LE TEMPS DES DEMOCRATIES POPULAIRES
Les pays de l’Europe de l’Est ont connu un destin très différent de leurs voisins
occidentaux : au lieu d’une américanisation plutôt douce et limitée surtout au domaine
culturel, ces pays ont subi une soviétisation forcée et brutale. L’URSS a importé et imposé à
ces pays de l’Est un système politique, économique et idéologique.
Les démocraties populaires sont de véritables Etats satellites de l’URSS puisqu’ils ont
perdu toute indépendance. Elles se mettent rapidement en place après 1945 du fait de la
présence des Soviétiques sur une large partie de l’Europe orientale. 8 pays sont concernés:
Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Yougoslavie, Albanie, Tchécoslovaquie, Pologne et partie
orientale de l’Allemagne ne devenant RDA qu’en 1949.
Le terme de « démocratie populaire » est inauguré par Jdanov à partir de 1947 pour
désigner un nouveau type de gime s’opposant à la « démocratie bourgeoise ». Ces
démocraties sont de véritables dictatures et n’ont de démocratie que le nom.
Chaque démocratie populaire avait avant la satellisation des traditions politiques et
culturelles variées, mais malgré ces contrastes, un système aussi uniforme que possible va
s’imposer. Chaque Etat va cependant connaître des évolutions et des contestations différentes.
Comment l’URSS a-t-elle ussi à imposer le système durable des démocraties
populaires et quelle est la nature de ces régimes ?
Pourquoi ces démocraties ont-elles disparu aussi rapidement ?
I- LA SOVIETISATION DE L’EUROPE DE L’EST (1945-1953)
A- LA PRISE DE POUVOIR PAR L’URSS ET LES PARTIS COMMUNISTES
1- La forte influence des communistes
En 1945, l’Armée Rouge occupe la majorité de l’Europe de l’Est, à l’exception de la
Yougoslavie et de l’Albanie ce sont cependant des partisans communistes qui ont libéré le
territoire et qui ont pris le pouvoir. Staline voit alors l’occasion d’établir un glacis (talus)
protecteur de plusieurs territoires pour protéger l’URSS. L’intérêt est en fait double :
stratégique (peur d’une invasion par l’Ouest) et économique (exploiter des richesses après
l’effort de guerre considérable de l’URSS).
Staline encourage dans un 1er temps la formation de gouvernements de coalitions
appelés « Unions nationales » ou « Fronts nationaux » : ce sont des gouvernements regroupant
plusieurs partis politiques (libéraux, sociaux démocrates…) dans lesquels toutefois les
communistes jouent un rôle de premier plan sous le contrôle de Moscou (Les communistes
occupent d’ailleurs souvent une place démesurée par rapport à leur influence réelle dans la
société). Les communistes occupent des postes clés (l’Intérieur, la Justice, la Police,
l’Armée…) et donc contrôlent les élections, noyautent l’administration et préparent
l’élimination progressive de toute opposition.
Il y a néanmoins au début une apparence de démocratie. Les opinions publiques sont
en outre au début favorables (dans l’ensemble) aux 1ères mesures établies afin de relancer
l’économie marquée par les pillages nazis : nationalisations (de même en France et au
Royaume-Uni), réformes agraires (partage des terres en faveur des petits paysans),
instauration d’assurances-maladie, retraites, congés pas… Les communistes se débarrassent
ainsi d’ennemis potentiels : capitalistes et grands propriétaires terriens.
2- La prise de pouvoir par la force à partir de 1947
Les débuts de la Guerre froide conduisent à une radicalisation de la conquête du
pouvoir. Le contrôle de l’URSS sur les partis communistes se renforce avec la création du
Kominform (bureau d’information communiste rassemblant les PC d’Europe de l’Est et ceux
de l’Italie et de la France). Staline contraint la Tchécoslovaquie et la Pologne à refuser le plan
Marshall alors que ces 2 pays y étaient favorables.
Les partis non communistes vont progressivement être éliminés selon la « tactique du
salami » formulée par le dirigeant communiste hongrois Rakosi : il s’agit d’éliminer tranche
par tranche, méthodiquement, toute opposition, toute réaction (accusation d’espionnage…).
Des élections entachées de fraudes, de pressions et de violences conduisent à la victoire des
communistes et à la naissance des démocraties populaires entre 46 et 47.
La Tchécoslovaquie reste à la fin de 1947 le seul pays ayant un gouvernement
pluraliste. Une crise politique éclate : les ministres libéraux démissionnent pour montrer leur
opposition à la mainmise croissante des communistes sur le pouvoir, tandis que les
communistes font intervenir des milices ouvrières pour faire pression sur le président de la
république, le démocrate Bénès. C’est le coup de Prague de février 1948. Bénès cède et
accepte un gouvernement de communistes dirigé par le communiste Gottwald. C’est un
tournant dans la Guerre froide car la Tchécoslovaquie apparaissait jusque comme ouverte à
l’Occident. La satellisation peut alors s’organiser.
3- Le renforcement du contrôle soviétique
La démarche consiste à supprimer tout pluralisme politique, caractéristique essentielle
de toute démocratie. La répression se développe contre des opposants réels ou imaginaires :
elle touche les membres des partis non communistes, les intellectuels, les catholiques.
A partir de 1949, la répression s’étend à certains dirigeants communistes jugés trop
indépendants de Moscou. Des procès politiques expéditifs et mis en scènes se multiplient : ces
purges se terminent par des exécutions (Rajk en Hongrie, Slansky en Tchécoslovaquie…).
Ces purges suivent la condamnation du nationalisme yougoslave (infra).
Les effectifs des PC reculent après 1950 suite aux épurations dans les rangs du parti.
B- L’ADOPTION DU MODELE SOVIETIQUE
1- Le modèle politique
Le modèle politique de l’URSS est reproduit dans ses grands traits : les textes
constitutionnels garantissent le pouvoir du peuple et les libertés fondamentales. Or dans la
réalité le PC contrôle tous les rouages de la vie politique marquée par un parti unique et par
une importante surveillance policière (Stasi de la RDA). Les fonctions de chef de
gouvernement et de secrétaire général du parti communiste sont confondues. Des parlements
fantoches sont toutefois installés mais ne possèdent aucun pouvoir législatif.
Du vivant de Staline, les 1ers secrétaires des partis sont l’objet d’un culte de la
personnalité, ce qui évolue après la mort de Staline à l’exception de la Roumanie (Ceausescu)
et de la Yougoslavie (Tito).
2- Le modèle économique
L’économie est également réorganisée sur le modèle soviétique : le secteur industriel
et bancaire est nationalisé, les terres agricoles sont collectivisées mais cette collectivisation
rencontre des limites du fait d’une forte résistance de la paysannerie.
Dans le cadre de plans quinquennaux, la priorité est donnée à l’industrie lourde au
profit des biens d’équipement et donc au détriment des biens de consommation. La
planification est aussi rigide et centralisée qu’en URSS.
Les problèmes vont s’accroître : dégradation des conditions de travail pour les ouvriers
(durcissement de la discipline…), production agricole insuffisante, pénuries.
Toutefois certaines avancées sociales sont à évoquer : les anciens paysans pauvres
trouvent dans les usines des revenus plus réguliers, l’enseignement, certes très politisé, permet
une meilleure formation de la population, de même l’encadrement sanitaire et social connaît
quelques progrès.
3- Les formes de la domination soviétique
La domination provoque une véritable situation de dépendance.
- Domination économique : en 1949, l’URSS crée le CAEM (Conseil d’Assistance
économique mutuelle) ou COMECOM qui régit les rapports économiques au sein du bloc
soviétique. Le but est de favoriser une complémentarité des économies or en réalité cela va
provoquer une dépendance à l’égard de l’URSS, du « grand frère » soviétique (les
démocraties populaires sont des « petits frères »). L’économie des satellites est forcée de se
spécialiser et de se mettre au service de l’URSS : la Roumanie livre du pétrole, la Hongrie des
céréales… (Pillage).
Dans le même temps les économies des démocraties populaires sont coupées du reste
du monde.
- Domination militaire : les démocraties subissent une dépendance directe avec les
missions d’innombrables conseillers militaires soviétiques
- Domination idéologique : les esprits sont encadrés. On retrouve les mêmes
organisations de jeunesse qu’en URSS (« pionniers », « jeunesses communistes »…), la
langue russe devient souvent obligatoire à l’école, le marxisme-léninisme devient une matière
obligatoire, la littérature et l’art son modelés sur l’URSS qui par exemple participe à la
construction de grands bâtiments vitrines de l’architecture et de la grandeur soviétique.
Il faut être membre du parti pour assurer des fonctions importantes dans la vie
politique, économique et culturelle.
De véritables satellites (colonies ?) plus que de simples alliés. Cette domination
complète et étouffante ne va toutefois pas empêcher contestations et tentatives de réformes.
C- LE SCHISME YOUGOSLAVE
En 1945 le maréchal Tito (un des chefs de file du mouvement non aligné…) a libéré
son pays grâce à l’aide des partisans communistes yougoslaves mais sans l’aide de l’Armée
Rouge. Dès 1945, il proclame la République populaire yougoslave (mettant fin à une
monarchie).
Tito refuse d’être soumis à Staline qui contraint les autres démocraties populaires à
rompre toute relation avec la Yougoslavie, alors exclue du Kominform. Le « titisme » est
condamné car aucune déviation par rapport à la politique voulue de l’URSS n’est tolérée. Les
purges de 1949-50 s’inscrivent dans ce contexte : les dirigeants communistes les plus
indépendants sont accusés de « titisme », « nationalisme », « sionisme ».
Soumis à un blocus économique, Tito (au pouvoir jusqu’en 1980) renoue des liens
commerciaux avec l’Occident mais n’abandonne pas le socialisme qui n’exclut pas la
dictature et l’existence d’une classe de privilégiés. Un modèle original tente en fait de
concilier planification centralisée et autogestion des entreprises (gestion d’une entreprise par
les travailleurs eux-mêmes). Il veut un socialisme moins centralisé. Il prône le non
alignement en politique étrangère (Belgrade 1961 après Bandung).
II- CONTESTATIONS ET REFORMISMES (1953-1968)
Les contestations internes ne sont pas absentes et font parfois tâche d’huile (se
répandent) et interviennent dès que l’URSS montre quelques signes d’ouverture vis-à-vis du
monde occidental.
A- LA DESTALINISATION EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE.
1- Les espoirs de la déstalinisation
La mort de Staline (1953) semble dans un 1er temps diminuer la pression soviétique :
en mai 1955, Khrouchtchev renoue des relations diplomatiques avec la Yougoslavie et il
admet en 1956 le communisme puisse prendre des voies nationales (cela contraste avec
jusque là la stricte uniformisation selon le modèle soviétique). Pour preuve, le Kominform est
dissous en 1956 ce qui reconnaît l’indépendance des PC nationaux.
Au début certains pensent pouvoir obtenir plus de libertés, plus d’indépendance
nationale (et donc une possible amélioration du niveau de vie par des réformes). La
collégialité du pouvoir est restaurée (et fin du culte de la personnalité sauf Roumanie et
Yougoslavie)…
2- Le renforcement du contrôle
La dépendance à l’égard de l’URSS est en fait renforcée par 2 structures :
- Le pacte de Varsovie (mai 1955) place les forces armées des différentes démocraties
populaires (sauf la Yougoslavie) sous commandement de l’URSS, il va servir à maintenir
l’ordre dans le bloc et mater les contestations (Hongrie en 1956, Tchécoslovaquie en 1968).
- Le CAEM à partir des années 1960 renforce le contrôle soviétique sur la
planification de l’économie et la spécialisation de chaque Etat.
La déception des populations est générale et les plus déçus sont les ouvriers durement
exploités (horaires démentiels, heures supplémentaires obligatoires et non rémunérées…).
Le contrôle soviétique n’a cependant jamais pu être total en particulier sur les esprits :
les informations circulaient sur la vie à l’Ouest ou dans les autres démocraties populaires,
grâce en particulier à des radios américaines émettant des programmes en langue locale que
l’URSS essayait de brouiller (Voice of America ; Radio Free Europe).
B- LES TENTATIVES D’EMANCIPATION
Après la mort de Staline, les mouvements de protestation contre les conditions de
travail et pour des régimes politiques plus démocratiques se multiplient.
2 principes expliquent l’échec des manifestations :
- La non intervention de l’Occident (considérant qu’il s’agit d’affaires intérieures au
bloc soviétique).
- Le principe de la « souveraineté limitée » des démocraties populaires : c’est une
doctrine formulée par Brejnev en 1968 qui est claire : la souveraineté des démocraties est très
réduite...
1- La RDA en 1953
Contre l’augmentation des cadences de travail dans les usines (sans hausse de salaire),
des grèves d’ouvriers à Berlin et dans les villes de la RDA se multiplient, ce qui entraîne
l’intervention de chars soviétiques (des centaines de morts). L’URSS, pour diminuer les
tensions ensuite accorde une aide économique à la RDA (investit dans les logements,
améliore les salaires, atténue les pillages car longtemps la RDA fut perçue comme un ancien
ennemi devant payer).
2- La Pologne en juin 1956
Un mouvement social permet le retour de Gomulka (victime des purges en 1951) qui
obtient la non intervention des chars soviétiques. Il engage quelques réformes
(décollectivisation des terres) et renoue des liens avec l’Eglise catholique mais ne remet pas
en cause le Pacte de Varsovie (d’où la non intervention de l’URSS qui laisse faire ces
quelques réformes).
3- La Hongrie en septembre 1956
La Hongrie suit l’exemple de la Pologne : un mouvement cette fois-ci intellectuel,
étudiant et ouvrier permet l’arrivée au pouvoir de Imre Nagy (succède à Rakosi) qui proclame
un retour au multipartisme et qui veut quitter le Pacte de Varsovie, ce que ne peut accepter
l’URSS. L’Armée Rouge et ses chars occupent Budapest et rétablissent l’ordre en tuant des
milliers d’insurgés, en exilant plusieurs milliers de personnes… Nagy est condamné à mort et
exécuté en 1958.
Alors que Nagy avait appelé à l’aide l’ONU, les Occidentaux restent passifs (crise de
Suez…) mais de nombreux occidentaux sont stupéfaits : l’année 1956 marque la désaffection
de partisans communistes occidentaux, comme en France Jean-Paul Sartre ou les acteurs Yves
Montand et Simone Signoret qui démissionnent du PC.
4- La Tchécoslovaquie en 1968 : le « printemps de Prague ».
1968 est une année de contestation planétaire. Le « printemps de Prague » est une
tentative de démocratisation. En avril 1968, sous la direction d’Alexander Dubcek, le PC
définit une voie tchécoslovaque au socialisme. Les réformateurs au pouvoir veulent à la fois
résoudre la crise économique (en assouplissant la planification) et démocratiser la vie
politique (en reconnaissant la liberté d’expression, la fin de la censure, des conseils ouvriers
sont mis en place…).
Mais les troupes du Pacte de Varsovie envahissent le pays en août 1968 et forcent les
dirigeants à la « normalisation » (= la mise au pas du pays sur le modèle soviétique). La
répression est violente et marque la fin des tentatives d’expérience du communisme national.
Dubcek est écarté du pouvoir. L’URSS ne reconnaît vraiment qu’une « souveraineté limitée »
(doctrine Brejnev de 1968).
C’est un tournant : cette action du Pacte de Varsovie est condamnée par la
Yougoslavie et la Roumanie ; elle provoque aussi l’indignation des PC occidentaux. La
contestation ne s’éteindra pas pour autant,
C- LES VOIES DIFFERENTES
Les démocraties connaissent dans les faits des voies différentes, variées.
- La Yougoslavie confirme sa singularité en restant en dehors du CAEM et du Pacte de
Varsovie. Tito réaffirme au printemps 1968 la spécificité de la voie yougoslave fondée sur
une planification moins rigide. Il protège par ailleurs son indépendance nationale en signant
des alliances avec des démocraties populaires.
- L’Albanie rompt ses relations diplomatiques avec l’URSS en 1961 et quitte le
CAEM puis le Pacte de Varsovie et se rapproche de la Chine.
- La Roumanie noue des relations avec l’Occident à partir de 1965 avec l’arrivée au
pouvoir de Ceausescu au début très apprécié en Occident. Ceausescu se démarque de l’URSS
en abolissant notamment l’enseignement du russe, en condamnant l’intervention à Prague en
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