L’industrie de la soie au Liban au 19ème siècle
La soie fut découverte en chine au 28ème siècle avant JC.
2400 ans plus tard, malgré l’interdit puni de mort d’en transmettre le secret, elle atteint l’Asie
centrale grâce à une histoire d’amour et de coiffure. (En 420 avant JC, une princesse chinoise quitta
l’empire pour épouser un prince du Khotan. Elle emmena dans sa coiffure des œufs de bombyx et
des graines de mûrier).
Au premier siècle avant JC, un voyageur chinois fut chargé d’explorer les régions de l’ouest. Il ouvrit
la route de la soie et celle-ci atteignit nos rivages.
La production de soie est attestée en Syrie dès le 6ème siècle. Elle est par la suite produite au mont
Liban et devient un des ses principaux produits d’exportation au 16ème siècle, dans la région contrôlée
par l’émir druze Fakhr al-Dîn (1572-1635). Au 17ème siècle la production chuta du fait de troubles et
repris un nouvel essor au 19ème siècle.
Le moyen en fut la libéralisation des exportations par les autorités ottomanes en 1838. La soie
libanaise était recherchée pour sa qualité par les tisseurs européens. La libéralisation des
exportations permit l’implantation de soyeux européens, notamment les lyonnais. Ces derniers
créèrent des exploitations et introduisirent les méthodes françaises. Ils étaient motivés par la qualité
de la production et le différentiel de salaires avec l’Europe.
Ce fut un des premiers cas de délocalisation de l’époque moderne.
Cette délocalisation eut trois conséquences :
1. Le développement de l’industrie de la Soie au mont Liban
2. La création d’une monoculture qui lors de la crise du marché fut à l’origine des vagues
d’émigration de Libanais vers l’Amérique à la fin du 19ème siècle
3. La confessionnalisation de la société libanaise
1. Le développement de l’industrie de la Soie au mont Liban
Le développement de cette activité suivit le calendrier suivant :
1840 : première filature industrielle du mont Liban créée par les frères Portalis. La main d’œuvre est
formée aux nouvelles méthodes par des contremaîtres français et 15 fileuses de la Drôme. Les
premiers fournisseurs de la filature furent le clergé maronite, puis par solidarité confessionnelle les
fileurs recrutèrent des maronites. Les fileurs arabes se plaignent de ce qu’ils considèrent comme une
concurrence déloyale au Pacha. Ce dernier demande à Istanbul la suppression de ces exploitations.
1842 : diminution des achats des européens
1843 : reprise de la demande européenne
1845 : baisse de la production suite aux troubles dans les districts mixtes de la montagne libanaise
1846 : création de 5 filatures à l’européennes par des musulmans à Beyrouth et dans la Bekaa. La
qualité du fil est inférieure à celui des filatures européo-maronites. (Techniques différentes plus
consommatrices de main d’œuvre et fil plus rêche)
1847 / 1848 : baisse de la demande du fait de la conjoncture internationale.
1850 : augmentation des investissements dans les équipements et augmentation de la demande
française du fait des maladies du vers à soie et donc de mauvaises récoltes locales
1851 : nouvelles implantations françaises et européennes. La maitrise technique et commerciale des
européens leur donne une position dominante. Les profits engrangés permettent de financer de
nouvelles infrastructures (routes, bâtiments et plus tard l’université Saint Joseph).
Conclusion :
La deuxième moitié du 19ème siècle est le point de départ de l’expansion de l’activité qui est
organisée par les soyeux de Lyon.
La France devient le premier marché d’exportation de la soie libanaise.
Du fait de l’accroissement de la production (multipliée par 3 en 50 ans) et de l’augmentation
des prix (ceux-ci ont été multipliés par deux de 1851 à 1860) les exportations de soie
deviennent le revenu principal de la région.
2. La création d’une monoculture qui lors de la crise du marché fut à l’origine des vagues
d’émigration de Libanais vers l’Amérique à la fin du 19ème siècle :
Le développement de l’activité est multidirectionnel. La région produit et vend
de la matière première : des cocons séchés et pressés,
des produits semi finis : des fils
des produits finis : des tissus.
Le résultat de ce succès est que la moitié de la population libanaise travaille dans ce secteur, et 90%
de la production est exportée vers les manufactures de France.
Les techniques importées permettent de produire plus avec moins de matière première :
Ainsi la technique traditionnelle du filage : 14 à 15 kg de cocons donnent 1kg de fil, qui doit
être retravaillé avant tissage,
alors les techniques modernes ne nécessitent que 12 kg de cocon pour 1Kg de fil, prêt à
tisser.
Les artisans ne pouvaient pas lutter et c’est ainsi que l’industrie devint prospère et …. Une
monoculture.
Les chiffres suivants donnent la tendance et sont extraits d’un article (Divisions confessionnelles et
lutte des classes au Liban). La tendance indiquée est confirmée par d’autres historiens:
Part de la Soie dans le trafic depuis Beyrouth : 25% en 1850 à 50% en 1890
Exportations de soie vers la France : 40 % de la production en 1873, et 99% en 1914
Chiffres de 1914 : 73% de la valeur ajoutée agricole, 36% du PNB, et 99% des exportations du
mont Liban
La population active du Liban devient de facto dépendante de la filière soie. Lorsque la concurrence
japonaise apparaît à la fin du 19ème siècle. Les prix baissent entre 1875 et 1914. La réplique des
producteurs est la baisse des couts par l’augmentation de la quantité produite. Le marché s’effondre
et le Liban connaît une crise économique qui sera à l’origine des émigrations libanaises vers les Etats
Unis (15 % de la population entre 1860 et 1914 soit 310 000 sur une population estimée à 2
millions).
Conclusion :
le succès de l’implantation de nouveaux modes de production de la Soie par les européens et
principalement les français a crée une monoculture réussie.
En conséquence l’économie du Liban est devenue prospère mais dépendante de la Soie et du
client France.
La crise du secteur a entraîné une crise de l’économie libanaise toute entière.
3/ La confessionnalisation de la société libanaise
Certains historiens décrivent la confessionnalisation de la société libanaise comme un héritage
ottoman. Certains hommes politiques, militants et historiens affirment qu’elle est un héritage de la
France. Un historien, Bassem Chit (article : divisions confessionnelles et lutte des classes au Liban,
revue Que faire ? http://quefaire.lautre.net/la-revue/que-faire-lcr-no10-janvier-
mars/article/divisions-confessionnelles-et ), propose un point de vue différent selon lequel le
développement de l’industrie de la Soie au 19ème siècle est à l’origine de la confessionnalisation de la
société libanaise. Voici sa thèse :
1. Il reprend les positions d’Ussama Makdissi ( Ussama Makdisi, The Culture of Sectarianism.
Community, History, and Violence in Nineteenth-Century Ottoman Lebanon, / Berkeley,
University of California Press, 2000, XV + 259 p.) selon laquelle « l’ancien régime du Mont
liban (…) était dominé par une hiérarchie au sein de laquelle le rang séculier plutôt que
l’appartenance religieuse définissait la politique (…) »
2. Le développement de l’industrie de la soie a entraîné un développement inégal du capitalisme.
Les conceptions européennes de l’époque ont imposé aux industriels le choix de la « nation »
maronite comme lieu d’investissement, laissant de côté les Druzes. En conséquence,
a. Des villages maronites se sont enrichis grâce aux investissements européens dans
l’industrie de la soie
b. Des communautés druzes sont restées à l’écart de ce développement
3. Le développement inégal a crée un antagonisme de classe qui est devenu par la suite un
antagonisme lié à la confession.
a. La bourgeoisie naissante était chrétienne, les seigneurs féodaux étaient druzes.
b. Des révoltes paysannes éclatèrent dans les années 1860. Elles étaient menées par
paysans maronites et druzes sous l’autorité de seigneurs druzes. Ces révoltes furent
réprimées brutalement.
c. Ces révoltes ont abouti au protocole de 1861 du mont Liban établit entre les
puissances européennes et l’empire ottoman. Il stipulait que le mont Liban serait
dirigé par un conseil de membres nommés par leurs communautés respective, sous
l’autorité d’un catholique étranger au mont Liban et nommé par Istanbul.
4. La construction du grand Liban en 1945 reprend cette organisation en l’élargissant aux autres
confessions.
5. L’auteur conclu par ces mots : « le confessionnalisme au Liban est un reflet de la modernité.
C’est une histoire moderne. Ce n’est ni une histoire profonde, ni une tradition : c’est un reflet
des contradictions au sein du capitalisme et, fondamentalement, une expression déformée de la
lutte des classes. »
Dans son article, l’auteur fait le lien avec l’époque actuelle. Il cite plusieurs faits qui étayent cette
thèse. Plusieurs manifestations contre la pauvreté sont décrites avec des slogans économiques plus
que religieux. Ainsi cette manifestation du syndicat des enseignants de 2006 contre la précarisation
du travail. Des banderoles portaient les inscriptions « nous ne sommes ni chrétiens ni musulmans,
nous sommes pauvres » ou « le morceau de pain n’a pas de religion ». L’auteur écrit que les
différents mouvements politiques ont étouffé ces revendications pour diffuser des revendications
confessionnelles.
Conclusion générale :
Les implantations européennes de sériculture au Liban au 19ème siècle ont développé et
transformé le pays (création d’une bourgeoisie, d’une infrastructure et d’écoles),
Il est certain que le choix des européens d’investir dans les villages maronites et de recruter
une main d’œuvre maronite à créé un déséquilibre économique et social.
Ce déséquilibre a été la cause de ressentiments entre les communautés
La thèse de son rôle dans la confessionnalisation du pays à l’avantage de montrer que les
divisions religieuses ne sont pas irréversibles.
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