Comment interpréter la Bible, A. Kuen, Éd. Emmaüs, pag. 15-22, 289-293

I. Nature et nécessité de l’interprétation
Qu’est-ce que l’interprétation ?
D’après le dictionnaire, l’interprétation est l’action d’expliquer, de donner une signification claire à
une chose obscure ”. Un interprète est un traducteur servant d’intermédiaire entre deux personnes de langues
différentes qui ne se comprennent pas. On parle aussi d’interprétation d’une pièce musicale ou dramatique :
l’artiste essaie de faire passer au public le message que l’auteur ou le compositeur avait confié à son œuvre.
Dans tous ces cas, l’interprétation est une fonction médiatrice entre un émetteur et des récepteurs. Sans elle,
le message émis ne passerait pas et la communication ne pourrait pas avoir lieu.
Les qualités fondamentales d’un bon interprète sont la compétence et la fidélité : connaissance appro-
fondie des deux langues (ou de la musique), loyauté envers l’auteur du message (pour ne pas substituer des
pensées personnelles aux siennes). Tous les chefs d’orchestre ou solistes ne sont pas de bons interprètes, car
parfois leur musique n’est plus du Bach ou du Beethoven, mais une conception et reformulation personnelles
de ces œuvres. Pour la musique, cela n’a peut-être pas trop d’importance : l’essentiel est le plaisir des audi-
teurs. Pour un texte juridique ou administratif, c’est plus grave : si un règlement est mal traduit ou une phrase
d’un testament mal interprétée, les conséquences peuvent être dramatiques. S’il s’agit de la Parole de Dieu,
dépositaire de la révélation et de la volonté divines, c’est une question de vie ou de mort - éternelle. Toutes
les hérésies qui ont égaré des millions d’hommes et de femmes au cours des siècles, toutes les sectes qui en
ont entraîné combien d’autres dans l’erreur, reposaient sur de fausses interprétations de la Bible.
L’interprétation biblique a pour but de déterminer la signification exacte de l’Écriture Sainte, c’est-à-
dire de comprendre la pensée de l’auteur inspiré, ce qu’elle signifiait pour ses premiers destinataires et ce
qu’elle veut nous dire aujourd’hui. On a défini l’interprétation comme une façon de lire un livre ancien de
façon à en faire apparaître la pertinence pour l’homme moderne (J. Packer, 78, p. 8).
L’interprétation est-elle nécessaire ?
La Bible est claire pour qui veut l’entendre. Quand je la lis, je ne me préoccupe pas d’interprétation,
je laisse Dieu me parler par elle, et cela me suffit ”.
Une telle affirmation recouvre certainement une partie de la vérité. La clarté de l’Écriture a été affir-
mée par les Réformateurs face à l’Église romaine de leur temps. Celle-ci prétendait que la Bible était obscure
et ne pouvait être comprise qu’à travers le magistère du clergé. Dans le Traité du serf arbitre, Luther parlait
même d’une double clarté de la Parole : la clarté intérieure et extérieure. La clarté intérieure est
l’illumination que donne le Saint-Esprit pour comprendre les écrits qu’il a inspirés. Par clarté extérieure, Lu-
ther entendait le fait que la Bible parle un langage compréhensible : elle veut non pas troubler ou voiler les
choses, mais les communiquer : Si tu parles de la clarté extérieure, absolument rien n’est resté obscur ou
douteux, tout ce que l’Écriture contient est amené par la Parole à la lumière la plus vive et proclamé au
monde entier ”. Il ne nie pas les difficultés de certains passages, mais il dit qu’ils ne sauraient contrebalancer
la clarté de la révélation de Jésus-Christ.
Zwingli était du même avis : Si la Bible est obscure en quelque endroit, la Parole de Dieu l’éclaire
ailleurs (Disputation de Baden, 1526). Pour Calvin, la Bible était aussi la norme à la lumière de laquelle
toutes choses devaient être jugées. Mais il n’estimait pas, pour autant, qu’elle était toujours facile à com-
prendre ; la preuve en est qu’il l’a expliquée dans un commentaire comptant quelques milliers de pages.
Dans sa première entrevue avec Mary, la reine d’Écosse, John Knox a affirmé : La Parole de Dieu
PROJET D’ÉGLISE MAI 2000 ARTICLE 17.A
VERITE OU ERREUR : COMMENT INTERPRETER LA BIBLE
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est claire en elle-même ; et si une obscurité apparaît en quelque endroit, le Saint-Esprit, qui ne peut jamais se
contredire, explique la même chose clairement ailleurs, de sorte qu’il ne subsiste aucun doute - sauf pour
ceux qui, obstinément, restent ignorants ”.
En effet, celui qui commence à lire la Bible en demandant à Dieu de l’éclairer est inondé d’une telle
lumière qu’il passe aisément sur les points obscurs, surtout s’il a la sagesse de commencer sa lecture par les
évangiles, les Actes et les épîtres faciles du Nouveau Testament ou les textes narratifs de l’Ancien Testa-
ment.
Nul besoin d’interprétation pour comprendre que Christ est mort pour nos péchés, il a été enseveli, il
est ressuscité le troisième jour - ce que Paul rappelle comme étant l’enseignement chrétien fondamental (1
Co 15.1, 3-4). Ni pour appliquer : Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous aussi,
faites-le de même pour eux (Mt 7.12). Or, Jésus dit que ce précepte est la loi et les prophètes c’est-à-
dire un résumé de tout l’Ancien Testament. On connaît la boutade de Mark Twain : Dans la Bible, ce ne
sont pas les passages que je ne comprends pas qui me chagrinent, ce sont ceux que je comprends ”. Si déjà
nous appliquions ce qui est clair et bien compréhensible dans la Bible, le monde serait certainement diffé-
rent.
Mais dans la Bible, il n’y a pas seulement des passages faciles à comprendre. Pour en saisir le sens,
nous avons besoin d’être guidés par des règles fiables, élaborées au cours des siècles par ceux qui se sont
penchés sur l’Écriture.
L’interprétation est nécessaire pour deux raisons. La première tient à nous : nous abordons la lecture
de la Bible avec toute une série d’idées préconçues qui tiennent lieu de règles d’interprétation. En fait, que
nous le sachions ou non : nous sommes tous des interprètes. La seconde tient à la nature de l’Écriture, qui
n’est pas un livre comme un autre.
Raisons d’être de l’interprétation
a) Nous sommes tous des interprètes
En effet, aucun de nous n’aborde la Bible de manière neutre. Inévitablement, nous introduisons, dans
notre lecture, notre expérience, notre culture, notre compréhension des mots et des idées. Lorsque nous lisons
le mot croix, que voyons-nous ? Immédiatement se dessine l’image de deux poutres croisées, comme
l’iconographie chrétienne nous l’a imprégnée, alors que la croix sur laquelle Jésus a été cloué avait fort pro-
bablement la forme d’un T. Nous lisons que les apôtres allaient au temple, et nous nous représentons un
grand immeuble avec des bancs, alors qu’il s’agissait d’une cour entourant un édifice inaccessible aux
simples fidèles. Lorsque Jésus dit à propos d’Hérode : “ Allez dire à ce renard ”, nous comprenons qu’il vou-
lait parler d’un monarque rusé alors que le lien renard-ruse nous vient du Roman de Renart ”, donc du
Moyen-Age ; du temps de Jésus, le renard symbolisait la cruauté. Et l’on pourrait multiplier les exemples :
baptême, cène, évêque, diacre, foi, chair... sont des mots que nous lisons à travers les lunettes confession-
nelles que nous portons depuis notre enfance ou que notre culture nous a imposées.
Une lecture naïve de la Bible n’est naïve que dans le sens le lecteur n’a pas conscience de tous
les présupposés qu’il apporte à sa lecture et qui orientent automatiquement sa compréhension - mais pas né-
cessairement du bon côté. Chacun de nous a déjà enregistré un certain nombre d’interprétations bibliques :
par des prédications entendues, des entretiens, études bibliques, cassettes, conférences et sermons à la radio,
lectures diverses... Nous nous sommes donc forgé un système d’interprétation inconscient se calquant sur la
manière dont ceux qui nous servaient de modèles l’interprétaient. Mais leur interprétation était-elle toujours
bonne ? Et si elle l’était : l’avons-nous bien assimilée ?
Au nom de leur interprétation de la Bible, les autorités ecclésiastiques ont condamGalilée, les Té-
moins de Jéhovah nient la divinité de Jésus-Christ, les Mormons se font baptiser pour les morts, les Enfants
de Dieu pratiquent le flirty fishing ”, des télévangélistes américains prêchent l’évangile de la santé et de
la prospérité ”, des chrétiens sont légalistes ou laxistes, œcuménisants ou séparatistes, conservateurs ou libé-
raux... en toute sincérité et bonne conscience !
Le “ sens évident ” de certains passages n’est souvent qu’une évidence sélective qui insiste sur certains
textes et ignore ceux qui se trouvent juste à côté. Pourquoi, comme le font remarquer G. Fee et D. Stuart (82,
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pp. 17, 19), ceux qui s’appuient sur Dt 22.5 pour interdire aux femmes de porter des pantalons, relèguent-ils
allègrement les autres impératifs du même chapitre (parapet autour du toit, pas deux sortes de semences ou
de fil dans les tissus, ne pas couper les coins de la barbe, mettre des franges aux quatre coins de son habit)
parmi les particularités culturelles du temps ? Pourquoi certains de ceux qui exigent, selon 1 Co 11, que la
femme soit voilée dans les assemblées ne sont-ils guère pressés de les autoriser à prier et à prophétiser
comme le fait l’apôtre dans ce chapitre ? Voilà une exégèse sélective la tradition commande
l’herméneutique. Or, chacun de nous a son point aveugle dans son œil spirituel qui l’empêche de voir ce
qui, dans son système de pensée, est inspiré par des préjugés ou des présupposés, et non par une exégèse sé-
rieuse.
A force de lire la Bible à travers certaines lunettes, on n’arrive plus à faire différencier le message de
la Parole de notre propre interprétation de ce message. Ainsi le calviniste convaincu trouvera à chaque page
confirmation de la doctrine de l’élection, alors que l’arminien relèvera partout les passages affirmant la liber-
de l’homme. Le dispensationaliste rangera tous les passages prophétiques dans l’une ou l’autre case future
du système Scofield alors que l’amillénariste appliquera ces mêmes passages au temps actuel. La plupart,
d’ailleurs, adopteront l’une ou l’autre interprétation sans savoir s’ils sont dispensationalistes ou amilléna-
ristes. L’herméneutique inconsciente est souvent plus impérative et plus intraitable qu’une option consciente
dont on connaît les faiblesses et les limites. Du moment que nous sommes tous des interprètes, mieux vaut
interpréter correctement, c’est-à-dire suivant des règles éprouvées.
b) Difficultés inhérentes à la nature de l’Écriture
La seconde raison d’être de l’interprétation tient à la nature de l’Écriture. Plongez-vous dans une chro-
nique du temps de Louis XIII ou de la Révolution française, et vous aurez d’emblée la notion très nette de la
distance historique qui vous pare de cette époque de notre histoire. Or, pour la Bible, c’est par dizaines
qu’il faut multiplier ces distances pour nous resituer au temps de la rédaction des premiers ou des derniers
écrits. Son actualité étonnante ne doit pas nous faire illusion : 20 à 35 siècles nous séparent de ses auteurs et
de la civilisation où elle est née autres pays, autres mœurs, autre langage ; tout nous dépayse.
Imaginez que des archéologues de l’an 4000 ou 5000 ap. J.-C. trouvent un journal contemporain.
Comment pourraient-ils comprendre une phrase telle que nous pouvons en lire tous les jours : “ Les délégués
des différents syndicats ont fait le tour de l’assiette de leurs revendications ”. Sans un travail approfondi
d’interprétation, le sens de cette affirmation leur échapperait certainement. Il leur faudrait ressusciter tout le
cadre contemporain : Qu’est-ce qu’un syndicat ? un délégué ? pourquoi différents syndicats ? Quel est le
sens spécial du mot assiette dans ce cas ? Que signifie faire le tour d’une question ? Vous voyez d’ici
tous les faux sens qu’une telle phrase pourrait suggérer à des gens qui voudraient se dispenser d’un tel travail
; par exemple : des prêtres d’une secte ésotérique dansant autour d’une assiette dans laquelle ils ont déposé
leurs offrandes... Ou bien pensons à ce que l’on comprendrait dans un siècle dans la phrase citée par S. Ro-
merowsky : Le Quai d’Orsay a envoyé un émissaire dans les États du Golfe (Lien fraternel, 11.87). Cet
exemple nous montre que le sens de certains mots ou de certaines expressions ne peut être connu que par le
contexte culturel - sans penser aux équivoques engendrés par les différents sens d’un même mot. Comme ce
frère qui lisait dans sa version : la reine de Saba vint à Jérusalem avec une grande pompe (1 Ro 10.2) et
qui fut édifié par l’à propos de ce cadeau, puisqu’il est dit par ailleurs que Salomon avait de grands jardins (à
arroser) ! La déduction qu’un enfant pourrait tirer de la version Darby de ce même verset ne serait guère plus
juste, puisqu’il y est dit qu’elle “ vint à Jérusalem avec un fort grand train ”.
Les difficultés sont d’ordre historique (allusions à des nations et des civilisations disparues), géogra-
phique (pays, climats, détails topographiques étrangers), culturel (coutumes locales de mariage, de relations
parents-enfants, maîtres-esclaves, polygamie, ...), linguistique (mot étrangers, dont le sens a évolué au cours
des siècles, mesures qui ont changé, syntaxe, style, genres littéraires).
Des expressions comme parler de son chef (Jn 7.18), “ dans le nom de ”, des mots comme justice,
cœur, chair, entrailles, pureté, tempérance, scandale, mystère, ... ont un sens biblique tout différent du sens
actuel. D’autres comme repentance, miséricorde, convoitise, ... ne sont pratiquement pas utilisés que dans le
langage religieux et demandent donc à être définis à partir de l’Écriture.
Une difficulté supplémentaire provient du sujet principal de la Bible, à savoir nos relations avec Dieu,
car il n’entre guère dans nos thèmes actuels de communication ; notre langage courant n’est donc pas adapté
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à l’expression des réalités spirituelles, et les écrivains sacrés devront se servir d’images et de symboles pris
dans le monde matériel pour évoquer ces réalités.
La nécessité de l’interprétation apparaît clairement dans les paraboles de Jésus. Si la signification de
chaque parabole était immédiatement apparente, pourquoi les disciples auraient-ils posé des questions au su-
jet de leur interprétation (Mc 4.10-20 et parallèles) ? (Thiselton in Lundin, 85, p. 84).
Or, si cette nécessité apparaissait aux contemporains de Jésus, à combien plus forte raison s’impose-t-
elle à nous qui vivons si loin des événements que la Bible nous rapporte.
Aucune de ces difficultés n’est insurmontable, et nous verrons dans les chapitres qui suivent comment
aujourd’hui, mieux que jamais, les chrétiens sont bien placés pour les résoudre - à condition d’être honnête et
de consentir à faire un certain effort.
L’herméneutique dans la Bible
En jargon théologique, la science de l’interprétation s’appelle herméneutique. Le mot viendrait du nom
grec du dieu Mercure : Hermès, messager des dieux, qui transmettait aux hommes leurs communications.
C’était aussi le dieu de la science, de l’éloquence, de la littérature et des arts.
Le verbe hermeneuô signifie traduire, interpréter ou expliquer. Le mot interprétation apparaît dans
l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Dans l’A.T., pathra et pithron se rapportent surtout à
l’interprétation des rêves. Dans le N.T., les mots de la famille de hermeneuô se trouvent dans plusieurs pas-
sages où les évangélistes traduisent pour leurs lecteurs grecs des noms ou des mots hébreux ou araméens, ou
leur expliquent ce qu’ils signifient (Mt 1.23 ; Mc 5.41 ; 15.22, 34 ; Jn 1.38 ; 9.7 ; Ac 4.36 ; 9.36 ; 13.8). Au
début du siècle, le grand prédicateur londonien Joseph Parker a bâti un sermon célèbre sur la petite phrase :
ce qui signifie (littéralement : ce qui interprété est ”). Il disait, entre autres : L’interprétation vient à
nous comme une lampe... Lorsque nous avons entendu le mot Emmanuel, nous avons été interloqués ; c’était
un mot étranger pour nous, il n’évoquait aucune association d’idées, il ne nous parlait pas. Mais quand
l’interprète vint, qu’il mit son doigt sur ce mot et nous dit : Ce mot signifie ‘Dieu avec nous’ ”, alors nous
avons pris conscience d’une liberté et d’une richesse par une nouvelle possession. Nous avons besoin
d’interprètes qui traduisent dans notre langue maternelle des mots étrangers et un langage difficile. (cité in
Ramm, 56, p. XIV).
Luc utilise le mot dihermeneuô pour l’étude biblique que Jésus a faite aux deux disciples d’Emmaüs :
commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur interprétait dans toutes les Écritures ce qui le con-
cernait (Lc 24.27). L’apôtre Paul parle du don d’interprétation des langues (1 Co 12.10) et appelle ceux qui
le possèdent des interprètes (14.28). L’auteur de l’épître aux Hébreux interprète ”, le nom de Melchisédek
en disant que, d’après son nom, ce personnage était roi de justice et de paix (7.2).
Au-delà des mots de la famille hermeneuô, il faudrait signaler la pratique de l’herméneutique par les
auteurs bibliques eux-mêmes : les prophètes qui citaient et interprétaient les paroles de prophètes antérieurs,
Jésus qui cite et interprète les textes de la Loi (Mt 5.21-48) et les prophéties le concernant (Lc 24.27). Il y a
toute l’herméneutique des apôtres : avec quelle liberté ils ont souvent cité et appliqué les textes de l’Ancien
Testament ou utilisé des concepts de leur époque (le logos, le plérôme) pour rendre compréhensibles à leurs
contemporains les vérités éternelles. Nous aurons l’occasion de revenir -dessus en parlant de la relation
entre l’Ancien et le Nouveau Testament (chapitre 13).
Herméneutique et exégèse
Les mots herméneutique et exégèse ont des sens très voisins. La distinction entre les deux est relati-
vement récente. Actuellement, on réserve le terme d’exégèse à l’étude détaillée d’un passage biblique (en
principe à partir du texte hébreu ou grec) pour en donner le sens qu’il avait dans l’esprit de son auteur. Le
mot herméneutique a actuellement deux sens :
1. C’est l’élaboration des règles théoriques de l’exégèse à partir de l’étude de nombreux textes bi-
bliques. L’herméneutique est donc la théorie de l’interprétation et elle se réfère à l’exégèse pour illustrer ses
principes. L’exégèse, elle, s’occupe concrètement du texte et se réfère constamment à l’herméneutique pour
comprendre le texte ; mais les savants ont élaboré leurs théories herméneutiques à partir des exemples pra-
tiques de l’exégète (B. Ramm in Turnbull, 68, p. 100). Elle est donc à la fois résultante et guide de
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l’exégèse. La relation entre ces deux disciplines est comparable, sous ce rapport, à celui de la circulation et
du code de la route.
2. Le mot herméneutique a pris aujourd’hui un sens plus large, à partir de la question soulevée par
les débats contemporains : comment, au 20e siècle, dans le cadre de notre civilisation occidentale, peut-on
arriver à comprendre un texte écrit au 8e ou au 5e siècle av. J.-C. ou du temps des apôtres dans un contexte
culturel totalement différent ? De plus, l’herméneute essaie d’élucider la signification de ce texte pour nous
aujourd’hui, c’est-à-dire son application en tenant compte de la distance culturelle.
Le processus herméneutique total est donc bien plus vaste que l’exégèse. Les théologiens anglo-saxons
contemporains font souvent la distinction entre le sens d’un texte (meaning), c’est-à-dire son sens historique,
et sa portée, son intérêt (significance), qui comprend aussi ses applications actuelles. Le sens est la com-
préhension d’un texte dans son contexte historique, par une investigation grammatico-historique. La portée,
ou l’application de ce texte aux intérêts actuels de l’interprète est ce qui “ pousse ” de ce texte par une crois-
sance dynamique lorsque son sens historique rencontre une nouvelle personne, de nouveaux temps, des situa-
tions ou des idées nouvelles. (I. A. Fair, 86 p. 34, qui renvoie pour la distinction entre meaning et significance à E.
D. Hirsch Jr. Validity in Interpretation, New Haven, Yale University, 1967 pp. 8ss.).
L’exégète, poursuit-il, utilise des instruments historiques et philologiques qui le définissent plus
comme un historien que comme un théologien. Sa tâche commence par un examen attentif et critique du
texte dans son contexte historique, en tenant compte du milieu politique, culturel, religieux et philosophique.
Son étude comprend aussi une analyse du langage par des considérations grammaticales, syntaxiques et lexi-
cologiques... d’où le terme de méthode d’exégèse grammatico-historique (pp. 35-36). Comprendre le
texte de l’Écriture serait une opération en deux temps ou à deux niveaux : non pas comprendre seulement ce
que le texte dit (exégèse) mais comprendre ce que le texte nous dit (herméneutique)... L’exégèse est référen-
tielle à la situation historique, l’herméneutique à notre situation présente. (P. Courthial, 70, p. 18). Nous
aurons l’occasion de revenir sur ces différentes notions (voir l’appendice).
L’herméneutique est à la fois une science et un art : une science, car elle a établi des règles fondées sur
l’expérience de nombreuses générations, règles valables dans tous les cas prévus. Mais ces règles ne peuvent
pas être appliquées mécaniquement. Elles demandent le doigté, la sensibiliet la souplesse de l’interprète.
Comme la médecine, elle allie donc science et art.
L’herméneutique est le fondement de la dogmatique. Un dogme n’est biblique que s’il repose sur une
interprétation correcte de la Parole de Dieu. Comme l’a dit P. Courthial : La dogmatique ecclésiale ne pro-
gresse jamais qu’en suite d’une progression de l’herméneutique ecclésiale (P. Courthial, 70, pp. 23-24).
C’était déjà le cas au temps de Jésus. N’est-il pas significatif, demande H. Blocher, que les grandes polé-
miques de l’Écriture soient précisément des débats d’interprétation (voir Mt 15.6 ; Jn 5.39 ; 2 Co 3.14) (60,
p. 8).
L’herméneutique est le mode d’emploi de la Parole de Dieu. Si vous maniez un appareil complexe, un
ordinateur par exemple, sans tenir compte de son mode d’emploi, vous risquez de causer des dégâts. En met-
tant les choses au mieux, vous découvrirez peut-être peu à peu comment en tirer quelques avantages mais
vous ne bénéficierez jamais de tous ceux que l’appareil pourrait vous fournir. Il en est de même de la Bible et
des règles d’herméneutique.
II. Conclusion
Pendant la guerre, ma femme était réfugiée dans un petit village de la Dordogne avec une autre institu-
trice. Après quelque temps, elle s’est aperçue que sa collègue, une catholique pratiquante, lisait, comme elle,
sa Bible chaque soir. On pourrait la lire ensemble et échanger nos réflexions ”. Mais après quelques jours,
l’expérience tourna court. La collègue lui dit : “ Je ne peux pas te suivre dans ta lecture. Tu te sens le droit de
décider par toi-même ce que signifie le texte. Nous demandons cette signification au prêtre. C’est le magis-
tère de l’Église qui interprète la Bible pour nous ”.
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