L`Eglise Maronite P. Karam RIZK Directeur de l`Institut d`Histoire

publicité
L’Eglise Maronite
P. Karam RIZK
Directeur de l’Institut d’Histoire
Université Saint-Esprit de Kaslik (Liban)
Cet exposé vise la présentation des grandes phases de l’histoire des Maronites tout en
indiquant les articulations problématiques afin d’ouvrir de nouvelles pistes aux
"maronitologues", car une œuvre historique est souvent aussi intéressante par les questions
qu’elle soulève que par les réponses qu’elle apporte. Cet exposé prend en considération les
résultats de la recherche relatifs à l’histoire des églises orientales et les découvertes
heuristiques au niveau des sources écrites et non écrites. Quiconque d’ailleurs sait combien le
sujet traité a besoin d’être rafraîchi et les préjugés bannis.
Les Maronites en tant que peuple ont une histoire millénaire, celle de l’homme fixé sur la côte
orientale de la Méditerranée et en Syrie septentrionale. Ethnologiquement, ce peuple qui
existe avant l’antiquité, gréco-romaine est composé de plusieurs races, issues du mélange des
civilisations dont le Proche-Orient fut le creuset. Néanmoins, on affirme que l’élément
araméo-phénicien prédomine chez lui. évangélisé dès l’âge apostolique, il enracine son
histoire dans le christianisme dont il adopte la forme maronite au milieu du Vème siècle.
Déjà la Bible réserve une large place à la civilisation cananéenne et phénicienne et mentionne
à plusieurs reprises les Cèdres du Liban, Tyr, Sidon et d’autres villes dans les colonies de la
Méditerranée, délimitant ainsi le pays de Canaan, considéré comme la terre promise.
Le Christ révolutionne l’histoire et transforme les types des relations entre les êtres humains.
Sa rencontre avec la cananéenne s’offre comme le premier signe de l’universalisme du
message chrétien qui s’annonce au monde via les Apôtres selon un rythme plus accéléré,
notamment après l’an 37. La côte libanaise sera privilégiée comme point de passage des
Apôtres et de leurs auxiliaires avant qu’ils ne s’installent à Antioche où émerge le nom de
"chrétiens" pour la première fois.
Si la côte a reçu très tôt la Bonne Nouvelle, l’évangélisation de la montagne libanaise se fait
attendre. Elle s’accomplit au Vème siècle par des disciples de saint Maron de qui les
Maronites tirent leur nom. Maron est un personnage historique.St.-Maron Il est
communément reconnu comme le fondateur d’une voie monastique originale l’anachorétisme
ou la vie en plein air (hypèthre) dont le stylisme n’est qu’une variante. Il se fixa aux environs
de Cyr sur le versant occidental de l’Amanus, près d’un temple païen qu’il avait consacré au
culte du vrai Dieu. Prêtre, Maron accomplissait des miracles et sa réputation se répandait dans
la contrée et augmentait le nombre de ses disciples. Vers 405, St. Jean Chrysostome, de son
exil de Cucuse, lui adressa une lettre et se recommanda à sa prière l.
La date de sa mort ainsi que le lieu de son sépulcre sont inconnus. Théodoret de Cyr,
l’historien de l’église, particulièrement du monachisme syrien, n’avait pas besoin de
consigner un fait notoire. Selon les spécialistes son trépas devait arriver vers 410, sûrement
avant 423, date de l’accession de Théodoret au siège épiscopal de Cyr. Son inhumation devait
avoir lieu dans un bourg qui réussit à recueillir ses dépouilles.
Des controverses christologiques passionnées se déclenchèrent suite à la mort de St. Maron,
divisèrent les chrétiens au Vème siècle. Ephèse ne mit pas fin au déchaînement, mais causa la
deuxième dislocation dans l’unité de l’église en produisant l’église nestorienne.
Celle-ci se développa en dehors des limes de l’Empire et rayonna dans tout l’Orient.
Chalcédoine accentua les scissions et engendra les églises-Nations : copte éthiopienne,
arménienne, syriaque. Cette dernière se scinda en 2 groupes : l’Eglise monophysite orthodoxe
et l’église maronite. Celle-ci se réclama de Maron dont 1"’école" ascétique survécut à la mort
du fondateur. C’est ainsi que Théodoret de Cyr s’exprime à propos de ce phénomène : "C’est
lui qui a planté pour Dieu le jardin qui fleurit aujourd’hui dans la région de Cyrrhus".
L"’école" ascétique se transforma en monastère, fondé en 452 très probablement par
l’empereur Maurice, mais organisé sous l’égide de Théodoret, qui infléchit l’ascèse dans le
sens de la modération, conformément aux décrets de Chalcédoine. C’était normal de redonner
la dignité à l’être humain et d’en revaloriser le corps, soumis auparavant à une austérité
"martyrisante", puisque l’essence de la définition de Chalcédoine énonce que le Christ est une
personne unique en deux natures : humaine et divine parfaites. "Nous enseignons tous d’une
seule voix, proclament les pères conciliaires, un seul et même Fils, NSJC, le même parfait en
divinité, le même parfait en humanité, le même Dieu vraiment et homme vraiment, fait d’une
âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous
selon l’humanité, semblable à nous en tout hors le péché, engendré du Père avant les siècles
quant à sa divinité... engendré de Marie, la Vierge, la Théotokos quant à son humanité, un
seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en deux natures,
sans confusion ni changement, sans division ni séparation ; la différence des natures n’est
nullement supprimée par l’union, mais, au contraire, les propriétés de chacune des deux
natures restent sauves et se rencontrent en une seule personne ou hypostase"2.
Cette définition constitue l’âme de l’être maronite : une foi inébranlable en Dieu qui requiert
une fidélité indéfectible au magistère de l’église. Ainsi le monastère de St. Maron, premier
foyer orthodoxe, se fixa un double but : défendre la doctrine de Chalcédoine et évangéliser les
contrées encore païennes. C’est autour de ce monastère, situé vraisemblablement en Syrie
Seconde, que se forma l’église maronite. Le site exact du monastère demeure inconnu.
L’ignorance de son adresse donna lieu aux multiples théories soigneusement rassemblées par
H. Suemann3. Les fouilles archéologiques et la concordance des sources écrites devraient
mener à délimiter la place du couvent. Pendant trois siècles, le monastère dirigea la lutte pour
la défense du chalcédonisme et sa suprématie fut reconnue universellement dans les
assemblées synodales et les débats dogmatiques organisés devant les maîtres de la Syrie, tour
à tour byzantins et arabes. Les discussions théologiques dégénérèrent en bataille surtout lors
de l’installation de Sévère au siège d’Antioche. En 517, tombent les premiers martyrs
maronites de Chalcédoine, victimes d’une embuscade tendue par les Monophysites aux
abords de Larissa, alors qu’ils se rendaient pour une réunion en vue d’une réconciliation4. La
fermentation théologique et intellectuelle manifestée vers 591, en 658-659, toujours frustrée,
devait se muer en une organisation institutionnelle. Les moines de Beth Maron ou de la
maison de Maron, ainsi appelés par les sources, et leurs évêques, attachés à la communion et à
la charité, auraient bien voulu rester là si des événements majeurs ne s’étaient pas déclenchés,
déterminant un cours inflexible.
La naissance de l’Eglise maronite
La vacance prolongée du siège patriarcal chalcédonien suite à l’assassinat du patriarche en
610, la conquête arabe de la Syrie en 634, l’appui que les nouveaux maîtres prodiguaient aux
Monophysites, les vexations et les humiliations obligèrent des groupes de Beth
MaronJean_Maronà quitter la Syrie pour se réfugier ès d’autres confrères installés au MontLiban. Davantage, ces facteurs obligèrent les responsables de Beth Maron à fonder leur propre
église, la seule chalcédonienne, et à transférer le siège patriarcal d’Antioche au Mont-Liban.
Chalcédoine engendre ainsi des églises-Nations. Les douleurs de sa naissance auraient duré
plus de deux siècles et demi. L’église maronite naquit alors un peu loin de son berceau initial.
L’histoire semble avoir donné raison aux premiers Maronites. Le Mont-Liban devint un asile
de liberté et d’autonomie, un pôle d’attraction pour toutes les minorités, chrétiennes ou
musulmanes, qui chérissent ou partagent ces valeurs. Presque tous les hiérarques transférèrent
leurs sièges au Mont-Liban à partir du XVIIème siècle.
Les Maronites et le monothélisme
Certains historiens sont habitués à étiqueter les églises "dissidentes" - et à chacun son
orthodoxie - par une hérésie. Aux Maronites, on confère facilement le monothélisme, erreur
doctrinale qui attribue une seule volonté (thélèma) au Christ. N’est-ce pas une façon
détournée de saboter le dogme de Chalcédoine ? Les accusateurs sont légion. Jean Damascène
aurait ouvert le feu. Il fut relayé par Thimothée (+820), patriarche des Nestoriens, Dionysius
al-Tell Mahré (+845), patriarche jacobite d’Antioche, Eutychès, patriarche d’Alexandrie au
début du Xème siècle et d’autres. L’accusation fut introduite en Occident par le biais de
Guillaume de Tyr (1 127-1181 ?) ; Le Quien l’a propagée. Mgr Clément Joseph David reprit
le dossier, puis S. Vailhé, et récemment K. Salibi et Matti Moosa. Les plus modérés disent
qu’une partie minime des Maronites aurait embrassé l’hérésie monothélite au sens moral,
c’est l’avis du professeur Carcione. La liste d’accusateurs peut encore s’allonger. Les
historiens maronites, les sortants du Collège maronite de Rome, rétorquèrent et qualifièrent
ces accusations de calomnies. Ils furent appuyés par Messeigneurs Debs et Darian.
Nous ne voudrions pas raviver une polémique. Mais, les accusations sont portées rapidement
et se basent sur quelques documents écrits : correspondance ou interpolation manuscrite,
auxquels on désire ramener la vie de toute une église. Certes, l’hérésie monothélite fut
condamnée au concile de Constantinople en 680. Les Maronites acquiescent depuis toujours
aux décrets bien qu’ils ne fussent pas représentés au concile et nullement inculpés
nommément.
Le monothélisme aurait été transmis ou imposé aux Maronites par leur ami, l’empereur
Héraclius, qui séjourna en Syrie de 629 à 634, donc par un canal officiel. Personne ne peut
nier l’amitié de l’empereur byzantin avec les chalcédoniens maronites. Mais l’Ekthèsis
(exposé), l’édit ainsi appelé puisqu’il était affiché aux portes de Sainte-Sophie, ce compromis
théologique qui s’inscrit dans la politique religieuse de Constantinople, était destiné aux
chalcédoniens syriaques comme aux monophysites. Conçu par le patriarche de Constantinople
Sergius (610-638) et l’empereur, il fut proclamé en 636, après l’échec du monoénergisme et le
retrait de l’empereur de la Syrie. En effet, Héraclius escomptait toujours pouvoir rallier tout le
monde, notamment dans les provinces, pour faire face aux dangers perse et arabe. Les
historiens maronites soulignent que le monothélisme arriva en Syrie vers l’an 727, colporté
par certains prisonniers byzantins. A ce moment, leur église était installée ailleurs, à l’abri de
toute contamination5.
Les Maronites et les Mardaïtes
L’amitié d’Héraclius et des Maronites se manifeste autrement, plutôt au niveau institutionnel
que doctrinal. A l’heure actuelle, il est unanimement admis que Héraclius est le nouvel
organisateur de l’Empire byzantin, après Dioclétien et Constantin. Il institua les thèmes, c’està-dire des contingents mobiles stationnés sur un territoire provincial, qui remplace le diocèse.
Les thèmes sont formés par des stratiôtes, à la fois militaires et paysans. Aux razzias arabes
conduites en Asie Mineure, il fallait une armée agile capable d’opérer sur place. Lorsque les
tagmata de Constantinople s’ébranlaient, l’ennemi serait retiré. C’est dans ce contexte de
restructuration de l’Empire qu’il faudra placer les Mardaïtes. Ces troupes furent envoyées au
Mont-Liban pour harceler l’armée des Omeyyades, stopper ses incursions en territoire
byzantin et empêcher les califes de former une flotte qui gênerait le commerce en
Méditerranée. Les Mardaïtes, vraisemblablement de souche non-maronite, s’acquittèrent de la
tâche. Lorsqu’ils furent rappelés en 686 par Justinien II Rinocète, ils seraient scindés en trois
groupes : le premier se rattacha au service de Byzance, le deuxième s’inféoda aux Arabes et le
troisième, probablement le plus nombreux, demeura au Liban et s’intégra aux Maronites.
Le retrait des Mardaïtes affaiblit non seulement les défenses du Mont-Liban, mais brisa celles
de l’empire aux dires de Théophanes : " L’empereur (Justinien II) ayant envoyé (un ordre),
tira les Mardaïtes, au nombre de douze mille hommes (du Liban qu’ils occupaient) brisant
ainsi par l’extrémité la (force de la ) puissance romaine ; car toutes les villes occupées
maintenant (du temps du chroniqueur Théophanes), par les Arabes, sur le haut des montagnes,
depuis les confins de Mopsueste (en Cilicie) jusqu’à la quatrième Arménie, étaient sans force
et inhabitées, par les excursions des Mardaïtes ensuite réprimées. L’Empire romain a souffert
(depuis ce moment) jusqu’à présent toutes sortes de maux et de malheurs de la part des
Arabes "6.
La méconnaissance de l’appareil institutionnel byzantin de cette période, notamment
l’organisation des thèmes, induit les historiens, même maronites, à émettre des hypothèses
peu vraisemblables. Le recours à la grande histoire, celle des relations byzantino-arabes au
Vlle siècle, peut aider à élucider le phénomène des Mardaïtes7.
Certains autres historiens n’excluent pas uniquement tout lien entre Maronites et Mardaïtes,
mais nient l’historicité de Jean-Maron, premier patriarche de l’Eglise maronite. Ils le classent
comme un personnage fictif créé par l’imagination des Maronites pour le besoin de la cause.
Chabot, un des grands syriacisant, tient cette hypothèse. Nau et Breidy répliquent. Ils
parviennent à prouver l’authenticité de ses écrits qu’ils éditent sous le titre d’opuscules
maronites. Après le départ des Mardaïtes, une pénombre règne sur l’histoire des Maronites
jusqu’au dixième siècle.
Le déplacement du centre de gravité vers le Liban
A partir du Xème siècle, la géographie ecclésiastique maronite change. Selon Mass’udî, ils
étaient auparavant répandus en Syrie du Nord : " La plupart de ses membres, écrit-il, résident
dans les monts Liban et Sanir, à Emèse et dans les districts qui en dépendent, comme ceux de
Hamat, de Chayzar, de Ma’arrat an-Nu’màn.
Maron avait un couvent, qui porte son nom, à l’est de Hamat et de Chayzar, constitué par un
vaste bâtiment, entouré de plus de trois cents cellules où logeaient les moines. Ce couvent
possédait, en objets d’or et d’argent et en pierreries, des richesses considérables.Yanouh Il fut
dévasté avec toutes les cellules qui l’entouraient, par suite des incursions réitérées des
Bédouins et des violences du Sultan. Il s’élevait près du fleuve Oronte, fleuve d’Emèse et
d’Antioche "8. Ce témoignage correspond à ce que rapportent Michel le Syrien, Eutychès
d’Alexandrie, Barhebraeus et Lammens9.
L’émigration des Maronites, commencée au Vème siècle, s’acheva par la destruction de leur
couvent en Syrie au Xème siècle. Les données de Mass’ùdî correspondent aux sources
syriaques et grecques relatives au va-et-vient de la population en Syrie du nord transformée en
glacis ou zone tampon. Pour éviter le processus d’implantation et de transplantation pratiqué
sans cesse par les Byzantins et les Arabes et particulièrement récurrent et intense entre le
Xème et le Xlème siècle, les Maronites préférèrent se réfugier au Mont Liban auprès de leurs
confrères que d’être déportés ailleurs. Les travaux de G. Dagron sont concluants. En aucune
fois, la solution vient de la grande histoire, celle de Byzance et des Arabes. La croisade entre
961-967 par Nicéphore Phocas, Jean Tzimiskès et, plus tard, par Basile II, entraîne une
dépopulation. Qui comblera le vide démographique ? Des gens habitués à cohabiter avec les
Arabes et à s’installer sur des frontières. Les Syriens jacobites étaient les mieux préparés.
Ainsi témoignent Michel le Syrien et Barhebraeus10. Entre 954 et 1072, les immigrés
jacobites fondent dans la région reconquise trente sièges épiscopaux et cinquante six
couvents. L’expansion jacobite et la connivence byzantine ne laissent plus de place pour les
Maronites.
Cet exode progressif amena des Maronites dès le IXème siècle à Chypre où ils fondèrent
plusieurs monastères selon l’indication des scholies de certains manuscrits conservés dans ces
monastères avant de loger au Vatican11.
Ainsi donc les Maronites décidèrent d’abandonner les riches plaines de la Syrie pour se
réfugier au Liban, de quitter les rives de l’Oronte, où pouvaient s’épanouir les cultures les
plus variées, pour des arides montagnes aux terres informes et sauvages.
" Arrivés au Liban septentrional, peu avant les Mardaïtes, au VIème siècle, ils y avaient mené
une existence précaire, persécutés, décimés par les Abbassides (750-1098), jusqu’à l’arrivée
des Croisés, cependant que leurs communautés, demeurées dans les plaines et les cités
riveraines de l’Oronte, achèvent lentement de se dissoudre "12.
Les Maronites et les Croisés
Guillaume, évêque latin de Tyr, rompit le silence qui avait plané pendant quatre siècles sur la
nation maronite. Voici comment il en témoigne : " Un peuple de Syriens, habitant la province
de Phénicie, dans les montagnes du Liban près de la ville de Byblos... le nombre de cette
population n’était pas peu considérable ; il dépassait disait-on, quarante mille personnes
établies sur les sommets et les pentes du Liban et réparties entre les évêchés, de Byblos, de
Botrys et de Tripoli. C’étaient des hommes courageux, vaillants à la guerre et très utiles aux
nôtres dans les graves affaires que ceux-ci avaient bien souvent avec leurs ennemis "13.
C’est une nouvelle géographie physique et humaine qui se dessine. Les quarante mille
maronites, recensés pour la première fois, se fixent définitivement dans la partie
septentrionale du Liban et leur histoire se lie immédiatement à celle du Comté de Tripoli
(1110-1289) où ils composaient la majorité des habitants, et dont les frontières furent au nord
les châteaux de Raphanée et de Montferrand en face de Tortose, à l’ouest la Méditerranée, à
l’est les montagnes du Liban reliées au Krak des chevaliers, au sud le ruisseau de
M’amaltayn, près de Jounieh. .
Si les Maronites étaient les plus nombreux, les mieux organisés et occupaient le premier rang
dans la hiérarchie parmi les indigènes, les Nestoriens et les Jacobites, héritiers des universités
"syriaques", Nisibe et Edesse, étaient intellectuellement supérieurs à tous, particulièrement en
médecine14.
Les Maronites adoptèrent l’organisation des Croisés et devinrent leurs auxiliaires les plus
estimés. Lorsque le Comté de Tripoli fut divisé en seigneuries, les Maronites et les autres
indigènes chrétiens entrèrent dans cette organisation féodale. Les seigneurs locaux
s’appelaient raïs, regulus en latin. Les reguli, comme les seigneurs francs, dominaient des
villages et possédaient des fiefs. Ils fournissaient à l’armée sa cavalerie indigène. L’autorité
des reguli n’était pas toujours inférieure à celle des seigneurs francs 15.
La collaboration des Maronites avec Les Croisés n’était pas inconditionnelle. Les chroniques
rapportent certains malentendus, notamment en 1136 où les Maronites auraient facilité la
pénétration des Arabes en territoire croisé. Suite à ces velléités d’autonomie, les Croisés leur
auraient procédé à des schèmes ecclésiastiques latins. C’est dans ce contexte que Guillaume
de Tyr essaya d’insérer le récit d’une éventuelle conversion des Maronites devant le
patriarche latin d’Antioche, Aimery. L’évêque se base sur une source douteuse, celle
d’Eutychès d’Alexandriel6.
L’organisation hiérarchique de l’Eglise maronite et la répartition de ses évêchés ne
coïncidaient pas toujours avec celle de l’église latine du Comté de Tripoli. QannoubinIl est
difficile de localiser et de dénombrer précisément les évêchés. La résidence patriarcale ellemême ne fut pas définitivement fixée avant le XVIIIème siècle. Le patriarcat maronite était
composé du patriarche maronite d’Antioche et d’une dizaine d’évêques dont cinq au moins
résidaient avec lui.
Durant cette période, le patriarcat maronite s’étendit jusqu’à l’île de Chypre et la Palestine,
comme l’indiquent des inscriptions laissées dans les lieux de culte communs aux deux
peuples, notamment celle de l’église d’Acrel7. Les Maronites, seuls orientaux, pouvaient
célébrer dans les églises latines de la Terre Sainte et utiliser les mêmes ornements liturgiques.
Il semble aussi que la vie monastique fut florissante chez les Maronites au Xllème et XIIIème
siècles. E. Rey énumère plus de dix grands monastères maronites à cette époque.
Les Maronites et les Mamlouks
Au commencement de la deuxième moitié du XIIIème siècle, les états latins tombèrent
successivement entre les mains des Mamlouks. Seul le Comté de Tripoli, dans sa partie
libanaise, résista. Les mamlouks multiplièrent leurs assauts contre le comté tripolitain et
l’arrière pays maronite. Le Kisrawàn ne fut pas épargné non plus. Baybars dirigea la première
expédition en mai 1268.
Il parvint à saccager les banlieues de Tripoli et à tuer les paysans des alentours. Les raids
continuèrent sans cesse. Celui de 1283 échoua devant Tripoli mais les Turcomans et les
Mamlouks défoncèrent les fortifications de la région d e Bcharré, démolirent les villages et
emmenèrent en captivité des milliers de Maronites dont le patriarche Luc de Bnahràn. La
destruction totale du comté tripolitain et l’invasion du pays des Maronites fut œuvre du sultan
Qalâwùn le 26 avril 1289. Deux ans plus tard, il obligea les Francs à quitter Byblos vers
Chypre. Beaucoup de Maronites les accompagnèrent. Ainsi s’acheva l’ère des Croisades.Ilije
Les Maronites du Liban, devenus une proie facile, échappèrent de peu à l’extermination. Leur
mémoire collective garde vivante dans sa tradition orale la cruauté des esclaves, devenus
sultans. Jusqu’en 1516, début de l’ère ottomane, les Maronites restèrent soumis aux intendants
des Mamlouks installés à Tripoli. C’est vers cette date que s’est opérée la jonction historique
entre eux et les Druzes de la dynastie Ma’n pour la construction du Liban. Désormais,
l’histoire de ces deux peuples, mieux connue, sera succinctement exposée.
La formation historique du Mont-Liban et son statut spécial durant la période ottomane
1516-1918
Nous avons signalé plus haut que les Maronites s’installèrent dès le Vème siècle dans la partie
septentrionale du Mont-Liban. Les Druzes s’implantèrent dès le XIème siècle à Wàdî t-Taym
et progressivement dans le Gharb et au Chûf. Ces deux peuples étaient attachés à leur
autonomie et se laissaient gouverner respectivement par leurs chefs locaux. La dynastie Druze
Buhtur gouverna le Gharb (1140-1516). Les Ma’n succédèrent au Buhtur (1516-1697). Les
Chéhâb succédèrent aux Ma’n (1697-1841). Au nord, dans le pays maronite, les Muqaddam
(préposés) gouvernèrent Jubbat Bcharri (1382-1621), les Hubaych administrèrent le
Kisrawàn(1523-1591) - sous le contrôle des Al ’Assàf, puis les Kâzen (1615-1858).
Quand les Ottomans conquirent la Syrie en 1516, ils laissèrent la Montagne entre les mains
des émirs locaux. La partie méridionale relevait du vilayet de Damas, la partie septentrionale
de celui de Tripoli. Fakhr id-Dîn Ma’n II unifia les deux partie. Il annexa Beyrouth en 1589et
mit la main sur le Kisrawàn en1605. Depuis cette date, l’union des Maronite et des Druzes fut
scellée. Ils constituèrent ensemble une puissance dans la région. L’émir Fakhr id-Dîn II, fort
de cette cohésion intérieure, songea à se libérer du joug ottoman. Il agrandit son territoire et
contrôla Jérusalem, Damas, Hauran et une partie de la Jordanie. Il développa les relations
politiques et commerciales avec l’Occident. Sidon devint sa capitale et recouvra sa gloire de
jadis, au temps des Phéniciens. A la force, Fakhr id-Dîn Il joignit l’habileté. Il savait
intervenir au bon moment pour suborner les Grands vizirs et leur entourage. Bref, Fakhr idDîn II était le premier homme d’état ayant conçu un projet politique cohérent pour le Liban.
Son règne est unanimement considéré par les historiens comme l’âge d’or de l’histoire du
Liban. Cependant, en 1633 le Sultan Murat IV reconquit le pays du grand Ma’n, le décapita
deux ans plus tard et redistribua ses domaines. En 1660, on créa le vilayet de Sidon pour
isoler le Mont-Liban de la côte et empêcher toute nouvelle tentative d’indépendance.
A l’extinction de la dynastie Ma’n, leurs parents, les Chéhâb, princes sunnites de Wàdî tTaym, prirent le pouvoir. Ils réussirent, malgré les dissensions intérieures et les difficultés
extérieures, à garder l’unité et l’autonomie du Mont Liban. En 1711, à la bataille de ’Ain Dara
qui opposa les factions traditionnelles, les Qayssî conduits par les Chéhàb et les Abù 1-Lama’
et les Yamanî, dirigés par les Hannuch et les ’Alam id-Dîn, les Chéhàb sortirent vainqueurs.
Les ’Alam id-Dîn furent exterminés. Les survivants des Yamamî fuirent en Hauran. Le
territoire de l’émirat fut divisé en 21 unités administratives, appelées Muqata’at selon la force
des chefs des clans victorieux, appelés Muqàta’jî.
Les effets de ce partage marquent encore le paysage socio-politique du Liban où des familles
conservent leur influence dans des zones particulières, résidus de la féodalité. Dès 1754, deux
nouvelles factions se constituèrent, les Jumblâtî et les Yazbaki. Elles subsistent uniquement
encore au niveau des Druzes. Mais à l’époque, elles incluaient respectivement des Maronites.
Le règne de Bachîr II (1787-1840) fut extrêmement troublé. Le Mont-Liban subit les
répercussions de la révolution industrielle qui démantela ses structures agraires et modifia les
rapports sociaux en brisant la rigidité des ordres. Elle précipita l’Emirat dans les grands
conflits régionaux : l’expédition de Napoléon en Egypte, l’invasion de la Syrie par Méhémet
Ah, la rivalité anglo-française au Proche-Orient, les différentes tentatives des agents turcs
pour S’emparer du Mont-Liban. Au niveau intérieur, l’Emirat connut la rivalité des factions
yazbaki contre les jumblatî les premières révoltes rurales nommées ’amnîya, le soulèvement
du clan jumblâtî les premiers incidents confessionnels druzo-maronites.
En 1840, l’Angleterre, pour sauvegarder l’intégrité de l’Empire ottoman contre le vassal
rebelle Méhémet Ali et pour contrôler unilatéralement la route des Indes et les centres
d’approvisionnement en matière première, appuya les paysans au Mont-Liban mécontents des
mesures oppressives prises à leurs égards par le vice-roi. Une fois Méhémet Ali expulsé de la
Syrie et son allié Bachîr II exilé, l’Angleterre soutint inconditionnellement les prétentions des
"seigneurs" druzes face aux revendications des paysans maronites. Le résultat de la politique
anglaise fut la guerre civile et l’effondrement de l’émirat libanais.
Suite à la guerre civile de 1842, on divisa le Mont-Liban en double gouvernement ou
Caimacamat (qà’ imaqamîyatayn), l’un pour les Druzes, l’autre pour les chrétiens. Un
gouverneur druze, issu du clan Arslàn, dirigeait les Druzes et un gouverneur chrétien, pris
dans la famille Abû 1-Lama’, les chrétiens. La route Beyrouth-Damas séparait les deux
communautés. Mais les paysans maronites résidant dans la partie méridionale et travaillant la
terre des "seigneurs" druzes n’avaient aucune garantie, bien qu’ils fussent plus nombreux que
les Druzes. La guerre civile recommença en 1845. Sous la pression des Puissances
occidentales notamment la France, Chékib Efendi, le Ministre des Affaires étrangères turc,
institua une représentation pour les paysans maronites. Ceux-ci pouvaient élire leurs délégués
(wakil) immédiatement rattachés au qà’immaqâm chrétien. L’arrangement de Chékib
fonctionna jusqu’en 1858, date à laquelle, les paysans chrétiens du Kisrawàn se révoltèrent
contre leurs muqàta’jî Khâzen, les expulsèrent, abrogèrent le régime de I’Iqtà’ et instituèrent à
sa place une république populaire. Les muqàta’jî druzes, redoutant l’extension du souffle
révolutionnaire dans leur région, allumèrent la guerre civile. Ce furent les terribles massacres
des chrétiens en 1860, perpétrés par les Druzes en complicité avec les troupes ottomanes, à
Hàsbayyà, Ràchayyâ, Zahlé, Dayr il-Qamar et à Damas. L’ampleur du désastre appela
l’intervention de 1 Europe. Un corps expéditionnaire français mandaté par les Puissances
débarqua à Beyrouth en août 1860. Il aida les réfugiés à retourner dans leurs villages.
Simultanément, une commission internationale arrêta les indemnités et dota le Mont-Liban
d’un règlement nouveau, appelé Mutasarriftya. Le Mont-Liban serait gouverne par un
catholique non-indigène choisi par la Porte de concert avec les Puissances européennes. Il
serait assisté par un Conseil administratif de douze membres, proportionnellement élus dans
leurs communautés respectives. On divisa le Mont-Liban en 7 arrondissements (mudîrîya),
qui remplacèrent les muqâta’àt. La police se recruta parmi les autochtones en raison de 7 pour
mille habitants. On fixa l’impôt à 7.000 bourses. Toutes les fonctions furent rémunérées. On
abolit le régime féodal et les privilèges des muqàta’jî. On accorda des facilités douanières au
Mont-Liban.
Le régime de Mutasarrifiya avait ses avantages et ses désavantages. Il exclut l’indigénat du
gouverneur et créa un sentiment de frustration chez les Maronites. Il rétrécit le territoire du
Mont-Liban en détachant les villes côtières et la Biqâ’, le privant ainsi de ses ressources
naturelles. Cependant, le Règlement conféra une stabilité au Mont-Liban. Il stoppa les
ingérences de la Porte et les intrigues des pachas avoisinants.
La stabilité et la sécurité favorisèrent la naissance d’un mouvement intellectuel qui fut à la
base de la renaissance des lettres dans le monde arabe. Les missionnaires protestants de
l’A.B.C.F.M. fondèrent, en 1863, le Syrian Protestant College, l’actuelle Université
Américaine de Beyrouth. Les Jésuites érigèrent l’Université Saint Joseph de Beyrouth en
1881. AinWarqaChaque communauté confessionnelle avait un établissement scolaire. La
France subventionnait les établissements francophones et accordait des bourses aux chrétiens
et aux musulmans inscrits aux collèges autochtones tenus par les chrétiens. La Propaganda
Fide sous les mêmes établissements. Les Druzes créèrent en 1862, le collège de Dàwùdîyi à
’Abay, subventionné par les fondations pieuses (waqf) de la communauté et par le
Mutasarrifiya. Les Sunnites de Beyrouth fondèrent en 1878 l’Association musulmane de
bienfaisance (al-Maqàsid). Ce fut l’institution la plus riche du pays. Les Maronites avaient les
collèges de ’Ayn Warqa, de Rumîyi, de la Sagesse.
L’éducation, réservée d’abord à une élite maronite, se propagea dans toutes les communautés.
Les Maronites, eux-mêmes, ouvraient leurs écoles aux élèves des différentes communautés.
Les imprimeries fonctionnaient régulièrement. La production se diversifia. Des journaux et
des revues apparurent. Le théâtre offrit des spectacles. Des cercles littéraires se constituèrent,
relayés par des associations politiques. Tout était en place pour faire éclore la conscience
nationale. C’est contre cet essor que réagirent les Jeunes en 1914 en abolissant
unilatéralement le statut de la Montagne.
Affirmer que le régime de Mutasarrifiya assura une prospérité généralisée n’est pas tout à fait
conforme à la réalité. Ce fut une prospérité relative, puisque le régime n’a pour absorber la
croissance démographique et l’émigration des chrétiens à l’étranger et des Druzes vers le
Hauran. que le Mutasarrifiya apporté, c’était la sécurité des personnes, de leurs biens et
certains avantages douaniers. Cela suffisait pour que plusieurs riverains, toutes confessions
confondues, réclament leur rattachement au Liban. C’est à titre aussi que le dicton libanais
s’énonçait "heureux celui qui a la place d’une chèvre à la Montagne". Pour les Montagnards,
notamment les Maronites, le Mutasarriffya n’était qu’une étape vers l’indépendance totale du
Mont-Liban avec son territoire connu au temps de l’émirat : villes côtières et plaine de la
Biqâ’ incluses.
Les Jeunes Turcs prirent le pouvoir en 1908. Ils essayèrent de rajeunir l’ottomanisme et de
faire étouffer tout autre nationalisme. Ils ne manquèrent pas l’occasion d’opposer les
différents courants arabes les uns contre les autres. Ils achetèrent l’allégeance de certains
chefs. Quand la Turquie déclara la guerre aux Alliés le 29 octobre 1914, le pouvoir était
concentré entre les mains d’un triumvirat composé d’Envers, de Tal’at et de Jamal pachas. Ce
dernier, surnommé le Ci. massacreur", soumit la Syrie au régime militaire et abolit le statut du
Mutasarriffya. Il réserva un traitement particulièrement barbare à l’égard du Mont Liban. Il
obligea le patriarche maronite à solliciter le bérat d’investiture en tant que chef de Millet.
C’était une première dans l’histoire de l’église maronite. Les quatre années de guerre
éprouvèrent les habitants de la Montagne. La famine sévissait alors que le blé germait dans les
greniers à B’abdà. Le typhus, la conscription-l’émigration et les exécutions décimèrent la
population et ruinèrent les villages. On observait partout des champs délaissés et des maisons
écroulées. Un blocus total isola le Mont-Liban. La cruauté ottomane infligée au Mont-Liban
équivaut au génocide des Arméniens. Cette grande misère renforça les Montagnards dans
leurs revendications d’un pays indépendant. Quand les forces alliées arrivèrent le premier
octobre 1918 à Damas et le 7 à Beyrouth, la population les accueillit comme libérateurs. Un
nouveau régime commença : le Mandat.
Ce régime dura presque un quart de siècle. Il constitue un aboutissement d’une longue histoire
amorcée avec le Comté franc de Tripoli. Dès cette période se noue déjà l’amitié francomaronite. Elle se consolidera à travers les capitulations et se montrera indéfectible lorsque
l’un des partenaires traverse une crise comme ce fut le cas en 1845, 1860, 1914 1940. Les
fruits de cette collaboration sont multiples : la création du Grand-Liban, le premier septembre
1920, l’institution de la République Libanaise en 1926 avec une constitution garantissant
toutes les libertés, et l’appartenance à la francophonie.
Le Liban, rêve choyé des Maronites, havre d’humanisme ’et République démocratique à
composantes multiraciales, traversa des crises graves. Celle de 1958 est la plus significative.
Elle provient de la guerre froide qui secoue le Proche Orient où le Liban se présente comme le
corps le plus fragile.
Bkerke
Les vagues successives de l’immigration palestinienne à partir de 1948, soutenues par une
immixtion d’abord latente puis transformées en organisations militaires, voire en état dans
l’état, perturbe l’équilibre confessionnel et sape la convivialité communautaire basée sur le
pacte national, sorte de promesse d’alliance orale. A partir de 1975, les Maronites, identifiés
avec le Liban, ne sont pas contestés dans leurs idées, mais menacés d’extermination.
Systématiquement attaqués , dans les villages les plus reculés comme dans les quartiers les
plus bondés, ils se livrent à une "résistance héroïque qui leur a coûté des milliers de victimes :
ce n’était là, écrit le p. M. Hayek18, qu’une scène du long martyrologe commencé en 517".
En fait l’Eglise maronite est une église de la persécution. Elle n’a pas encore accédé à l’ère de
"la paix de l’église". Peut-on être autrement chrétien si l’on ne s’apprête pas à porter sa croix
à Une église pour laquelle on se sacrifie c’est une église vivante. Amoindris, déracinés et
dispersés, les Maronites attendent, à l’indifférence des tous, le retour du droit et la fin de
l’état-butin. En effet, la ruée vers la fonction publique n’a jamais été si échauffée. Que cette
flambée soit passagère. Eglise orientale, l’église maronite est en perpétuel contact avec les
autres églises orientales.
Elle dialogue aussi avec son environnement musulman. L’interaction est tellement profonde
qu’elle peut étonner.
On a souvent relevé l’apport des Maronites à la renaissance des lettres arabes, via le Collège
de Rome et l’école de ’Ayn Warqa. Mais il convient de rejoindre l’autre confluent. En effet, le
nomocanon, qui régit les institutions de l’église maronite, s’est enrichi de compilations de
provenance variée.
Sfeir Il intègre des éléments venant de la chari’a et de la jurisprudence islamiques introduites
officieusement par ’Abdallah Qaralî, le père du monachisme moderne, et acceptés
officiellement par les patriarches du XlXème siècle qui envoyaient des candidats s’initier
auprès des célèbres juristes musulmans. L’ouverture à l’autre est un principe directeur dans
l’église maronite. Quant aux relations des Maronites avec la France, elles sont en quelque
sorte l’autre face de leurs relations avec le Saint Siège. C’est même en fonction de
l’attachement des Maronites au Siège de saint Pierre que la France se trouve mandatée de les
protéger. Les Croisés donnent aux Maronites la possibilité de renouer avec Rome. Les
contacts deviennent réguliers dès 1439, grâces aux Franciscains de la Terre Sainte. Les Pères
Jésuites prennent la relève à partir de 1578 et essayent de raffermir la communion. Ils
interviennent pour que les Maronites aient un Collège à Rome et réussissent à le diriger dès sa
fondation par le pape Grégoire XIII en 1584. Le collège devient un foyer d’orientalisme et
une pépinière de prêtres et d’évêques, ouverts à leur milieu.
Habitués de longue date à traiter avec Rome et la France, les Maronites n’éprouvent aucune
appréhension à cultiver l’échange culturel. Cette affinité constitue, avec leur identité
antiochienne, une constante de leur histoire. Le grand fruit de cet échange demeure le Synode
du Mont-Liban, la charte toujours actuelle de l’église maronite. Puissions espérer un fruit
aussi mûr dans le synode qui s’annonce à ou du moins réhabiliter ce rôle historique de pont
entre l’Orient et l’Occident, rôle qui s’avère sans cesse indispensable.
1.
2.
3.
4.
Epist. XXXVI, P.G., t. LII, col. 630.
CAMELOT P.-TH., Ephèse et Chalcédoine, 224-225.
P.d.O. XIII (1986) 197-224.
NAAMAN P.,Théodoret... p. 157-202, publie la documentation qui atteste la primauté
du monastère de St Maron dans la lutte anti-chalcédonienne.
5. Darian, La substance.... p. 133-143.
6. Théophanes, Chronographia (1655) 302-303.
7. LILIE Ralf-Johannes, Die byzantinische Reakioti auf die Ausbreilung der Araber,
Mànchen, 1976 ; CANARD M., Byzance et les Arabes du Proche-Orient, London,
1973 ; CANARD M., Byzance et les Arabes. La dynastie macédonienne (867-959),
11, 11, 1, Bruxelles, 1950, 1968.
8. al-Mass’ûdi, Kitàb at-tanbîh, éd. Dî at-Turàth, Beyrouth, 1968, p. 131-132 ; éd. de
Coeje, Leyde, 1894, p. 153 ; cité par P. Naaman, 7héodoret.... p. 203.
9. Chronique, 11, 492-496, 51 1 ; Eutychès d’Alexandrie, Chr., 210 ; Barhebraeus, Chr.
eccl. 269-274, histoire des dynasties, 219-220 et Lammens, Le Liban, 11, 50.
10. Michel le Syrien, 111, p. 130, 136 et Barhebraeus, Chr. eccl, t. 1, col. 412 et 41 8.,
cités par Dagron p. 197.
11. Assémani, B.0r., 1, 307 ; Assémani ét.-év., Bibl., mediceae, XVHI-XIX,18.
12. Lammens, la Syrie, 11, 16.
13. P.L. CCI, col. 855-856 ; R.H.C., oc. 1, p. 1076-1077.
14. Barhebraeus, chr. eccl., H, 668-674.
15. Richard Jean, Le Comté de Tripoli, 85-88.
16. Breydy, Etude.... C.S.C.O., t. /subsid69, Louvain, 1983.
17. Cahen CI., au commle rapprochement entre Maronites et Croisés in Medieval and
Middle Eastern Studies in honor of Aziz S Atiya, Leiden, 1972, p. 62-63.
18. D.S., X, 635.
Téléchargement