Holisme et individualisme en sciences sociales Remarque: cette

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Holisme et individualisme en sciences sociales
Remarque: cette version du cours ne comporte pas le cours sur Weber
Cette année nous aborderons les sciences humaines en nous intéressant exclusivement aux sciences
sociales, et parmi elles la sociologie et l'anthropologie.
Aborder les sciences sociales en philosophe demande quelques remarques préalables. Tout d'abord
il ne s'agira pas de devenir des sociologues ou des anthropologues. La spécialisation des disciplines
nous interdit cette prétention, à moins d'abandonner l'idée que nous sommes dans un cours de
philosophie.
Cela ne pourra pas être non plus un cours d'initiation, même s'il sera nécessaire de recourir à la
présentation de certaines théories. L'initiation est intéressante en elle-même mais n'a rien de
philosophique.
Donc notre question première demeure ouverte: comment aborder les sciences sociales en
philosophes ?
Il ne s'agira pas non plus de prétendre juger de la vérité ou de la scientificité de ses sciences au nom
d'un point de philosophique prétendumment supérieur, attitude qui a pu être celle de la philosophie
au début du XXème siècle lors de la prise d'indépendance de ces sciences sociales.
Il s'agira plus modestement d'être à l'écoute des sciences sociales. En tant que sciences sociales, ce
sont des sciences de la société. Il faudra donc se demander ce qu'elles nous apprennent sur cette
notion.
De plus, nous verrons que les sciences sociales sont traversées, plus ou moins consciemment, par
des oppositions philosophiques qui structurent leur histoire: nous retiendrons deux d'entre elles:
l'opposition entre individualisme et holisme et dans une moindre mesure l'opposition entre méthode
explicative et méthode compréhensive.
Reprenons la première perspective envisagée: les sciences sociales sont des sciences du social. Mais
la philosophie s'est aussi voulue une réflexion sur la société depuis son origine ( Platon et Aristote
pour ne citer qu'eux).
Mais il faut surtout remonter à la situation de la philosophie sociale au XVIIIème siècle: elle est
dominée par les théories du contrat et par un individualisme possessif plus ou moins explicite.
De Hobbes à Rousseau, les théories du contrat essaient de reconstituer la société en partant de
l'hypothèse plus ou moins fictives d'individus isolés dans un état de nature. La société n'est donc
que la somme d'individus.
Les sciences sociales se sont construites en opposition à cet atomisme social. Elles ont essayé de
penser le caractère organique des sociétés. La première approche de ce caractère organique a été
faite par Hegel. Sa philosophie de l'esprit l'a amené à penser un Esprit à l'oeuvre dans l'histoire, et
donc l'idée d'une mentalité collective. De même, sa critique de la morale kantienne, proposant
comme critère de la moralité l'universalisation de son principe d'action le conduit à proposer l'idée
d'une moralité effective qui serait collective.
Ainsi notre première perspective rejoint immédiatement la seconde. Ce que nous disent les sciences
sociales, c'est que la société doit avant tout être considérée comme un tout. Le holisme est apparu
dès l'origine des sciences sociales.
Pourtant, nos sociétés ont une dominante individualiste. Il semble donc paradoxale d'y voir
uniquement des individus intégrés dans un tout. Au contraire, une rapide observation de la vie en
société nous montre des individus éparpillés avec des liens sociaux de plus en plus détendus. Que
faire de cette impression que nous pouvons tous partager ? N'est-ce qu'une illusion qu'une science
du social devra dissiper ou du moins expliquer ? Ou nous dit-elle la vérité sur le social, contredisant
alors le point de vue holiste.
Nous aborderons ce phénomène à partir de la théorie de Durkheim, un des pères fondateurs de la
sociologie. A partir de son point de vue holiste, celui-ci fera de l'individualisme de nos sociétés une
maladie du social. La sociologie ne sera donc pas purement descriptive mais pourra émettre des
jugements de valeur sur les faits sociaux à partir de la distinction entre le normal et le pathologique.
A la même époque, Max Weber élabore une sociologie à tonalité individualiste. Ce qu'il l'intéresse
c'est moins l'intégration des individus dans un tout que la manière dont l'individu modèle son
comportement par rapport à des types sociaux. Ses analyses le conduiront à émettre l'idée d'une
tendance à la rationalisation à l'oeuvre dans nos sociétés.
En contrepoint à ces grands système sociologiques, est apparue une sociologie plus empirique. Elle
s'est définie comme individualisme méthodologique. Le terme méthodologique est ici important car
cette sociologie ne prétend pas définir ultimement la nature du fait social. L'individualisme qu'elle
vise n'a pas une portée ontologique, elle ne prétend pas que la société n'est que la somme
d'individus mais plutôt qu'on peut atteindre des résultats plus rigoureux en partant de l'observation
des comportement individuels.
A la même époque, la mise au point de la méthode structurale donne une place secondaire à
l'individu. Le structuralisme de l'anthropologue Claude Levi-Strauss définit la société comme une
structure qui agirait inconsciemment sur les individus, sur leurs pensées autant que sur leurs actions.
Cette structure n'est que la combinaison d'invariants propre à la nature humaine.
Dans les années 60 , Pierre Bourdieu va proposer ce qu'il appelle un structuralisme génétique,
essayant de composer l'observation des comportements et des stratégies individuelles et prise en
compte du tout du social. Cette tentative de synthèse va permettre d'approfondir l'intériorisation par
l'individu des règles sociales, c'est l'idée d'habitus chez Bourdieu. Parce que l'individu a intériorisé
des règles de la vie sociale, son comportement peut ressembler à une stratégie individuelle afin de
maximiser son intérêt alors qu'il ne fait que reproduire une structure sociale déjà existante. Produit
d'une structure, l'habitus reproduit la structure.
Ce point d'équilibre entre individualisme et holisme doit cependant être dépassé. En effet, Bourdieu
néglige, malgré ses propres propos, le caractère historique du social et le phénomène propre à la
modernité de la montée de l'individualisme.
D'une société à une autre, Bourdieu ne voit comme seul changement le primat d'un capital sur un
autre ou à la rigueur une autonomie croissante des différents capitaux. Or, la montée de
l'individualisme met à mal l'idée même d'habitus. Par exemple dans sa sociologie de l'individu, le
sociologue contemporain Jean-Claude Kaufmann ( qui a été auparavant connu par l'observation de
faits négligés traditionnellement par la sociologie , son ouvrage le plus connu , et ressortant chaque
été étant « Corps de femme, regards d'homme : sociologie des seins nus sur la plage ») postule que
la montée de l'individualisme se traduit par un écart croissant entre l'habitus et l'habitude. L'habitus
étant un rôle socialement construit alors que l'habitude étant un comportement proprement
individuel.
Partant d'un constat relativement proche, le sociologue contemporain Francois Dubet considère que
nous vivons « la fin de l'institution » c'est-à-dire la faillite de rôles prédéfinis qui régleraient par
avance notre comportement. Cette faillite laisse alors une place grandissante à l'acteur sociale qui
doit par lui-même construire une synthèse toujours précaire entre trois régimes d'action: la
socialisation, dernier reste de l'intégration holiste, l'action stratégique, dans laquelle l'individu essaie
de maximiser son intérêt , et enfin l'action éthique dans laquelle l'individu tente de faire reconnaître
son autonomie et son identité. La fragilisation des rôles sociaux accroit donc le travail social des
individus.
Evidemment, nous aurons à reprendre précisèment chacune des étapes de ce parcours. De plus, il
faudra aussi examiner précisèment la méthodologie utilisée pour aborder le social: méthode
quantitative ou qualitative , utilisation des statistiques, observation, questionnaire.
Cependant, ce survol rapide été nécessaire pour comprendre que si les sciences sociales sont
traversées par l'opposition entre individualisme et holisme, c'est sans doute à cause de leur objet
d'étude lui-même. L'opposition ou plutôt la tension entre individu et social réside au coeur du fait
social lui-même. Il n'y pas de société si le fait social ne forme par un tout qui dépasse les individus.
Il n'y a de sociétés que s'il y a du commun. Mais, une société humaine est une société d'individus,
d'acteurs sociaux dont les comportement sont plus ou moins construits socialement. L'histoire des
sciences sociales ne va donc pas nous donner la vérité ultime sur le social mais c'est cette histoire
elle-même qui d'un point de vue philosophique est riche d'enseignement sur les paradoxes du social.
Avant même d'entamer cette histoire, essayons d'approcher en quoi le social peut être au coeur de
notre identité. Que signifie que notre identité sexuelle est socialement construite ?
Cette question de l'identité sexuelle a été portée à une radicalité sans précédent par la pensée de
Judith Butler.
Elle part de la distinction entre le sexe et le genre.
Dans un premier temps, on peut penser cette distinction à partir de l'opposition nature-culture.
Le sexe sera un donné biologique naturel alors que le genre serait le sens que la culture donne au
sexe.
Cependant, Butler va subvertir cette distinction, le genre est l'ensemble des moyens discursifs par
lesquels une nature sexuée est produite.
Si la binarité sexe/genre est socialement construite, comment comprendre cette construction ?
Il ne s'agit pas de l'apposition d'un attribut à un sujet déjà donné., qui adosserait ce genre.
Le genre est avant tout un faire, il est de l'ordre du performatif
( reprendre la distinction constatif/ performatif chez Austin et la notion d'acte de langage)
Le genre est donc lié à la répétition de gestes qui s'inscrivent sur le modèle de l'interpellation ( cf
Althusser)
On devient femme parce qu'on est interpellé femme.
Dou l'importance selon Judith Butler des pratiques corporelles subversives, comme les drag queen
qui subvertisent la binarité du genre, permettant de penser aux contraire de l'unité du genre, des
plaisirs multiples dispersés sur la surface du corps
2ème cours: Durkheim
La sociologie de Durkheim se présente comme une étude de l'individu hypersocialisé. Cette
socialisation se réalise autant par la famille et l'école que par le milieu professionnel. C'est
pourquoi il s'est intéressé autant à la sociologie qu'à la pédagogie et la politique.
Le principe anthropologique de Durkheim est très simple : l'individu livré à lui-même est
rempli de virtualités et est rongé par un désir excessif. La société doit alors accomplir
certaines de ces virtualités pour en faire un individu utile et possédant une maîtrise de soi.
La société doit donc produire une intégration et un équilibrage de l'individu. Dans son
ouvrage sur le Suicide Durkheim montre que c'est la non réalisation de ses deux buts étaient
deux des trois causes du suicide ( celles du suicide égoïste, p 222 et du suicide anomique, p
272), la troisième étant au contraire l'intégration compléte du sujet ( dans le suicide
altruiste). Si le suicide égoïste et le suicide altruiste sont présents dans d'autres sociétés, le
suicide anomique est propre aux sociétés modernes ( passage p282-286). Car c'est
seulement dans ces sociétés que le social n'est plus présent aux individus. Si on laisse de
côté le suicide altruiste, on expliquer le suicide égoïste par le fait que l'individu n'ayant plus
de devoir envers la société son existence n'a plus de fondement objectif. Le suicide
anomique apparaît quand les besoins sociaux de l'être humain ne trouve pas une issue vers
leur réalisation.
L'analyse de ces deux causes de suicide montre bien que la société est naturelle à l'individu.
Mais si elle apparaît sous la forme de la contrainte, elle n'est pas une violence imposée à une
nature qui pourrait se suffire à elle-même. C'est cette naturalité du social qui permet à
Durkheim de s'opposer aux théories du contrat. Ces dernières supposent des individus
naturels qui s'associeraient pour former la société. Au contraire, pour Durkheim le social
précéde le contrat, celui-ci n'étant pensable que dans une division du travail, ce qui suppose
un état déjà avancé de la société.
Cette socialisation est fondamentale non seulement pour l'individu mais aussi pour la société
car c'est elle seule qui assure sa continuité.
Cette socialisation s'effectue avant tout par la contrainte. C'est cette caractéristique qui
définit le fait social selon Durkheim:
« est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une
contrainte extérieure , ou bien encore, qui est général dans l'étendue d'une société tout en
ayant une existence propre indépendante de ses manifestations individuelles ».
la dernière caractéristiques du fait social permet d'affirmer l'existence d'une conscience
collective qui s'imposerait aux individus.
Celle-ci naitrait de la relation, de la communication entre les individus. Ainsi, la société est
une totalité qui est irréductible à ses parties, aux individus. Dans l'article « représentations
individuelles et représentations collectives » ( Sociologie et philosophie) , Durkheim justifie
cette transcendance de la société sur le psychisme individuel à partir de la transcendance du
psychisme individuel par rapport au corps. Dans les deux cas, c'est la transcendance de la
totalité par rapport aux parties qui est affirmée. ( 32)
C'est cette transcendance qui fonde le caractère obligatoire des représentations collectives.
C'est pourquoi l'homme a souvent symbolisé cette transcendance de la société sous la forme
de divinités.
Il y a donc deux consciences au sein de l'individu: une conscience individuelle et une
conscience collective. C'est cette dernière qui relie l'individu à la société et donc aux autres
individus et donc qui fonde la solidarité au sein de la société. Selon Durkheim cette
conscience collective va se manifester sous la forme du droit.
Cependant, cette théorie de la double conscience laisse un certain écart entre l'individu et la
société. Cette écart est liée à la nécessaire intériorisation de la contrainte sociale par
l'individu. Cette subjectivation n'est peut être alors qu'une appropriation.
La solidarité fondée par la conscience collective peut prendre deux formes selon le type
social dominant. Dans les sociétés de type segmentaires, tous les individus se ressemblent.
Un segment est un élément du social qui comportent en lui-même une unité ( ex: la famille,
le clan). De la division du travail social: « nous disons de ces sociétés qu'elles sont
segmentaires, pour indiquer qu'elles sont formées par la répétition d'agrégats semblables
entre » ( p.150). Les individus n'ont pas de fonction spécifique au sein de la société. Par
conséquent, il s'agit ici d'une solidarité mécanique qui s'exprimera par le droit répressif.
Au contraire, la division du travail qui émerge peu à peu au sein de la société va donner une
spécificité de plus en plus grande à l'individu. Cette montée de l'individualisme va produire
une solidarité organique. Tous les individus sont interdépendants parce qu'ils ont chacun une
fonction spécifique au sein de la société. Cette nouvelle forme de solidarité ne peut être
consolidée selon Durkheim que par une nouvelle forme de politique: il faut fonder les
groupement politiques sur la professions et non sur le territoire. Ce dernier critère n'était
valable que pour la solidarité mécanique.
L'analyse de la solidarité organique comme conséquence de la division du travail permet de
distinguer définitivement la sociologie de l'économie. La division du travail n'est pas qu'un
simple processus économique avec des conséquences purement économiques. C'est un
processus social qui a des conséquences sociales. Cette analyse permet de dénaturaliser les
lois économiques. Durkheim fait ici le même geste théorique que Tocqueville dans De la
démocratie ( le capitalisme est lié à l'imaginaire démocratique), Marx dans Le capital ( le
capitalisme est lié à une exploitation politique du travail), et Weber dans L'éthique
protestante ( le capitalisme est lié à un éthos, à un mode de vie social). La sociologie se
définit donc contre l'économie et l'économisme qui prétend tout expliquer par les valeurs
économiques.
L'éducation va avoir pour rôle d'intégrer la conscience collective dans le psychisme de
l'enfant. L'éducation est un fait social. Aucune famille ne peut éduquer ses enfants comme
elle le veut, les variations dont elle dispose sont celles que lui offrent la société. Cependant,
si les principes de l'éducation deviennent problématiques, comme dans nos sociétés, c'est
que la société devient moins présente auprès des individus: c'est le phénomène de l'anomie.
L'éducation est à la fois une et multiple. Elle est multiple car chaque classe a une éducation
qui lui est propre. De plus, chaque individu étant destiné à une fonction qui lui est propre,
plus la division du travail s'accroit, plus la diversité des éducations doit s'accroïtre.
Cependant, l'éducation est en même temps une car cette diversité ne peut émerger que sur
un fond commun. Cahque société se fait ainsi un idéal de l'être humain. Cette homogénéité
est nécessaire pour la vie de la société Ainsi, c'est l'éducation qui va assurer la continuité de
la société.
« l'éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération », Durkheim,
Education et sociologie, p51. « L'éducation est l'action exercée par les générations adultes
sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de
développer chez l'enfant un certains nombres d'états physiques, intellectuels et moraux que
réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est
particulièrement destiné. »
Il y a une vertu créatrice de l'éducation car elle est une contrainte imposée aux individus. Le
jeune enfant est un être égoïste et asocial et il faut créer en lui un être social: il ne s'agit pas
de développer des capacités virtuellement présentes.
Cependant, il ne s'agit d'un pouvoir tyrannique exerçé sur l'individu car l'anthropologie de
Durkheim suppose que l'homme ne peut vivre sans cette éducation ( c'est ce que montre les
analyses du suicide). L'éducation crée ce qu'il y a de meilleur chez l'homme. La société est
une personnalité morale qui dure et qui dépasse les individus. Elle conserve les acquis de la
société et tire les individus hors de leur nature animale.
Lorsque Durkheim précise les modalités de cette éducation, il la place essentiellement dans
le milieu scolaire. En effet, pour lui, la famille conserve encore certaines caractéristiques du
type segmentaire. Seule l'école place l'individu dans un véritable milieu social. De plus, il
est beaucoup plus facile pour l'Etat d'agir sur l'école que d'agir sur la famille. C'est donc par
l'intermédiaire de l'école que l'Etat à accès à l'enfant.
3ème cours: culturalisme
Chapitre II- le culturalisme américain
A partir des années 20, l'anthropologie culturelle américaine va insister sur la diversité
culturelle. Elle va considérer chaque culture comme un Tout. Malinowski étudie cette
totalité à partir de la notion de fonction. Chaque élément de la culture a une fonction dans
l'ensemble de la culture. Ce fonctionnalisme peut-être considéré comme un holisme
utilitariste: chaque élément répond à un besoin biologique. La culture est ainsi fondé sur la
nature. C'est cette dernière qui définit les variations culturelles possibles.
Ce fonctionnalisme va peu à peu se transformer en culturalisme grâce à la collaboration
entre les anthropologues et des psychologues ( dont le principal est Abram kardiner). Le
culturalisme va étudier l'influence de la culture sur la construction de la personnalité. Il va
donc essayer de détailler le processus de socialisation qui est présupposé par l'anthropologie
et la sociologie ( par exemple par Durkheim). Le culturalisme est lié à l'egopsychology, une
interprétation américaine de la psychanalyse qui donne comme but à l'analyse de permettre
à l'individu de s'adapter à la société en dépassant ses conflits internes.
Kardiner va collaborer avec des ethnologues ( dont Linton) et former la notion de
personnalité de base. Les sociologues vont fournir le matériel ethnologique et le
psychologue va dégager l'individu représentatif, cad la personnalité de base répondant à
cette culture.
Cette notion a été développée par karnider dans deux ouvrages: L'individu et sa société et
The psychological frontiers of society non traduit en français. Son oeuvre a été très
importante en France car elle a permis une réintroduction du social dans les philosophies du
sujet. Son oeuvre a été étudiée autant par la phénoménologie ( Sartre , Dufrenne) que par
Castoriadis, Claude Lefort et Deleuze.
En formant la notion de personnalité de base Kardiner s'oppose à l'universalisme de Freud.
Les principes de formation du moi sont relatifs à une culture donnée. On ne peut pas
formuler de principe universel comme le complexe d'Oedipe.
La personnalité de base constitue la base de la personnalité pour les membres du groupe. La
personnalité de base est à la fois le sens de l'individu et de la culture. Elle permettrait donc
de dépasser l'opposition entre l'individu et la société pour Kardiner ne veut pas accomplir ce
dépassement mais assouplir la relation causale entre les deux: il faut la penser en terme de
réciprocité. Par conséquent on ne peut pas parler chez Kardiner d'une transcendance du
social comme chez Durkheim. En effet, selon l'anthropologue Ralph Linton, qui a travaillé
avec Kardiner, « la culture est entièrement extérieure à l'individu à sa naissance, elle
devient partie intégrante de sa personnalité à l'âge adulte » (De l'homme). Il y a donc une
intériorisation de la société sous formes de gestes, de postures et une extériorisation des
manières d'être ensemble sous la forme d'un corps de règles spécifiques exprimant la
communauté des idées et des valeurs.
Cette réciprocité entre l'individu et la société permettra de penser la distinction entre
institution primaire et institution secondaire.
C'est la nouveauté essentielle du concept de personnalité de base: « ce qu'il y a de
profondément neuf dans oeuvre est son effort pour dépasser l'antinomie individu-société
grâce à la notion neutre, à ce égard, de personnalité de base. Celle-ci nous paraît signifier
que société et individu sont de l'ordre des phénomènes, non de l'en-soi, et que leur rapport
est d'expression ou de symbolisation, chacun jouant pour l'autre sucessivement le rôle de
signifiant et de signifié3 ( claude lefort, « l'idée de personnalité de base, Les formes de
l'histoire)
Kardiner: « les institutions primaires sont celles qui posent les problèmes d'adaptation les
plus fondamentaux et inévitables; les institutions secondaires résultent de l'effet des
institutions primaires sur la structure de la personnalité de base. »
La personnalité de base va être analysée à partir de la psychanalyse car elle étudie
l'expérience totale de l'homme contrairement au béhaviorisme qui découpe le comportement
en très grand nombre de compétences.
De plus, la psychanalyse définit l'individu par son histoire. Elle permet donc de comprendre
comment l'individu va faire l'expérience de la culture.
Avant d'étudier les travaux ethnologiques, Kardiner commence par utiliser la psychanalyse
dans l'étude des névroses traumatiques
Celles-ci sont liées à une épreuve insurmontable, c'est-à-dire un changement dans l'histoire
de l'activité et des relations avec le monde extérieur .
La névrose n'est plus ici le résultat d'un répression, d'un refoulement, mais d'une contraction
de l'ego. De plus, la névrose n'est pas ici la réactiviation d'un complexe infantile. La névrose
se définit dans l'actualité du sujet. On met alors l'accent sur son comportement plus que sur
sa vie fantasmatique.
La névrose traumatique apparaît quand les facultés d'adaptation de l'individu diminuent.
Son comportement inhibé va produire une adaptation d'un nouveau style: le pathologique est
un effort de guérison.
Pour Kardiner, il ne faut plus partir de la notion de pulsion mais de l'ensemble pulqsion +
système d'action.
Cependant, l'étude de l'affectivité est réintroduite à partir de l'anxiété
Il s'agit de savoir comment l'échec de l'action fait apparaître l'anxiété et comment l'enfant y
réagit.
Kardiner part d'un double constat:
impuissance de l'enfant: nécessité de l'éducation
plasticité de l'enfant: condition de la diversité culturelle
freud voit dans la pulsion la condition de la culture
Pour Kardiner, c'est-à-partir de la culture qu'on peut expliquer les transformations de
l'instinct ( Kardiner ne distingue pas l'instinct et la pulsion)
Il faut donc passer d'une psychologie du ça à une psychologie de l'ego.
L'ego se définit en termes de comportement
« en gros, il est la somme de tous les processus adaptatifs »
La perception du social et de la discipline passent donc au premier plan.
Trois fonctions de l'autorité: « le pouvoir d'imposer des disciplines restrictives, le pouvoir
de frustrer des besoins importants, le pouvoir d'exploiter d'autres individus ».
L'ego se définit par sa réaction aux disciplines
Ainsi Kardiner ne fait plus du surmoi une instance séparée: c'est une fonction de l'ego dans
ses manoeuvres d'adaptation au milieu social.
La culture exerce un contrôle sur l'individu avec la frustration des différents besoins.
Cependant, la soumission à la discipline est compensée par l'avantage d'être socialement
reconnu, et, pour l'enfant, d'être aimé et choyé.
La frustration suscite certaines réactions, dont l'anxiété est la plus universelle: on peut
remonter de l'anxiété aux institutions qui la provoquent.
De plus, on peut aussi étudier les systèmes de sécurité qui sont les défenses
institutionnalisées contre l'anxiété.
Eléments de la personnalité de base:
1- techniques de pensées ou constellations d'idées
2- systèmes de sécurité de l'individu
3- formation du surmoi
4- attitude à l'égard des êtres surnaturels
le quatrième éléments doit en fait être considéré comme une institution secondaire.
Le système de sécurité exprime le sens du réel et le surmoi la volonté qu'à l'ego de s'adapter
aux autres.
L'individu au cours de son histoire n'est donc pas simplement au prise avec un instinct qu'il
faut réprimer mais avec un monde qu'il faut maîtriser.
De plus, la notion de volonté montre bien que la socialisation n'est pas simplement une
empreinte du social que l'individu recoit passivement. Il faut penser la socialisation en
repartant de la liberté de l'individu. La liberté s'aliène dans la discipline.
Dans Psychological frontiers, Kardiner utilise le couple conceptuel intégration-projection
pour penser l'effet des institutions primaires sur la personnalité de base et sa réaction sous la
forme des institutions secondaires.
En fait, il est difficile de savoir si pour Kardiner les sytèmes prjectifs sont des institutions ou
des éléments de la personnalité de base.
La personnalité de bases semble imperméable en partie à l'expérience car l'expérience n'a de
sens qu'à travers l'écran des systèmes projectifs.
Ceux-ci sont donc au coeur de la personnalité de base
L'incertitude quant à la distinction entre institutions primaires et institutions secondaires est
plus pratique que théorique
Problématisation de la notion de personnalité de base: (cf La personnalité de Base de Mikel
Dufrenne, PUF)
Peut-on évoquer une personnalité de base si c'est au contraire la singularité qui semble
constituer la personnalité ?
En fait, on peut supposer que la liberté ne peut s'incarner que si elle devient nature (
sociale).
Elle peut alors s'exprimer et être reconnue: la personnalité de base est sens
D'après les formulations de Kardiner, la personnalité de base ne semble qu'une abstraction,
une généralisation.
Cette abstraction est légitime car on peut repérer la cause des ressemblances entre les
individus dans la socialisation.
La personnalité de base est donc liée à un certain ordre de causalité: elle est l'effet d'une
éducation similaire. Cependant, la liberté humaine, ce qui fait que l'homme se fait, rend
problématique cette abstraction.
En fait, l'universel, le général et le singulier se distinguent pour l'individu ( ce sont des
normes) mais ne se distinguent pas en lui ( ce sont des abstractions).
La personnalité de base n'est pas simplement l'action du social sur le besoin mais c'est aussi
la norme du groupe.
En effet, en vivant avec les autres, chaque individu voit autour de lui le comportement
moyen qu'il considère comme règle, comme idéal.
C'est cette norme qui est la condition de la socialisation. La personnalité de base est la
norme du groupe car c'est pour elle le moyen d'assurer sa survie. Cependant, cette survie se
fait au détriment de l'individu.
Mais faut-il considérer que la personnalité de base, en tant que norme sociale ,soit la seule
norme qui s'impose à l'individu?
Ainsi la folie, la déviance, n'ont-elles que des définitions relatives ?
L'existence d'une nature humaines laisse supposer l'existence d'une norme humaine.
La Normativité de l'homme se révèle dans sa liberté: capacité à s'adapter et à se réaliser luimême.
Cette double norme ( humaine et sociale) permet de donner une valeur aux variations
individuelles.
La désadaptation sociale ne se confond pas avec l'anormalité mais en est le signe.
La société peut avoir des liens avec l'anormalité parce qu'elle lui donne ses moyens
d'expression et lui fournit des occasions de déclenchement ( conflits dans l'individu).
L'être singulier de l'individu est réel mais n'est que la façon dont la personnalité de base se
réalise en lui. La personnalité de base quant à elle est l'expression de l'unité de la société.
Cependant, cette unité qu'il faut remettre en question.
Aucun individu ne fait l'expérience du tout de la culture. La culture lui offre toujours un
certain nombre rôles. Dans ce cas, comment peut-on parler d'UNE personnalité de base ?
En fait, il faut repartir des institutions qui règlent les différents rôles: c'est l'unité des
institutions qui permet de parler de personnalité de base.
De plus, les différents rôles ( exemple homme/femme, parents/enfants..) sont
complémentaires.
Les rôles liés aux âges sont unifiés car ils constituent l'histoire d'une vie.
Cependant, la notion de classe semble remettre en question l'unité de la personnalité de
base. En fait, il y a un style de vie propre à une société et qui dépasse les classes. Ainsi, un
ouvrier français est français avant d'être ouvrier. C'est notion s'oppose donc à
l'internationalisme de classe affirmé par Marx: on ne peut regrouper les individus sur des
intérêts de classe objectifs mais par rapport à une proximité subjective, qui, elle, est
nationale.
De plus, au niveau psychologique, les classes sont complémentaires.
En fait, même si la culture est divisée, c'est dans l'individu que se fait son unité: en
intériorisant son rôle, l'individu doit aussi intérioriser celui des autres et anticiper leur
comportement ( G.H Mead)
Cependant, il n'y as de définition universelle de cette unité car chaque société est plus ou
moins structurée.
Kardiner veut assurer une permanence à la personnalité de base, c'est pourquoi il la réduit à
l'éducation: par exemple elle définit l'homme occidental dans son ensemble.
En effet, l'éducation est une des institutions les plus stables.
On peut affirmer une certaine permanence de la personnalité de base car tous les éléments
d'une culture n'évoluent pas au même rythme. Il y a une inertie culturelle car la culture n'est
pas complétement intégrée ( par exemple les institutions technologiques, commerciales
avancent plus vite que les autres dans nos sociétés).
Puisque la personnalité de base est un effet de la culture, elle doit évoluer moins vite qu'elle:
elle est d'une certaine manière toujours conservatrice.
De plus, en tant que norme, elle offre toujours une certaine résistance au changement. Elle
exprime la résistance de la société. Cette résistance est nécessaire car sinon elle serait vouée
à une déstructuration.
Cependant, la personnalité de base est aussi historique car elle est l'effet des institutions
primaires, qui sont historiques.
Prise en elle-même, la personnalité de base a aussi une histoire aux dimensions de la
société: elle a une profondeur temporelle qui explique la dimension psychologique de la
tradition.
C'est à la fois un poids mort qui tend à répéter le passé et une aptitude à promouvoir l'avenir.
De plus, la personnalité de base est au principe d'une histoire: elle oriente l'effet de
l'insitution et de l'événement car elle doit acceuillir l'événement, le percevoir et l'interpréter.
Quand la personnalité de base n'est pas complètement intégrée, l'instabilité psychologique
équivaut à une instabilité sociale
Il y a donc deux causes du changement:

l'événement

l'être de la personnalité de base
En troisième lieu, la personnalité de base ne cesse d'ouvrir une histoire en transformant les
institutions secondaires qui changent le visage de la culture.
L'institution primaire est un point de départ pour l'individu et non pas pour la culture.
Le primaire a d'abord une signification biographique.
Dans ce cas, toute la culture de l'adulte, et donc les institutions secondaires, est orientée par
l'expérience de l'enfant
Même si la psychanalyse accepte cette conclusion, on peut aussi supposer que la vocation
de l'homme est de se libérer de son enfance.
On peut cependant remplacer la vision génétique par une vision finaliste.
Si la personnalité de base n'est plus un effet mais un fin, l'éducation devient une institution
secondaires
Les exigences qui pèsent sur l'indiviud et réglent le comportement de l'adulte à l'égard des
enfants peut apparaître comme une institution primaire.
La personnalité de base va créer les institutions par lesquelles elle se perpétue.
On va alors de l'adulte à l'enfant.
Les institutions primaires sont alors les institutions techniques, les institutions sociales et les
institutions religieuses.
Mais Kardiner ne privilégie que la démarche génétique: elle seule permet d'utiliser les
ressources de la psychologie génétique.
Cependant, on ne peut en rester à l'enfance et il faut étudier l'adulte pour lui-même. En effet,
l'enfant n'a pas affaire au social comme tel mais avant tout à l'adulte: le social apparaît à
travers l'adulte
Au contraire, l'adulte a directement affaire à l'institution: il va jusqu'à la règle, la loi.
En fait, il y a une réciprocité des points de vue:

il faut partir des techniques éducatives qui forment la personnalité de base de l'enfant.:
cette personnalité influencera l'expérience de l'individu adulte, même si l'individu n'est
pas complétement esclave de son enfance.

Cependant, c'est l'adulte qui forme l'enfant: ce sont les institutions techniques ( travail) et
sociales qui régissent la vie de l'adulte qui déterminent l'éducation que recevra l'enfant.
Le système éducatif n'est pas choisi par l'adulte: il est imposé par les normes sociales.
Primaire: « c'est tout ce qui dans une société donnée, s'impose à la personnalité de base »:
c'est ce qui est donné
Le secondaire est ce qui est vécu.
Le primaire est un donné pluriel. Il est unifié dans la personnalité de base qui va ensuite
donner une unité aux pratiques.
Il faut penser les institutions à la fois comme un donné et comme un vécu car l'homme est à
la fois nature et liberté.
Chapitre III: la sociologie compréhensive :weber- dilthey
Approcher la pensée de Max Weber, c'est introduire la querelle entre la méthode compréhensive et
la méthode explicative. Cette querelle a pour enjeu le statut des sciences sociales. Ont-elles la même
scientificité que les sciences de la nature ou s'en distinguent-elles radicalement ?
Cette querelle marque l'avènement des sciences sociales comme sciences autonomes. Elle remonte
au philosophe allemand Dilthey ( 1833-1911) qui veut séparer les sciences humaines ( qu'il appelle
sciences de l'esprit) et les sciences de la nature. Pour lui, « nous expliquons la nature, nous
comprenons l'esprit ». Il s'agit donc de différencier deux réalités, les réalités physiques et les réalités
mentales. La question inaugurale des sciences sociales est donc : peut-on étudier l'être humain et
son esprit comme on étudie un objet physique ?
Seule une réponse négative peut donner une légitimité aux sciences humaines. Cependant, cette
réponse peut avoir deux interprétations: elle peut avoir une valeur ontologique: on considère alors
que la nature et l'esprit sont deux réalités différentes, séparées. Mais les neurosciences semblent
remettre en cause cette distinction puisqu'elles prétendent expliquer l'émergence de la pensée à
partir des neurones. On peut donner une seconde interprétation à notre réponse et considérer qu'elle
n'a qu'une valeur épistémique: la différence entre nature et esprit, expliquer et comprendre n'est
alors que la différence entre deux points de vue différents sur la même réalité.
Cependant, on peut peut-être dépasser cette alternative entre les deux interprétations: même si on
suppose qu'il n'y a qu'une réalité: l'être humain, il faut admettre qu'aucune science n'arrive à
l'appréhender. Cette diversité des sciences ( qu'elles soient naturelles ou sociales) montre que
l'homme « total » ne peut être atteint que par reconstruction à partir de multiples points de vue.
Comment définir la différence entre l'explication et la compréhension. L'explication soumet
l'action ou l'événement singulier à une cause, une loi générale. L'explication suppose donc qu'il
existe un déterminisme. Il y alors un lien nécessaire entre l'événement et sa cause.
Au contraire, selon Dilthey "Nous appelons compréhension le processus par lequel nous
connaissons un "intérieur" à l'aide de signes perçus de l'extérieur par nos sens" . Nous ne
cherchons plus à atteindre une cause extérieure à l'action mais à remonter à l'intériorité de la
personne. En quelque sorte, nous voulons atteindre le sens de l'action. La méthode compréhensive
doit faire preuve d'une certaine empathie envers l'objet étudiée puisqu'il lui faut remonter jusqu'à
l'expérience vécue. Ce que nous observons n'est qu'un ensemble de signes qu'il faut interpréter. Ce
recours à l'interprétation montre la spécificité de cette méthode: elle repose en partie sur l'intuition:
il n'y a pas de méthode purement rationnelle pour interpréter une action; de plus, il y a toujours
plusieurs interprétations. Au contraire, le point de vue explicatif prétend qu'il est possible d'atteindre
une seule vérité. Derrière cette alternative, c'est le statut de notre conscience qui est en jeu: les
raisons que l'acteur donne pour rendre compte de son action permettent-elles réellement de
connaître cette action. Si on répond positivement, on cherche à comprendre l'action pour remonter à
ses raisons, son intention. Si on répond négativement, on va chercher une cause de l'action que
l'acteur ne connaît pas ou qu'il n'a pas intégré dans ses raisons.
Les différentes théories des sciences sociales vont donc s'opposer à partir de cette alternative. Si
on prend le cas de la sociologie, on peut par exemple opposer les représentants de l'explication que
sont Marx et Durkheim et les représentants de la compréhension comme Weber:
Marx affirme que la réalité sociale est déterminée par l'infrastructure économique de la société.
Cette réalité ( que Marx appelle suprastructure ) n'est qu'un reflet de l'infrastructure qui à la fois sert
les intérêts de la classe sociale qui domine l'infrastructure économique et qui en retour masque cette
infrastructure et donc cette domination. C'est pourquoi nous ne connaissons pas les véritables
raisons de notre action: nous sommes plongés dans l'illusion et dans l'idéologie. De même,
Durkheim nous demande d'étudier « les faits sociaux comme des choses » ( les régles de la méthode
sociologique) , cette formule est une véritable profession de foi en faveur de l'explication par les
causes. L'être humain n'a pas de spécificité par rapport aux choses inertes. En fait, cette profession
de foi a surtout une valeur épistémique: elle nous invite à regarder l'objet d'étude avec la plus
grande objectivité possible et à ne pas succomber à des intuitions subjectives, risque qui est
toujours très grand dans les sciences sociales. De plus, elle montre qu'il faut étudier le social en luimême et non l'individu. Le fait social est toujours un fait collectif. C'est pourquoi Durkheim va
envisager l'idée d'une conscience collective extérieure à la conscience individuelle et qui exerce sur
elle une contrainte. Pour Durkheim, il faut utiliser les statistiques afin de dépasser le point de vue
individuel et d'arriver à un moyenne, qui représente la conscience collecitve. Par cette idée d'une
conscience collective, il rejoint en quelque sorte Marx et sa théorie de la lutte des classes: ce sont
des théories holistes , pour lesquelles le groupe est plus réel que l'individu.
Au contraire, le sociologue allemand Max Weber représente l'école compréhensive. Il met en
avant l'individu. Les totalités que sont les classes, la société n'ont aucune existence en dehors des
individus. Il faut donc étudier les individus et les relations entre eux. Cependant, ce point de vue
individuel risque de se perdre dans la complexité du comportement humain. C'est pourquoi Weber
construit la notion « d'idéal-type »: Il entend par-là un concept construit abstraitement qui ordonne
en un tableau homogène les caractéristiques essentielles d’un phénomène. C'est l'idéal-type qui
permet de comprendre la motivation d'un individu, c'est-à-dire son expérience vécue. Ainsi dans son
étude sur l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Weber construit et compare l'idéal-type du
protestant et celui du capitalisme: la convergence de ces deux constructions montre pourquoi l'esprit
du capitalisme s'est propagé en premier chez les protestants. L'idéal-type du capitalisme lui impose
d'accumuler sans cesse de l'argent. L'idéal-type du protestant lui impose de voir son métier comme
une vocation divine qu'il faut accomplir. De plus, le protestant croyant en la prédestination va
chercher des signes de son « élection » par Dieu dans la réussite sociale. Ce signe sera justement
l'argent accumulé par le capitalisme et la valorisation du travail, du métier sera la condition de cette
accumulation. Ce qui intéresse donc Max Weber c'est de reconstruire la rationalité qui guide le
comportement du sujet.
L'exemple pris par Weber nous renseigne aussi sur sa différence avec Marx. Pour ce dernier, la
religion n'est qu'une illusion qui sert à masquer la domination économique, c'est « l'opium du
peuple ». Ainsi, la sphére religieuse est déterminée par l'économie. Au contraire, pour Weber la
religion favorise l'essor d'un certain comportement économique mais elle n'est pas créée par
l'économie. Pour Weber , les valeurs ( religieuses, économiques, sociales) sont irréductibles les unes
aux autres. Il affirme donc l'existence d'un pluralisme des valeurs. C'est ce pluralisme et ce conflit
qui sous-tend l'individualisme, puisque c'est à l'individu de s'orienter entre ces valeurs.
Deux points de vue peuvent nuancer cette opposition entre explication et compréhension:
Ainsi la psychanalyse se prétend en un sens explicative. Elle suppose que l'inconscient est la cause
de nos pensées et de nos comportements. Par conséquent, les raisons que le sujet donne à son action
sont illusoires, puisque le sujet n'accède jamais à ces pensées inconscientes. Cependant, lorsqu'il
étudie un individu concret, le psychanalyste recourt à la méthode compréhensive. Il va observer les
paroles et les comportements comme des signes qu'il devra interpréter. Cette interprétation devra
accéder au sens inconscient, afin que le sujet en prenne conscience.
De plus l'explication et la compréhension peuvent être mêlées dans une même analyse: ainsi dans
son article « le plaisir de l'arbitraire » Communications n.67, Alain Coulon analyse l'effet de
l'introduction de l'arbitrage vidéo dans les matchs de foot. Il adopte un point de vue résolument
holiste puisqu'il s'intéresse aux groupes de spectateurs, des joueurs, et des arbitres sans s'intéresser
aux différences individuelles . De plus, il utilise bien une part d'explication dans sa démarche
puisqu'il s'agit d'étudier les effets d'une innovation technique, celle-ci étant considérée comme une
cause.
Cependant, une fois ce début explicatif passe, l'auteur passe dans l'ordre du compréhensif. Il va
chercher le sens que le match a pour le spectateur, la place qu'y ont les règles du jeu et l'arbitrage et
le changement de signification apporté par l'arbitrage vidéo.
Les arguments des deux théories:
Les thèses explicatives supposent que les sciences de la nature et la démarche expérimentale sont le
modèle de la scientificité. Par conséquent, pour être scientifique, une théorie des sciences sociales
doit, selon le critère de Popper, être falsifiable. On doit donc pouvoir décomposer sa démarche de
cette manière:

hypothèse générale

opérationnalisation de l'hypothèse

expérimentation

discussion des hypothèses

conclusion théorique
En fait, les défenseurs de l'explication considèrent que l'idée de compréhension est trop abstraite,
confuse et qu'elle s'éloigne de la démarche scientifique. En effet, la compréhension nous demande
de nous mettre à la place d'autrui, d'avoir l'intuition de son expérience. Cette intuition donne un rôle
fondamental à la subjectivité du chercheur. Pourtant, ce recours à la subjectivité a déjà été dénoncé
par Bachelard qui y voyait un obstacle épistémologique: le chercheur en recourant à l'intuition
risque de projeter dans son objet d'étude ses propres préjugés.
Au contraire, les défenseurs de la compréhension insistent sur l'irréductibilité de l'être humain par
rapport aux objets naturels: on ne peut pas étudier l'être humain comme une chose. Même si
l'homme est influencé par des mécanismes sociaux, cette influence n'est jamais mécanique. Elle
passe par les pensées, les cognitions du sujet. Ces mécanismes influencent les pensées du sujet, qui
elles vont déterminer son comportement. Pour connaître ce comportement, il faut comprendre les
pensées que le sujet a élaboré pour se décider à agir. La recherche de la compréhension montre que
l'homme est avant tout un être qui vit dans un monde doué de sens, symbolique , et c'est ce sens qui
le distingue de l'animal. Par exemple, même le corps, qui peut être étudié par la biologie car c'est ce
que nous avons de plus naturel, est transformé par la culture, il est traversé de significations ( on
peut penser aux pratiques sportives, mais aussi à l'anorexie, au piercing, à l'ambivalence du
vêtement vis-à-vis du corps ( le vêtement cherchant à la fois à masquer et à mettre en valeur le
corps).
En fait, aucune position n'est entièrement séparable de l'autre. Rares sont les défenseurs extrémistes
de l'explication qui veulent se débarrasser de l'idée de sens. De même, la recherche de la
compréhension en passant seulement par l'intuition conduit au relativisme: s'il suffit de se mettre à
la place d'autrui, alors toutes les interprétations sont possibles car je ne pourrais jamais les vérifier.
En fait, on peut supposer que explication et compréhension se complètent: l'explication est une
étape préalable au processus d'explication: ce n'est que lorsque nous avons établi des corrélations
statistiques entre différents phénomènes que nous allons pouvoir chercher une interprétation à cette
corrélation. On peut donc reprendre ici l'expression de Paul Ricoeur Du texte à l'action: « en
expliquant, on comprend mieux. ». En fait, il ne s'agit donc pas de choisir entre explication et
compréhension mais d'être capable de savoir quand on passe de l'explication à la compréhension.
Chapitre 4: l'individualisme méthodologique
Dans les années 40, l'individualisme méthodologique va apparaître contre les prétentions
holistes des sciences sociales ( en particulier les théories de Marx). Reprenant le principe
théorique de Weber, l'IM veut partir de l'individu. Par conséquent, il faut penser les totalités
comme des abstractions.
Les fondateurs de l'individualisme méthodologique sont Popper ( en épistémologie) et
Hayek et Mises ( en économie). L'IM est aussi très proche de la théorie du choix rationnel.
Contrairement à Weber, l'IM considère qu'il n'y a pas de méthode spécifique aux sciences
sociales. Comme les sciences de la nature, elles doivent expliquer leur objet d'étude.
Pour weber, il faut chercher à comprendre le comportement de l'acteur. Si celui est toujours
rationnel, cette rationalité peut prendre plusieurs formes. Il faut donc chercher quel est le
sens de son action pour lui.
Au contraire, l'IM suppose une seule forme de rationalité: l'intérêt. Le comportement se
définit donc comme stratégie afin de réaliser ses intérêts. Dans ce modèle théorique,
l'économie devient la science sociale dominante puisque ce modèle lui doit son origine. On
a donc ici un point de vue purement utilitariste sur le social.
Dans La logique du social, Raymond Boudon, un des plus grands représentants de l'IM en
France, décrit les trois principes de ce modèle:

« les phénomènes auxquels le sociologue s'intéresse sont conçus comme explicables par
la structure du système d'interaction à l'intérieur duquel ce phénomène émerge. »

« l'atome logique de l'analyse sociologique est l'acteur individuel. Bien entendu cet
acteur n'agit pas dans un vide institutionnel et social. Mais le fait que son action se
déroule dans un contexte de contraintes, c'est-à-dire d'éléments qu'il doit accepter
comme des données qui s'imposent à lui ne signifie pas qu'on puisse faire de son
comportement la conséquence exclusive de ces contraintes. »

« comme le suggère la distinction parétienne entre actions logiques et actions non
logiques, la sociologie doit, dans de nombreux cas, utiliser des schémas d'analyse de
l'action individuelle plus complexe que ceux qu'utilisent par exemple les économistes.
A partir de ces trois postulats, l'IM doit résoudre deux problèmes: que signifie expliquer en
sociologie ? Que devient le social dans une théorie individualiste ?
Boudon reproche aux théories holistes, ou fonctionnalistes, de réduire le comportement à
l'exécution de rôles sociaux. Ces théories font donc de l'ensemble de ces rôles un tout
organisé, un organisme. Cette analyse n'est valide que dans le cas de groupements fortement
organisés ( par exemple dans une entreprise) même si l'individu n'est jamais complètement
réductible à son rôle.
Pour l'IM, il faut concevoir la société comme un système d'interaction.
Il faut donc opposer une analyse factorielle du social et une analyse décisionnelle. L'analyse
factorielle recherche les différentes causes sociales qui expliquent un phénomène social.
Au contraire, l'analyse décisionnelle partira toujours des actions individuelles car il faut
conférer une certaine autonomie à l'acteur.
Lorsqu'on sera en présence d'une corrélation statistique, il n'y a pas encore d 'explication. Il
faut chercher les comportements individuels, et donc les stratégies, qui permettent de
comprendre la relation entre les deux variables.
La première variable peut être pensée comme une contrainte qui s'exerce sur le
comportement. La seconde variable est alors un effet émergent qui se produit par
l'interaction entre les comportements individuels.
La logique du social: « un effet d'agrégation ou effet émergent est donc un effet qui n'est pas
explicitement recherché par les agents d'un système et qui résulte de leur situation
d'interdépendance. »
expliquer une phénomène social M, c'est calculer la formule suivante dans chaque cas
particulier: MmSM'. En réalité, ce schéma peut être compliqué à l'infini afin de rendre
compte de situations de plus en plus précises puisqu'il permet un traitement mathématique.
La force de l'IM est donc de fournir une théorie relativement simples au niveau de ses
principes généraux à partir desquels on peut construire des modèles de plus en plus
complexes.
Le phénomène M est une fonction des actions individuelle m, qui dépendant de la situation
S de l'acteur, et cette situation dépend de données macrosociales M'
Raymond Boudon applique pour la première fois ce principe théorique pour l'examen de
l'inégalité des chances à l'école ( L'inégalité des chances, 1973)
Ce livre s'oppose à celui de Bourdieu et Passeron La reproduction 1970 dont nous parlerons
dans la partie suivante. Bourdieu et Passeron explique l'inégalité des chances dans le
système scolaire par la notion de capital culturel. Les enfants des classes dominantes
reçoivent dès leur plus jeune âge un certain nombre de dispositions, d'aptitudes liées à leur
classe d'origine. Ces dispositions seront implicitement valorisées par le système scolaire
alors que le système scolaire ne les enseigne pas ( par exemple, l'aisance à l'oral, le brillant
opposé au scolaire). Par conséquent, ce mécanisme est essentiellement inconscient. Au
contraire, selon Raymond Boudon, l'inégalité des chances doit être comprise à partir des
stratégies des éléves et des familles. L'héritage culturel quant à lui n'explique qu'une petite
partie de cette inégalité. En fait, à chaque palier de la scolarité l'élève doit calculer le risque
pris lors d'une éventuelle poursuite d'étude, c'est-à-dire ce qu'il doit perdre, sacrifier par
rapport à ce qu'il peut espérer gagner dans cette poursuite. C'est parce que les différentes
classes ne peuvent pas prendre autant de risques les unes que les autres que l'inégalité des
chances se maintient.
L'IM présente donc une vision hypo-socialisée de l'acteur. Les acteurs ne se différencient
que par les contraintes externes qui agissent sur ses comportements. Mais l'acteur en luimême est réductible à un homme économique, un individu calculant en fonction de ses
intérêts, de ses préférences.
Cette théorie joue encore un rôle majeur en économie en particulier grâce à son
approfondissement dans la théorie des jeux ( cf dilemme du prisonnier). Cependant, elle est
peu à peu remise en question:

Jon Elster a essayé de définir comment l'individu choisissait ses préférences. Il a été
amené à introduire la notion de méta-préférences. Celle-ci guideraient l'individu pour le
choix des préférences particulières. Evidemment, le risque de régression à l'infini est
toujours possible tant qu'on accepte l'autonomie de l'acteur.

De plus, la théorie des jeux se révèle incapable d'expliquer certaines formes de
coopération basées sur la confiance et non plus sur la stratégie. Depuis les années 80 le
courant de l'économie des conventions ( Laurent Thévenot, Jean-Pierre Dupuy)
analysent les bases sociales, conventionnelles que les acteurs présupposent avant leur
interaction.
Chapitre 5: vers une économie générale des pratiques
La sociologie de Bourdieu est une tentative de synthèse des différents courants de la
sociologie. En fait, le statut de la réflexion de Bourdieu est problématique. Par sa formation
philosophique, Bourdieu a pratiqué la sociologie avec une très grande réflexivité et c'est
pourquoi il a pu s'approprier les différents courants qui s'offraient à lui. Mais dans le même
mouvement,
Bourdieu
a
construit
sa
pensée
en
opposition
avec
l'abstraction
philosophique.C'est pourquoi il n'a cessé de varier les recherches empiriques. Et c'est
uniquement à l'intérieur de ces recherches qu'il a peu à peu précisé ses concepts. Cette
démarche rend difficile une vue synthétique de son travail. Il est ici comparable à Freud
pour qui chaque article était l'occasion de réviser sa théorie. Bourdieu n'est pas aussi radical
que Freud car il s'agit plus d'approfondissement que de véritable révision ou rupture.
Pour comprendre la tentative de synthèse de la sociologie par Bourdieu, il faut repartir des
deux axes à partir desquelles on peut analyser le champ sociologique: l'opposition entre les
approches individualistes et holistes et celle entre les approches objectivistes et
constructivistes.
Bourdieu semble partir d'une approche holiste et objectiviste puisqu'il suppose que la
société est constituée d'une série de champs qui sont toujours le lieu d'un conflit de classes.
Les individus sont socialisés à partir de leur position dans ces champs. Cependant, à partir
de cette approche holiste, Bourdieu veut reconstruire le point de vue de l'individu. Il veut
montrer comment ce point de vue est le produit d'une position objective et comment il tend
à préserver et augmenter le capital lié à cette position. De plus, selon Bourdieu, la
socialisation ne consiste pas seulement dans l'inculcation de comportements mais aussi dans
l'inculcation de schémas cognitifs. Ceux-ci sont des principes de classement de la réalité
sociale. Il y a dans la société une lutte entre les classes pour imposer ses principes de
classements. Le point de vue constructiviste est donc lui aussi compris dans le point de vue
objectiviste et sert à comprendre la création de la nouvelle réalité sociale objective.
Le travail de Bourdieu s'est diversifié essentiellement dans deux directions: Bourdieu
commence par un travail d'ethnologie sur la culture kabyle et sur les changements
conséquents à l'imposition d'une économie capitaliste, il a aussi étudié les systèmes de
parenté de cette culture. Il continuera cette étude une grande partie de sa vie. Elle lui servira
de modèle pour prendre de la distance vis-à-vis de son second objet d'étude. Celui-ci
concerne le champ de la sociologie de la culture: il s'interesse plus particulièrement au
système scolaire et à la sociologie des intellectuels. Ce second objet d'étude est lié à
l'exigence de réflexivité. En tant que la sociologie est une discipline faisant partie du champ
intellectuel, cela lui permet de faire une sociologie de la sociologie.
3.1- les champs et les capitaux
On peut essayer de comprendre Bourdieu en le comparant au paradigme dominant de l'après
seconde guerre mondiale: le marxisme. Celui-ci interpréte l'histoire à partir de l'histoire de
la lutte des classes. Cependant, cette lutte n'a qu'un enjeu: la domination de l'économie. En
effet, selon marx on peut décomposer une société en une infrastructure économique et une
suprastructure qui regroupe l'ensemble des autres normativités sociales ( la politique, la
religion, le droit, la culture.....). La suprastructure est déterminée par l'infrastructrure et sert
de masque à la domination qui est au coeur de celle-ci.
Au contraire, Bourdieu va autonomiser les différents champs qui structurent la société,
chacun étant le lieu de capitaux spécifiques. On aura ainsi à côté du champ économique, le
champ politique, le champ culturel, le champ religieux.....En fait, le statut du cahmp
économique est assez ambigu chez Bourdieu et semble évoluer. Au début de son travail, ce
champ semble avoir une position encore dominante. Ainsi, la possibilité de convertir les
capitaux les uns dans les autres laisse supposer que le capital économique est la fin ultime
des luttes présentes dans les champs non-économiques. Peu à peu, le capital économique
perd sa suprématie au profit du capital symbolique, que nous analyserons plus loin.
La notion de champ implique de penser en terme de relations et non plus en termes de
choses. Il faut penser à partir des relations entre les positions sociales. De plus,
l'autonomisation des champs va permettre de rendre compte plus précisèment des pratiques
sociales. Dans le schéma marxiste, on ramène directement toutes les pratiques sociales à un
intérêt économique. Au contraire, il faut penser que toute pratique sociale n'est intéressée
qu'à l'intérieur d'un champ donné.
Définition champ: ( Réponses): « un champ peut être défini comme un réseau, ou une
configuration des relations objectives entre des positions. Ces positions sont définies
objectivement dans leur existence et dans les déterminations qu'elles imposent à leurs
occupants, agents ou institutions, par leur situation actuelle et potentielle dans la structure
de la distribution des différentes espèces de pouvoir ( ou de capital) dont la possession
commande l'accès aux profits spécifiques qui sont en jeu dans le champ, et du même coup,
par leurs relations objectives aux autres positions. »
Il ne faut donc pas comprendre le champ en termes statiques mais plutôt dynamiques. En
tant que rapport de forces, rapport entre des positions, le champ est toujours instable. La
lutte a toujours pour but de modifier le champ lui-même. Il n'y a donc pas à opposer la
structure du champ et son histoire, son aspect statique et son aspect dynamique. De plus,
pour comprendre la position d'un agent. Il ne suffit pas de connaître la quantité liée à son
capital mais aussi la structure de ce capital ( l'ensemble des capitaux qui le composent) et
l'histoire de l'agent dans ce champ, c'est-à-dire la trajectoire social de celui-ci.
Dans le même texte, Bourdieu compare le champ à un jeu, même s'il obéit à des régularités
qui ne sont pas explicitées. Les agents sociaux étant pris au jeu, ils acceptent les enjeux du
champ. Ils investissent ce champ. La métaphore du jeu est importante car elle va permettre à
Bourdieu d'introduire le vocabulaire de la stratégie pour penser l'action sociale, et donc ne
plus la réduire à la simple exécution d'une règle, sans pourtant revenir vers l'individualisme
méthodologique et l'hypothèse d'un acteur autonome.
La pluralité des champs peut donc se comprendre à partir de la pluralité des jeux et des
enjeux
( Lecon sur la lecon) : « parce que nous sommes toujours plus ou moins pris dans l'un des
enjeux sociaux qui sont offerts par les différents champs, il ne nous vient pas à l'esprit de
demander pourquoi il y a de l'action plutôt que rien – ce qui , à moins de supposer une
propension naturelle à l'action ou au travail, ne va nullement de soi. Chacun sait par
expérience que ce qui fait courir le haut fonctionnaire peut laisser le chercheur indifférent et
que les investissements de l'artiste restent inintelligibles pour le banquier. »
L'idée de champ introduit une vision spatialisée de l'espace. Celui-ci peut être analysé
comme une série de positions extérieures les unes aux autres et se définissant les unes par
rapport aux autres. C'est pourquoi Bourdieu met la distinction en principe de définition des
classes. Chaque classe sociale peut se définir non pas de manière absolue mais par
opposition, distinction, ou proximité avec les autres.
De plus, cette notion de champ permet de sortir des conceptions substantialistes du pouvoir,
en particuliers de celles qui utilisent la notion d'appareil d'Etat. Cette notion est liée à une
vision finaliste du pouvoir. Celui-ci est alors une propriété, une possession aux mains d'une
certaine classe et dirigée vers certains buts.
Au contraire, l'idée de champ suppose qu'il existe des agents qui s'affrontent pour
s'approprier les profits spécifiques à ce jeu. Ceux qui dominent sont ceux qui sont capables
de faire fonctionner le champ pour leur propre profit. Pourtant, il faut compter avec la
résistance des dominés. Le champ ne devient un appareil que si les dominants sont capables
d'annuler la résistance des dominés. Mais dans les autres cas, il faut supposer une certaine
complicité des dominés. Les dominés créent aussi leur domination en acceptant ce jeu.
Malgrè le nombre indéfini de champ, il n'existe que quatre espèces de capital: le capital
économique, le capital social, le capital culturel et le capital symbolique.
Si le capital économique ne pose pas de problème de compréhension, il faut préciser les
trois autres: le capital culturel est l'ensemble des savoirs, des informations en possession
d'un agent. Le capital social « est la somme des ressources, actuelles ou virtuelles, qui
reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu'il possède un réseau durable de relations
de connaissance et de reconnaissances mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c'est-àdire la somme des capitaux et des pouvoirs qu'un tel réseau permet de mobiliser. »
le capital symbolique à une place particulière. C'est la forme que un de ces capitaux revêt
quand il est perçu « à travers des catégories de perception qui en reconnaissent la logique
spécifique ou, si vous préférez, qui méconnaissent l'arbitraire de sa possession et de son
accumulation. » ( Réponses)
Dans nos sociétés , le capital économique et le capital culturel sont les deux espèces qui sont
les plus efficaces. Le capital économique a de plus acquis une relative autonomie par
rapport aux autres.
Au contraire, dans les sociétés pré-capitalistes, le capital social et le capital symbolique
étaient dominants. De plus, aucun capital n'était autonome.
Dans Raisons pratiques, Bourdieu distingue un dernier champ, le champ du pouvoir: ( p 56)
« il est l'espace des rapports de force entre les différentes espèces de capital ou, plus
précisément, entre les agents qui sont suffisamment pourvus d'une des différentes espèces de
capital pour être en mesure de dominer le champ correspondant et dont les luttes
s'intensifient toutes les fois que se trouve mise en question la valeur relative des différentes
espèces de capital »
Par conséquent, le champ du pouvoir est un champ des champs, il va hierarchiser les
champs entre eux et les capitaux: il va coder les différentes dominations. Il s'exerce par
conséquent toujours pour l'intermédiaire de l'Etat
Le couple conceptuel champ/ capital permet donc de sortir d'un utilitarisme et d'un
économisme étroit, mais non pas pour sortir de l'intérêt mais pour l'élargir: il permet de
construire une économie générale des pratiques; Mais il faut maintenant préciser la nature
de l'agent qui est au coeur de ces pratiques.
Rq: ce problème est fondamental dans la philosophie sociale des années 70 qui a voulu
déplacer le problème du pouvoir d'un point de vue macro-politique ( point de vue marxiste :
Etat comme détenteur du pouvoir) à un point de vue micro-politique ( institution ,
disciplines locales). Foucault est celui qui a poussé au maximum le point de vue micropolitique
3.2- l'habitus
Pour Bourdieu, on ne peut comprendre une pratique que par la conjonction entre un champ
et l'ensemble capital-habitus. Ce dernier concept est le principe générateur des pratiques
sociales.
Analyse des propositions de La reproduction
L'habitus est une ensemble de dispositions durables. Il comporte autant des schémes de
pratiques que des schémes cognitifs. Ces schémes sont le produit de l'incorporation des
structures sociales. Il permet de définir un style de vie propre à une classe. Il est aussi le
principe unificateur de l'ensemble des pratiques d'un agent.
La notion d'habitus permet à Bourdieu de sortir du point de vue intellectualiste sur la
pratique pour en venir à un point de vue pratique sur la pratique. Cela lui permet de
formuler l'idée d'un sens pratique.
Le point de vue intellectualiste fait de la pratique une simple éxécution ( d'une fin, d'une
règle, d'une statégie). L'habitus est le corps socialisé, le social incorporé.
Ce sens pratique permet de penser la capacité créatrice de la pratique sans la définir comme
autonome.
En fait, l'habitus est le produit des structures sociales, il est producteur de pratiques, et
reproducteur de la structure social.
La notion d'habitus a donc été utilisée par Bourdieu pour dépasser l'alternative du conscient
et de l'inconscient, de l'action libre ou nécessaire. L'habitus doit être considéré comme un
« sens du jeu ». C'est pourquoi il produit des statégies ajustées par la situation sans que cet
ajustement soit mécanique ou voulu consciemment. Pour évoquer l'habitus, Bourdieu prend
souvent l'exemple du sport. Le bon sportif est celui qui sait tout de suite ce qu'il doit faire,
son geste est directement ajusté à la situation sans qu'il est à le calculer consciemment. En
fait, notre habitus se révèle avant tout quand nous ne sommes plus dans une situation où il
s'applique, quand nous sommes en présence d'un monde structuré par d'autres habitus. Ce
décalage permet une relative prise de conscience.
La notion d'habitus va permettre de comprendre la véritable portée de la notion de stratégie
et d'évaluer les descriptions de l'individualisme méthodologique. Ce dernier suppose une
stratégie consciente dans laquelle l'individu évalue ses chances de succès et les risques qu'il
doit prendre. Cependant, cette capacité à calculer est elle-même un habitus, elle est
socialement construite. Bourdieu comprend cette limite de l'IM en étudiant les effets de la
colonisation en algérie. Celle-ci a imposé un déplacement des populations afin de les
regrouper dans des gros bourgs. Par conséquent, il devenait très difficile pour ces
populations de continuer à travailler leurs terres. De plus, l'imposition du capitalisme
impose le passage d'une propriété indivise à une propriété individuelle:
Le déracinement ( p 35): « l'effet spécifique de l'interventionnisme colonial consiste
précisèment en cette accélération pathologique du changement culturel : en mettant sans
cesse le société dominée devant le fait accompli, en faisant à sa place les choix les plus
fondamentaux, la politique colonial, dont l'entreprise de regroupement représente
l'expression la plus incohérente à force de cohérence, a empêché ce dialogue entre la
permanence et l'altération, entre l'assimilation et l'adaptation, qui fait la vie même d'une
société. »
( p. 32): « au traditionnalisme du premier degré, propre à une société attachée aux normes
qui fondent son existence, se substitue un traditionnalisme régressif, qui permet de
maintenir un équilibre incertain, au niveau le plus bas, traditionnalisme du désespoir imposé
par la disparition des défenses et des sécurités que procurait une société intégrée. »
Les paysans n'ont pas pu s'adapter à la nouvelle économie car leur habitus a été formé à
partir de l'expérience d'une autre économie. Le notions même de calcul et de rentabilité sont
donc étrangères à leur expérience du monde social. L'individualisme méthodologique n'est
donc que la description de l'homme économique des sociétés occidentales. Il s'agit donc
d'une anthropologie très appauvrie.
Le décalage entre l'habitus et le monde social produit des pratiques incohérentes. C'est ce
que Bourdieu appelle l'hystérisis de l'habitus. Celle-ci est possible parce qu'il survit à son
incorporation.
Si l'habitus est le produit des conditions d'existence, la différence des conditions va créer
une différence d'habitus. Ces différences vont générer la perception des écarts entre les
habitus: c'est un facteur d'évaluation. Ces écarts différentiels objectifs et subjectivement
perçus vont former les styles de vie. L'habitus retraduit l'espace social en perception de
l'espace social. C'est ici que la notion d'habitus permet d'incorporer la théorie constructiviste
et la théorie objectiviste. S'il y a un classement objectif du monde social, l'habitus permet à
chaque agent d'effectuer de son point de vue un classement de ce même monde. L'habitus
comme disposition classificatoire est la racine de la notion de goût. L'habitus me classe,
mais il me permet de classer.
Remarque: l'esprit de famille
la famille a évidemment un rôle central dans la sociologie de Bourdieu dans le sens où c'est
par son intermédiaire que l'agent intériorise son habitus primaire, qui est un habitus de
classe. Si l'enfant permet avant tout sa famille, c'est le social qui se manifeste à travers cette
famille.
Cependant, il est difficile de déterminer la réalité de la famille. En effet, devant la diversité
des catégories de familles, les ethnométhologues considèrent la famille comme une fiction,
comme une construction subjective.
Cependant, cette fiction est socialement construite. En d'autres termes il ne s'agit pas d'un
acte individuel mais collectif de construction. Il s'agit d'une structure mentale qui fait partie
de notre habitus. La construction objective de la famille dont notre habitus est le produit est
le résultat d'un véritable travail d'institution. Ce travail s'effectue par tous les actes de
création et de re-création de la famille qui tendent à créer, maintenir son unité et ainsi que
l'unité des intérêts de ses membres.
Si l'unité familiale est si importante, c'est que la famille est le lieu de la reproduction
sociale, par l'intermédiaire des capitaux et de l'habitus.
C'est pour cela que l'Etat en tant qu'il va consacrer l'institution familiale, l'officialiser a un
intérêt dans la famille. Ainsi, c'est la distinction du public et du privé qui s'écroule ici.
Par conséquent, si la famille est une fiction, c'est une fiction socialement construite et
garantie par l'Etat.
3.3- la lutte pour le classement
Si le monde social est un espace perçu, cette perception elle-même devient un enjeu social.
En effet, le capital symbolique n'existe que si la possession d'un capital est perçue comme
légitime. Si le monde social est un monde construit, c'est donc aussi parce que chaque
position social lutte pour imposer sa perception du monde social et donc son classement.
Cette perception se situe à deux niveaux: un niveau individuel et un niveau politique
( la distinction, p. 543): « les schémes de l'habitus, formes de classification originaires,
doivent leur efficacité propre au fait qu'ils fonctionnent en deça de la conscience et du
discours, donc hors des prises de l'examen et du contrôle volontaire: orientant pratiquement
les pratiques, ils enfouissent ce qu'on appellerait à tort des valeurs dans les gestes les plus
automatiques ou dans les techniques du corps les plus insignifiantes en apparence, comme
les tours de main ou les façons de marcher, de s'asseoir ou de se moucher [...] et engagent
les principes les plus fondamentaux de la construction et de l'évaluation du monde social »
La perception du monde social est en fait un sens des limites qui est en même temps un
oubli des limites. La socialisation me permet de classer la réalité sociale selon un code luimême social ( le fin opposé au grossier, le brillant au terne...). Mais en même temps, la
socialisation est une adhésion complète au monde social, par conséquent j'oublie l'arbitraire
de cette codification: cet oubli de l'arbitraire permet l'exercice de la domination symbolique.
En oubliant son arbitraire, cette codification, qui sert la classe dominante, devient légitime
ainsi que la distinction de la classe dominante grâce à cette codification. Ainsi la perception
du monde social est une connaissance de ce monde qui implique une méconnaissance des
principes de cette connaissance et qui entraînent une reconnaissance de la structure de ce
monde. Par conséquent, la perception du monde social est donc l'enjeu d'une lutte. Imposer
sa perception permet de rendre légitime sa position, d'obtenir un capital symbolique, qui
n'est que l'autre nom de la distinction, et donc d'accroitre son capital puisque les différentes
espèces de capitaux sont traduisibles les uns dans les autres: « le capital va au capital »
Evidemment cette perception du monde social, à son niveau politique, a pour enjeu essentiel
la notion de classe. Au lieu de chercher à distinguer un nombre précis de classes, Bourdieu
va décrire un espace social, composé d'une série de positions. ( cf tableau)
La description de cet espace permet de concevoir des classes théoriques, cad le
regroupement d'une série de positions. Ces classes théoriques ne font que prédire les
rencontres possibles, il s'agit simplement d'une prédisposition. Elles doivent être distinguées
des classes réelles, des classes mobilisées.
L'existence des classes est donc un enjeu de lutte. Les classes sociales sont toujours à faire,
à réaliser.Le but d'un leader politique est donc d'imposer son classement pour transformer
une classe théorique en classe réelle. Cela est donc plus facilement réalisable quand il s'agit
d'agents ayant une affinités d'intérêts. Cette lutte est donc symbolique en même temps que
politique. Dans cette transformation de la classe théorique en classe réelle il y a un « effet de
théorie » car c'est le fait de décrire la réalité comme structurée ou non par des classes qui va
réaliser cette description.
La description de cette réalisation a conduit Bourdieu a étudier le phénomène de délégation.
En apparence, lorsqu'un groupe se donne un porte parole, c'est lui qui fait cet individu, il est
garant de sa fonction.
Cependant, il faut plutôt dire que c'est lui qui fait le groupe. Il le fait parce qu'il est capable
de mobiliser les agents d'après l'affinité de leur habitus, et parce que les membres du groupe
s'en remettent à sa parole. Le porte-parole est un signe de la parole du groupe en même
temps que de sa propre parole. Par conséquent, l'usurpation est un état toujours potentiel de
la délégation. En effet, dans la délégation il y a toujours un effet d'oracle: le porte-parole fait
parler le groupe par sa propre parole. C'est parce que le porte-parole se donne entièrement
au groupe que le groupe inversement parle par son intermédiaire, le groupe n'existe que par
lui. C'est cette confusion constante du « nous » et du « je » qui est au principe de la violence
symbolique qui s'exerce dans le groupe. Etre la parole du groupe permet d'exercer une
contrainte sur le groupe: c'est le principe du mot d'ordre, de l'appel...
cependant, cette usurpation n'est pas liée à un calcul cynique: le porte-parole se prend
effectivement pour le groupe. Cela est possible parce que le porte-parole est lui aussi dans
un champ, le champ politique, syndicale. Il y a donc un effet d'homologie entre sa position
dans le champ et la position du groupe. C'est cette correspondance qui établit une affinité
entre le groupe et son porte-parole. En luttant pour le groupe, il lutte pour lui-même.
Cette lutte politique ne peut pas être complètement comprise si on ne décrit pas le rôle de
l'Etat.
En effet, c'est l'Etat qui possède le pouvoir de nomination officielle. Si pour max Weber,
l'Etat possède le monopole de la violence physique légitime, il possède aussi le monopole de
la violence symbolique légitime. C'est l'Etat qui effectue les classements officiels. Etant
capable de rendre légitime un certain classement de l'espace social, il masque l'arbitraire
d'une domination: en cela il exerce une violence symbolique.
La violence symbolique est au sens propre est l'effet de la transformation d'un arbitraire
social en une réalité légitime. Par exemple, le porte parole exerce une violence symbolique
en imposant sa propre vision du monde au groupe.
( réponses, p 142): « la violence symbolique est [...] cette forme de violence qui s'exerce sur
un agent social avec sa complicité ».
cette violence s'exerce en fait dès qu'on perçoit le monde comme allant de soi: il s'agit ici de
la naturalisation du social, du culturel.
« instrument privilégié de la sociodicée bourgeoise qui confère aux privilégiés le privilège
suprême de ne pas s'apparaître comme privilégiés. [ l'Ecole] parvient d'autant plus
facilement à convaincre les déshérités qu'ils doivent leur destin scolaire à leur défaut de
dons ou de mérites que, en matière de culture, la dépossession absolue exclue la conscience
de la dépossession. » La reproduction
Bourdieu remarque cette naturalisation dans le cas de l'éducation. En effet, la reproduction
ne se réalise pas avant tout dans l'échec des individus des classes défavorisées mais avant
tout dans leur auto-exclusion, leur auto-élimination, preuve qu'ils considèrent que la
situation sociale est naturelle, légitime.
La sociologie et l'histoire ont donc un rôle politique qui est de montrer l'arbitraire, la
contingence de toute réalité sociale. Cette dénaturalisation détruit la violence symbolique
elle-même.
3.4- la possibilité du changement
Dans Homo Academicus, Bourdieu propose une explication de certains événements de mai
1968. En prenant un point de vue scientifique sur cet événement, il veut lui enlever sa teneur
événementielle, ce qui en fait un événement extraordinaire pour le replacer dans la série des
événements ordinaires.
Il se situe à l'intersection de plusieurs séries indépendantes d'événements.
Si cet événement est fortement lié au système d'enseignement, c'est tout d'abord parce que
c'est en enjeu de la reproduction sociale. C'est donc un enjeu des luttes sociales.
Cet événement est devenu événement historique par la synchronisation de crises dans
différents champs. C'est cette synchronisation qui permet de comprendre « l'imprévisible
nouveauté » ( p. 212) de cet événement.
Elle suppose donc inversement une certaine autonomie entre les différents champs.
Au contraire, les sociétés sans histoire sont des sociétés fortement indifférenciées: il n'y a
pas de place pour l'événement.
Cet événement a été possible parce qu'il y a eu homologie entre les postions d'agents de
différents champs. La plus grande révolte ici est liée à un effet de déclassement: les agents
établissent une relation entre un diplôme et l'accès
à une position sociale. Mais
l'augmentation du nombre d'étudiants a dévolarisé le poids de chaque diplôme. C'est le fait
que l'espoir qu'ils mettaient dans l'institution scolaire a été déçu qui explique le
retournement de ce espoir en humaeur anti-institutionnelle.
Cette homologie a permet aussi l'extension de la lutte par l'homologie entre la position des
dominés dans le champ du pouvoir et celle des dominés dans le champ social pris dans son
ensemble. Cette homologie peut expliquer le spontanéisme de ce mouvement. Dans leur
parole spontanée les dominés du champ du pouvoir, cad les intellectuels, confisquent la
parole des autres, s'en font le porte-parole
chapitre VI
La notion d'identité fait partie des notions dont le sens véhicule une fausse évidence. Utilisée
spontanément, elle se dérobe dès qu'il s'agit de la thématiser. Elle se disperse dans une série de
concepts: identification, subjectivité, image sociale, rôle, statut.... Afin de délimiter plus
précisément son champ de pertinence, il est nécessaire d'indiquer dans quelle direction une théorie
renouvelée et explicite de l'identité pourra s'élaborer à partir de certains travaux en sociologie et
psychanalyse. Pour atteindre ce but, la réflexion philosophique a besoin dans un premier temps d'un
droit à la transgression disciplinaire sans envisager immédiatement sa consistance épistémologique
et empirique.
Cette nouvelle direction ne peut se comprendre qu'en référence à l'épuisement progressif du
précédent paradigme lié à la notion d'identité sans pour autant la thématiser. Selon ce paradigme,
l'identité du sujet ne posait pas de problème interne à l'individu car elle était monolithique. Dans des
perspectives très différentes, la notion de personnalité de base chez Kardiner (KARDINER, 1969) et
celle d'habitus chez Bourdieu (BOURDIEU, 1972) participent de ce même paradigme. Bourdieu a
explicitement formulé le présupposé de ce dernier: ce qui est acquis dans un domaine de la pratique
peut être transféré aux autres. Le seul problème à résoudre était donc celui de la socialisation, de
l'acquisition de l'identité, elle-même définie comme appartenance, intériorisation d'un rôle, d'un
statut. La psychanalyse elle-même, malgré son affirmation de la pluralité des instances psychiques,
suppose une unité liée aux différentes identifications effectuées par le sujet à partir de l'Œdipe,
l'hétérogénéité des pratiques étant secondaire par rapport à cette unité. L'Œdipe est aussi intégration
d'un statut en tant qu'il me situe dans la différence des sexes et la différence des générations.
A partir des années-soixante, les différentes synthèses philosophiques du savoir des sciences
humaines ont épuisé ce paradigme. Parmi ses synthèses, on peut citer la Critique de la raison
dialectique (SARTRE, 1985) et L'Idiot de la famille (SARTRE, 1988) de Sartre, L'institution
imaginaire de la société (CASTORIADIS, 1999) de Castoriadis et L'Anti-Œdipe (DELEUZE et
GUATTARI, 1972) de Deleuze et Guattari. Ces trois synthèses s'affrontent à deux problèmes à la
fois centraux et écartés par les sciences humaines: comment penser à la fois le changement
individuel et le changement social ? Comment penser la rencontre entre le socius et la psyché ? Tout
en s'inscrivant toutes les trois dans la double filiation de Marx et de Freud, ces synthèses présentent
une grande hétérogénéité: Sartre affirme l'existence d'un projet fondamental que se donne l'individu,
Castoriadis admet une socialisation unifiée tout en la laissant suspendue à un imaginaire individuel
qui ne sera jamais totalement socialisé alors que seul Deleuze et Guattari posent l'unité, toujours
précaire, du sujet comme une production sociale, puisque l'Œdipe lui-même devient un
assujettissement des flux désirants. En considérant l'unité comme une violence exercée sur la
subjectivité, cette dernière synthèse marque l'épuisement de ce paradigme.
Cependant, on ne peut que constater l'infertilité relative de ses trois synthèses car elles présentent un
visage des sciences humaines qui était déjà en voie de dépassement à leur époque. Par conséquent,
elles n'ont pas permis d'élaborer un véritable paradigme guidant de futures recherches malgré leurs
influences dans plusieurs domaines du savoir, en particulier dans le domaine de la recherche active
sur les groupes (analyse et pédagogie institutionnelle et dynamique des groupes).
Le mouvement théorique observable depuis les années quatre-vingt en sociologie, en histoire et en
psychanalyse montre un changement de paradigme. Ce mouvement a permis en effet sinon
l'éclatement du moins la problématisation de l'unité de l'identité et a été rendu possible par un
changement dans l'échelle d'observation. La sociologie contemporaine et la micro-histoire ont pu
ainsi se rapprocher de l'individu sans accepter l'individu dé-socialisé, dé-historicisé de
l'individualisme méthodologique afin de pouvoir étudier « le social à l'état plié » (LAHIRE, 2001)
selon la belle expression de Bernard Lahire. De son côté, la psychanalyse est sortie du modèle
névrose infantile-névrose de transfert chez l'adulte et a renouvelé son approche de l'adolescence et,
peu à peu, du vieillissement. Ces nouveaux objets d'étude ont aussi permis à la psychanalyse une
prise en compte plus fine du social. C'est la convergence entre ces différentes évolutions qui rend
pensable l'émergence d'un nouveau paradigme de l'identité.
La notion de subjectivation peut servir de guide théorique pour aborder cette transformation. Si,
selon Ricœur, l'identité se définit par la tension entre la mêmeté, le pôle de l'identité qui désigne ce
qui reste identique, et l'ipséité, le pôle de l'identité qui désigne ce qui se rapporte au soi, au soimême (RICŒUR, 1990), la subjectivation renvoie au pôle de l'ipséité, pôle lui-même négligé
jusqu'à lors au profit de la mêmeté, de la permanence. Cette permanence semblait désignable autant
par le concept de socialisation issu de la sociologie que par le concept d'identification issu de la
psychanalyse et correspondait à la définition classique de l'identité telle que la formule par exemple
le dictionnaire de philosophie Lalande. Celui-ci définit l'identité de l'individu comme « le caractère
d'un individu [...] dont on dit qu'il est identique [...] ou qu'il est « le même » aux différents moments
de son existence. » (LALANDE, 1999, p. 455). Il faudra donc rendre compte du passage entre une
théorie centrée sur la permanence et une théorie centrée sur la subjectivation. Ce passage sera
observé dans un premier temps dans l'examen de « l'expérience sociale » selon François Dubet, du
« social à l'état plié » chez Bernard Lahire et « des processus de subjectivation » selon Raymond
Cahn et permettra d'émettre quelques propositions relatives à la seconde des deux questions que ce
nouveau paradigme devra résoudre afin de dépasser définitivement le précédent: Comment penser
la rencontre entre le socius et la psyché ?
« L'expérience sociale »
François Dubet partage avec les autres sociologues qui problématisent la notion d'identité un constat
qui rend possible l'émergence de leur propre théorie: Il existe des processus de différenciation au
sein des sociétés modernes. Ceux-ci produisent une socialisation éclatée et leur existence permet
rétroactivement de penser une théorie générale, trans-historique de l'identité plurielle.
Depuis son ouvrage Sociologie de l'expérience, François Dubet élabore une théorie de l'expérience
sociale. Celle-ci développe toutes les conséquences de la proposition théorique qu'il déduit du
constat précédent: la disparition de l'idée de société, identifiée à un système, et du programme
institutionnel. La désinstutionnalisation désigne selon Dubet « une toute autre manière de
considérer les relations des normes, des valeurs et des individus, à terme une tout autre manière de
concevoir la socialisation. Les valeurs et les normes ne peuvent plus être perçues comme des entités
« transcendantes », déjà là et au-dessus des individus. Elles apparaissent comme des coproductions
sociales [...]. Pour le dire de manière plus abstraite, la désinstitutionnalisation engendre la
séparation de deux processus que la sociologie classique confondait: la socialisation et la
subjectivation. » (DUBET, 1998, p. 147). Si les individus ne sont plus le produit d'un tel programme
institutionnel, la notion de rôle ne permet plus de rendre compte de la permanence et de la totalité
de leur identité. Nous ne pouvons plus nous définir par notre statut, ou, tout du moins, cette identité
n'est plus un donné reçu par l'individu mais une construction, une activité constante. De plus, ce
rôle, ce statut ne permet de comprendre qu'un seul aspect de l'expérience sociale de l'individu: la
logique d'intégration.
Or, François Dubet distingue à côté de celle-ci deux autres logiques d'action: la logique stratégique
et la subjectivation. Dans la logique stratégique, l'identité des acteurs est « un ensemble de
ressources mobilisées dans des échanges sociaux concurrentiels » (DUBET, 1998, p. 57). Cette
logique a été étudiée par l'individualisme méthodologique, et la théorie des jeux. Enfin, la troisième
logique de l'action, la subjectivation, ne renvoie ni à la mobilisation des ressources, ni à l'intégration
dans une communauté mais à la « représentation du sujet ». Contrairement aux deux autres
logiques, celle-ci n'a pas de réalité positive. Dans Sociologie de l'expérience, François Dubet
affirme qu'elle « n'apparaît que de manière indirecte dans l'activité critique, celle qui suppose que
l'acteur n'est réductible ni à ses rôles ni à ses intérêts » (DUBET, 1994, p. 127). Cette logique est
ainsi vécue en continuelle tension avec les deux autres. Elle définit la subjectivation comme
décentrement, comme un « quant à soi ». C'est à la fois l'aspect le plus intime de l'identité et le plus
évanescent.
L'identité ne se réduit à aucune de ces trois logiques mais à un constant travail d'unification de
celles-ci, travail que François Dubet appelle expérience sociale. Pour définir cette dernière, cet
auteur évoque l'idée de combinatoire. Cette idée montre la pluralité des expériences sociales
possibles, selon le poids que l'on donne à chacune des logiques de l'action. Elle se situe donc
toujours dans l'entre-deux de ces logiques. François Dubet renverse ici le lien traditionnel entre
l'identité et l'action. En effet, dans le paradigme précédent, on considérait que c'était l'identité, c'està-dire le rôle, le statut, qui était à l'origine de l'action et qui l'expliquait. Or l'expérience sociale
définit avant tout l'action de l'individu. C'est l'action qui produit continuellement de l'identité.
De plus, l'expérience sociale est aussi traversée par la tension entre son aspect singulier et son
aspect social. L'expérience sociale est singulière de par son caractère critique. Elle se définit par la
réflexivité de l'acteur qui est toujours en train de se justifier. Selon François Dubet: « une sociologie
de l'expérience invite à considérer chaque individu comme un « intellectuel », comme un acteur
capable de maîtriser consciemment, dans une certaine mesure en tout cas, son rapport au monde »
(DUBET, 1994, p. 105). Cette capacité à rendre compte de sa pratique, à parler en son nom désigne
l'ipséité de la fonction identitaire selon Ricœur. La fragilité du sujet est ici compensée par la
décision d'être ce qu'il est, d'être sujet. Cependant, l'expérience sociale est aussi une expérience
socialement construite. L'expérience sociale ne peut être atteinte que par le discours des acteurs. Le
prisme langagier est pour l'individu lui-même le seul accès possible à son expérience sociale. Or, ce
prisme ne peut qu'utiliser des catégories sociales. Parler de l'expérience sociale revient ainsi à la
socialiser. C'est cette tension entre le singulier et le social au sein de l'expérience qui permet à
François Dubet d'affirmer que « l'expérience n'est ni totalement contrainte, ni totalement libre »
(DUBET, 1998, p. 57).
Un déséquilibre apparaît entre les notions mises en place par Dubet car la subjectivation anticipe
l'expérience sociale elle-même. A moins que ce déséquilibre, cette imbrication du tout dans la
partie, ne soit propre aux sociétés modernes, il faut le penser à partir de la position d'extériorité de
la subjectivation par rapport à l'intégration et à la stratégie. Cette tension au sein de l'identité
renvoie à l'impossibilité de penser l'identité uniquement à partir de l'opposition entre la mêmeté et
l'ipséité. En effet, il faut à la fois poser trois sortes de permanence: les rôles, les intérêts, les
représentations de soi et ensuite un travail pour les unifier. Or, les représentations de soi
appartiennent déjà à l'ipséité.
En dehors de ce premier problème, il semble regrettable de s'arrêter au seuil de l'expérience sociale.
Si celle-ci est à la fois un travail et un vécu, elle mobilise des processus psychiques qui devraient
être étudiés. Sans doute arrêté par l'effroi que provoque la transgression disciplinaire, François
Dubet laisse une certaine opacité théorique autour de cette notion d'expérience, bien qu'il en ait
établi des portraits variés et riches d'enseignements au sujet des travailleurs sociaux dans La fin de
l'institution. Il s'agit ici d'une expérience sans psyché pour l'éprouver.
« Le social à l'état plié »
L'intérêt des travaux de Bernard Lahire est lié à cette déception. Par une attention minutieuse aux
caractéristiques individuelles, la sociologie proposée par Lahire abandonne une vision sociétale
pour approcher les processus psychiques en même temps que leurs déterminants sociaux.
Bernard Lahire propose une théorie fondamentalement dispositionniste. Accepter l'existence de
dispositions à l'origine des pratiques, c'est supposer, à la suite de Bourdieu, que l'acteur a intériorisé
certains schèmes d'action sous formes d'habitudes. Pourtant, il faut immédiatement relever la
différence entre l'unicité de l'habitus telle que l'a définie Bourdieu et « l'homme pluriel ».
Contrairement à Bourdieu, Bernard Lahire porte une grande attention aux contextes d'acquisition de
l'habitude et aux contextes de leur actualisation; et cette pluralité des pratiques n'est pas seulement
une thèse théorique sur la nature humaine mais une thèse profondément historique. Si les pratiques
sont plurielles, c'est que les contextes d'acquisition et d'actualisation sont différenciés. Il est donc
impossible de parler de style de vie au singulier. Concernant l'acquisition, Bernard Lahire peut ainsi
affirmer que « tout corps plongé dans une pluralité de mondes sociaux est soumis à des principes de
socialisation hétérogènes et parfois même contradictoires qu'il incorpore » (LAHIRE, 2001, p. 50).
L'acteur incorpore autant de principes que de contextes sociaux pertinents qu'il a appris à distinguer.
Et en ce qui concerne l'actualisation, il faut étudier « la modalité de déclenchement des schèmes
d'action incorporés ( produits au cours de l'ensemble des expériences passées) par les éléments ou
par la configuration présente, c'est-à-dire la question des manières dont une partie – et une partie
seulement – des expériences passées incorporées est mobilisée, convoquée, réveillée par la situation
présente. » (LAHIRE, 2001, p. 88). La pluralité des principes de l'action permet à la fois de
redonner une importance au présent, en tant qu'inhibiteur ou déclencheur de l'action, sans expliquer
totalement l'action par l'interaction présente et le choix conscient du sujet. La nécessité d'être au
plus prés des acteurs est donc liée à l'hétérogénéité de leur pratique. C'est ce souci méthodologique
qui est au coeur de l'ouvrage Portraits sociologiques de Bernard Lahire. C'est seulement en
interrogeant les acteurs sur des pratiques et des domaines différenciés qu'on pourra atteindre des
principes pluriels. Ce souci de pluraliser les contextes des pratiques se retrouve aussi dans la microhistoire et en particulier chez Carlo Ginzburg (GINZBURG, 1980).
Tout comme François Dubet, Bernard Lahire a essentiellement un point de vue synchronique sur la
pluralité de l'identité à laquelle doivent faire face les acteurs mais pour des raisons différentes.
François Dubet étudie relativement peu les processus de socialisation, puisqu'il ne leur accorde
qu'une place limitée dans la construction de l'identité. Au contraire, il s'intéresse à la manière dont
l'acteur va ensuite unifier les diverses logiques de l'action qui le traversent.
Bernard Lahire quant à lui ne pose pas l'hypothèse d'une unification de l'expérience sociale par
l'acteur, unification qui supposerait une activité spontanée de la part de cet acteur et qu'il refuse de
par son approche dispositionnaliste. En partant du constat de la pluralité des principes d'action, il
s'intéresse aux mécanismes liés à leur activation ou inhibition. Cet intérêt se place à la fois au-delà
du comportement, dans l'attention aux contextes, mais aussi en-deçà, dans la volonté d'entrer dans
les mécanismes psychiques où sont « déposés » ces schèmes d'action.
Il faut alors admettre que « s'ouvre le champ d'une sociologie psychologique ( et non d'une
psychologie sociale) qui n'a été voulue par personnes mais que tout le monde a, peu à peu, contribué
à créer. Étudier l'individu qui traverse des scènes, des contextes, des champs de force et de luttes,
etc., différents, c'est étudier la réalité sociale sous sa forme individualisée, incorporée, intériorisée »
(LAHIRE, 2006, p. 329). Ce social sous cette forme individuelle, c'est le social à l'état plié. Cela
signifie que les processus sociaux se plient toujours de manières absolument singulières en chaque
acteur. Si le dedans est la pliure du dehors, il n'en est pas l'exact reflet. Il est une « autre scène »
ouverte à l'investigation psychologique. Or, le modèle psychologique choisi par Bernard Lahire ne
semble pas répondre à ces exigences. Si le cognitivisme permet effectivement de décrire les stocks
de connaissances, de savoir-faire intériorisés et leurs mécanismes d'actualisation, il établit un
parallèle trop évident entre le schème d'action et le contexte. En fait, le défaut de la théorie de
Bernard Lahire réside dans une vision simpliste de l'esprit, ce dernier étant réduit à une surface. Or
si on peut affirmer que des principes d'actions hétérogènes sont inscrits sur cette surface, il faut bien
supposer que le psychisme est bien un psychisme même s'il n'est pas unifié. Dans cette autre scène,
les différentes socialisations ne peuvent pas se contenter de coexister mais fusionnent, s'opposent,
ou se renforcent. L'âge d'acquisition n'est pas non plus anodin. Une pratique n'a pas été intériorisée
de la même manière à 3, 10 ou 20 ans. C'est cette rencontre psychique entre les principes d'action
que doit penser une théorie de l'identité. Pour qu'il y ait identité, la mêmeté, la permanence doit se
nouer avec l'ipséité, la subjectivation. Ce qui nous renvoie aux modalités psychiques de cette
dernière.
la subjectivation en psychanalyse: un dépassement de l'infantile
Puisque la sociologie s'est arrêtée par deux fois au seuil de la subjectivation, il est nécessaire
d'étudier le devenir de cette notion en psychanalyse. Celle-ci a eu un cheminement propre
longtemps étranger à la sociologie. Au contraire, Freud a lui-même proposé une version de la
psychologie collective qui avait l'ambition de concurrencer le point de vue sociologique. Or, ce n'est
paradoxalement pas la réflexion psychanalytique sur le social mais l'évolution de la clinique
individuelle qui permet de reprendre le dialogue avec la sociologie.
Au niveau clinique, la psychanalyse s'est avant tout constituée autour de l'opposition entre névrose
et psychose. La psychose fait suite à un trouble désorganisateur précoce qui rend impossible
l'intégration de la différence des sexes et des générations par le complexe d'Œdipe. Au contraire, la
névrose est issue des difficultés liées au parcours oedipien, parcours qui définit la névrose infantile;
cette dernière sera ensuite réveillée dans la névrose de transfert de l'adulte. Dans ce schéma, qui
définit ce qu'on a appelé le familialisme psychanalytique, l'Œdipe joue un rôle central dans le
processus identificatoire et permet de penser une unité de la psyché.
Or la réflexion sur les états-limites dans la clinique et la prévalence importante de ces états au
moment de l'adolescence et du vieillissement oblige la psychanalyse a sortir de ce cadre théorique.
Il devient impossible de définir le développement psychique uniquement à partir de l'infantile et de
l'Œdipe et de réduire le reste de l'existence à la répétition de cette proto-histoire. Au contraire, il
devient peu à peu possible, en particulier à partir des travaux de Jean Bergeret (BERGERET, 1992),
de penser des remaniements identitaires tout au long de l'existence. Par conséquent, l'Œdipe perd sa
place de principe organisateur central.
C'est la nécessité de penser cette possibilité constante de remaniement identitaire qui a amené
Raymond Cahn à proposer la notion de processus de subjectivation, processus qui, selon lui, « se
poursuivra la vie durant, impliquant un sujet qui a sans cesse à s'inventer à travers les liens dans leur
nécessité comme dans leur perpétuelle remise en cause et la virtualité toujours ouverte de les
défaire, de les refaire, les mêmes ou d'autres, pareillement ou autrement. » (CAHN, 2002, p. 52). Ce
processus permet de « contenir, organiser et donner sens aux différents changements, internes et
externes » (CAHN, 2002, p. 52) qui affectent le sujet. Il est donc possible de le situer à partir de
trois caractéristiques:
- il renvoie à la capacité du sujet d'exister en son nom: c'est donc ici la même subjectivation que
celle proposé par François Dubet et désigne l'ipséité de l'identité.
- il s'accompagne d'une alternance entre liaison et déliaison, entre investissement et
désinvestissement psychique. Cette alternance va permettre de penser le poids de chaque logique de
l'action au sein de l'expérience sociale.
- Enfin, la notion de contenant indique que le processus de subjectivation doit élaborer un cadre
psychique pour les changements qui affectent l'individu. Cette pensée du cadre a émergé à partir du
constat des troubles de la mentalisation au cours de l'adolescence, du vieillissement et dans les
états-limites. Si le cadre que constitue la psyché est stable, il pourra servir de scène pour mentaliser
ce qui s'impose à la psyché ( la réalité externe et la réalité interne). Au contraire, dans l'adolescence,
le vieillissement et les états-limites, le cadre est défaillant, Il y a donc un court-circuit de la psyché
et l'agir prend alors la place des processus mentaux. Cette pensée du cadre s'accompagne d'une
transformation de la clinique. Cette dernière ne s'intéresse plus uniquement aux contenus du
discours, contenu qui peut toujours s'interpréter en rapport à l'infantile mais plutôt à la présence
d'une mentalisation. En effet, la rencontre entre la psyché et son autre, que cet autre soit le
biologique ou le social, impose un travail à la psyché afin de l'assimiler, de le représenter dans
l'autre scène. Cette mentalisation ou cet agir peut être rapprochée de l'expérience sociale unifiée ou
éclatée telle que la décrit François Dubet mais aussi de l'intérêt porté aux fonctions des différents
contextes d'action chez Bernard Lahire
Au terme de ce parcours, on peut donc se demander si on peut rapprocher avec pertinence ces
différentes approches du concept de subjectivation et des liens entre le socius et la psyché?
Pour François Dubet, la subjectivation se sépare de la socialisation. Elle se définit à la fois par les
représentations culturelles du sujet et par la distance qui le sépare de ces dernières (DUBET, 1994,
p. 60). La subjectivation se vit donc autant dans la souffrance que dans la créativité et dans
l'autonomie. Dans tous les cas, c'est à partir d'elle que la socialisation fait sens pour le sujet. Il faut
une ipséité pour que l'identité soit à la fois une appartenance, une mêmeté, et une différence.
La théorie de Raymond Cahn semble décrire un mécanisme similaire. La subjectivation est ce par
quoi les identifications, issues ou non de l'Œdipe, font sens pour le sujet. Elle est ce par quoi le sujet
s'approprie ses désirs, son identité, ses objets et va mettre en place un cadre, une scène où vont
pouvoir s'élaborer, se mentaliser les identifications, les désirs, les logiques sociales.
Bernard Lahire ne propose pas de concept de subjectivation. Mais, paradoxalement, il se situe entre
les deux extrémité de ce dernier. Entre le pôle psychanalytique et le pôle sociologique, son souci de
pluraliser les concepts d'acquisition et les concepts d'utilisation des schèmes d'action rend possible
une description du pli du socius sur la psyché, sans que la théorie qu'il en donne soit pleinement
satisfaisante.
Les deux concepts précédents de subjectivation semblent se rencontrer. La subjectivation, en tant
qu'elle désigne une épreuve du sujet, marque la limite entre l'interne et l'externe, entre la psyché et
le socius. Pourtant, il n'est, pour l'instant, pas possible d'affirmer que cette rencontre possède une
véritable consistance épistémologique
Propositions pour une nouvelle théorie de l'identité:
Proposition 1: La mêmeté se dit au pluriel. Chaque domaine de la pratique est l'occasion d'acquérir
certaines dispositions spécifiques, et ces dispositions sont elles-mêmes des unifications de la
logique d'intégration, de la logique stratégique et de la logique de la représentation de soi.
Proposition 2: L'identité ne se réduit donc plus à l'appartenance, à la mêmeté. C'est justement autour
de la représentation de soi, de l'ipséité que se construit l'identité. Elle consiste avant tout dans un
travail d'unification des différentes logiques de l'action.
Proposition 3: L'acteur ne pourra unifier son expérience sociale que si sa psyché peut contenir,
organiser le social qui le traverse de manière dispersée. En d'autres termes, l'ipséité dépend de la
capacité de mentalisation du sujet. Cette mentalisation sert de cadres aux montages cognitifs mis en
place dans les différentes pratiques.
Proposition 4: Cette capacité de mentalisation est elle-même conditionnée par les contextes sociaux.
Si le sujet ne peut pas y déployer son ipséité et ne peut pas parler et agir en son nom mais s'il est
renvoyé à la mêmeté, à l'appartenance, s'il est réduit à un statut, qu'il soit simplement source de
contraintes ou au contraire de mépris et d'humiliations1, le travail de mentalisation et donc
d'unification de l'identité ne pourra pas se faire. La dispersion de l'identité condamne l'acteur à se
réfugier dans l'illusion de l'appartenance et/ou dans l'agir.
BERGERET J. (1992), La dépression et les états-limites, Payot, Paris
BOURDIEU P. (1972), Esquisse d'une théorie de la pratique, Le Seuil, Paris
CAHN R. (2002), L'adolescent dans la psychanalyse, PUF, Paris
CASTORIADIS C. (1999), L'institution imaginaire de la société, Le Seuil, Paris
DELEUZE G., GUATTARI F. (1972), L'Anti-Œdipe, Minuit, Paris
1
Toute cette opposition entre la capacité de parler en son nom et la réduction à un statut humiliant ou même à une
absence de statut ne peut être pensée sans faire intervenir la notion de reconnaissance. Cette dernière est le
complément nécessaire à toute théorie de l'identité. Elle permet d'approfondir les liens entre changements
individuels et changements collectifs, liens qu'il n'a pas été possible d'étudier dans le cadre de ce travail, et a été
largement explorée par les travaux de Axel Honneth (HONNETH, 2000) et de Paul Ricœur (RICŒUR, 2004).
DUBET F. (1994), Sociologie de l'expérience, Le Seuil, Paris
DUBET F. (1998), Dans quelle société vivons-nous ?, Le Seuil, Paris
GINZBURG C. (1980), Le fromage et les vers, Flammarion, Paris
HONNETH A. (2000), La lutte pour la reconnaissance, Cerf, Paris
KARDINER A. (1969), L'individu dans sa société, Gallimard, Paris
LAHIRE B. (2001), L'homme pluriel, Armand Colin/Nathan, Paris
LALANDE. (1999), Dictionnaire de philosophie
RICŒUR P. (1990), Soi-même comme un autre, Le Seuil, Paris
RICŒUR P. (2004), Parcours de la reconnaissance, Gallimard, Paris
SARTRE (1985), Critique de la raison dialectique, Gallimard, Paris
SARTRE (1988), L'idiot de la famille, Gallimard, Paris
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