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Laurent Gosselin
Université de Rouen
LIDIFRA, EA 4305 Uppsala, mai 2009
Le rôle des périphrases à valeur aspectuelle en français
1. Dans les grammaires françaises, deux questions liées :
- Comment définir et délimiter la classe des périphrases verbales ?
- Les périphrases aspectuelles appartiennent-elles, en totalité ou en partie, au système
verbal du français ?
2. Comment définir / délimiter la classe des périphrases verbales ?
- [Vfini (prep) Vnon fini] : [AUX (prep) Vnon fini]
- [verbe conjugué + (prep) + infinitif ou participe] : [auxilliaire au sens large (auxiliaire ou
semi-auxiliaire) + (prep) + infinitif ou participe]
- Comment définir/délimiter la classe des AUX (auxiliaires au sens large) ?
3. Wilmet 1996, § 398 :
« On retiendrait au minimum :
- avoir/être + participe (...)
- aller, venir/sortir de + infinitif (...)
- devoir, pouvoir, savoir + infinitif ...
- les non prépositionnels faillir (...), avoir beau, ne faire que + infinitif ;
- les prépositionnels achever de, arrêter de, cesser de, continuer de, être en
passe/voie/train/près de/sur le point de, finir de, manquer de, ne faire que de, ne pas
laisser de, avoir à, commencer à, continuer à, être occupé à, hésiter à, persévérer à,
persister à, rester à, s’apprêter à, s’attarder à, s’aventurer à, se hasarder à, se mettre à,
s’entêter à, se prendre à, s’essayer à, se risquer à, se tenir à, tarder à, (en) venir à,
commencer par, finir par + infinitif. »
4. Les périphrases aspectuelles appartiennent-elles au système verbal du français ?
Imbs (1960 :6) :
« L’histoire nous apprend qu’avant d’avoir été des formes simples, le futur et le
« conditionnel » avaient été des périphrases formées d’un infinitif et d’un (semi-) auxiliaire
(chanter-ai) ; d’autre part il est incontestable que les formes composées et surcomposées du
verbes sont des périphrases, et que cela ne les a pas empêchées d’entrer dans le tableau des
formes verbales étudiées en morphologie. C’est une question de savoir si les périphrases
verbales formées à l’aide de semi-auxiliaires (aller, devoir, etc.) ou de locutions semi-
auxiliaires (être en passe de ...) doivent figurer aussi dans le tableau des formes verbales ».
5. Les périphrases: aspect lexical ou grammatical ?
Trois types de positions :
a) Les riphrases aspectuelles relèvent de l’aspect lexical et n’appartiennent donc pas au
système grammatical (Wagner et Pinchon 1962 : 298, Martin 1971).
b) Les périphrases aspectuelles marquent l’aspect grammatical (Leeman-Bouix 1994 : 51,
Barcelo et Bres 2006 : 16).
c) Certaines de ces périphrases marquent l’aspect grammatical ; on retient généralement aller
Vinf (Touratier 1996 : 181) auquel on adjoint parfois venir de Vinf (Vet 2008).
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6. L’argument de la conjugaison :
- Laca (2004 : 89) : « elles présentent des restrictions importantes en ce qui concerne les
temps grammaticaux auxquels elles peuvent apparaître. »
- Martin (1971 : 139-140) : « les périphrases verbales peuvent-elles figurer dans la
structure systématique des temps français ? Il ne nous semble pas, en dépit des
apparences : l’impossibilité d’employer aller, venir ou devoir à un temps autre que le
PR ou l’IMP nous paraît significatif. Si ces périphrases n’affectent pas l’ensemble du
système comme le font avoir et être, c’est donc qu’elles ne représentent qu’une
exploitation possible des tiroirs imperfectifs. Elles n’apportent pas, à proprement parler,
d’élément grammatical nouveau. »
7. Critères pour reconnaître une périphrase :
- il faut et il suffit de montrer que le verbe non conjugué n’est pas un véritable
complément du verbe conjugué (sans quoi le verbe conjugué serait un verbe plein et non
un AUX).
- Test principal : la substitution par une complétive conjuguée est impossible :
- « La propriété formelle commune qui distingue les auxiliaires romans du reste des
verbes est qu’ils se font suivre d’un infinitif tout en excluant la complétive Que P. Ce
dernier trait est en même temps leur propriété syntaxique définitoire. » Lamiroy (1999 :
38).
8. Les coverbes de mouvement (Lamiroy 1981, Vet 1987) :
- Lamiroy (1983) : ces constructions ont une valeur fondamentalement aspectuelle
- Damourette et Pichon (III, § 1055) : la progrédience : « Dans Louis vient déjeuner, (…)
déjeuner n’est pas le terme de la venue de Louis, c’en est plutôt la matière
psychologique : l’action de jeuner est en quelque sorte déjà entamée par les pas que
fait Louis vers la maison où il doit manger»
9. Vinf n’est pas un véritable complément :
- Ce n’est pas un circonstanciel de but :
Pour attraper mon train, je cours
* Attraper mon train, je cours
Je cours pour ne pas manquer mon train
?* Je cours ne pas manquer mon train
C’est pour attraper mon train que je cours
*C’est attraper mon train que je cours
- Ce n’est pas un complément essentiel de localisation / destination :
* Je me rends acheter du pain
?? Je sors à la boulangerie / je m’agenouille aux cailloux
« Jean est descendu dans la rue faire des courses » (Vet 1987)
10. Des contraintes spécifiques sur ces constructions :
- Le sujet est humain et agentif :
« ?*Jean monte impressionner Anne par son intelligence » (Lamiroy 1983: 123)
- sur Vmvt :
- directionnels : aller, descendre , monter, sortir …*se rendre
- de déplacement : courir, plonger ...??nager, ??ramer
- de mouvement du corps : s’installer, s’agenouiller, s’asseoir …*se gratter
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- sur Vinf :
« Des restrictions importantes sont imposées à l’infinitif. Sont exclus les verbes avoir,
être (donc tous les passifs); devoir, vouloir, savoir; aimer, préférer, détester, etc. …,
ainsi que l’ensemble des verbes de |mouvement| … » (Willems 1981: 151-152)
11. Vinf est le prédicat principal : Vmvt est un coverbe semi-auxiliare :
- Vmvt est « un cas intermédiaire entre les verbes pleins régissant un complément à
l’infinitif et les auxiliaires d’aspect » (Lamiroy 1983 : 116)
- Leeman (1994 : 124) les classe parmi les semi-auxiliaires
- Vet (1987) : formation d’un « prédicat verbal complexe »
12. La progrédience et l’égrédience comme catégories aspectuelles :
- Progrédience : mode de déroulement de la phase préparatoire (courir, s’asseoir à, aller)
- Vmvt : comparables aux coverbes de phase (se préparer à) et aux coverbes de
modalité d’action (François 2003) : hésiter à, tarder à,
- un cas intermédiaire : se précipiter à
- Egrédience : mode de déroulement de la phase résultante (descendre de, rentrer de, venir
de)
13. Rôle des prépositions :
- Vmvt (à) Vinf : progrédience (aller, venir, rentrer, s’installer à Vinf)
- Vmvt de Vinf : égrédience (venir de, rentrer de, descendre de Vinf)
- à : « image d’en-deçà », « visée prospective »
- de : « image d’au-delà », « visée rétrospective » (Guillaume, Cadiot 1997: 66)
14. Critères pour intégrer une périphrase aspectuelle au système verbal :
- Montrer que AUX est un grammème (et non un lexème)
- Si AUX est un grammème, il marque l’aspect grammatical et appartient au système
verbal du français. Si c’est un lexème, il marque l’aspect lexical et ne relève pas du
système verbal.
15. La grammaticalisation
Le parcours de grammaticalisation des verbes The Verb-to-TAM Chain », Heine 1993,
Hopper & Traugott 1993, Kronning 2003) :
Verbe plein > AUX1 > …. AUXn > Affixe
16. Difficultés :
- Lagae, Carlier, Benninger (2002: i) :
« Même à l’intérieur d’une même langue, on ne peut admettre l’existence d’une elle
frontière entre grammaire et lexique. En effet, certains marqueurs temporels ou aspectuels
se trouvent dans la zone frontière entre grammaire et lexique. Il en va ainsi des semi-
auxiliaires d’aspect du français : leur origine étant lexicale, ils ont subi un processus de
grammaticalisation qui n’a toutefois pas entièrement abouti. »
- Blanche-Benveniste (2001) : les degrés de verbalité
- Une frontière floue / flottante entre aspect lexical et aspect grammatical
17. Une analyse insatisfaisante au plan sémantique :
- « désémantisation » (Gougenheim) (« javellisation », « sublimation »...) : perte des traits
concrets, le signe ne garde que ses traits aspectuels (très imprécis)
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- Havu (2006) : commencer à est purement aspectuel (sélectionne une phase) ; cela ne
suffit pas à en faire un marqueur grammatical / ou un équivalent de conjugaison.
18. Critique du parallélisme morpho-syntaxe / sémantique :
- La grammaticalisation suppose un parallélisme entre les plans morpho-syntaxique et
sémantique. La frontière floue en lexique et grammaire (plan morpho-syntaxique) se
retrouve au niveau sémantique (frontière floue entre aspect lexical et aspect
grammatical).
- Critique de la distinction entre aspect lexical et aspect grammatical (Tournadre 2004) :
nécessité de découpler les deux plans : morpho-syntaxe / sémantique
19. Hypothèse générale :
- Une frontière floue entre lexique et syntaxe, mais deux classes de périphrases nettement
distinctes au plan sémantique
- Deux façons de construire l’aspect : deux modes de sélection des phases
20. L’aspect : catégorisation et monstration (Gosselin 1996, 2005) :
- une opération de catégorisation, qui à partir d’un schéma cognitif primitif constitué de
changements et de situations intermédiaires (niveau pré-conceptuel), subsume une
portion de ce schéma primitif sous la détermination conceptuelle d’un procès («aspect
conceptuel»)
- une opération de monstration, qui donne à « voir » tout ou partie du procès construit par
l’opération précédente (« visée aspectuelle »)
21. Différences entre les deux opérations :
- la catégorisation construit un (sous)procès, qui a un statut d’entité référentielle, qui
possède un mode de déroulement spécifique et qui est décomposable en parties (phases)
- la monstration ne produit aucune entité référentielle, mais une vue (visée) sur une entité
préalablement construite (par la catégorisation). Cette visée est donc seconde par rapport
au (sous)procès sur lequel elle porte, elle n’a pas de « mode de déroulement » et n’est
pas décomposable en parties.
22. Deux classes de périphrases aspectuelles :
- Les coverbes de mouvement, de modalité d’action, et de phase coV-MAP ») marquent
la catégorisation d’une phase, i.e. la construction d’un sous-procès
- les auxiliaires indiquent la nature de la visée aspectuelle aux-VA »), la monstration
de tout ou partie d’un procès ou d’un sous procès
23. Prédictions 1 :
- Les aux-VA peuvent porter sur les coV-MAP, alors que la réciproque est fausse (cf.
François 2003 : chap. 5, Laca 2005)
- Il est concevable que la monstration porte sur un sous-procès, mais non que la
catégorisation puisse affecter la monstration (la catégorisation devant toujours précéder
conceptuellement la monstration).
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24. Exemples : aux-VA portant sur des coV-MAP :
venir de cesser de Vinf
être sur le point de finir de
être en train de commencer à
aller s’apprêter à
partir
rentrer de
25. coV-MAP ne pouvant porter sur des aux-VA :
*commencer à être sur le point de Vinf
*finir de être en train de
*cesser de venir de
*s’apprêter à aller
*partir
*rentrer de
26. Prédictions 2 :
- Seuls les coV-MAP sont récursifs (Laca 2005). Pour tout coV-MAP, il existe au moins
une sous-classe de coV-MAP susceptibles de le prendre dans leur portée, alors qu’un
aux-VA ne peut jamais être dans la portée d’un autre
- On peut découper un sous-procès à l’intérieur d’un autre sous-procès, alors qu’on ne
peut concevoir ce que serait une « visée portant sur une autre visée »
27. Exemples : coV-MAP portant sur des coV-MAP :
cesser de s’apprêter à Vinf
commencer à hésiter à
continuer de
s’apprêter à cesser de Vinf
hésiter à commencer à
continuer de
tarder à rentrer de Vinf
se hâter de partir
finir de
se précipiter à finir de Vinf
rentrer de
partir
28. Exemples : aux-VA ne pouvant porter sur des aux-VA :
*venir de être sur le point de Vinf
*aller être en train de
*être sur le point de venir de Vinf
être en train de
aller
29. Prédictions 3 :
Selon l’analyse de Kronning (1996, 2003), le rhème est le « domaine de la focalisation
stratificationnelle », c’est-à-dire que c’est le domaine dans lequel l’énonciation va pouvoir
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