2
Définition de bonheur : Etat de complète satisfaction (de « bon » et « heur », qui vient du latin augurium, présage, chance,
le bonheur est donc lié à l’idée de chance). Cet état est durable.
Distinctions conceptuelles : Le bonheur se distingue :
De la joie, état de satisfaction intense, et du plaisir, sensation agréable, qui sont toutes deux des émotions éphémères, toujours
liées à un objet particulier
De la béatitude : état de plénitude et de bonheur parfait (dans la théologie chrétienne, état de bonheur absolu et éternel auquel
accéderont les justes dans l’autre monde).
Problématique : Par définition, le désir est un manque, tandis que le bonheur désigne un état de plénitude, où rien ne manque.
Il semble donc que le bonheur exige que tous nos désirs soient comblés. Mais, être heureux, est-ce assouvir tous ses désirs ?
1) Le fait de désirer n’est-il pas l’expression d’un manque, d’une imperfection ?
2) Ne désirons-nous que le bonheur ?
3) Faut-il éliminer les désirs ?
I. DESIRER : UNE SOURCE DE SOUFFRANCE OU DE BONHEUR ?
Dans cette première partie du cours, nous étudierons la nature du désir. Quelle est la spécificité du désir par rapport à toute
autre forme de tendance ? D’un côté, le désir serait la manifestation de notre insertion dans la nature, dont témoigne notre corps,
ses tendances et ses besoins, pulsions ou instincts ; mais il est aussi le signe de notre singularité d’humain : le désir fait intervenir
l’imagination, l’intellect, et nous emporte plus loin que notre corps. En quoi le désir est-il spécifiquement humain ? Nous
verrons que c’est parce que l’homme est un sujet qu’il a des désirs.
1/ Le besoin est naturel quand le désir est culturel:
Le désir est souvent défini par différence avec le besoin : le besoin serait naturel, nécessaire, limité, tandis que le désir serait
artificiel, superflu, illimité.
- Des privations différentes : Autrement dit, on ne peut se passer de nos besoins, alors qu’on peut réprimer nos désirs.
Nous pouvons remarquer que la privation d’un besoin et celle d’un désir s’opposent: la carence, qui désigne un besoin
non satisfait diffère de la frustration, qui exprime un désir non satisfait.
- Artificiel : Le désir est artificiel, autrement dit, il relève de l’acquis et non de l’inné. Sa dimension culturelle s’observe
dans sa variabilité historique et géographique.
- Limité : Le besoin est limité, parce qu’une fois comblé, il disparaît (provisoirement). Le désir, lui, est insatiable (cf.
Don Juan). A peine satisfait, le désir renaît, se porte sur un nouvel objet.
Le désir est spirituel : On dit encore que le corps a des besoins tandis que l’âme a des désirs. Le désir est ainsi une notion qui
implique la subjectivité. Le besoin, au contraire, est une réalité naturelle, qui enracine l’homme dans son corps et dans une
nature animale. Il est la traduction psychique d’un déséquilibre physique. Le désir, lui, s’il prend souvent sa source dans le
besoin, relève d’une construction intellectuelle.
À partir de quand un besoin devient-il un désir? Le désir n’est-il que le prolongement du besoin, son expression
humaine, ou bien le désir recèle-t-il une différence irréductible? Entre besoin et désir, y a-t-il continuité ou
discontinuité?
Désir et conscience du temps : Besoin et désir sont irréductibles car le désir suppose la conscience du temps, quand le besoin
s’enracine dans l’instinct et dans l’immédiateté. Or l’homme possède ce que Hegel appelle une « double existence ». Grâce à
sa conscience, l’homme est capable d’accéder au temps alors que les animaux vivent dans un instant éternel. La conscience
humaine est mémoire nous disait Locke. C’est parce qu’il possède une mémoire, il peut entretenir le souvenir d’un objet, le
désirer dans l’avenir. DESCARTES dans Les Passions de l’âme, article 86, définit ainsi le désir : « La passion du désir est une
agitation de l’âme causée par les esprits qui la dispose à vouloir pour l’avenir les choses qu’elle se représente être convenables.
Ainsi on ne désire pas seulement la présence du bien absent, mais aussi la conservation du présent, et de plus l’absence du
mal, tant de celui qu’on a déjà que de celui qu’on croit pouvoir recevoir au temps à venir. »
- Le désir est corporel : Le désir est une « passion », autrement dit, il est quelque chose qui est subi par l’âme et qui
prend sa source dans le corps (au contraire d’une action, où c’est l’âme qui dirige le corps). Les « esprits » dont parle
ici Descartes sont les esprits animaux qui circulent dans notre corps, et qui permettent la communication entre l’âme
et le corps : dans le cas d’une passion, ce sont les esprits animaux qui atteignent la glande pinéale et qui lui
transmettent une passion qui vient du corps.
- Désir et conscience : Mais s’il provient du corps, le désir exige la conscience du temps : c’est « vouloir pour l’avenir »
quelque chose. Le désir renvoie toujours à notre présent (le bien que nous n’avons pas, le mal que nous avons) et
suppose la capacité de se projeter dans le futur.
- Autre définition (Spinoza) : L’importance de la dimension consciente dans la caractérisation du désir se retrouve
chez Spinoza lorsqu’il définit le désir comme « l’appétit accompagné de la conscience de lui-même » (Ethique, III,
scolie de la proposition 9).
Prolongement [LE BONHEUR] : PASCAL, Les Pensées :
« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent venir, comme pour hâter son
cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne
sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et
échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce
qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et
pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.
Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent
; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le
passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ;