Modalités et pratiques de catégorisation sociale
Décembre 2001
- 3 -
I. Introduction
« Affaire classée » : tel est le mot du juge à la fin d’une procédure judiciaire, lorsque le
dossier a été rangé dans un lieu précis, pour ne plus être ouvert, relu, modifié. Cette
connotation juridique du classement est à rapprocher de la racine grecque du terme catégorie,
« kathégorestai », c'est-à-dire « accuser publiquement ». Classer, catégoriser, c’est en effet
mettre une étiquette, placer dans une case un objet pour qu’il rentre dans un ordre précis et ne
dérange plus. Etablir des catégories sociales revient à faire cette opération sur la société, ce
qui explique la forte tension qui sous-tend ce phénomène, exprimée par les controverses
théoriques qui durent depuis des siècles. On peut faire l’hypothèse que le travail de
catégorisation, loin d’être neutre, est le fruit d’une lutte incessante.
En effet, si tout le monde opère des catégories, certaines personnes ont pour fonction d’en
produire, d’en appliquer et d’en diffuser. On pourra les appeler les « professionnels du
classement », pour reprendre des termes bourdieusiens. Ces personnes ont pour point commun
la capacité de rendre publique une façon de percevoir la réalité sociale ; en cela, ils participent
au modelage du sens commun. Une hypothèse est que cela correspond de manière sous
jacente à une lutte pour imposer le « bon » classement : selon la terminologie de Bourdieu, on
peut voir que dans ce champ se trament des stratégies d’acteurs visant à détenir le monopole
de la violence symbolique légitime.
S’intéresser aux catégories nécessite ainsi de retracer et de reconstituer le système
d’action de ce champ afin d’en découvrir les enjeux sous-jacents. L’analyse qui suit a pour
objectif cette reconstitution, à partir de soixante cinq entretiens réalisés auprès de tels
professionnels, producteurs et utilisateurs de catégories sociales.
Pour cela, il faut partir des pratiques de ces professionnels et saisir les interactions liant les
acteurs de ce champ entre eux, concernant la formation des catégories. Le système d’action
ainsi mis en lumière ne peut toutefois être analysé indépendamment du contexte social,
historique et politique dans lequel il est placé : il faut comprendre à quels enjeux externes au
champ les catégories produites répondent. Enfin, on doit se demander comment les
représentations qu’ont les acteurs du système et de leur relation à leur objet d’étude influe sur
les catégories qu’ils créent.