Thème 2 (socio): Intégration, conflit, changement social. Chapitre 2

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Thème 2 (socio): Intégration, conflit, changement social.
Chapitre 2 : La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du change-
ment social ?
Objectifs.
Il s’agit ici de traiter de la conflictualité sociale sous divers angles (effet sur la cohésion sociale et
rôle dans la dynamique sociale) et donc de montrer que ces approches ne sont pas nécessairement exclusives
les unes des autres.
Dans un premier temps, on fera référence aux analyses classiques du conflit social (Marx, Durkheim,
Simmel, Coser, Touraine), en les illustrant concrets dans des contextes historiques variés. On mettra en
avant l’explication du conflit social et de l’action collective, ce qui permet de faire le lien avec certaines
problématiques étudiées en Première (paradoxe de l’action collective).
Dans un deuxième temps, on analysera les mutations des conflits du travail (notion de syndicat) et
des conflits sociétaux « en mettant en évidence la diversité des acteurs, des enjeux, des formes et des finali-
tés de l’action collective » , en soulignant le déclin apparent des premiers et l’émergence de « nouveaux
mouvements sociaux », tout en nuançant ces évolutions.
Enfin, il s’agira d’approfondir la notion de régulation des conflits, que ces derniers se situent dans la
sphère du travail ou en dehors de celle-ci.
Plan.
I. Les conflits et l’intégration.
A. Le conflit est révélateur d’une pathologie sociale.
Doc.2 p258
B. Le conflit est une forme d’intégration sociale.
Doc.3 et doc.4 p.259
II. Conflit et changement social.
Doc.1 et doc.2 p.260 ; doc.3 p261
III. Mutation des conflits et de leurs formes.
A. Les enjeux des conflits.
1. Les conflits du travail.
Doc.1 et doc.2 p264 ; doc.3 et doc.4 p265
2. Les NMS
Doc.1 et doc.2 p266 ; doc.3 et doc.4 p.267
B. Les acteurs des mouvements sociaux
C. Pourquoi se mobilise-t-on ?
Doc.1 et doc.2 p262 ; doc.3 et doc.4 p263
D. Les formes du conflit.
Doc.1 et doc.2 p268 ; doc.3 et doc.4 p269 ; doc.1 et doc.2 p270 ; doc.3 et doc.4 p271 ; doc.1 et
doc.2 p272 ; doc.3 et doc.4 p273
Site internet à consulter :
http://www.travail-solidarite.gouv.fr
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Tout d’abord, on peut préciser le sens de certains termes :
Le conflit social est une situation de rivalité entre des individus ou des groupes pouvant être de taille
très différente, dont la finalité est d'obtenir un partage différent des richesses matérielles ou symboliques en
modifiant, au besoin, le rapport de forces entre les protagonistes de l'action.
Un mouvement social définit un groupe social engagé dans une action collective revendicatrice.
L’organisation du mouvement social est déterminée par les objectifs que celui-ci cherche à atteindre.
Un mouvement social est donc un ensemble d’actions mettant partiellement ou globalement en cause
l’ordre social et cherchant à le transformer. Un mouvement social ne se contente pas de défendre ses propres
intérêts, il vise à changer la société, à modifier les règles sociales, le fonctionnement de certaines institu-
tions…
L’action collective peut se définir comme la réunion d’acteurs sociaux, qui ont des intérêts com-
muns, et qui se réunissent pour faire connaître et aboutir leurs revendications.
Leurs moyens traditionnels de mobilisation sont les grèves, les manifestations, la distribution de tracts, les
communiqués de presse...
Une action collective est une action intentionnelle d’un ou plusieurs groupes ayant pour fin la satisfaction
d’objectifs communs.
Le champ de ces actions est très large : relations de travail, scène politique, sphère culturelle...
Ainsi, toute action collective n’est pas un mouvement social
I. Les conflits et l’intégration.
A. Le conflit est révélateur d’une pathologie sociale.
Cette approche du conflit est celle d’Emile Durkheim, et a été prolongée par des auteurs comme
Talcott Parsons ou Daniel Bell. Selon cette grille de lecture, le conflit est perçu comme une pathologie, il est
l’expression d’un défaut d’intégration sociale.
Par conséquent, le conflit social : est perçu comme évitable (si l’intégration sociale n’avait pas été
défectueuse, il n’y aurait pas eu de conflit), est perçu comme négatif (le conflit est l’expression d’un défaut
d’intégration et peut en lui-même nuire à l’intégration sociale) et doit conduire à prendre des mesures pour
renforcer l’intégration sociale (afin d’éviter la survenance future de nouveaux conflits).
Emile Durkheim voit dans les conflits une pathologie de l’intégration. Ils sont les conséquences pa-
thologiques d’un affaiblissement ou d’un excès des règles sociales. Il interprète le conflit comme un phéno-
mène résiduel révélant la présence de dysfonctionnements dans les rapports sociaux. Plus précisément,
Durkheim pense que le conflit est une conséquence pathologique d'un affaiblissement ou d'un excès de
règles sociales (anomie).
le conflit social a donc pour origine un défaut d’intégration, qui peut être notamment être interprété
comme une situation d’anomie :
- une situation d’anomie au sens de Robert K. Merton : un groupe partage les objectifs de la société,
mais ne disposent pas des moyens qui lui permettrait d’atteindre ces objectifs, ce qui peut conduire au con-
flit social ;
- une situation d’anomie au sens de Durkheim : absence ou déficience des normes sociales commu-
nément acceptées.
La division du travail anomique recouvre plusieurs aspects, comme l'antagonisme du travail et du ca-
pital, les crises industrielles et commerciales et le fait que les individus ou les groupes sociaux occupent,
dans la société, des places qui ne correspondent pas à leurs compétences objectives.
La division du travail est anomique car elle ne produit pas la solidarité organique c'est-à-dire un
lien social fondé sur la complémentarité des tâches. Il en résulte que les relations entre les organes ou indi-
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vidus solidaires entre lesquels se tisse le lien social, des ouvriers travaillant dans une entreprise par exemple
ne sont pas réglementées. Cet état provient d'une insuffisance de contacts entre ces organes qui, lorsqu'ils
ont des échanges suffisamment fréquents, se régularisent d'eux-mêmes et aboutissent à un ensemble de
règles. L'affaiblissement de la conscience collective qui en résulte vient donc de ce que les conditions d'exis-
tence de la solidarité organique ne sont pas assurées
Dans la mesure où les différentes classes sociales ne savent plus quelle est leur place et quelles sont
leurs perspectives, elles en viennent à s’affronter : « Pour que la division du travail produise la solidarité, il
ne suffit donc pas que chacun ait sa tâche, il faut encore que cette tâche lui convienne » (Emile Durkheim,
(1893), De la division du travail social).
En définitive, selon Durkheim, l’anomie peut:
concerner un groupe social donné (défaut d’intégration d’un groupe à la société), dont les membres
ont par exemple connu une socialisation défaillante qui fait qu’ils ne reconnaissent pas les normes sociales
en vigueur, ce qui peut conduire au conflit social ;
être généralisée à l’ensemble de la société (défaut d’intégration de la société dans son ensemble). Il
peut s’agir d’une division du travail anomique, faute notamment d’institutionnalisation des relations profes-
sionnelles, qui conduit à un conflit capital/travail. Il peut également s’agir d’une insuffisance de valeurs et
de normes communes à l’échelle de la société, qui peut par exemple être à l’origine de conflits religieux ou
ethniques.
Selon Durkheim, il existe mis à part l’anomie deux autres formes de pathologies de la division du
travail , qui peuvent être à l’origine d’un défaut d’intégration et ce faisant d’un conflit social : la division du
travail contrainte (les normes sociales sont perçus comme injustes par certains, et ne tiennent alors que par la
contrainte) et la division du travail excessive (excès de normes sociales).
Remarque : Un même conflit social peut faire l’objet de conflit d’interprétation diverses quant au
type d’anomie qui en est à l’origine. Par exemple, les émeutes dans les banlieues en 2005 ont pu être inter-
prétées comme le résultat d’une anomie au sens de Merton (les buts de la société sont acceptés, mais les
moyens font défaut) ou davantage comme le résultat d’une anomie au sens de Durkheim (les normes et les
valeurs de la société sont insuffisamment intériorisés).
Les solutions à apporter au conflit ne sont pas les mêmes selon l’interprétation qui en est faite.
D’autres théories vont aller dans le même sens : les conflits, provoqués par des bouleversements so-
ciaux trop rapides ou l’isolement de l’individu dans une « société de masse », seraient le signe d’un relâ-
chement du lien social. La fragilisation du lien social serait donc facteur de conflit : les conflits sont des dys-
fonctionnements du lien social.
B. Le conflit est une forme d’intégration sociale.
Cette approche du conflit est celle de Georg Simmel , et a été prolongé par des auteurs comme Le-
wis Coser (sociologue fonctionnaliste auteur de l’ouvrage : Les fonctions du conflit social). Selon cet auteur,
le conflit est perçu comme un facteur d’intégration sociale, et non comme révélateur d’un défaut
d’intégration. Par conséquent, le conflit : est perçu comme inévitable (il fait partie du fonctionnement nor-
mal de l’organisation sociale), est perçu comme positif (puisqu’il contribue à l’intégration sociale) et il peut
conduire au changement social. Ainsi, le conflit social peut être perçu à la fois comme un facteur
d’intégration pour chacun des groupes en conflits et comme un facteur d’intégration entre les groupes en
conflit.
Le conflit social peut contribuer à l’intégration de chacun des groupes en conflit, pour les raisons
suivantes :
le conflit renforce l’identité du groupe : l’opposition avec un autre groupe social permet de mieux
définir les traits caractéristiques du groupe et de mieux en délimiter les frontières ;
le conflit renforce la cohésion du groupe : le sentiment d’appartenance des membres du groupe est
renforcé, le conflit renforce la nécessité d’être solidaires au sein du groupe ;
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le conflit renforce les liens sociaux au sein du groupe : le conflit conduit à des actions collectives,
qui créent des liens de sociabilité entre les membres du groupe.
Dans le but de renforcer leur intégration réciproque, les groupes sociaux peuvent mettre périodique-
ment en œuvre des conflits sociaux ritualisés.
Le conflit social contribue également à créer davantage d’intégration sociale entre les groupes en
conflit, pour plusieurs raisons :
le conflit social rapproche les groupes en conflit en créant une interaction entre eux :
le fait qu’il y ait un conflit social signifie que les groupes sociaux s’entendent sur la légitimité de
l’enjeu, ce qui constitue un point commun entre eux (par exemple, les champs sociaux étudiés par Bourdieu
sont structurés par le fait que les groupes en conflit s’entendent sur la légitimité de l’enjeu) ;
le conflit social peut créer des rapports entre les deux groupes, qui peuvent de ce fait apprendre à
mieux se connaître (comme cela peut être le cas dans le cadre de la démocratie locale, par exemple) ;
le conflit social peut renforcer l’ordre social qui en est issu (« l’ordre social est fondé sur des conflits
résolus » H. Mendras) :
si les règles du conflit sont acceptées par les groupes en présence, le résultat du conflit peut être con-
sidéré comme légitime. Dès lors, l’institutionnalisation des conflits contribue à faire des conflits des facteurs
d’intégration sociale. La démocratie en constitue un exemple : son objectif est d’institutionnaliser les con-
flits politiques, afin de légitimer les décisions politiques et l’ordre social qui en est issu ;
le conflit peut conduire à un changement social qui favorise l’intégration sociale, soit parce que ce
changement résulte d’un compromis entre les groupes en conflits (idée d’Hirschmann selon laquelle le capi-
talisme a été sauvé par les contestations en son sein qui l’ont conduit a évolué, idée que l’on peut reprendre à
l’inverse s’agissant du système soviétique qui, en étouffant la contestation, n’a pas su se réformer ce qui
aurait entraîné son déclin, et qui peut également être appliquée à l’entreprise, qui peut se priver d’un facteur
de dynamisme interne en étouffant les conflits), soit parce que ce changement permet une meilleure intégra-
tion d’un groupe jusque-là marginalisé (par exemple, les conflits relatifs à l’homosexualité, aux droits des
minorités,...) ;
enfin, le conflit social peut renforcer l’ordre social dans le cas où le groupe défait lors du conflit
social reconnaît sa position d’infériorité durable et accepte ce faisant l’ordre social sous la contrainte;
Par ailleurs, Levis Alfred Coser (1913 2003) considère, dans une perspective fonctionnaliste, que
la principale fonction des conflits est de maintenir la cohésion du groupe. Plus ils sont fréquents, plus la sta-
bilité des rapports sociaux est assurée. Il a montré que bon nombre de conflits n’étaient pas évolutifs mais
reproductifs. Le conflit est alors le signe d’une résistance au changement, voire de l’expression d’un corpo-
ratisme. Levis Coser évoque aussi (dans une optique davantage psychologique) le rôle de « soupape de
sécurité » que peut remplir le conflit social, qui peut permettre une évacuation des tensions sociales, évitant
ainsi un conflit social majeur.
II. Conflit et changement social.
Cette approche du conflit est celle de Karl Marx (1818 1883), et a notamment été prolongé par
Alain Touraine. Selon ces auteurs, le conflit social est perçu comme un facteur de changement social. Il faut
rappeler que c’est dans le contexte de l’industrialisation qu’il a construit sa théorie de la lutte des classes,
moteur de l’Histoire et donc du changement social. Les rapports sociaux de production sont des relations
économiques et sociales de domination et d’exploitation. Par conséquent, le conflit :
est perçu comme inévitable (il est l’expression de contradictions insurmontables de la société) ;
est perçu comme positif (il doit permettre l’émergence d’un nouvel ordre social).
Selon la théorie du conflit élaborée par Marx, les conflits sociaux présentent les caractéristiques sui-
vantes :
le conflit est un trait permanent de toutes les sociétés, l’issue d’un conflit social créant les conditions
d’un autre conflit social ;
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chaque société se caractérise par un conflit social central;
le conflit est l’expression de contradictions inhérentes à la société, qui ne peuvent aboutir au com-
promis ;
le conflit conduit au changement social, qui est indispensable pour surmonter les contradictions de la
société.
L’analyse des relations entre le conflit social et le changement social peut être menée à partir d’un
questionnement de la théorie marxiste des conflits sociaux :
le changement social peut être généré par le conflit social central, mais également par des conflits so-
ciaux secondaires ;
le changement social auquel abouti le conflit social ne conduit pas nécessairement à la disparition
d’un des groupes en conflit, il est possible d’aboutir à un compromis et à une institutionnalisation des con-
flits, qui réduisent la conflictualité (les intérêts des deux groupes en présence ne sont par conséquent pas
nécessairement irréconciliables, le conflit social n’est pas nécessairement un jeu à somme nulle) ;
les contradictions sociales ne conduisent pas automatiquement au conflit social : une opposition
d’intérêt entre deux groupes sociaux ne conduira à un antagonisme ouvert qu’à la condition que certaines
conditions favorables à l’action collective soit réunies ;
les conflits sociaux peuvent avoir pour objectif de résister au changement social, et non de le provo-
quer (voir la distinction entre conflits du travail « offensifs » et « défensifs », ou encore : les mouvements
poujadistes, le mouvement Chasse Pêche Nature et Traditions,...).
Quelques rappels :
La lutte des classes renvoie à l’analyse de Karl Marx. Il a été l’un des premiers à analyser les
conflits sociaux comme une conséquence normale du fonctionnement des sociétés. Il a relié les conflits so-
ciaux et l’organisation du travail en définissant les « rapports de production ».
Dans les sociétés contemporaines capitalistes, la lutte des classes oppose les salariés et les capi-
talistes. Le conflit d’intérêt repose sur une injustice faite aux salariés – l’exploitation – devient un conflit
social quand les groupes se transforment en classes sociales.
L’analyse de l’exploitation capitaliste :
Les capitalistes sont ceux qui possèdent les moyens de production alors que les salariés ne dispo-
sent que de leur force de travail. Ces derniers sont contraints de louer leur force de travail aux capitalistes
pour vivre et ces capitalistes s’approprient la valeur de la production en échange d’un salaire. Cette domi-
nation des salariés par les capitalistes permet à ces derniers de les exploiter en leur versant un salaire (la
valeur d’échange du travail) inférieur à la valeur de la production (la valeur d’usage du travail) et de
s’approprier la différence (la plus-value). Cette appropriation est possible parce que les salariés ne sont pas
organisés, les employeurs peuvent jouer sur la concurrence entre eux et qu’il existe, dans les sociétés indus-
trielles, une réserve perpétuelle de chômage (« l’armée de réserve » capitaliste) qui favorise la concurrence
entre les salariés (les chômeurs sont prêts à accepter un salaire plus faible pour retrouver un travail et
échapper à la misère). L’existence du profit est donc la conséquence d’un rapport de force. Seul le travail
est source de valeur.
la constitution des groupes en classe sociale :
le conflit social suppose que les individus (les salariés) partageant une même situation dans les
rapports de production aient conscience de leurs similitudes et s’unissent pour revendiquer contre un adver-
saire commun. Ils constituent alors une classe sociale, la classe en soi devient une classe pour soi. Cette
constitution va se produire avec le développement des grandes usines au XIXème siècle lorsque les ouvriers
vont prendre conscience de leur identité professionnelle et qu’ils vont s’organiser en syndicats, en partis
politiques, pour structurer leurs actions revendicatives et défendre leurs intérêts. De même, les capitalistes
vont se structurer en organisations patronales.
Ainsi, l’analyse marxiste théorise les conflits du travail et donne une vision conflictuelle de la so-
ciété. Les conflits du travail vont structurer la société en classes sociales antagonistes, organiser les identi-
tés professionnelles et la vie politique.
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