Trace d’apprentissage n°1
J’ai eu l’occasion de voir plusieurs fois en hospitalisation Mr P. Il s’agit d’un
patient de 65 ans, ancien plombier, veuf (sa femme est décédée d’un cancer du
poumon).
Intoxication tabagique passive.
Mr P. nous a été adressé par son médecin traitant en octobre dernier pour bilan
d’une AEG avec masse abdominale douloureuse et image suspecte à la radio de
thorax.
Apres bilan on diagnostique un cancer pulmonaire à petites cellules au stade
disséminé (métastases hépatiques, paravertébrales et envahissement médullaire).
Mr P est informé du diagnostic, des modalités thérapeutiques, et de leurs
principales complications en présence de son fils et de sa nouvelle compagne.
On débute une chimiothérapie par cisplatine VP16. Cette chimiothérapie
comprend plusieurs cures avec un bilan d’évaluation (scanner) toutes les 3 cures.
Mr P. en est actuellement à sa 4ème cure de chimiothérapie.
Les cures ont été assez mal tolérées puisqu’elle se sont compliquées d’aplasie
fébrile qui a nécessité qu’on le garde a chaque fois plusieurs jours
supplémentaires en hospitalisation :
- 1ère cure : aplasie fébrile avec septicémie documentée a pyocyanique.
- 2ème et 3ème cure : aplasie fébrile. Pas de documentation bactériologique.
- 4ème cure : aplasie fébrile. Retrait de la chambre implantable pour hemocc
+ à staph et BGN.
A chaque fois, Mr P. est transfusé (GR, plaquettes), reçoit une antibiothérapie
large. Sa durée d’hospitalisation est de 15 j à 3 semaines en moyenne et entre les
hospitalisations, Mr P. rentre chez lui environ 15j. Chez lui il est alité la plupart
du temps, ne sort pas mais partage ses repas avec sa compagne, regarde la
télé
La poursuite de la chimiothérapie est source de désaccord au sein du service.
Les arguments pour la poursuite de la chimiothérapie:
- Réponse objective sur le TDM après 3 cures (régression des lésions en
particulier hépatiques)
- Souhait du patient et de son entourage de poursuivre la chimiothérapie
malgré le risque vital encouru a chaque fois (qu’on lui a bien expliqué).
Les arguments contre la poursuite de la chimiothérapie :
- Qualité de vie médiocre (Reste alité une grande partie de la journée, ne
sors pas de chez lui, passe la moitié de son temps à l’hôpital, …)
- Risque vital a chaque cure.
- Coût des thérapeutiques employées pour un patient qui a une espérance de
vie très réduite.
- Biais dans la décision du patient lié au fait qu’il ne connaît pas le
pronostic de sa maladie (voudrait-il poursuivre s’il le savait ?)
Les questions que je me pose :
1°) Puis-je juger de la qualité de vie d’un patient à sa place et comment ? Une
qualité de vie qui me paraît médiocre peut-elle au contraire être acceptable
pour le patient ?
2°) Mr P voudrait-il poursuivre s’il savait le pronostic de sa maladie?
3°) Que peut-on dire au patient ?
4°) Si on arrêtait la chimiothérapie chez ce patient, que peut-on lui proposer ?
Quelles sont les structures de soins palliatifs qui existent en ville et à
l’hôpital ?
1°) Puis-je juger de la qualité de vie d’un patient à sa place et comment ?
Une qualité de vie qui me paraît médiocre peut-elle au contraire être
acceptable pour le patient ?
Il existe plusieurs moyens de mesure de la qualité de vie. Dans une revue de la
littérature de 1970 à 1995 on dénombre plus de 50 outils de mesure de la qualité
de vie d’un patient ayant un cancer ( Quality of life in patients with lung cancer : a
review of the literature from 1970 to 1995,A Montazeri, Chest 1998).
Tous ne sont pas utilisés en pratique courante. Le plus utilisé et le mieux corrélé
à la qualité de vie est le performans status :
0 - Asymptomatic
1 - Symptomatic but completely ambulant
2 - Symptomatic, <50% in bed during the day
3 - Symptomatic, >50% in bed, but not bedbound
4 - Bedbound
5 - Death
C’est celui qu’on utilise en pratique courante dans le service.
En ce qui concerne Mr P., j’estime son PS à 3/5.
Mr P. lui-même ne se plaint pas particulièrement d’une mauvaise qualité de vie
en dehors du fait qu’il est fatigué. Avant que l’on ne découvre sa maladie il était
déjà plutôt casanier
Est-ce que sa qualité de vie qui me parait médiocre (PS=3) est au contraire
acceptable pour lui ? La qualité de vie me parait être une notion extrêmement
subjective. En effet, chaque patient a ses propres repères, ses propres envies. Si
rester chez lui avec sa compagne, regarder la télé et se reposer lui convient, je
n’ai pas le droit de juger ceci comme état une « mauvaise » qualité de vie.
Dans un article paru dans Br J Cancer en 1981 (who should mesure the quality of life,
the doctor or the patient ?Br J Cancer, 1988), les auteurs se demandent si c’est au
médecin ou au patient d’évaluer la qualité de vie. Les résultats de l’étude
montrent une grande différence entre l’évaluation de la qualité de vie faite par
les médecins et par le patient. Il existe une variabilité allant de 30% à 50% selon
le score utilisé.
Les auteurs ne sont pas étonnés par les résultats et l’expliquent par le fait que la
qualité de vie contient des éléments très subjectifs et ne peut donc pas être
entièrement mesurée par des scores scientifiques.
Je pense qu’il faut donc se garder d’appliquer ses propres références aux autres.
On doit accepter que chaque patient soit différent.
Dans ces situations difficiles il est plus question d’accompagnement que de
soin, il faut arriver à mettre en avant les désirs du patient et ne pas projeter les
notres sur eux.
2°) Mr P voudrait-il poursuivre s’il savait le pronostic de sa maladie?
Je me suis demandé si la décision de poursuite du traitement par Mr P n’était
pas liée au fait qu’il ne savait pas tout sur sa maladie en particulier sur le
pronostic.
J’ai lu un article paru en 1990 dans BMJ, ou les auteurs montrent que les
patients qui ont un cancer acceptent plus facilement un traitement radical que les
médecins ou que n’importe quelle personne non malade:
(Attitudes to chemotherapy : comparing views of patients with cancer with thoses of doctors,
nurses, and general public. ML Selvin, BMJ 1990)
Un traitement intensif serait accepté pour une chance de survie de :
- 1% par les patients
- 10% par les cancérologues
- 25% par les généralistes
- 50% par les non malades
pour une chance de prolongation de la survie de :
- 12% par les malades et les cancérologues
- 24% par les MG
- 24-60% par les non malades
pour une chance de soulagement des symptômes de :
- 10% par les malades
- 50% par les cancérologues
- 75% par les MG et les non malades
Ma première idée était que si le patient était conscient de la réalité « médicale »
de la situation, il refuserait sûrement la poursuite de ce traitement. Mais on
oublie vite qu’une personne malade ressent les choses différemment qu’un non
malade comme le montre les résultats ci-dessus (je n’aurais jamais imaginé une
telle différence entre malades et non malades !).
Mon point de vue après ces 6 premiers mois au contact des malades, est que si
ces derniers sont correctement informés de leur pathologie et qu’ils désirent
malgré tout poursuivre ces traitements, on se doit de les accompagner tout en
étant vigilant de ne pas sombrer dans l’acharnement thérapeutique.
Peut-être a-t-il aussi tout simplement besoin de temps pour accepter sa maladie
et le fait qu’elle puisse être mortelle, pour régler un problème familial, etc…
3°) Que peut-on dire au patient ?
(What do patients receiving palliative care for cancer and their families want to be told ? A
canadian and australian qualitative study, P KirK, BMJ 2004)
L’annonce d’un diagnostic de cancer est quelque chose de complexe. Cette
étude montre que la façon dont l’information est donnée est aussi importante que
le contenu de l’information. Pour les patients interrogés une annonce de
diagnostic de qualité est une annonce où le médecin prend du temps, montre de
la compassion, donne une information claire et progressive.
En ce qui concerne l’annonce du pronostic le problème est encore plus difficile.
Certains patients disent que l’information a été donnée trop tôt ou quand ils ne
l’avaient pas demandée. Certains sont ambigus ils veulent qu’on leur dise mais
ne veulent pas savoir !
Ce qui est particulièrement souligné dans cette étude est l’importance de
message d’espoir et cela quel que soit le stade de la maladie. Jusqu à la fin les
patients et leur famille veulent « qu’on laisse la porte ouverte pour la possibilité
d’un miracle ».
Un autre fait important souligné par l’étude est l’utilisation d’autre moyens
d’informations dit secondaires (internet, média, info données par des amis…)
Je pense qu’on doit répondre aux questions que les patients nous posent. Mais
dans tous les cas on ne peut pas dire au patient d’emblée que sa maladie est
incurable qu’il n’a aucune chance de s’en sortir sinon on risquerait d’entraîner
une mort psychologique.
Dans le cas de Mr P il parait d’autant plus difficile de lui dire cela que son bilan
montre une régression des lésions. On ne peut pas lui retirer l’espoir d’une
guérison.
4°) Si on arrêtait la chimiothérapie chez ce patient, que peut-on lui
proposer ? Quelles sont les structures de soins palliatifs qui existent en ville
et à l’hôpital ?
Il existe plusieurs structures de soins palliatifs en France.
- Les unités de soins palliatifs (USP)
- Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP)
- Les lits de soins palliatifs au sein des services de cancérologie
- L’hospitalisation à domicile (HAD)
- Des structures ambulatoires et des associations de soins palliatifs
(exemple : le réseau Quiètude)
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