1. Une science est généralement définie par son objet propre ce qui fait défaut à la philosophie même en passant par son étymologie, « amour de la sagesse » en grec. De plus l’usage courant que l’on en fait dénature également son sens premier. Ce sens premier, Aristote sera le premier à le définir en introduisant la philosophie comme épistémologie. Aristote 384 AJC, Athènes à 17 ans, élève de Platon, précepteur d’Alexandre le grand, fonde sa propre école vers 334. C’est Andronichos de Rhodes qui réunira ces textes dans un corpus divisé en deux parties, une Physique, l’autre, Métaphysique. Considérée plus tard comme trans physicam plutôt que post physicam. Aristote la définissait lui-même comme « philosophie première ». « C’est une science qui étudie l’étant en tant qu’étant et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Et elle ne se confond avec aucune des sciences dites particulières, car aucune de ces autres sciences ne considère en général l’étant en tant qu’étant » (Métaphysique, livre gamma, 1003 à 20-24) Etant = ce qui est ou encore l’objet DONC la philosophie est une science qui étudie l’objet en tant que tel en général. Cet objet en général étant pourvu d’attributs, ces attributs peuvent s’appliquer à tout objet et seront appelés déterminations. (Espèce, genre, un/multiple, …) Par là nous pouvons considérer la philosophie comme une théorie générale de la connaissance ou de la science. Le problème que l’on trouvait déjà chez Platon est de confondre une théorie de la connaissance avec une théorie de l’objet ou ontologie. Il manque donc une théorie du sujet. 2. Gaston Bachelard (1884-1962) est une figure assez originale du monde universitaire français. Fonctionnaire des PTT, il étudia en dilettante les sciences et la philosophie, présenta les concours et finit sa carrière comme professeur à la Sorbonne. Comme Husserl il soutient que la science à besoin d’une philosophie pour se comprendre ellemême. Il reproche à l’empirisme de manquer de clairvoyance sur ce qu’est la science. Dans Le nouvel esprit scientifique de 1934, Bachelard dénonce l’empirisme et donc l’observation des faits comme allant contre le propre de l’activité scientifique. Pour lui l’organe le plus important de la science n’est pas la « vue » mais « l’interprétation ». L’homme crée la science de par son esprit. Pour lui la science procède de la négation du réel pour lui substituer quelque chose de plus profond que son expérience immédiate. Cela ne touche pas les empiristes, Claude Bernard nous dira par exemple qu’un théorie scientifique n’a de sens que si elle est confirmée par des expériences, ce qui n’a de véritable chance de se produire que si la théorie elle-même est induite des faits. Bachelard nous aide donc « a contrario » à comprendre l’empirisme qui n’et non pas un négativisme mais un positivisme ce qui signifie deux chose : - Tout d’abord l’empiriste admet que la science accepte ou fait droit à quelque chose comme une réalité qui lui préexiste. Quant à cette réalité, à moins d’en trahir le sens, elle n’est pour nous qu’un ensemble de faits ou d’états de chose dont nous faisons l’expérience par l’observation. - La constitution scientifique des lois et des théories ne procède donc que de cette position des faits dans l’expérience, laquelle constitue la seule assurance préalable du scientifique. D’où la seconde caractéristique de l’empirisme qui découle directement du positivisme : l’inductivisme. Cela signifie que les lois scientifiques sont tirées des faits d’observation par induction. Quant à l’induction on la définira simplement comme le moyen par lequel on passe des faits aux lois. 3. Cette induction est également mentionnée par Newton dans les principes mathématiques de philosophie naturelle (1687). « Quant à la raison de ces propriétés de la gravité, je ne peux encore la déduire des phénomènes, et je ne forge pas d’hypothèses (hypotheses non figo). En effet, tout ce qui n’est pas déduit des phénomènes doit être appelé hypothèse et les hypothèses, quelles soient métaphysiques, physiques, se rapportant aux qualités occultes ou mécaniques, n’ont pas de place en philosophie expérimentale. En cette philosophie, les propositions sont déduites des phénomènes et rendues générales par induction. (Principes, trad. Française, p. 117-118. ed. Bourgeois, Paris, 1985). Il parle d’induction pour qualifier le passage des propositions scientifiques particulières aux propositions générales ou aux lois, tandis qu’il parle de déduction pour qualifier le passage des phénomènes aux propositions particulières de la science. A→ B : Déduction B→ C : Induction Pourquoi dès lors Newton parle-t-il tantôt de déduction, tantôt d’induction pour traduire le même processus de passage des phénomènes aux propositions de la science ? Manifestement, parce qu’il les tient pour égales. Déduction : Tous les acides libèrent les atomes d’hydrogène au contact d’un métal. La molécule de H2SO4 est un acide. → J’en déduirai donc : La molécule de H2SO4 libère ses atomes d’hydrogène au contact d’un métal. Induction : Dans une induction, par contre, il n’existe pas à proprement parlé de raisonnement et il semble donc impossible de considérer l’induction comme une opération logique. Tout au plus, s’agit-il d’un acte de généralisation opérée sur la base de l’observation des phénomènes, selon certaines règles contraignantes. LOIS OBSERVATION induction déduction PREDICTIONS EXPLICATIONS Nous le nommerons désormais le scénario OLPE, et nous nous contentons de dire, que ce scénario est celui qui défendu, au début du siècle passé jusqu’au moins 1930, par ce courant de pensée très influent que l’on appelle l’empirisme logique ou aussi parfois le néopositivisme. Mais c’est en Autriche autour du Cercle de Vienne ou Wiener Kreis qu’il connut le plus de succès. 4. Platon s’opposait en fait à une version antique du relativisme, la mouvance sophiste. Celle-ci prônait le langage comme outil par excellence, il s’agissait d’éducateurs puisque vraisemblablement fort bien rémunérer, dont l’enseignement portait uniquement sur la rhétorique. Tout l’art du sophisme consiste à faire passer ce qui est faux pour vrai par le langage, nous entendons encore aujourd’hui par « sophisme », un raisonnement faux qui sait se donner les apparences de la vérité. Il n’est pas utile de posséder un savoir théorique c’est-à-dire une connaissance des choses pour un sophiste. Gorgias et Protagoras soutiennent que la vérité n’est qu’un vain mot et dût-elle exister quelque part, elle nous serait inconnaissable. En fait, celleci, bien entendu, diffère d’un homme à l’autre. Protagoras résumera dans un de ses ouvrages la thèse relativiste de la sophistique en écrivant : « L’homme est la mesure de toute chose». C’est en niant de la sorte toute possibilité d’une connaissance vraie ou objective que le relativisme sophiste suscitera la réaction platonicienne et, avec elle, le commencement de la philosophie. 5. Les mathématiques de l’époque se réduisaient à la géométrie inductive et graphique, apparue en Grèce au 6ème siècle ACN avec Thalès de Milet (pyramide de Kheops), Pythagore quant à lui, disciple de Thalès, connaissait déjà la méthode dite d’apposition, les nombres étaient toujours représentés par des lignes ou des surfaces. Toutefois, aussi puissante fut-elle sur le plan rationnel la géométrie de Pythagore manquait encore de systématicité. Ce n’est qu’avec Euclide au 3ème siècle ACN que la géométrie change de visage pour désormais se présenter comme un ensemble cohérent de théorèmes et de démonstrations architectoniquement ordonnés à partir d’un nombre très limité d’axiomes ou de postulats élémentaires. La géométrie euclidienne devient une science purement hypothético-déductive. Un siècle avant lui, Platon parlait déjà d’une science hypothético-déductive. Il y eut donc des prédécesseurs mais il ne reste que « les éléments » d’Euclide comme trace écrite. A l’époque moderne, il ne cessera d’être une référence pour les rationalistes qui estimaient qu’on ne pouvait prétendre à la connaissance objective que si l’on parvenait à l’établir more geometrico c’est-à-dire à la manière du géomètre. La devise de l’académie fondée par Platon n’était autre que : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Platon fut un témoin direct de la décadence de la démocratie athénienne. Dans La République, la question soulevée est celle de justice. Elle consiste à rendre à chacun son dû, c’est-à-dire rendre à chacun ce qu’il mérite. Ici sont considérés les individus. Il faudra donc se tourner vers l’image de la justice dans la société, où celle-ci est marque de l’unité, de l’équilibre et de la cohérence. Mais quelles connaissances devraient posséder les gardiens de l’équilibre d’une telle société ? Bref comment s’acquiert la connaissance ? La connaissance ne peut s’édifier qu’en s’arrachant à l’empire des sensations. Au livre VII de La République, Platon montre que c’est ce qui se passe en mathématique en travaillant sur des entités totalement indépendantes du sensible et qui ne sont seulement qu’intelligibles. La connaissance se consacre donc à des objets intelligibles c’est-à-dire à des idées, à la différence des objets sensibles soumis au changement et au devenir. C’est pourquoi ces objets peuvent être déduits par voie purement rationnelle. « La méthode dialectique est la seule qui en rejetant les hypothèses s’élève jusqu’aux principes mêmes afin de s’y établir d’une façon solide ». Les mathématiques sont une science hypothético-déductive, les objets idéaux abordés par les mathématiciens sont des hypothèses, le travail de la philosophie sera d’en faire des vérités premières grâce à la dialectique. Il appartient dès lors à la philosophie de démontrer comment nous devons avoir à faire à de telles idées pour que soit garantie la vérité de ce dont nous parlons. Comme le dira Husserl dans un discours 1923-1924 : « Il transpose à la science le principe… de justification radicale ». En d’autres mots, il a assigné à la philosophie cette tâche qu’aucune science ni aucune connaissance ne s’impose à ellemême : fournir une justification ultime des vérités qu’elles prétendent établir. 6. Sa seule théorie de la connaissance, si l’on peut encore l’appeler par ce nom, fut alors de montrer que l’intelligence ne parvient à la connaissance vraie qu’en se détournant du premier pour uniquement contempler le second. Ces difficultés sont doubles ou moins. Si le monde des idées est sans rappot avec le monde sensible, si les réalités idéales fixes et éternelles sont totalement séparées des réalités naturelles changeantes et en devenir, alors, outre le problème de ce dédoublement du monde, comment sérieusement penser la possibilité d’une physique, c’est-à-dire d’une science qui porte sur la nature matérielle comme telle. Et, de ce fait, s’il n’y a pas de physique chez Platon, c’est tout simplement que lui-même l’a rendue impossible. Ensuite, s’il faut admettre que les idées constituent une réalité à part entière, cela suppose qu’elles ne sont pas seulement séparées de la réalité matérielle, mais tout autant du sujet pensant. Mais où peuvent se trouver les idées et quelle relation du sujet connaissant peut-il avoir avec elles ? La vision intellectuelle des idées pensée par Platon n’arrangea rien à l’énigme. Pourquoi a-t-il substitué à l’épistémologie une ontologie rationnellement indéfendable ? Mais reconnaître au monde une rationalité interne, ce n’est pas chez les Grecs le fruit d’une réflexion philosophique, c’est plutôt le fait d’une croyance religieuse que l’on identifiera à un cosmocentrisme. Conformément à cette mentalité cosmocentriste, Platon ne pouvait donc que faire exister les idées quelque part dans le monde. 7. Pas de physique chez Platon. Aristote réhabilite le monde du sensible (l’être et le devenir). Pour Aristote le devenir, le mouvement et les changements de toutes sortes sont régis par des essences ou des formes immanentes au réel lui-même, plutôt que de lui être transcendante ou extérieure. Il fera donc de la physique une science qualitative encore prisonnière du cosmocentrisme. Chez Aristote, une théorie du sujet est abordée dans son Traité sur l’Ame mais on ne nous explique pas comment des essences générales peuvent se constituer en rapport avec le sujet connaissant. Ici encore l’ontologie prend le pas sur l’épistémologie. La question devrait être : Comment les choses nous apparaissent-elles de façon à être porteuse d’essences ? mais pour Aristote, il va de soi que la réalité naturelle et sensible possède son propre principe d’ordre et de permanence. On devra attendre l’intermède médiéval et chrétien pour passer du cosmocentrisme au logocentrisme. 8. C’est reconnaître au monde une rationalité interne, ce qui n’est pas chez les Grecs le fruit d’une réflexion philosophique mais plutôt le fait d’une croyance religieuse que l’on identifiera à un cosmocentrisme. Conformément à cette mentalité cosmocentriste, Platon ne pouvait donc que faire exister les idées quelque part dans le monde. Quant à Aristote, il pensait que la réalité naturelle et sensible possède son propre principe d’ordre et de permanence. On devra attendre l’intermède médiéval et chrétien pour passer du cosmocentrisme au logocentrisme. Si la conception chrétienne du monde lui considère encore un ordre qui vaille comme principe de la connaissance, cet ordre ne provient que de l’intelligence divine et non plus du monde lui-même. Si en créant le monde Dieu l’a rendu cohérent et connaissable, c’est qu’il lui a appliqué en même temps des idées ou des essences. Nous passons donc d’un cosmocentrisme vers un Théocentrisme avec un sujet unique au centre de tout et créateur. Apparaît alors pour la première fois l’idée de constitution du monde. L’homme n’est pas encore au centre mais il occupe néanmoins une place important dans le monde. L’homme a été créé à l’image de Dieu, il existe alors une analogie d’être entre l’homme et Dieu qui pourrait se traduire dans l’intelligence ou l’exercice de la raison. Ce rapprochement entre la raison humaine et la raison divine contribua à libérer les principes de la connaissance par rapport à l’ancien dogme cosmocentriste selon lequel il y aurait un ordre ou une raison du monde auquel la connaissance n’avait qu’à se conformer. 9. Un grand débat, plus connu sous le nom querelle des universaux, est un bel exemple de cette libération. Deux craies blanches → Je voix une couleur, la blancheur, entité générale ou encore essence qu’on en commun les deux craies → Je vois deux blancs qui sont semblables mais sont des qualités propres à des objets distincts. La première attitude consiste à croire qu’il existe des essences générales en adoptant une attitude réaliste faisant référence à Aristote. La deuxième attitude ne reconnaît que les choses individuelles et leurs propriétés particulières. L’on a fait abstraction des différentes choses qui sont blanches pour ne retenir que leur particularité commune ce qui nous mène au conceptualisme ou au nominalisme. Ce débat nous mènera tout droit vers le rationalisme moderne en passant par « le rasoir d’Occam » 10. Guillaume Occam (1285-1349), adoptera cette attitude dans un œuvre logique. « le rasoir d’Occam » signifie en fait raser la barbe de Platon qui devait manifestement être aussi fournie que l’univers ontologique de Platon. Autrement dit adopter le principe de ne pas multiplier les êtres plus qu’il n’en existe réellement. Pour ce qui existe réellement nous dirons qu’il s’agit des choses singulières avec leurs propriétés singulières tels que nous les rencontrons dans l’expérience. S’il est indéniable que l’homme est une espèce, cela ne fait pas de lui une réalité. Il s’agit juste d’une signification qui renvoie à une multitude d’individus existants. Cette attitude conceptualiste et nominaliste profile alors clairement le rôle constitutif de la pensée. Le sujet humain va désormais prendre une place centrale dans l’explication du mode d’acquisition des connaissances, SI effectivement il est l’unique foyer des idées ou des concepts. Contrairement à la philosophie ancienne la connaissance commence donc à se découvrir comme n’étant plus seulement intuitive c’est-à-dire purement soumise à des objets idéaux, ces objets idéaux n’étant plus en fait que des concepts issus de la pensée elle-même. 11. Le rôle constitutif de la pensée se retrouvera dans la science moderne au 16ème siècle avec Copernic et plus précisément Galilée dans ce qu’on appellera la révolution copernicienne, et plus précisément dans le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme. Mais Copernic restera prisonnier des anciens principes comme par exemple celui de l’ordre immanent au monde lui-même, il continue de percevoir un espace sidéral clos bouclé à la périphérie par la sphère des étoiles fixes. Il ne peut admettre un monde infini car il n’y aurait plus de centre et ce serait un monde désordonné, incohérent. C’est la rationnalité qui lui fait dire cela. Galilée définit le mouvement rectiligne uniforme comme tel : « Je conçois en esprit un corps jeté sur un plan horizontal en l’absence de tout obstacle : il résulte […] que le mouvement du corps sur ce plan sera uniforme et perpétuel, si le plan s’étend à l’infini ». « Je conçois en l’esprit … » seront les mots qui peuvent être considéré comme le point de rupture avec la conception ancienne de la science, là se trouve aussi l’apparition du logocentrisme. La science se doit de fournir le cadre à l’intérieur duquel il faut représenter les objets afin d’en obtenir une représentation qui soit scientifique. On ne se soumet plus aux objets, c’est les objets qui se soumettent aux sujets connaissant. Avec Galilée, les idéalités que Platon cherchait dans un monde extérieur deviennent des productions de l’esprit. Tout ceci donnant naissance à une physique quantitative ou mathématique. 12. Le leitmotiv de la théorie cartésienne de la connaissance est de montrer que la subjectivité (appelée cogito par Descartes) constitue le point archimédique, le principe même de toute science car le sujet est toujours pour lui-même une certitude absolue sur laquelle reposent toutes les autres certitudes de la science. C’est ce qu’il exposera dans le fameux « Discours de la méthode » de 1637 et surtout dans les « Méditation de philosophie première » de 1641. Le rationalisme de Descartes nous rappelle évidemment celui de Platon puisqu’il soutient que l’expérience sensible peut à tout moment nous abuser et que nos sens sont trompeurs. Mais il reste quelque chose d’inéluctable, c’est que si je peux douter de tout le monde extérieur, le doute ne comprend pas ma personne. En effet, pour douter, il faut penser et pour penser il faut être : « cogito ergo sum ». Platon avait déjà cherché un fondement qui vaille comme évidence absolue du reste il avait même démontré que c’était là la tâche de la philosophie. Descartes pense presque la même chose sauf qu’il cherchera ce fondement avec le sujet pensant plutôt que dans un ciel des idées. Toute la question est de savoir comment le cogito, une fois assuré de lui-même, peut se pourvoir d’autres certitudes que celles qui le concerne en propre. Or penser c’est toujours penser quelque chose, il n’y a pas de cogito sans objets pensés ou cogitata. Parmi ces objets, y en a-t-il qui nous assure une certitude plus grande que pour les autres ? Oui, Descartes les appellera les idées claires et distinctes, et ce sont celles que nous avons des mathématiques. Les mathématiques étant pures et ne devant pas souffrir du rapport aux objets extérieur. Cela ne veut pas dire que la connaissance vraie doit se résumer aux mathématiques mais que toute connaissance vraie doit prétendre à la même exactitude, c’est-à-dire qu’elle devra être étable more geometrico ». 13. On ne sait pas ce qui nous prouve que la conception « mathématique » du monde est adéquate à la réalité et donc qu’elle a une validité réelle. Dans ses « Méditations de philosophie première » Descartes aborde ce problème mais s’enlise, partant s’un Dieu trompeur qui ferait en sorte qu’à nos mathématiques ne corresponde rien de réel, Descartes tente d’en montrer l’impossibilité en partant de la définition de Dieu. Dieu est parfait, cette idée de perfection la plus haute implique son existence car il est plus parfait d’exister que d’être simplement possible. De cette façon, Descartes tente autant nous prouver l’existence de Dieu que nous démontrer que dans son infinie bonté qui est le corollaire de sa perfection, Dieu garantit un accord entre nos représentations mathématiques et le monde naturel. Kant démontera dans sa « Critique de la raison pure » que du concept de quelque chose on ne peut déduire l’existence de ce quelque chose. A moins d’admettre l’absurdité qu’il suffise de penser à quelque chose pour que ce quelque chose se mette à exister. Pour Kant, l’existence de quelque chose ne peut être fournie que par la perception c’est-à-dire par son expérience sensible. Tout ceci favorisera l’émergence de l’empirisme. Si Kant a prouvé que la raison seule est impuissante à produire de l’être, elle est aussi impuissante à avérer, par ses seules ressources, son adéquation à l’être. Ce n’est pas parce que nous pensons mathématiquement la nature du monde que son mode d’être est forcément mathématique. Pour Kant il s’agira de prouver la légitimité de cette physique mathématique. Si la raison doit prendre les devants sur la nature, elle n’en reste pas moins soumise au verdict de celle-ci, ce verdict c’est l’expérimentation qui le rend. 14. « L’essai sur l’entendement humain » de 1960 est sans aucun doute l’ouvrage essentiel de Locke. Il s’agit d’un véritable traité de psychologie où l’auteur s’applique à retracer la genèse de l’entendement pour montrer la façon dont s’acquièrent nos connaissances mais aussi pour y montrer quelles sont les limites infranchissables de notre savoir. Tout d’abord, cette psychologie s’appuie sur une thèse radicalement anti-rationaliste, il n’existe pas d’idées innées ou a priori de la pensée qui seraient donc totalement indépendantes de l’expérience. Pour Locke, l’esprit serait un papier vierge sur lequel l’expérience vient imprimer une multitude d’idées. C’est donc à partir de sensations répétées que naissent en notre esprit des idées simples que Locke nomme idées de sensation. Mais l’esprit ne se contente pas d’être passif, il est aussi capable de se tourner vers lui-même, c’est-à-dire de se réfléchir (sens interne et externe). Autrement dit, nous avons également l’expérience de notre propre activité de pensée, avec elle naissent d’autres idées simples que Locke nomme cette fois idées de réflexion (idées de percevoir, penser, douter,…). L’activité de conscience se produit selon une certaine succession ou une certaine durée. De cette idée du temps nous vient l’idée du changement et a contrario l’idée de permanence ou d’identité, etc. De plus, il peut y avoir corrélation entre idées ou encore ordre chronologique ou d’importance. Il s’agit donc dans son « Essai » de 1960 d’une histoire du savoir humain. En bref, il s’agit de fournir une description psychologique de la façon dont se construisent en nous les principes de le science. L’objectivité de la science n’est malheureusement pas encore atteinte. Le problème vient cette fois du manque de correspondance avec la réalité de ce processus intrapsychologique. Locke soutiendra que toutes les idées complexes se retrouvent dans la tradition nominaliste, ce ne sont que des termes qui ne nous parlent pas du réel mais seulement de créations conceptuelles que l’entendement fait pour son propre usage. 15. La résignation aux limites impliquée par l’expérience a conduit l’empirisme sur la voie d’un idéalisme radical dont on trouve l’expression la plus nette chez George Berkeley. Dans ses « Principes de la connaissance humaine » de 1710, Berkeley commence par critiquer la distinction entre idées simples et complexes, dans le fond, une idée n’est jamais qu’une idée et la conscience n’a d’autre expérience ou de sensation que de ses propres idées. L’empirisme interdit que l’on puisse parler d’un monde extérieur et rend illicite toute distinction entre le subjectif et l’objectif, entre l’esprit et la matière, car de l’objectif ou de la matière nous n’avons aucune expérience sinon celle de l’idée que nous en avons. Comme la conscience ne peut donner de valeurs objectives à ces idées ou sensations, il lui est impossible de soutenir que ces idées ou sensations sont causées par les choses. Pour Berkeley, les idées, c’est les choses. Pire encore : « Quand nous faisons de notre mieux pour concevoir l’existence des corps extérieurs, nous ne faisons tout ce temps là que contempler nos propres idées ». Cet immatérialisme radical conduit à un scepticisme radical qui supprime toute vérité de la chose. Selon la formule célèbre de Berkeley : « Esse est percipi (être c’est être perçu) ». On se demande alors quel pouvoir peut encore avoir la science qui n’est elle-même, comme toute connaissance, qu’un tissu d’idées. (Voir Hume).