercialisation d’autre part. Il est apparu que les différentes PACs résultent de schémas d’intégration différents mais convergent dans la définition d’objectifs ambitieux qui se traduisent cependant par des instruments non mis en œuvre et, à l’image de ce qui se produit au niveau national, restent la plus part du temps des déclarations d’intention. Ceci s’explique à la fois par le poids prépondérant des acteurs extérieurs (recours aux bailleurs de fonds pour financer les politiques) et par le manque de ressources matérielles et humaines mobilisables tant au plan national que régional. Bien que l’intégration régionale par l’agriculture apparaisse comme un défi en termes de fonctionnement, de coordination, et de mise en œuvre, nous avons souligné que la mise en place de PACs peut conduire à des succès du moment où sont instaurés des instruments et des arrangements financiers et institutionnels pour leur concrétisation. Ceci passe par l’amélioration des articulations possibles entre les échelles nationale et régionale, par la promotion de mesures de politiques pragmatiques et fondamentales, et par le renforcement de la mécanique institutionnelle des négociations intra régionales, notamment l’appropriation du débat par les acteurs du terrain. Bien que ce tour d’horizon sur les PACs en Afrique ait mis en évidence que leurs succès sont mitigés, il est important ici d’ajouter qu’il est difficile pour les PAC de réussir là où les pays ont échoué ou là où ils n’ont pas voulu aller au cours des décennies écoulées. D´autre part, la littérature sur l’intégration régionale suppose le bien-être agrégeable, les préférences des consommateurs homogènes, des facteurs de production mobiles et des produits largement substituables, autant d'hypothèses rarement transcrites dans la réalité en particulier en ce qui concerne le secteur agricole marqué par ses particularités. On a parlé des résultats plutôt médiocres des projets d’intégration régionale pour le développement. Toutefois on pourrait aussi relativiser la notion d’échec: tout dépend du point de vue duquel on se place. En effet, ce n´est pas un échec si cela permet quand même de drainer des fonds vers le développement par exemple. L´intégration régionale prend par ailleurs tout son sens du point de vue de la capacité d´agir 18 ensemble pour renforcer son efficacité, c’est-à-dire de la ¨valeur ajoutée régionale¨. Le processus d'intégration trouve en effet son fondement dans l'économie du bien-être: l'effet grand pays qui peut justifier l'instauration d'un droit de douane optimal, et des rendements d'échelles et externalités "territorialisées" (positives ou négatives) et les défaillances de marché qui justifient un traitement, une correction, optimales à l'échelle régionale. Ces défaillances là peuvent conduire à intervenir bien plus efficacement au niveau régional qu'au niveau national ou international. L'efficacité induite l'emportant largement alors sur un quelconque effet de diversion (détournement du commerce) qui n'est plus le problème en l'occurrence. Reste à déterminer si l'agriculture est le secteur approprié pour progresser dans la voie de l´intégration régionale en Afrique. Bien que la réponse ne soit pas évidente, toute stratégie de développement qui se fonde en partie sur l´agriculture implique que les gouvernements développent une vision commune des enjeux agricoles, leur permettant de concevoir une stratégie commune et par conséquent de procéder à une harmonisation progressive plus ou moins réussie des politiques dans les domaines essentiels à la réalisation de cette vision: politiques commerciales, stratégie de mise en valeur des ressources communes, politiques fiscales... On a vu, que dans une partie de l´Afrique au moins, alors que la situation initiale se caractérisait soit par une absence soit par une vacuité effective des politiques agricoles nationales, la mise en place de PACs, pourtant elles aussi très faiblement mises en oeuvre, tend à induire la relance et le renforcement du secteur. Toutefois un peu plus de transparence et un peu moins de doubles discours permettrait peut être aux acteurs eux-mêmes d’y voir plus clair et de se saisir plus directement de leur destin politique. Il ne suffit pas d’instaurer les manifestations formelles de la démocratisation. Il faut opérer un changement de mentalité et faire valoir une meilleure appréciation du rôle de la loi dans la société moderne. En effet, en Afrique l’absence de constitutionalisme a miné le processus d’intégration régionale. Celle-ci ne pourra progresser de façon significative que lorsque les actes communautaires produiront des effets juridiques directs à l’égard des entreprises et agents économiques actifs sur le territoire des États membres. Une autre priorité doit aller à la participation et la mobilisation des acteurs de base - paysans et société civile – qui doivent s'approprier du débat et développer une capacité propre d´analyse des enjeux. La hiérarchisation des priorités et la mise en place de stratégies en vue des négociations régionales et internationales constitue également un élément fondamental pour permettre aux acteurs de tous niveaux d'exercer leur droit à appliquer des politiques cohérentes définies dans le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Cela passe notamment par le renforcement des capacités analytiques et discursives et par des études sectorielles, concrètes et soucieuses du détail, notamment sur le fonctionnement des filières, qui puissent contribuer à définir les voies et moyens de stimuler les échanges régionaux dans le sens de la viabilité économique à long terme. 19 BIBLIOGRAPHIE ABDOULAHI M. [2005], Évaluation des efforts d’intégration régionale en Afrique en vue de promouvoir le commerce intra africain, Centre africain pour les politiques commerciales, Commission Économique pour l’Afrique BADIANE O., Delgado C.L. 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