Sénèque, Œdipe (agrégation). Cours de présentation (27/09/12) 1) Généralités sur le théâtre romain : T.S. Eliot dans un essai consacré au théâtre élisabethain écrit en 1927 ne reconnaissait pas à Rome le privilège d’avoir eu un théâtre digne de ce nom, privilège qu’il accordait à la Grèce, à l’Inde, au Japon, à la France ou à l’Angleterre. Rien n’est plus faux. Depuis la naissance du théâtre romain à partir de 240 avant notre ère jusqu’à son déclin il ne faut cesser de voir en lui une force vitale qui a joué un rôle énorme dans la transformation de la culture. Les Romains se sont intéressés à tous les genres théâtraux, la tragédie, la comédie, les pièces historiques, les pièces satiriques, l’atellane et les mime. La tragédie romaine (fabula, fabula crepidata, fabula cothurnata, tragoedia) tout comme sa consœur comique (fabula palliata) sont des genres inventifs qui romanisent et adaptent d’autre part des sujets empruntés à la tragédie classique de la Grèce attique (Ve siècle) et d’autre part des arguments hérités de la Comédie Nouvelle d’inspiration hellénistique. La question est de savoir si les Romains on innové en matière de res tragica (de sujet tragique). L'unique fabula praetexta qui est parvenue jusqu'à nous intacte est Octavia, traditionnellement attribuée à Sénèque, mais plus probablement due à un imitateur tardif. Il nous reste aussi des fragments d'œuvres composées par Ennius (Ambracia, Sabinae), Pacuvius (Paulus), Lucius Accius (Brutus et Decius ou Aeneadae) et Publius Pomponius Secundus, auquel on attribue l'Octavia. Le problème posé par l’innovation concernait l’éradication de la mythologie théâtrale des pièces prétextes lesquelles traitaient de préférence d’un événement contemporain. Mais il n’est pas à exclure que dans les tragédies romaines d’inspiration grecque il ne faille procéder à des lectures en sous-main. Il est bon de rappeler que le drame latin est un élément constituant de la vie politique et religieuse. Au cours de troisième et deuxième siècles av. n.-è. les ludi scenici incluent tous types de pièces, de la danse et de la musique. Ils viennent en renfort des célébrations dédiées à Magna Mater, Cérès, Flore ou Apollon ou bien ils accompagnent les triomphes ou les funérailles de hauts personnages. Cicéron rappelle dans De lege agraria (II, 71) que ce tribut du théâtre à la vie civique est un acte de dignitas malgré peut-être la stigmatisation que connaissent les acteurs qualifiés d’infames, bannis de l’armée, écartés de la carrière politique, éloignés de toute perspective matrimoniale avec des hommes ou des femmes libres et suspectés de prostitution. Il y a certes des cas particuliers tel Roscius qui aux temps de Sylla devint chevalier et était l’ami de Cicéron (Macrobe, Sat. III, 14, 11) mais Tertullien dans son De spectaculis résume bien le paradoxe : les Romains amant quos multant (22, 2). Parlons un peu du théâtre lui-même : le theatron grec est un lieu circulaire, un lieu du voir, dans la mesure où c’est en regardant le masque de l’acteur qu’on sait qui parle : un roi, un confident, un messager… La scaena du théâtre latin est différente : c’est un mur de scène décoré en trompe l’œil, une façade illusoire . La skéné du théâtre grecque constituait une arrière-scène qui dans le théâtre romain ne tenait plus lieu que de coulisses (cf. illustrations ci-dessous). théâtre grec théâtre romain Le code de transfert apparaîtra plus clairement exemple, celui de la plus célèbre des tragédies à partir grecques d'un Œdipe roi, traduite par Sénèque sous le titre Œdipe. La tâche était d'autant difficile qu'il s'agit d'un mythe culturellement explore une réalité l'ostracisme, absente cette éphémère expulser sans jugement simplement à Rome et inconnue institution athénienne un citoyen suspect d'aspirer condamné Ce qui explique intraduisible, par l'opinion peut-être plus car il des Romains, consistant à à la tyrannie, publique lors d'un vote secret1, qu'il y eut peu d'Œdipe sur les scènes romaines, à la différence des Médée et des Atrée. 2) Le problème de la romanisation des arguments grecs : l’exemple d’Œdipe. L'argument, brièvement fabula. On retrouve l'histoire Corinthe, résumé, est le même, naturellement, c'est la sous les mêmes noms, dans les mêmes lieux, de ce roi de Thèbes, qui se croyait étranger et citoyen de mais qui découvre à l'occasion d'une Peste ravageant sa ville, qu'il a tué jadis son père, le précédent roi de Thèbes, Laïos, et épousé sa veuve, Jocaste dont il était le fils. Sa mère se suicide, luimême quitte la ville après s'être crevé les yeux. De quoi 1 Cette institution aura cours entre 488 et 417. parle la tragédie de Sophocle 2 ? Du moins pour les Athéniens l'histoire d'Œdipe est d'abord pieux, respecté de son peuple moments précipité du Ve siècle, celle d'une chute. Un roi juste et et sûr de lui, se trouve en quelques dans le malheur. Entre temps, il s'est conduit en tyran, a découvert qu'il est parricide, incestueux et qu'il est à l'origine de la désolation une souillure qui ravage son peuple. Il doit admettre qu'il est - miasma - et pour que plus personne ne se trompe sur sa nature, il se fait le visage de son abomination et prend le masque de son aveuglement, termes en se crevant les yeux. Cette analyse du récit en moraux ne rend compte rien du mythe qu'est toute Puisque performance toute que d'un aspect du texte et ne traduit tragédie athénienne du Ve· siècle. mythique explore un point particulier de la culture présente du public par une fiction, quelle est, en quelques mots, cette fiction dans Œdipe roi? Et quel est, en quelques mots aussi, l'objet exploré par cette fiction? Commençons au départ la tragédie d'Œdipe roi c'est la présence cachée parmi les hommes, c'est-à-dire les hommes homme par la fiction. civilisés, Ce que pose d'un être sauvage à forme loup. Si cet être sauvage passe inaperçu, humaine, d'un c'est qu'il a reçu l'éducation d'un Grec policé, et qu'il est en tout point semblable à un homme civilisé. Cet être hybride est Œdipe. consiste Sa part de sauvagerie dans le fait qu'il n'est pas intégré généalogique mais appartient une des caractéristiques au temps humain au temps confus des animaux. En Grèce de l'homme, associée à la pratique du sacrifice, est qu'il est père de famille : il connaît le nom de son père et de sa mère, et de tous ses ascendants en remontant possible, à son tour il a des fils qui se souviendront rappelleront son nom aux autres hommes construction du temps générations et leur mémoire 2 le plus loin historique grâce de lui et quand il sera mort. Cette à la succession suppose une reproduction maîtrisée des par Tout ce qui suit résume Vernant et Vidal-Naquet. Voir notamment « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe roi » in Vernant, Œuvres complètes, Paris, Seuil… le mariage. À la différence des hommes, les animaux ne se marient pas mais font des petits n'importe de leurs « hommes avec n'importe parents» car ils ne les connaissent est ainsi intermédiaire des animaux. dieux, comment, pas. Le temps des entre le temps des dieux et celui Sans être immortels ils s'arrachent lequel eux-mêmes, à la mortalité comme et au présent le sont les éphémère des animaux, grâce à la mémoire de leurs descendants. Être un homme, c'est donc savoir qui est son père et sa mère, l'ignorer bête sauvage privée de descendance humaine, c'est être une un parricide et un incestueux potentiels. Œdipe à sa naissance est voué à la sauvagerie. Un oracle prédit qu'il tuera son père et épousera sa mère. Ce qui n'est pas un destin attaché à sa personne, mais une façon de dire qu'il doit être rejeté dans la sauvagerie ou être tué. Œdipe marque est né homme-loup sur son corps : ses pieds gonflés, Malheureusement dans la montagne, Ensuite son nom. au lieu de le à un serviteur d'exposer le nouveau-né ce qui est après .tout une façon de le rendre à auquel il appartient, de l'oracle. qui lui donnent les erreurs vont se succéder. D'abord, faire mourir, sa mère ordonne l'espace et il en porte la de reproduire le serviteur en gestes les paroles au lieu de l'abandonner féroces, le confie à un berger du roi de Corinthe. et le donne à la reine Mérope Celui-ci le soigne qui va l'élever comme son fils, car elle est stérile. Voilà Œdipe exactement à la place d'où il a été chassé : fils de roi. Cette improbable aux bêtes réintégrant et vraisemblable l'humanité pourtant, et se retrouvant histoire car elle suppose une succession de coïncidences, est donc la fiction de départ qui permet de créer un « sauvage civilisé ». De hasard mythe en hasard, l'histoire et sans qu'il faille y chercher se construit indispensable une philosophie du destin. au Il fallait que ce sauvage civilisé tuât son père et épousât sa mère afin que sa nature d'homme-loup jamais révélé. Donc apparût, Œdipe sinon le scandale ne se serait tue son père Laïos à un carrefour de chemins, sans le savoir, et parce que c'était dans sa nature. Le combat a lieu dans le désert, loin de toute civilisation, Puis Œdipe redescend un combat légitime. vers les villes et épouse la veuve de Laïos, sans savoir qu'elle est sa mère, pour devenir roi de Thèbes, ambition légitime quand on est fils de roi. Là débutent le mythe d'Œdipe roi et la tragédie de Sophocle, qui va exploiter à sa façon cette fiction parce qu'une n'acceptent de départ. peste ravage Thèbes. La dualité Ce loimos montre pas la présence sur le sol qu'ils protègent, d'un groupe humain de l'humanité, que les dieux la cité de Thèbes, parmi lequel certains ne respectent pas les règles souillant ainsi leurs concitoyens. La vie s'est arrêtée, le pays est frappé d'une stérilité générale: les brebis du roi éclata sont stériles, Devant le blé sèche avant d'être mûr, les femmes de telles situations, accouchent les Grecs de morts-nés. ont un recours, consulter Apollon. Ce que fait le roi de Thèbes en envoyant Créon à Delphes. dénonce Apollon à l'origine du miasma, la souillure, le meurtrier de Laïos, présent sur le sol de Thèbes. C'est alors que commence l'enquête fera se rejoindre l'enfant-loup et le bon roi de Thèbes. Un dernier effort à ne pas savoir, et voici qu'Œdipe se transforme en pour continuer tyran: qui durera toute la tragédie, et il repousse tous ceux qui l'accusent dénonce un complot politique visant du meurtre de Laïos et à lui prendre son trône. Il jette Créon en prison, et chasse le devin Tirésias du palais. Mais il ne peut pas s'opposer Jocaste, longtemps le berger à la marée des témoignages: sa femme de Corinthe, le serviteurs de Thèbes, tous l'accusent. Alors Œdipe qui se reconnaît qu'il est, un sujet d'opprobre crimes n'y change souillé sa cité, rituellement rien; homme-loup, se fait le visage de ce et de dégoût. Qu'il n'ait jamais voulu ses homme-loup car il est une caché parmi les hommes, souillure. de la ville afin de la purifier. Il faut qu'il soit Cette expulsion il a chassé n'est pas un châtiment, mais la seule issue religieuse pour Thèbes qui, sinon, mourra de la peste. Quel rapport contemporains maintenant de Sophocle? ont montré Vernant comparée entre ce drame d'Œdipe Pierre Vidal-Naquet que l'expulsion à l'institution et la culture des et Jean- Pierre finale d'Œdipe de l'ostracisme, elle-même pouvait être comparable au rituel archaïque qui avait lieu à Athènes le premier jour de la fête des Thargélies. On expulsait pour prévenir pharmakoi, deux hommes, sortes après les avoir promenés de boucs-émissaires, renouveau souillure tout risque de loimos deux afin de purifier la cité du printemps. La tragédie établit une corrélation expulsée sous forme de pharmakos l'ostracisme, en créant ce personnage roi et miasma, en passant Ostraciser à travers la ville, une des significations culturelles Athéniens. du tyran. à l'avance contre un danger mythique possibles Le tyran est comme entre la qui est à la fois bon donc par l'étape intermédiaire de loimos. Voilà où mène l'exploration le lors des Thargélies et d'Œdipe les meilleurs, c'est se garantir avant d'Œdipe roi révélant de l'ostracisme un homme-loup pour les caché dans un homme civilisé qui ne sait pas lui-même qui il est. Que pouvaient faire les Romains d'un tel mythe ? Dans une cité qui ignore la démocratie, émissaire l'ostracisme et 1'expulsion rituelle du bouc- Œdipe roi est inintelligible. Il devait 1'être aussi pour les Alexandrins et tous ceux qui n'étaient pas des Athéniens commencer par Aristote. Reste 1'interprétation du philosophe du Ve siècle, à morale, qui est celle dans la Poétique, le mythe d' Œdipe roi est le drame de 1'homme foudroyé, du meilleur qui devient le pire. Rien ne pouvait être conservé par les Romains roi aux temps de Sophocle, morale d'Aristote, d'édification. de ce qui faisait le sens d' Œdipe mais rien non plus de l'interprétation car la tragédie romaine n'est pas un instrument La tragédie de Sénèque nous offre l'exemple d'une appropriation Œdipe est possible de cette histoire tragique par les scènes romaines. une succession Œdipe de tableaux qui culmine à la dernière scène : aveugle, les orbites dégoulinantes de sang, avance en titubant cherchant seul la sortie de la ville, craignant à chaque pas de heurter du pied le corps gisant de sa femme Jocaste qui vient de se suicider à côté de lui. À cette vision finale d'horreur, scène de douleur. Œdipe seul est tremblant déjà sans que personne comment correspondait une première et écrasé de peur, il sait ne lui ait rien dit et sans savoir précisément il le sait, qu'il est coupable de la Peste de Thèbes. Jocaste surgit ensuite pour lui reprocher et d'un homme. indigne d'un roi Entre les deux tableaux du début et de la fin, la en assurance. Œdipe peur s'est transformée enfin lui-même, ce comportement le parricide devenir depuis toujours. et l'incestueux, Chronique ne doute plus, il est le monstre qu'il devait annoncé : Œdipe d'un monstre répugne à être un héros tragique. Trois tableaux directement consultation terrifiants rythment issus de la culture romaine: des entrailles sacrifiés, l'évocation son enquête sur lui-même, la consultation de la Pythie, la par un haruspice de deux des morts. L'haruspicine appartient romaine, les deux autres formes de divination animaux à la religion à la tradition poétique. Ensuite Œdipe sera reconnu par le serviteur qui accompagnait Laïos et une seconde fois, par le berger qui l'avait donné à Mérope. Cinq scènes où Œdipe se retrouve face à des miroirs qui lui renvoient la même image de lui-même qu'il refuse. Jusqu'à propre visage en s'arrachant les yeux avec ses ongles. On peut résumer la tragédie d' Œdipe comme tableaux qui détaillent les contorsions qui se trouve au moment ce qu'il sculpte son une succession de d'un homme qui se cherche et où il adopte enfin ce corps de monstre qui lui était promis. Ses pas hasardeux sont ceux de son nom, il retourne au Cithéron qu'il n'aurait jamais du quitter. Mais dans 1'intervalle il est devenu Œdipe le bien nommé, le monstre de la légende. Le spectacle d'une métamorphose d'un homme en monstre, c'est ce que devient toute tragédie grecque naturalisée romaine par le tissage de la traduction. La chaîne latine est le spectacle ludique - la musique, la danse, les jeux avec les mots - la trame grecque est 1'histoire. 3) Senecae Vita : quelques jalons. Issu d'une famille de colons romains installés depuis longtemps en Espagne, à Cordoue, les modernes L. Annaeus appellent, Seneca était le fils de celui que abusivement, nous avons déjà rencontré. Nous Sénèque ignorons naissance, qui eut lieu, vraisemblablement, le Rhéteur!', et que la date exacte de sa en 1 av. J.-C. Il naquit à Cordoue mais vint de très bonne heure à Rome. Encore petit, il fit le voyage, nous dit-il, dans les bras de sa tante, la sœur de sa mère, Helvie". Il eut deux frères, Novatus, qui était son aîné, et Mela, son cadet. C'est équestre, donc à Rome ce qui signifiait qu'il fut élevé. La famille était de rang que le jeune Sénèque souhaitait, faire une carrière sénatoriale. traditionnelle, rhéteurs, leçons que dispensaient mais, peut-être d'abord pouvait, s'il le A Rome il reçut l'éducation le grammairien, ensuite les par choix personnel, il s'attacha à suivre les des philosophes, et, en particulier, celles de Sotion, un Alexandrin qui professait une doctrine inspirée par le pythagorisme. fut, pour le jeune d'enthousiasme son maître, Sénèque, vers sa seizième année, mystique. Suivant Ce une période en toute chose les préceptes de il s'astreignit à mener une vie ascétique, se refusant tout confort, s'abstenant de viande, non sans dommage pour sa santé. Sur le conseil de son père, il consentit à mener une vie plus humaine changea de maître. Il devint alors le disciple d'un stoïcien, Attale, dont l'enseignement moins (c et nommé exerça sur lui une influence profonde, affective» que celle de Sotion et de caractère beaucoup plus intellectuel. Aux environs été toujours de sa vingtième année, Sénèque, fragile, tomba réellement l'envoyer en Égypte, où le mari préfet. Il devait y rester jusqu'en à Rome, quelques permit mois avant de connaître et lui donna 31, lorsque la chute questure et l'obtient 37-38. C'est commence Galerius de Séjan. « mondaine» Il brigue la de la plèbe, en Il est un et compte parmi les familiers des sœurs de Caligula Livilla et Drusilla. (à la mode égyptienne) acheva de troubler commença appelée à de son existence. épouse Agrippine sœur considérée et Livilla furent fut menacée. pendant égyptiennes une carrière sénatoriale. en 38 et cette mort d'une C'est lui impériale sous Néron. A son retour mourut Sénèque fut rappelé des traditions (empereur depuis mars 37), Agrippine, empereur. était Ce séjour (en 34 ou 35), puis le tribunat la période orateur renommé C. Galerius, directe d'une civilisation jouer un grand rôle dans l'idéologie Sénèque Sa famille décida de de sa tante, quelques aspects une expérience d'Égypte, malade. dont la santé avait cette envoyées Mais il échappa période à faire œuvre d'écrivain, traités relatifs à des questions forme du monde, comme une l'esprit du jeune en exil. La vie de à la jalousie (peut-être Drusilla de Caligula. déjà sous Tibère) rédigeant relevant de l'histoire d'abord qu'il de petits naturelle (Sur la Sur la position et les rites des Égyptiens, Sur la position de l'Inde, Sur la nature des pierres, Sur la nature des poissons, Sur les tremblements les futures de terre (De motu Recherches de la Nature, rédigées dans l'une des préfaces choses de l'univers bassesses de la terre. dans dans physique (l'étude suivre l'exemple Dès ce moment, recherche en 62. Il dira lui-même, hiérarchie les parties il accepte entre les choses basses l'idée, de divines, l'univers. du Portique systématique aux qui se qui se En plaçant la de la natura) en tête de sa recherche, des docteurs des formulée purement matérielles, Panétius et Posidonius. Tout se passe comme une annoncent aux Quaestiones naturales, que l'étude le ciel, et les choses trouvent qui arrache son esprit a sordidis, c'est-à-dire déjà par Platon, d'une trouvent terrarum), il ne fait que et, plus particulièrement, si Sénèque concernant la «machine» entreprenait du monde et n'abordait durant que, pas encore les problèmes la même comme période (hiver philosophe de la vie intérieure. Mais, 39-40), (car il se veut conseiller ses amis. Aussi, lorsqu'une laquelle il était en relation, Sénèque n'oublie pas tel), il lui appartient grande dame, perdit brusquement Marcia, de avec son fils, il lui écrivit une longue Consolation, que nous avons conservée, et dans laquelle il recourt à des arguments venant de toutes les écoles, et non du seul stoïcisme!". subordonnera Il est évident, toujours dès ce moment, l'exactitude que Sénèque doctrinale à l'efficacité morale. Lorsque Quintilien, près d'un siècle plus tard, passera en revue écrivains latins qui ont composé reprochera à Sénèque des ouvrages (entre autres défauts) peu exact (parum diligens) en matière d'avoir sacrifié l'érudition, A l'avènement de furent rappelées à Rome. butte aux attaques Claude. et désigna (janvier 41), que ne lui ménagea perdre de s'être montré trop Agrippine et Livilla ne tarda pas à être en pas Messaline, l'épouse Livilla. Elle l'accusa Sénèque comme son complice. Claude fut relégué en Corse, à l'automne il à l'éloquence qui persuade. Mais la seconde Messaline voulait philosophiques, de philosophie!", c'est-à-dire qui instruit, Claude les de d'adultère la crut et Sénèque de 41, tandis que Livilla était, elle, frappée de la peine, plus grave, de l'exil. Pendant le printemps et l'été de 41, Sénèque avait composé un traité, en trois livres, Sur la colère (De ira). Il y parle en stoïcien. Les arguments présentés, sont la psychologie sur laquelle empruntés le plus souvent à la doctrine que cet ouvrage laisse transparaître de proposer au prince un modèle garde contre la colère de Caligula. se défendit moins Claude d'être Sénèque, femme. Durant du Portique. une intention vice qui avait à la colère, obéissant, comme son séjour Mais il est clair nouvelle, qui est de politique, en le mettant ensanglanté ne fut pas sans entendre enclin ils reposent en Corse, Sénèque le principat la leçon, puisqu'il mais il n'en de coutume, en éloigna pas aux ordres de sa composa deux consolations, une adressée à sa mère Helvie, une autre à Polybe, un affranchi de Claude. La première développe le thème stoïcien par excellence, que l'exil n'est pas un mal, le seul mal étant le mal moral. Helvie ne doit donc pas se sentir malheureuse parce que son fils est contraint de vivre loin de Rome. La Consolation à Polybe s'adresse à un affranchi en prend de Claude prétexte demander qui vient de perdre pour invoquer qu'il use de clémence envers revenir à Rome. Ce véritable peu honorable pour son auteur. son frère. Sénèque Claude lui-même et lui lui, qu'il lui permette placet a été souvent considéré comme En fait, Sénèque prend position sur l'usage du pouvoir et cette Consolation est un manifeste politique les principes de trouveront leur application lorsque Sénèque, mort de Messaline (fin de l'été 48) et le mariage Agrippine, sera rappelé de son exil et entrera prince, en même temps qu'il est préteur dont après la de Claude avec dans les conseils du désigné (printemps 49). Il écrit alors le traité Sur la brièveté de la vie (De breuitate vitae), adressé à son beau-père Paulinus, dont il a épousé la fille, Paulina, que nous ignorons Sénèque (probable- ment avant l'exil). Dans ce « dialogue », fait l'éloge de l'otium, ou du moins montre ne pas permettre à une date que l'être intérieur la nécessité de soit envahi par les « occupations » qui finissent par l'étouffer. Protégé par jeune Néron Agrippine, (né en 37)3. Sénèque Il a pour devient le « précepteur » allié, à la cour, du Sex. Afranius Très jeune, Néron fut l’enfant chéri de deux pédagogues : Anicétus et Beryllus, des affranchis. Ils firent tous deux offices de litteratores auprès du prince, lui donnant le goût de la littérature, des langues grecque et latine, l’initiant aux mathématiques et à la poésie (voir Suétone, Nero, 52, 1). Après avoir étudié sous la férule de Chaerémon, un prêtre égyptien gagné au stoïcisme, qui lui inculqua la grammaire, c’est-à-dire l’herméneutique des textes, il reçut dès 49, conformément aux vœux d’Agrippine, les leçons de Sénèque. Ce dernier le forma aux rhétoriques néo-asianistes en vogue à l’époque, qui opposaient leur brillance à la tempérance oratoire des rhéteurs atticistes. Naturellement, cet apprentissage était une propédeutique cachée. Derrière l’exercice de persuasion ou de plaisir incarné dans l’écriture d’une suasoire ou d’une controverse, se dissimulaient des préceptes de politologie et de tropologie : cette éducation par le Verbe avait pour dessein de former les âmes et de façonner un prince philosophe. Quoi qu’il en fût, cet idéal ne put trouver dans un surmoi faible (famille mutilée, hypocrisie et sévérité injustifiée) un terrain d’ancrage. L’homme de culture préférait le vertige de la parole au pragmatisme politique. Comme le rappelle Tacite, il ne mit pas longtemps, une fois installé sur le trône, à donner libre cours à ses penchants : graver, peindre, chanter, dompter les chevaux et surtout écrire des vers (Annales, XIII, 3, 7). Au 3 Burrus, préfet du prétoire. réalise. Un « proche du prince. tranquillitate analysant permet du moins très Sénèque écrit alors le dialogue Sur la sérénité (De en 53 ou 54), inspiré les conditions Sénèque par un traité de Panétius qui permettent est parvenu à la fois d'agir conserver que le vieux rêve se philosophe Il est sinon au pouvoir, animi, angoisses. On peut espérer à l'âme à un équilibre intérieur dans le domaine son autonomie de dominer morale. ses qui lui de la vie politique et de Philosophie et politique ne sont pas inconciliables. A ce moment survient la mort de Claude (octobre 54). Son successeur ne saurait être que Néron, le fils d'Agrippine, adopté par Claude, au détriment de Britannicus, le fils qu'il avait eu de Messaline. Pour cela, il faut discréditer Sénèque s'y emploie dans (Transformation (divinisation) sénateurs. pamphlet, en citrouille), qui tourne du prince Sa tyrannie verra le retour un défunt. la constance jeune du Sage ami, Annaeus et supporte etc. C'était l'Apocoloquintose dérision Sénèque le nouveau (De Serenus, mal les attaques publie manifeste prince, constantia deux traités, et le dialogue sapientis), qui commence des dissertations Cependant adressé théoriques la situation lui suscite des ennemis, Claude, s'acharne Sur à un une carrière politique dont il est l'objet de la part de rivaux, à ce même Serenus que, un an plus tôt, Sénèque avec des événements le De politique, discours le dialogue Sur la sérénité. On voit que ces ouvrages direct l'apothéose Claude avait fait mettre à mort des clementia (Sur la clémence), véritable pour en de Claude. ne sera pas recommencée. Le règne de Néron de l'âge d'or. programme la mémoire et des situations adressait sont en rapport réels et nullement sur des points de doctrine. de Sénèque, et l'un d'eux, en ce début du règne de Néron, Suillius, autrefois contre lui. Pour répondre à ses attaques, proche de Sénèque écrit un traité De la vie heureuse (De vita beata, en 58). Il y montre début, ce fut Sénèque qui fut chargé d’écrire les discours de Néron. Après l’éviction du philosophe, le prince ne renâcla pas à une semblable tâche (Suétone, 47, 2). que les « biens de fortune 1), ce que les stoïciens préférables), ne concernent jamais vrai, en particulier, pas l'âme, Quant pour la richesse, jouit peuvent Agrippine mère Cela est qui, en elle-même, ne détruit devient pas que les avantages lui être brusquement pas l'esclave. matériels le fils docile qu'il était. Il est tombé sous l'influence de Néron déclencher menaça d'en et Poppée appeler mettre devint vite aigu. La aux prétoriens fin aux jours d'Agrippine. Burrus furent placés devant le fait accompli. accord (mars 59). Sénèque s'éloigne peu à peu de l'action Ils durent politique. sociologie de la richesse et, plus généralement, de la générosité et du bienfait, mais dans l'ensemble non seulement de la création. 62) Burrus meurt. incertaine. Il écrit alors un traité témoigne La situation de son détachement les circonstances rendent exemple. à Serenus. au précepte, Il écrit un long dont (printemps de est de plus en plus action impossible, il reste la « philosophiquement », elle acquiert demande à Néron n'apparaît la des trois dialogues incomplet. Joignant l'acte la permission de se retirer. plus que rarement à la cour. Il commence la des Questions naturelles et entretient une correspondance quasi quotidienne, avec son ami de toujours, il devient ainsi, en quelque Cette correspondance montre jour véritable sur le plan humain Comme au temps de l'exil, il se consacre à l'étude. rédaction une à l'égard de la vie publique. Lorsque Il nous est parvenu refuse. Sénèque leur Sur le temps à soi (De otio), qui Le De otio est le dernier Sénèque donner et une théorie générale A ce moment de Sénèque toute Si elle est vécue valeur d'un assidue, et de Sénèque traité Sur les bienfaits (De beneficiis), qui propose retraite. de une guerre civile. Pour éviter celle-ci, un seul moyen sembla possible: Néron dont il enlevés. Néron n'est plus pour Le conflit entre Agrippine adressés des « être extérieur. si l'on sait en user, si l'on n'en à lui, il n'ignore Poppée. que notre appellent après jour, quelles que sorte, le directeur comment soient Lucilius, de conscience. le stoïcisme peut être vécu, les péripéties de l'existence. Sénèque développe cette idée, comme Correspondance, providentia), divine, dans un une sorte d'annexe « dialogue » Sur la Providence dédié à Lucilius : l'univers dont les valeurs diffèrent l'opinion. Les « malheurs» entre (De est régi par une « raison » de celles qui sont propres apparents qui frappent pas de vrais maux, mais des épreuves Lucilius écrites à la à le Sage ne sont pour son âme. Les Lettres à 62 et 64, ne nous partie (jusqu'à la lettre 124). Avant sa mort, des ouvrages perdus sont parvenues Sénèque qu'en écrivit encore ou dont nous ne possédons que des fragments, des (1 Livres de philosophie morale» (Moralis Philosophiae libn), qui traitaient deux d'une autres des trois parties étant de la philosophie (l'éthique), la physique (dont il avait traité Questions naturelles) et la dialectique (la Logique) consacré d'ouvrage De superstitione, l'homme particulier. qui semble et le divin. Nous avoir Il critiquait croyances et des pratiques aussi le titre d'un sur les rapports sévèrement de la religion dans les à laquelle il n'a pas connaissons porté les entre la plupart (politique). des Il n'admet théologie « naturelle », celle des philosophes. Telle est l'œuvre qu'une philosophique de Sénèque, développée au cours de ses expériences politiques et morales. Dans la retraite où il vivait depuis 62, Sénèque finit par apparaître probable comme que les conjurés le comptaient dans leur un reproche qui avaient nombre. vivant projeté Lorsque découverte, l'empereur lui envoya l'ordre de mourir à Néron. d'abattre Il est le tyran la conjuration fut (19 avril 65). La trajectoire de Sénèque est tout à fait exceptionnelle. Ce riche citoyen romain d’Andalousie força les portes de Rome, parvint jusqu’au Sénat et même jusqu’au consulat. Il s’étonna un jour de la fulgurance de son ascension, comme le rappelle Tacite (Annales, XIV, 53). Il faut rappeler que son père appartenait à l’élite municipale de Cordoue et sa mère à une famille de notables d’une bourgade voisine. Vers l’an 1 de notre ère, Sénèque naquit à Cordoue même, qui était cité romaine depuis un siècle et demi. Il n’y demeura pas très longtemps car son père, féru de culture romaine, brûla de regagner la métropole. Il se passionna pour l’art oratoire et son aptitude aux controverses, genres littéraires en vogue, vite devenus une sorte de jeu de société culturel et humoristique, le fit reconnaître par la plus haute noblesse gouvernante de Rome. Mais il ne fit jamais de politique par crainte sans doute des périls qui sont toujours indissociables des honneurs (Controverses, II, préf. 3-4). Ses deux fils, Gallion et Lucius Annaeus ne suivraient pas son exemple : tous deux se suicideraient en 65 sur l’ordre de Néron. Sénèque le Père n’avait pas une grande estime pour les talents de Lucius Annaeus. Le débat qui avait opposé au IVe siècle Socrate aux sophistes fut ici symboliquement réactivé dans les relations qu’il entretenait avec son fils : le premier croyait en la condensation des mots, en leur parade d’ingéniosité, le second en la gravité de la pensée et en son intériorité. Désireux de la convertir, le rhéteur envoya son fils étudier sous la férule d’un habile orateur. Mais ce dernier tourna mal : il devint philosophe et tenta de mettre ses paroles en accord avec sa conduite. Le jeune Sénèque fut fasciné par cet Attalos dont il dresse un portrait vibrant dans la lettre 108. Et il se convertit au stoïcisme avec une force d’âme et une rigueur morale admirables. Que fit-il ensuite, de vingt à trente-cinq ans ? Nous l’ignorons. Il est certain néanmoins qu’il apprit les arcanes de ce « système » au fil d’une lecture patiente et appliquée des textes grecs. En un mot, il devint un « philosophe », un membre du Stoa (c’est-à-dire du Portique) et de sa secte. Son œuvre la plus ancienne fut la Consolation à Marcia : avec un ton d’homme mûr qui a beaucoup vécu, Sénèque s’adressait à une grande dame pour l’exhorter à la lucidité. En quoi résidait l’activité d’un philosophe ? C’était un homme philosophiquement reclus dans sa vie intérieure et dans son comportement, et qui affichait une singulière conviction. Mais cette solitude ne satisfaisait pas totalement Sénèque. Il désira la carrière publique ; il encourut cette mauvaise réputation qui est la rançon de la gloire ; il faut aussi préciser que Sénèque eut le courage d’imposer à ses concitoyens une conception spéculative, utopique de la politique qui malmenait leur pragmatisme invétéré .Carrière tardive donc que celle de cet homme dont la conversation piquante séduisait tant les princesses et notamment les trois sœurs de Caligula, femmes hardies et peu farouches ; mais carrière catastrophique : ce n’est pas de Caligula, ce fou à lier, que vint le danger, mais après la mort du tyran, de Claude, son héritier. Sénèque, accusé d’adultère avec une sœur d’Agrippine, méritait la peine capitale, mais celle-ci fut commuée en extradition. Il débarqua donc dans une île inhospitalière et sauvage : la Corse, et y demeura huit ans. Il eut beau s’y passionner d’ethnographie et de botanique, il y dépérit. De retour à Rome, il devint le citoyen le plus célèbre de son temps. A la fin du règne de Claude et au début de celui de Néron, il mena de front bien des activités : publier une œuvre importante, se faire l’apôtre de sa secte, accroître son immense fortune moins par cupidité que par un sens inné des affaires. Sénèque faisait l’actualité littéraire. Rue de l’Argilète, chez les libraires sur les tréteaux desquels étaient exposées les dernières parutions, on achetait la Constance du sage ou la Tranquillité de l’âme : le philosophe y exposait ses relations avec un haut fonctionnaire dont il était le directeur spirituel. Sénèque fut sans doute la chance de Néron et Néron une aubaine pour le philosophe. Il faut rappeler que la vie de ce dernier se déroula sous quatre empereurs successifs : Tibère, Caligula, Claude et Néron, dont au moins d’entre d’eux voulurent purger le sénat romain par des meurtres judiciaires. Que le régime impérial ait été tout le contraire d’un état de droit et qu’une psychose de culpabilité s’y soit donné libre cours justifiant purges et relégations au sein du petit univers sénatorial, Sénèque ne l’ignorait point ; de fait lorsque Néron vint sur le trône il pensa sincèrement que ce jeune prince éclairé mettrait un terme à cette spirale de la vindicte et du soupçon. Il le fit pendant quelques temps et n’oublia pas de combler au passage son maître d’une fortune qui s’ajoutait à un patrimoine colossal. Soixante quinze millions de deniers : ceci équivaut au cinquième des revenus de l’Etat romain. L’opulence faisait-elle bon ménage avec la philosophie ? Sénèque trouvait très délectable de cultiver richesse et méditation et il mettait un point d’honneur à les justifier dialectiquement. Cet art du consensus était sous-tendu par une morale de la sincérité qui visait à la simplification du moi. A quoi bon le partage des consciences, la schizophrénie cynique et la prétendue adéquation de l’indigence et de la pensée ? Sénèque ne fut jamais un maximaliste, sauf pour son suicide. Riche, il était aussi sénateur, mais d’une race particulière : c’était un intellectuel au pouvoir. La morgue des gouvernants lui était étrangère et il cultivait la figure paradoxale d’une « mollesse énergique ». C’est que la philosophie allait avec lui toujours en premier. Les convictions politiques s’y devaient plier, ce qui faisait de lui un anti-Cicéron. Pour ce dernier, en effet, la philosophie était la résultante de la praxis politique, elle corroborait une activité empirique ; pour l’autre, la politique n’était qu’une application comme une autre d’un système immuable, rétif aux complaisances et aux manœuvres. En 54, à la mort de Claude, tandis qu’un jeune prince de dix-sept ans prenait le pouvoir, Sénèque crut qu’il pourrait changer le cours de l’histoire. L’opinion le supposait tout puissant et ce qui sortait de sa plume passait pour une émanation de la pensée du prince. Deux ans plus tard donc, il publia un De clementia dédié à Néron : il y développait l’utopie d’un pacte politique qui liquiderait les malentendus du passé et qui refonderait le césarisme sur des bases plus saines. Au cours des neuf ans qu’il lui restait à vivre, il allait être le témoin d’abord satisfait de voir se réaliser ses projets, puis tour à tour alerté, déçu et amer. L’éducation du prince fondée sur la concorde le céderait au fléau de l’imprévisibilité. Sénèque ne tarda donc pas à voir son influence diminuer jusqu’au jour où il offrit au prince de se retirer. Mais même reclus dans sa villa de province, il représentait encore pour le pouvoir un danger idéologique ; sa présence lointaine dérangeait une politique sans scrupules. Profitant de la conspiration de Pison, Néron intima à son vieux maître l’ordre de se suicider : ce qu’il fit en 65. Deux ans auparavant, le philosophe commença à écrire ses Lettres à Lucilius qui justifiaient assez clairement les raisons de sa retraite. Conscient de la logique irréversible de sa propre disgrâce, il y expérimentait l’apprentissage d’une sécurité mentale qui le préparait au pire. Seule la philosophie sait mettre entre nous et l’adversité une borne suffisante pour nous permettre de ne pas présager de l’avenir dans la crainte et dans l’apraxie.