Thème 1 (socio) : Classes, stratification et mobilité sociales Question

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Thème 1 (socio) : Classes, stratification et mobilité sociales
 Question 1 : Comment analyser la structure sociale ?
Objectifs pédagogiques
Il s’agit ici d’une question centrale puisqu’elle doit nous permettre d’analyser par la suite la mobilité
sociale, la conflictualité et la cohésion sociale.
Pour analyser la structure sociale, le sociologue classe les individus selon des critères définis dans
des groupes sociaux. Cependant, toute classification sociale dépend à la fois des critères retenus par le sociologue et d’un état de la société qui est susceptible de changer, entrainant alors une remise en cause de la représentation de la société.
L’analyse sociologique de la stratification sociale semble connaître une transformation importante à
partir des années 1980 : la représentation de la société française en classes structurées semble céder le pas à
des travaux s’intéressant à la remise en cause de la classe ouvrière, l’individualisation des comportements,
une éventuelle moyennisation de la société française et la fin des clivages identitaires.
Tout d’abord, nous présenterons les analyses classiques en sociologie (Marx, Weber) et leurs prolongements les plus célèbres : les analyses de Pierre Bourdieu, Henri Mendras ou W.L. Warner semblent
incontournables, néanmoins accorderons une place importante aux travaux plus récents sur ce sujet et bénéficiant d’une reconnaissance scientifique (ceux de Louis Chauvel par exemple).
Ensuite, nous insisterons sur la multiplicité des critères de différenciation sociale. Nous présenterons
les travaux les plus actuels, pour montrer la richesse et la multiplicité des démarches dans ce domaine
d’étude. Nous avons ainsi abordé le débat sur la pertinence de la nomenclature française en termes de PCS et
les perspectives ouvertes par les tentatives de normalisation européenne (dans le sillage de la nomenclature
de J. Goldthorpe notamment), pour montrer ensuite le brouillage des frontières de classes qui sont le résultat
de la monté des singularités et de la multiplication des identités des individus (voir, entre autres, les travaux
de D. Martuccelli, F. Dubet ou B. Lahire).
Il convient, au final, de s’interroger sur l’importance de ces évolutions, sur la pertinence d’une différenciation en classes sociales de la société actuelle.
 Introduction.
La société est fondée sur des rapports sociaux qui sont en grande partie des rapports entre des
groupes sociaux ; la question de leur spécificité, de leur composition, des critères de constitution est donc un
enjeu social essentiel. Les différents groupes sont hiérarchisés et occupent des positions plus ou moins élevées sur une ou plusieurs échelles hiérarchiques. Analyser la stratification sociale, c’est donc décrire et expliquer la dynamique des inégalités sociales.
Au sens le plus général, on appelle stratification sociale l’existence, au sein d’une société, de
groupes hiérarchisés en fonction de différents critères (revenu, prestige, pouvoir,…).
On peut distinguer les sociétés dans lesquelles les inégalités sont inscrites dans des règles de droit
(inégalités de droit) et celles où elles persistent malgré une référence à l’égalité (cas des sociétés démocratiques où il existe des inégalités de fait).
Dans les sociétés dans lesquelles existent des inégalités de droit, on peut souligner les sociétés de
castes et les sociétés d’ordres.
Les sociétés de castes sont constituées de groupes sociaux hiérarchisés principalement sur la base de
principes religieux. Les différentes castes constituent des groupes fermés et séparés : on nait et on meurt
dans la même caste. Ainsi, la société indienne traditionnelle se décomposait en quatre castes fondamentales :
prêtres (brahmanes), guerriers, producteurs et marchands. Une dernière catégorie est constituée des « intouchables » qui sont « hors caste ». Chaque caste est définie par un ensemble de rituels d’habitudes vestimentaires (couleurs particulières), alimentaires (les brahmanes sont végétariens), de façons de parler, de professions. Les relations entre les castes sont limitées par un système d’interdits (par exemple, les repas en commun entre membres de castes différentes sont exclus). Les mariages reposent l’endogamie.
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Les sociétés d’ordres reposent sur des groupes sociaux hiérarchisés en fonction de la dignité accordée aux différentes fonctions sociales. Ainsi, dans la France de l’Ancien Régime, on distingue la Noblesse
(assurer la défense du territoire), le Clergé (intermédiaire entre le monde divin et le monde humain) et le
Tiers Etat (effectue les tâches peu prestigieuses : agriculture, artisanat et commerce). La transmission des
statuts sociaux est fortement héréditaire et la mobilité entre les ordres réduite. Il existe une endogamie.
Dans les sociétés traditionnelles, ce sont donc des critères extra-économiques qui prédominent dans
la hiérarchie sociale.
Enfin, on peut souligner que beaucoup de sociologues opposent les analyses en termes de stratifications sociales et les analyses en termes de classes. Dans les premières, la perspective est plutôt nominaliste et il y a entre les strates des différences de niveau plutôt que de nature. Dans les analyses en termes de
classes (qui s’inscrivent dans une approche plutôt réaliste), les classes sont des groupements ayant leur identité propre significativement différente de l’identité des autres groupes.
I.
L’étude de la structure sociale par Karl Marx et Max Weber.
A. La société est structurée en classes sociales : Karl Marx. (1818 – 1883)
Marx affirme que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des
classes ». Que cette lutte oppose l’esclave au maître dans le mode de production esclavagiste, le serf au seigneur dans le mode de production féodal ou le prolétaire au bourgeois dans le mode de production capitaliste, elle est l’aspect primordial de la contradiction de chaque mode de production c'est-à-dire la combinaison des « forces productives » (Travail et Capital) et des rapports de production (ensemble des relations de
pouvoir, de propriété et propriété).
Trois critères permettent de définir, selon Marx, une classe sociale :
- Une classe sociale est définie par sa place dans les rapports de production ; ce critère définit la
classe « en soi ». Marx oppose les classes sociales qui sont propriétaires des moyens de production et celles
qui ne possèdent que leur capacité à travailler, c'est-à-dire leur force de travail. Il faut par ailleurs souligner
que la description et l’énumération des classes varient selon les formations sociales et l’intention du livre.
Dans le Manifeste du parti communiste (1848), Marx prophétise la fin du capitalisme et la victoire du prolétariat. Il radicalise et bipolarise les conflits de classes : la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Dans le tome
III du Capital, Marx distingue trois classes selon l’origine de leurs revenus, la classe capitaliste (le profit),
les propriétaires fonciers (la rente foncière), et les ouvriers (le salaire). Dans La lutte des classes en France
1848-1850, Marx distingue de nombreuses classes et fractions de classes : aristocratie financière, bourgeoisie industrielle, petite bourgeoisie (artisans, commerçants…), classe paysanne, prolétariat industriel, lumpenprolétariat.
- Une classe sociale est aussi définie par la conscience de classe, c'est-à-dire le sentiment d’appartenir
à un groupe ayant des intérêts communs. Tout groupe social ne développe pas une conscience de classe.
Ainsi, Marx affirme que les paysans, repliés sur leur ferme familiale, entretiennent peu de relations entre eux
et n’ont pas l’impression d’avoir des intérêts communs. Ils forment donc une classe « en soi » mais pas une
classe « pour soi ». Pour devenir « une classe pour soi », il faut donc développer des liens sociaux et une
capacité de mobilisation.
- Une classe sociale entretient des rapports conflictuels avec d’autres classes. Ainsi, dans le mode de
production capitaliste, les bourgeois possédant les moyens de production et les prolétaires ne possédant que
leur force de travail sont en lutte. Ces deux classes sont en lutte car leurs intérêts divergent : elles se disputent la richesse créée. Les prolétaires sont les seuls à créer de la richesse car seul le travail est source de valeur. Le profit qu’obtiennent les bourgeois résulte d’un prélèvement sur la valeur créée par le travail : la
plus-value. Le capitaliste tente d’augmenter au maximum sa plus-value ; pour cela, il dispose de trois
moyens : il peut augmenter l’intensité et la durée du travail (plus-value absolue), augmenter la productivité
du travail (plus-value relative) ou vendre durant un temps limité les marchandises à un prix supérieur à leur
valeur (plus-value extra). Le salaire est le plus faible possible, c’est un salaire de subsistance, tout juste suffisant pour permettre aux ouvriers et à leurs familles de survivre. Le capitalisme devrait mener à une bipola2
risation sociale et à l’effacement progressif des autres classes : la plupart des individus composant la société
devraient se prolétariser tandis qu’une minorité d’individus devraient s’enrichir et intégrer la bourgeoisie.
Ainsi, les classes sociales sont, chez Marx, les acteurs collectifs qui, au cours de leurs affrontements,
transforment l’organisation économique et sociale. Chaque mode de production engendre ses propres contradictions ; dans un premier temps, les rapports de production favorisent le développement des forces productives, puis peu à peu font obstacle à leur expansion. Il faut alors changer de mode de production. Ainsi,
le capitalisme, caractérisé par la propriété privé des moyens de production et par le salariat, a permis un développement considérable des forces productives (croissance économique importante) avant de connaître
des crises industrielles.
La théorie marxiste des classes reste fondatrice dans la mesure où la plupart des analyses postérieures
se positionnent par rapport à cet héritage. Toutefois, elle semble aujourd’hui en partie dépassée car elle demeure très ancrée dans la réalité historique du XIXème siècle, qui n’est plus celle d’aujourd’hui. Ainsi la
polarisation autour de deux classes ne permet pas de penser la question des classes moyennes, qui est devenue centrale dans les débats contemporains. De même, l’effritement de la classe ouvrière, depuis la fin des
Trente Glorieuses, fragilise l’analyse de Marx, dont elle constituait l’un des piliers.
B. Une approche multidimensionnelle de la structure sociale : Max Weber (1864 – 1920)
L’analyse de Weber se démarque de celle de Marx sur plusieurs points. D’abord l’ordre économique dans lequel s’inscrit la notion de classe ne constitue que l’une des trois dimensions de la stratification sociale, même si dans les sociétés modernes elle tend à devenir plus importante. Dans cet ordre, la différenciation s’opère en fonction d’une situation de marché, c'est à-dire les « chances d’accéder aux biens » des
individus. Les individus sont rassemblés selon le type de possessions dont ils disposent, avec une distinction
entre ceux qui tirent des revenus d’un patrimoine (rentiers, entrepreneurs) et ceux qui mettent en œuvre les
moyens de production (en haut les marchands, en bas les ouvriers). La position sur cette échelle n’est qu’un
élément de la position sociale des individus. L’un des apports essentiels de Weber est l’analyse des
groupes de statut. Il s’agit de montrer que la société est structurée par d’autres éléments que le marché, ici
le prestige ou honneur social, « privilège positif ou négatif de considération sociale, revendiqué de façon
efficace ». Il est lié au style de vie, à la naissance, à l’instruction, donc à une distinction symbolique. Il est à
la fois lié à des éléments objectifs et à une réalité intersubjective, puisqu’il est revendiqué auprès des autres
strates. L’ordre politique constitue la troisième dimension de la structure sociale, les partis qui s’y forment
sont une extension des groupes de statut et permettent l’action collective politique qui assoit leur domination. Ces trois ordres sont donc profondément liés, bien que distincts. La position dans un ordre ne détermine pas celle dans un autre : ainsi la noblesse désargentée peut elle compenser son déclassement dans
l’ordre économique par une affirmation statutaire. De plus, si les groupes statutaires forment des communautés, conscientes de leurs intérêts, marquées par des liens sociaux forts et largement endogames, les classes ne
partagent pas ces caractéristiques.
A l’inverse de l’analyse marxiste, les classes n’ont pas nécessairement une conscience d’ellesmêmes, ce qui fait que, si leur mobilisation est envisageable, elle n’en constitue pas un élément fondateur.
Les trois dimensions demeurent néanmoins connectées : l’ordre politique est ainsi fréquemment lié aux
deux autres ordres, les membres de l’élite économique sont souvent au sommet de l’échelle politique et statutaire. De même, les groupes statutaires mettent en œuvre une distinction qui participe à un processus global de domination, y compris économique.
La structure sociale développée par Weber est donc, à la différence de celle de Marx, multidimensionnelle et moins centrée sur l’ordre économique. Cette analyse ne débouche pas non plus sur une polarisation, en ce sens, elle est plus proche de la réalité de la société contemporaine, bien que l’on ne puisse mécaniquement superposer les catégories envisagées par Weber sur la réalité de la société d’aujourd’hui bien plus
complexe encore. Néanmoins, M. Weber évoque la question des classes moyennes échappant ainsi au modèle binaire développé par Marx dans certains de ses textes. Ces deux analyses demeurent fondatrices en ce
qu’elles posent les termes des débats contemporains autour de la structure sociale à travers l’opposition
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entre nominalisme et réalisme, la question de la place des conflits ou celle de la porosité des frontières de
classes.
Cf. aussi documents polycopiés.
II.
Les prolongements théoriques.
A. Pierre Bourdieu (1930 – 2002) : Une synthèse des analyses de Karl Marx et Max Weber.
La conception de Pierre Bourdieu constitue une forme de synthèse entre les points de vue de Marx et
de Weber. Il considère que les rapports de domination (capacité d’un groupe à faire reconnaitre ses pratiques sociales comme légitimes par les autres groupes) entre les classes (Marx évoquait les rapports
d’exploitation) dépassent la sphère économique pour concerner les différentes sphères sociales, et en particulier la sphère culturelle en insistant sur les notions de prestige et d’influence (ce qui fondait la description
des statuts et des partis chez Weber). Les classes sociales se distinguent selon Bourdieu par leur dotation
inégale en capitaux économiques, sociaux et culturels utilisés ensuite dans différents champs où
s’expriment les rapports de force, d’influence et de pouvoir.
Le capital économique est le patrimoine (biens mobiliers et immobiliers) qu’un individu cherche à
valoriser parce qu’il lui procure des avantages matériels.
Le capital culturel comprend l’habitus, les biens culturels et les diplômes.
Le capital social est l’ensemble des relations sociales qu’un individu peut mobiliser.
Un champ social est un domaine dans lequel des agents entrent en concurrence pour tirer des avantages matériels et symboliques. L’économie, l’art, la politique, l’école… sont autant de champs sociaux.
Tous les champs ont en commun d’être des domaines de concurrence entre les agents mais chacun d’entre
eux possède des règles de fonctionnement spécifiques qui valorisent un habitus particulier. Ainsi les règles
pou réussir dans le domaine universitaire ne sont pas identiques à celles pour réussir en tant que chef
d’entreprise ou qu’homme politique.
Selon Bourdieu, une classe sociale est un ensemble d’agents caractérisé par le volume global de ses
capitaux économique et culturel, la répartition de cet ensemble entre les deux capitaux retenus et finalement
des pratiques sociales proches. A partir de cette définition, il distingue trois grandes classes dont chacune est
liée à la possession des capitaux, à des habitus et des styles de vie spécifiques :
- La classe dominante qui est la classe composée de l’ensemble des agents fortement dotés en capitaux et dont les pratiques sont légitimes. La classe dominante cherche à imposer son modèle culturel et sa
vision du monde aux autres classes par le biais de pratiques de distinction, pour cela elle doit contrôler les
institutions productrices de légitimité comme l’école ou l’État.
- Les classes moyennes qui sont des classes dominées dont les membres aspirent à des pratiques légitimes.
- Les classes populaires qui sont l’ensemble des agents faiblement dotés en capitaux et dont les pratiques reflètent l’intériorisation des contraintes sociales qui pèsent sur eux. Ces contraintes sont d’ordre économique mais surtout culturel puisque ces agents adoptent pour l’essentiel une conception de l’ordre social
qui est celle de la classe dominante et qui délégitime par avance leurs éventuelles aspirations.
Toute pratique sociale est analysée comme la rencontre entre un habitus et un champ social.
Ce qui distingue les classes sociales entre elles ne se réduit donc pas à la richesse. Comme l’écrivent
les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot « les bourgeois sont riches, mais d’une richesse
multiforme, un alliage fait d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestiqe. Comme les
difficultés sociales se cumulent, les privilèges s’accumulent » (Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte,
2000).
C’est donc une approche multidimensionnelle de la classe qui est développée. Entre ces classes le
conflit n’est pas une nécessité mais il existe bien des rapports de domination et des luttes, notamment pour le
contrôle du capital culturel, enjeu majeur selon Bourdieu.
Cf. aussi documents polycopiés.
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B. William Lloyd Warner (1898 – 1970) : Une approche en termes de strates.
Au milieu du XXème siècle, le sociologue William Lloyd Warner a construit une analyse de la société américaine en six classes qui constituent plutôt des strates ou des couches hiérarchisées en fonction de
leurs niveaux de richesse et surtout de prestige, y compris aux yeux des autres. Pour ce faire, il étudie la population d’une petite ville américaine durant les années 1940 en prenant en compte différents critères, notamment la profession et le revenu, le logement et le type d’habitat, le quartier de résidence, le niveau
d’instruction et le style de vie. Il aboutit à une stratification de la société américaine de 1949 en tris grandes
classes (supérieure, moyenne et inférieure) et chacune de ces est subdivisé en deux : inférieure et supérieure.
Cf. aussi documents polycopiés.
L’analyse de Warner qui semble s’attacher à l’observation plus qu’à un cadre théorique repose pourtant sur une vision de la société qui préexiste à ce découpage, celle d’une société fluide où il est simple de
changer de groupe social (à l’exception des catégories extrêmes). Cette approche relève aussi d’une conception de ce qui fait les différences et les proximités sociales en complétant la situation économique d’une approche socioculturelle assez proche de celle utilisée par Weber à propos des groupes de statut.
III.
Le renouveau de l’analyse de la structure sociale.
A. Les transformations sociales remettent-elles en cause la notion de classe sociale ?
 Si le débat sur la pertinence de la notion de classe est déjà présent dans les années 1950, ce
sont les modifications profondes de la société depuis la fin des Trente Glorieuses qui amènent certains auteurs, comme François Dubet, à contester la réalité de l’existence des classes sociales. Ces critiques insistent
en premier lieu sur le processus de fragmentation économique à l’œuvre, qui passe à la fois par une diversification des niveaux et des modes de rémunération (intéressement, stock options), ainsi que des rapports
salariaux (individualisation des rapports de production). A cela s’ajoute le développement de l’exclusion qui
brouille les relations des individus au système productif. Une autre dynamique d’éclatement opèrerait au
niveau symbolique, à travers l’émergence de la culture de masse, la diffusion de modes de vie communs
(Henri Mendras), la perte de l’identité traditionnelle des classes qui se lirait dans les pratiques de vote, ou
encore la difficulté de la mobilisation collective. Enfin de nouvelles fractures se dessineraient à travers les
questions de genre, de génération, d’âge, ou d’origine géographique par exemple ; elles seraient plus opératoires, tant pour les individus eux-mêmes que pour expliquer et observer l’homogénéité des comportements.
Ces critiques s’incarnent notamment dans l’évolution du vocabulaire : la « classe ouvrière » s’efface
au profit des « classes populaires », qui traduit la difficulté de nommer un ensemble plus flou, dont
l’identité ne peut plus se résumer à celle des ouvriers et dont l’homogénéité est bousculée par les transformations économiques et sociales. Ainsi, les classes populaires sont traversées par les clivages de genre car
elles sont constituées essentiellement autour de la catégorie des ouvriers, très masculine et de celle des employées, très largement féminine. Cela produit des différenciations notables, que l’on observe par exemple
sur la question des pratiques culturelles.
D’autres travaux sur le vote ouvrier ont mis en avant une dispersion croissante des pratiques de ce
groupe. Malgré ces éléments qui vont dans le sens d’une disparition de la classe ouvrière, des auteurs
comme Olivier Schwartz tentent de défendre l’idée de la permanence d’une dynamique de classe pour ces
catégories. S’il reprend le vocable « classes populaires » c’est pour souligner qu’elles ont en commun le fait
d’être dominées dans l’espace social, une difficulté d’accès à l’autonomie prônée par le reste de la société, et
une culture populaire, même partiellement désenclavée de la culture globale.
 Un autre champ d’analyse se développe autour de la question des classes moyennes qui constituent un des éléments notables de la structure sociale contemporaine. Durant les années 1970, diverses analyses sociologiques annonçaient la fin des classes sociales en raison d’une moyennisation des pays développés. C’est notamment le point de vue développé par Henri Mendras (1927 – 2003) dans La seconde révolution française (1988) qui réactualise la thèse d’Alexis de Tocqueville sur la tendance inéluctable à
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l’égalisation des conditions. L’enrichissement collectif de la période des trente glorieuses et l’accès massif à
la société de consommation annonceraient la fin de la division de la société en classes sociales et le regroupement autour d’une vaste constellation centrale. La prospérité économique a conduit, selon Mendras, à
l’extinction des modes de vie spécifiques et à l’émiettement des classes : la société s’est uniformisée, les
figures classiques du bourgeois ou du prolétaire auraient disparu. Ainsi, les classes sociales ne sont plus,
selon lui, un critère déterminant dans la distinction dans la société : il n’y aurait plus, par exemple, transmission verticale des goûts du sommet jusqu’à la base, mais diffusion d’une culture moyenne autour de normes,
de valeurs et de pratiques communes (par exemple, le blue-jean). La classe moyenne, caractérisée par sa
mobilité sociale forte, deviendrait la classe sociale centrale. Il n’y aurait plus d’échelle unique de hiérarchie,
plus de classes en tant que telles mais des groupes sociaux fluctuants, des « constellations ». La forte croissance économique des Trente glorieuses a donc permis une réduction des inégalités :
 Les bas revenus ont progressé plus rapidement que les hauts revenus.
 Une société de consommation s’est développée.
 Le niveau de chômage faible et la stabilité des emplois ont favorisé l’accession à la propriété
dans toutes les catégories sociales.
 L’enseignement s’est massifié et s’est démocratisé.
 La protection sociale a atténué les inégalités ce qui a entrainé un net affaiblissement de la
conscience de classe comme le montre la diminution des conflits sur une longue période.
 Les valeurs et le mode de vie de la classe moyenne ont influé sur le reste de la population d’où
une homogénéisation progressive des comportements, des pratiques et des styles de vie. Par ailleurs, la montée de l’individualisme favorise un desserrement des liens entre les conduites et les appartenances sociales.
La conscience d’appartenir à un groupe social s’efface et par suite, les affrontements de classe diminuent.
On passerait d’une lutte des classes à une lutte des places (cf. François Dubet)
Cf. aussi documents polycopiés.
Mais cette tendance à la moyennisation semble néanmoins remise en cause depuis une vingtaine
d’années. Pour Alain Lipietz, l’image d’une « société en montgolfière », qui caractérisait la société Française des trente glorieuses, laisserait place à celle d’une « société en sablier » , marquée par une nouvelle
polarisation des revenus : le vaste « ventre » des classes moyennes se « dégonflerait ». Jean Lojkine considère ce qu’il appelle le « mythe de la classe moyenne » se briserait sous l’effet d’une série de processus convergents de division et de prolétarisation dans le salariat depuis 1975 : fin des trajectoires d’ascension sociale d’une partie des ouvriers, des employés, précarisation des couches intermédiaires et des cadres non
dirigeants. Louis Chauvel (Les classes moyennes à la dérive 2007) parle de « malaise des classes
moyennes » car l’espoir d’accéder aux classes moyennes se serait changé en angoisse d’un déclassement
social. Ce déclassement social prend, pour lui, la forme d’un déclassement générationnel au sens où ce sont
les jeunes générations qui subiraient cet arrêt de la moyennisation.
Dans un ouvrage récent, Dominique Goux et Eric Maurin (Les nouvelles classes moyennes 2012) accréditent
l’idée d’un sentiment collectif d’inquiétude de ces catégories, sans pour autant que ce sentiment repose sur
une quelconque réalité. A l’inverse de Chauvel, ils insistent sur la mobilité ascendante dont continuent de
bénéficier ces catégories et la distance sociale croissante qui les sépare des classes populaires.
 Enfin, sur la question des catégories les plus favorisées, de nombreux travaux tentent de montrer
qu’elles regroupent de nombreuses caractéristiques d’une classe sociale. On pourrait ainsi saisir des traductions concrètes des barrières de classes à travers l’étude des niveaux de revenus et de patrimoine, de la mobilité sociale ou des inégalités scolaires, par exemple. On peut alors voir à l’œuvre de véritables stratégies de
reproduction et de préservation de l’entre-soi. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot affirment ainsi que
la grande bourgeoisie demeure fidèle à la définition classique de la classe sociale, en raison de son style de
vie, de l’importance de ses avoirs économiques (notamment en termes de patrimoine), mais aussi de sa
conscience d’elle-même et de ses capacités de mobilisation.
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B. La multiplicité des critères de différenciation sociale.
Les bouleversements de la structure sociale et les évolutions des analyses sociologiques ont conduit à
des travaux sur les inégalités s’appuyant sur de nouveaux critères comme le genre, la dimension sociospatiale, la discrimination raciale,..Du fait que « chacun d’entre nous possède plusieurs statuts, plusieurs identités plus ou moins valorisées et reconnues engendrant plusieurs formes d’inégalités » (F. Dubet), il y a un
processus d’individualisation de ces dernières. La stratification sociale est donc aujourd’hui complexe car
d’autres facteurs de classification font leur apparition :
 Age et génération : à l’opposition d’âges classiques entre « jeunes » et « vieux » est venue s’ajouter
selon Louis Chauvel une dichotomie de générations, entre les anciens soixante-huitards, disposant de richesses considérables, et les jeunes générations nées depuis les années 1960 et confrontées à des conditions
d’emploi et de vie beaucoup moins favorables.
 Styles de vie : Les styles de vie varient d’une classe sociale à une autre. Ils désignent la façon dont
une classe sociale s’approprie une consommation ou une pratique pour se distinguer des autres classes sociales. Ainsi, des pratiques a priori anodines, comme le langage, peuvent se révéler très clivantes socialement. Ces styles de vie viennent brouiller les frontières de classe, et ce d’autant plus qu’ils sont associés de
manière croissante à des statuts ethniques.
 Sexe et genre : le sexe est une donnée biologique qui distingue l’homme de la femme alors que le
genre est le construit social qui sépare le masculin du féminin. On peut considérer le genre comme un nouveau critère de classification sociale à partie du moment où les attributs féminins sont exploités et utilisés
pour cantonner les femmes dans certains métiers et certains segments de la structure socioprofessionnelle.
 La ségrégation sociospatiale marque une dualisation de l’espace urbain entre paupérisation et ethnicisation des quartiers d’habitation sociale et développement de résidences de standing fortement sécurisées. La
ghettoïsation tend à se renforcer, notamment par le haut.
 Malgré une importante intégration culturelle et linguistique, les jeunes issus de l’immigration subissent une forte discrimination raciale qui se traduit par un accès à l’emploi et à la formation plus ardu, ce qui
freine leur mobilité sociale.
 On voit émerger des « individus pluriels » c'est-à-dire des individus dont les pratiques culturelles
sont empruntées à des milieux sociaux très différents. L’analyse des statistiques produites par l’INSEE dans
son enquête sur les pratiques culturelles peut conduire à associer à certains groupes certaines pratiques culturelles. Mais une analyse plus approfondie montre que les individus ne sont pas uniformément façonnés parleur milieu social d’origine : un cadre peut, par exemple, écouter du rap et lire de la philosophie. Il existe
ainsi une multitude d’« individus pluriels » dont les pratiques culturelles sont « empruntées » à des milieux
sociaux très différents. L’émergence de ces individus peut être le résultat d’un effet de théorie (on se donne
la peine de les chercher) mais il aussi possible de mettre en évidence des explications historiques et structurelles. En effet, la massification scolaire et la diffusion d’une culture de masse (grâce aux médias) à partir
des années 1950 ont permis aux différents milieux sociaux d’entrer en contact, ce qui a favorisé la partage
de pratiques culturelles. Enfin, la pluralité des instances de socialisation (familles, amis, collègues,…) met
l’individu en contact avec différentes cultures, ce qui favorise chez lui l’apparition de dispositions culturelles très variées.
Certains sociologues expliquent que les individus dominants sont des « omnivores » (en sociologie,
l’«omnivorité » caractérise l’éclectisme des pratiques culturelles, c'est-à-dire le fait que les membres d’un
même groupe social aient des pratiques culturelles empruntées aux autres groupes sociaux. L’«univorité »
caractérise l’enfermement dans un seul registre de pratiques culturelles) c'est-à-dire ceux qui savent puiser
dans différents registres culturels ; leur polyvalence culturelle est un atout pour obtenir et conforter leurs
positions dominantes. Les individus des classes populaires se retrouvent en revanche la plupart du temps
enfermés dans un seul registre symbolique, ce qui les empêche d’atteindre des positions sociales plus élevées.
Mais les transformations économiques et sociales indiquent-elles la fin des identités collectives et
l’affirmation d’un individu dégagé des influences sociales ou plutôt une transformation des identités collectives ?
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IV. Un renouvellement des outils institutionnels.
A. La classification sociale institutionnelle en France : les PCS
les PCS constituent un outil d’analyse qui a été contraint d’évoluer avec les mutations de la société
contemporaines. En France, l’objectif de l’INSEE a été de « classer l’ensemble de la population en un
nombre restreint de catégories présentant chacune une certaine « homogénéité sociale » ce qui signifie que
les individus ayant le même statut socioprofessionnel aurait tendance à avoir des comportements, des opinions et des attitudes similaires, par exemple en matière de consommation, de culture, d’orientations politiques. L’INSEE a mis au point au point la nomenclature des CSP afin d’étudier la structure sociale et de
mieux comprendre le mode de vie des Français. La première version date de 1954, avec un remaniement
majeur en 1982 (qui va donner naissance aux PCS) et une actualisation en 2003 (PCS-2003). Cette classification place la profession au centre de la définition de la position sociale, en opérant des distinctions selon
un certain nombre de critères (cf. cours et document polycopié).
A travers les catégories ainsi construites, qui ne sont pas appelées des classes, apparaît un objectif
d’homogénéité des comportements sociaux mais nullement l’idée d’une conscience de classe ou d’une mobilisation collective. C’est une approche nominaliste et stratificationniste. Il y a cependant certaines ambiguïtés, qui font dire à Louis Chauvel que les PCS permettent de traiter des classes sans en prononcer le mot.
Les PCS assemblent des individus qui ont des perspectives comparables et des caractéristiques sociales reconnues comme proches : on renoue donc avec la notion de styles de vie de Weber. De plus, elles utilisent
les conventions collectives pour appliquer des équivalences entre professions, ce qui renvoie aux perceptions
collectives que les groupes professionnels ont d’eux-mêmes et participe à la validation de ces représentations.
Néanmoins, cet outil a permis d’étudier la structure sociale ; en mesurant le déclin des travailleurs
indépendants, l’essor des ouvriers jusqu’en 1975 puis leur déclin, la progression des salariés qualifiés
(cadres, professions intermédiaires). Il a aussi facilité la description des pratiques sociales, la mesure des
inégalités économiques et sociales.
Cependant, cet outil connait des limites. Certains lui reprochent de persister à définir un individu par
sa profession alors que l’identité professionnelle est devenue plus floue et que l’identité individuelle s’est
complexifiée. De ce fait, certaines pratiques sociales s’expliquent par des critères autres que des critères
professionnelles (par exemple, la religion ou l’ethnie). Par ailleurs, la limite de cet outil vient du fait que
cette nomenclature n’est utilisée qu’en France et ne permet donc pas des comparaisons internationales. Or,
la mondialisation et la construction européenne rendent indispensables de telles comparaisons.
B. La construction d’un système de classification sociale européen : le modèle de Goldthorpe.
Au niveau européen se pose aujourd’hui la question de la construction d’un système de classification
sociale commun : le modèle britannique inspiré de la structure sociale proposée par John Goldthorpe domine
le projet ESeC (European Socio-economic Classification) examiné par Eurostat et les instituts de statistique.
C’est pendant la période 1996 – 2004 que des chercheurs et statisticiens, français et britanniques pour la
plupart, ont mis au point une nouvelle nomenclature.
Selon le schéma de classes de Goldthorpe, les comportements sociaux s’expliquent par la position
des individus sur le marché du travail et pour les salariés, en particulier, par le type de relation qui les unit à
leur employeur. Parmi les salariés, le type de relation va d’une subordination strictement définie dans le contrat de travail, à des relations beaucoup plus souples et informelles laissant une large autonomie au salarié.
On aboutit alors à deux cas extrêmes :
- La relation de type « contrat de travail » comprend des situations où le contenu de l’emploi, les conditions de son exercice et sa rémunération sont entièrement contenues dans le contrat passé entre employé et
employeur, contrat soumis à un contrôle strict ;
- La « relation de service » décrit les situations où le salarié dispose d’une large autonomie dans
l’exercice de son emploi, liée à des fonctions d’encadrement de haut niveau ou à la possession de
compétences techniques lui conférant un pouvoir d’expertise.
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Entre ces deux extrêmes, il existe un continuum des situations dites « mixtes » relevant pour certains
aspects de la relation « contrat de travail » et pour d’autres » de la « relation de service ».
Le modèle de Goldthorpe insiste donc davantage sur la continuité entre catégories et met la question
professionnelle au centre de la définition. Il s’agit de développer une grille de lecture pour des études empiriques, notamment sur la question du vote ou de la mobilité sociale. Dans cette logique, les classes rassemblent des « professions dont les titulaires partagent d’une manière typique des situations sur le marché et des
situations de travail largement similaires ». La situation sur le marché (« market situation ») est liée au revenu (sa source et son niveau), au degré de sécurité offert par l’emploi et aux possibilités d’ascension professionnelle.
Si ce projet présente des points communs avec la grille des PCS (différenciation des statuts, des domaines d’activités, intégration des inactifs) il existe des divergences : là où les PCS utilisent les conventions
collectives, ESeC ne se réfère à aucun cadre juridique. La grille européenne assemble également les cadres
dirigeants et les chefs d’entreprise tandis que la grille des PCS les distingue nettement du fait de la question
du salariat et regroupe les employés et les ouvriers qui sont liés par leur faible niveau de qualification. La
nature de la relation d’emploi y est centrale alors que rien ne dit qu’elle soit stable dans le temps. Elaboré
dans le contexte britannique, il n’est pas non plus certain que ce modèle s’applique avec autant de pertinence
dans le Sud de l’Europe. L’avenir de la grille des PCS est lié à l’avancée du projet ESeC : aucune rénovation
de la grille française ne sera probablement entreprise tant que la grille européenne ne sera pas définitivement
établie, même si cette dernière peine à s’imposer faute de consensus.
 Compléments.
1.
2.
3.
4.
5.
Définir les classes moyennes.
La polarisation des classes sociales en France et aux Etats-Unis.
L’évolution des CSP depuis 1975.
La nomenclature ESeC.
Comparaison entre ESeC et PCS.
9
 Compléments.
1. Définir les classes moyennes.
Depuis plus de siècles, les classes moyennes sont un enjeu aussi bien pour les économistes que pour
les sociologues et les historiens. Mais définir les classes moyennes présente quelques difficultés. En effet,
leur contour évolue au cours du temps (les classes moyennes de XIXème siècle ne sont pas celles du XXème
siècle) et selon les pays (En Europe, les « middle classes » britanniques diffèrent du « Mittelschicht » ou
« Mittelstand » allemand ou des « ceti medi » italiennes).
Néanmoins, l’analyse historique permet de dégager quelques caractéristiques des classes moyennes :
- Les classes moyennes se développent lors des révolutions industrielles en Europe.
- En lien avec l’industrialisation et l’élévation des niveaux de vie, la classe moyenne renvoie à l’idée
d’ascension sociale. Néanmoins, dans les périodes de ralentissement économique, les études soulignent le
sentiment de déclassement.
- Sur le plan politique, les classes moyennes sont souvent perçues comme les garantes de la cohésion
sociale. Leur déclin serait alors une menace pour l’ordre social.
- Sur le plan sémantique, les classes moyennes renvoient à l’idée de diversité alors que la classe
moyenne renvoie à l’idée d’unité.
- Sur le plan sociologique, les classes moyennes se définissent par la position intermédiaire dans les
hiérarchies sociales et professionnelles, ainsi que par des qualifications moyennes.
- Sur la plan psychologique, les classes moyennes se définissent par un sentiment d’appartenance à
un groupe intermédiaire et par une croyance générale au progrès.
- Sur le plan méthodologique, les classes moyennes peuvent être définies à partir des statuts sociaux
(En France, à partir de la nomenclature des PCS : notamment les professions intermédiaires, une fraction
des « employés » les plus qualifiés et une fraction des CPIS) ou des niveaux de vie (revenus, patrimoine).
Ainsi, on peut définir les classes moyennes à partir des revenus. Dans ce cas, par exemple, sont considérées comme appartenant aux classes moyennes les personnes vivant dans un ménage dont le revenu disponible moyen par unité de consommation est compris entre 70% et 150% du revenu médian (il s’agit généralement du salaire). On distingue alors :
- Classes moyennes inférieures : entre 70% et 100% du revenu médian.
- Classes moyennes supérieures : entre 100% et 150% du revenu médian..
Mais, il existe d’autres découpages possibles.
2. La polarisation des classes moyennes en France et aux Etats-Unis.
a. La situation en France.
L’argument de la moyennisation repose de manière générale sur une réduction des disparités socioéconomiques, en particulier des écarts de revenus à partir de la fin des années 1960. Pour Serge Bosc, cette
tendance a permis aux catégories populaires les moins défavorisées de se rapprocher du niveau de vie des
classes moyennes. Mais ce constat est remis en cause dès le milieu des années 1980 par une stabilisation des
inégalités voire une reprise des inégalités.
Avec la forte augmentation du chômage dans les années 1980 et le fait que les revenus du travail
augmentent moins vite que les revenus du capital, les inégalités se sont accrues.
Durant la période 1950 – 1970, pour qu’un ouvrier puisse avoir l’équivalent d’un salaire de cadre, si
celui-ci n’a pas augmenté, il fallait 30 – 40 ans. Ce « temps de rattrapage » a connu une hausse importante à
partir des années 1980 où il a dépassé les 300 ans.
Les inégalités de patrimoine sont nettement plus importantes que celles du revenu. 20% de la population ne dispose d’aucun patrimoine. Le patrimoine provient de l’épargne des individus. Or, la capacité
d’épargne augmente plus vite que le revenu. Les 10% des ménages les plus riches ont un patrimoine 70 fois
plus élevé que les 10% des ménages les plus pauvres ; à cause, notamment, de la forte augmentation du prix
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de l’immobilier (le prix du mètre carré a progressé de 4 à 5 fois plus vite que le salaire moyen depuis 1980),
et de la progression des revenus du patrimoine foncier.
La société française comprend toujours une strate populaire caractérisée par un même niveau de revenu, un faible niveau de qualification et d’autonomie dans le travail, et une forte homogamie (les ouvriers
s’unissent avec des employées). Même si les employés semblent bénéficier de plus de possibilités de mobilité sociale ascendante que les ouvriers, ils en sont proches socialement. L’importance numérique des catégories populaires (environ 50% de la population) infirme l’hypothèse d’une moyennisation de la société française.
Une certaine hétérogénéité persiste au niveau des pratiques culturelles entre les différents groupes
sociaux. Même si l’écart de niveau de revenu salarial est moindre, on observe une persistance des différences dans les modes de consommation. Ainsi, le niveau de consommation par personne dans un ménage
« cadre » continue d’être en moyenne deux fois supérieur par rapport à celui d’un ouvrier. L’étude des coefficients budgétaires permet de souligner des différences selon les PCS. Les revenus des classes populaires
servent en grande partie à satisfaire les besoins primaires alors que ceux des cadres permettent d’acquérir
des biens et services qui restent inaccessibles aux autres catégories sociales.
Ainsi, les inégalités se transforment plus qu’elles ne disparaissent et sont à relier aux transformations
économiques liées à la croissance économique et à la situation du marché de l’emploi. Depuis les années
1980, avec le chômage de masse et les transformations du capitalisme qui valorisent le patrimoine, il est de
plus en plus difficile de parler de moyennisation et c’est pourquoi certains évoquent la polarisation de la
société.
b. La situation aux Etats-Unis.
Les États-Unis ont toujours voulu se voir comme une société d’individus libres et non comme une
société de classes. On laissait entendre que, grâce à l’égalité des chances, chacun pouvait progresser dans la
hiérarchie sociale par ses simples mérites ; c’est pourquoi on note une certaine réticence à concevoir leur
société à travers un schéma de classes sociales. Néanmoins, les analyses sur la société américaine conduisent
à constater l’existence d’une stratification sociale. Avec les difficultés économiques des années 1980-1990,
une partie importante de la population s’est vue écartée du progrès.
De 1993 à 2006, le revenu des 99% d’Américains a progressé six fois moins vite que celui du 1%
d’Américains les plus riches. Ainsi, on note une profonde divergence entre les individus en situation précaire et la nouvelle classe des « hyper-riches ».
Barbara Ehrenreich, journaliste et écrivaine ayant travaillé sur les questions sociales, occupa une
série d’emplois peu rémunérés afin de mieux cerner la condition ouvrière. Elle découvrit alors la face cachée
d’un monde où les hommes et les femmes étaient contraints de cumuler les emplois, sans jamais prendre le
moindre jour de congé, contraints de vivre à l’hôtel ou dans leur voiture parce qu’ils ne disposaient ni de
comptes bancaires ni de la possibilité d’emprunter à des taux intéressants pour acquérir un logement. Un
monde où l’on ne va pas chez le médecin quand on est malade parce qu’on n’a pas d’assurance maladie et
qu’on ne peut pas se permettre de manquer le travail. Un monde où l’on mange au fast-food parce qu’on n’a
ni le temps ni les appareils pour cuisiner. Un monde enfin où les travailleurs sont contraints par leur employeurs à se soumettre à d’humiliants tests de dépistage et à des enquêtes sur leurs biens personnels. Et de
conclure : « j’ai grandi en m’entendant répéter encore et encore que « travailler dur » était le secret de la
réussite… Personne ne m’avait dit que l’on pouvait travailler – plus dur qu’il était possible de l’imaginer –
et, malgré tout, continuer de s’enfoncer dans la pauvreté et l’endettement.
Dans le même temps une nouvelle classe des « hyper-riches » s’est développée. David Cay Johnson,
journaliste financier du New York Times, a montré que les 145 000 plus riches Américains avaient leurs
revenus passés de 1,2 million en 1980 à 3 millions en 2002, soit un taux de croissance nettement supérieur
aux autres tranches de revenus. Selon Johnston, deux facteurs auraient déterminants : d’abord l’émergence
d’un marché global pour l’économie américaine et le développement des nouvelles technologies.
Il faut tenir compte de la politique fiscale du gouvernement américain. En 1980, le plus fort taux
d’imposition s’élevait à 70% des revenus. En 1987, Ronald Reagan l’abaissa à 28% puis il remonta et redes11
cendit à 35% sous George W. Bush. Il faut aussi souligner que les revenus des dividendes et des investissements – auxquels les plus riches doivent l’essentiel de leur fortune – ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu, et que les taxes qui s’y appliquent ont été réduites ces dernières années. Ainsi, les 400 contribuables
les plus riches – qui gagnaient au moins 87 millions de dollars en 2000 – paient le même pourcentage
d’impôts sur le revenu, l’assurance maladie (Medicare) et la sécurité sociale que ceux qui touchent entre
50 000 et 75 000 dollars.
Tandis que les plus riches ont vu leurs revenus s’envoler, les membres des autres tranches de revenus
ont connu une évolution plus contrasté. Pour certains, les Etats-Unis tendent vers un système de distribution
des richesses comparable à celui des pays du Tiers-monde. C’est pendant la période 1979 – 1989 que les
inégalités ont explosé aux Etats-Unis, quand les salaires des travailleurs les plus pauvres se sont mis à chuter
brutalement tandis que ceux des travailleurs moyens demeuraient stables. Entre 1989 et 2000, sur le marché
tendu de l’emploi des années 1990, les travailleurs les plus mal rémunérés ont comblé une partie de leur
retard mais c’est à ce moment là que les riches et les « hyper-riches » ont décollé et relégué la classe
moyenne.
Enfin le déclin de la mobilité sociale dans cette même période constitue un autre facteur explicatif.
Le « rêve américain » n’a jamais signifié une croyance dans l’égalité réelle, mais a toujours renvoyé à un
idéal d’égalité des chances – la classe sociale dans laquelle un individu naissait ne devait pas déterminer son
destin économique. Mais si beaucoup continuent à s’accrocher à ce rêve, de nombreux signes laissent penser
qu’il pourrait s’agir d’un souvenir.
Au-delà de la France et des Etats-Unis, on constate que c’est la norme libérale de mise en concurrence généralisée des économies qui a conduit à un accroissement rapide des inégalités entre les classes sociales, que l’on peut observer dans tous les domaines : ceux des revenus et des patrimoines, mais également
dans les conditions de vie, dans la scolarité, dans la santé.
Les politiques économiques menées par les gouvernements aussi bien de droite que de gauche ont
conduit à cette polarisation, et c’est la mondialisation qui a justifié ces politiques.
Il faut insister sur les politiques fiscales menées depuis 1980 visant à alléger la progressivité de
l’impôt sur le revenu, diminuer les taux d’imposition sur les sociétés, réduire l’impôt sur les successions.
La compétition fiscale des Etats pour attirer ou retenir les capitaux et les « grosses fortunes » a conduit à une généralisation de ces politiques favorables à la concentration des revenus et des patrimoines.
Les impôts n’ont pas baisé également pour tous. Ils se sont plutôt reportés sur le facteur travail,
beaucoup moins mobile que le capital.
A ces politiques fiscales se sont ajouté dans les années 1980 des politiques de revenus « d’austérité »
visant à désindexer les salaires de l’inflation, conduisant ainsi à un ralentissement ou à une dégradation du
pouvoir d’achat. Il faut aussi souligner la volonté de réduire les prélèvements obligatoires sur les plus riches
et de réduire les dépenses publiques, ce qui a des incidences sur les bénéficiaires des minima sociaux et les
fonctionnaires. Enfin les politiques de l’emploi ont conduit à une précarisation de celui-ci (affaiblissement
des protections légales, temps partiel…) dans un contexte de chômage chronique.
En revanche, les politiques en faveur du capital ont été très favorables. Les revenus du capital ont
ainsi bénéficié de meilleures conditions de rentabilité, la libre circulation du capital permettant de mettre en
concurrence les politiques elles-mêmes.
Pour certains auteurs, nous revenons à une concentration des fortunes dignes du XIXème siècle. « Si
l’on revient à une fiscalité du XIXème siècle, alors il est fort probable qu’on revienne à des inégalités du
XIXème siècle » (Thomas Piketty). Cette inversion des tendances historiques traduit une modification des
rapports de force entre les classes sociales. Le virage néolibéral des années 1980 a commencé par une volonté délibérée des gouvernements d’affaiblir le « pouvoir syndical » et de remettre en cause les bases et les
procédures du compromis social typique de la période fordiste.
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3. L’évolution des PCS depuis 1975.
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4. La nomenclature ESeC.
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5. Comparaison entre ESeC et PCS.
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