Planification : l'échec
ger est considéré comme un mode routinier d'acquisition, à tel
point que pour certaines pièces et techniques, aucune produc-
tion n'est seulement prévue en URSS. La navette spatiale
soviétique, par exemple, ressemble comme une sœur à Chal-
lenger, son aînée américaine.
Mais le secteur militaire fait aussi exception aux principes
généraux, dans la mesure où les intérêts de l'acheteur sont t
remarquablement bien représentés. Sur certains points, l'orga-
nisation de l'industrie militaire constitue donc un désaveu offi-
ciel du système. En effet, les clients, c'est-à-dire les
états-majors du ministère de la Défense, sont mêlés à toutes
les étapes de la fabrication. Ils ont d'abord recours à la
méthode de l'appel d'offres, qui met des bureaux d'études et
des entreprises en concurrence pour l'attribution de contrats.
Puis, au moment de la livraison, les produits sont
soigneusement contrôlés par des représentants des armées, les
voenpred, qui n'ont aucun scrupule à refuser le matériel qui ne
les satisfait pas. Pour l'entreprise, cette technique brutale peut
avoir de graves conséquences mais, pour les forces armées,
elle est une garantie sûre.
De leur côté, les particuliers ont cherché à défendre leurs
intérêts - même si leurs moyens sont infiniment plus modes-
tes que ceux de l'État.
Marchés parallèles, marché noir
Théoriquement, le plan mobilise tous les moyens productifs ;
il devrait donc couvrir la totalité de l'activité économique.
Cependant, il existe en URSS un secteur privé parallèle bien
plus important que ne le laisseraient supposer ces principes.
Recouvrant toutes les activités productives hors quotas, licites
ou non, ce secteur n'a jamais pu être mesuré avec précision,
mais il est considérable. Les estimations varient entre 10 et 50%,
rien de moins ! En 1988, des sources soviétiques officielles l'ont
évalué à 15 ou 20% de la richesse du pays.
La vie quotidienne témoigne de l'importance de cette éco-
nomie souterraine. Pour le particulier, puisque c'est de lui qu'il
s'agit en premier chef, les emplettes sont un souci de tous les
jours : les magasins ne disposent que de peu d'articles, qu'on
ne peut obtenir qu'après des heures de queue. Le consomma-
teur, disons virtuel, doit donc ruser, emprunter des voies
parallèles : il s'adresse au marché noir, très onéreux, ou solli-
cite ses relations. Car tout le monde peut acheter de cette
façon, po blatou, par piston ; seul le degré d'influence varie.
Les dirigeants du parti, les directeurs d'usine, peuvent
rendre des services et en réclamer. Mais le serveur n'est pas
en reste, il peut faire entrer des connaissances par la porte de
service du restaurant. La petite main est la première servie
pour les layettes qu'elle fabrique, soit qu'elle les vole, soit que
l'usine les vende en priorité à son personnel. Chaque agent
économique, aussi humble soit-il, est en position de distribuer
des faveurs, qui lui seront rendues.
Souvent, les descriptions de «la seconde économie» se fon-
dent sur la distinction entre activités légales et illégales. Mais
chacun, on le voit, est mêlé à ces fraudes, à un titre ou à un
autre. De plus, la frontière de la légalité est mouvante, tout par-
ticulièrement pendant les années de perestroïka, où une partie
du droit se trouve alignée sur la réalité. Surtout, cette distinc-
tion, aussi morale que juridique, dissimule le caractère normal
de ces trafics. La moralité en URSS réprouve le vol à l'encontre
d'un particulier, mais voler à l'État ne choque personne,
puisque c'est souvent l'unique moyen de se débrouiller.
Économie officielle et économie parallèle, en effet, loin
d'être indépendantes l'une de l'autre, se répondent, se complè-
tent; celle-ci n'existe que du fait de celle-là, d'abord et surtout
parce que les biens de consommation sont les grands oubliés
des plans quinquennaux. La pénurie encourage l'activité pri-
vée, avec l'approbation de la loi ou sans elle. Ainsi, le manque
de voitures transforme les heureux automobilistes en taxis
occasionnels et c'est chose courante à Moscou que de voir un
conducteur s'arrêter à la hauteur d'un piéton pour lui proposer