QUELQUES REPRÉSENTATIONS DE LA STRUCTURE SOCIALE
D’après un article du sociologue Henri Mendras dans Sciences Humaines n° 18, juin 1992
et un texte de Max Weber tiré de Économie et Société (1922)
1. La conception marxiste des classes
sociales : une vision antagoniste et
dynamique
Marx peut se résumer à quatre classes
qui sont des univers complètement
indépendants ayant chacun sa civilisation
et entre lesquels il est impossible de
passer, seuls quelques individus y
arrivent.
Voici le schéma :
La lutte entre bourgeoisie et prolétariat
donne son dynamisme au système et
définit les deux protagonistes. Les
paysans et les petits bourgeois doivent
choisir leur camp et rejoindre soit la
bourgeoisie soit le prolétariat. La vertu
du schéma est évidemment qu'il est à la
fois micro-sociologique. structurel et
dynamique. Simmel a annoncé dès 1890
que la dynamique n'était pas celle prévue
par Marx : une nouvelle classe moyenne se
développe et. en s'enflant. elle
marginalise ou coopte les paysans et
impose sa dynamique propre au modèle qui
n'est plus une dyade mais une triade et
chacun sait que dans une triade le dernier
venu a une liberstratégique qui le rend
maître du jeu.
2. La conception de Max Weber : les
classes sociales, un classement parmi
d’autres selon des critères économiques
Nous appelons « situation de classe » la
chance typique qui, dans un régime
économique donné, résulte du degré
auquel et des modalités d'utilisation selon
lesquelles un individu peut disposer (ou ne
pas disposer) de biens ou de services afin
de se procurer des rentes ou des
revenus: chance de sa capaci à se
procurer des biens, de ses conditions de
vie extérieure, de sa destinée
personnelle. Nous entendons par « classe
» tout groupe d'individus qui se trouvent
dans la même situation de classe. [...]
Peuvent exister des regroupements
d'individus ayant des intérêts de classe.
Mais ce n'est pas nécessairement le cas:
la situation de classe et la classe
n'indiquent en elle même que des états de
fait caractérisés par des situations
typiques, analogues. [...] En principe, le
pouvoir de disposer de toutes sortes de
biens de consommation, de ressources, de
patrimoines, de moyens de protection, de
services, constitue chaque fois autant de
situations de classes particulières. [...]
Les passages de l'une à l'autre situation
sont plus ou moins faciles et révocables;
l'unité de la classe «sociale » s'affirme
de ce fait de façon variable. [. .. ] Mais
[au delà des classes] nous appelons «
condition » (ou statut) un privilège positif
ou négatif de considération sociale, fondé
sur le mode de vie (donc le type
d'instruction, le prestige de la naissance
ou de la profession). La condition peut
reposer sur une situation de classe mais
elle n'est pas déterminée par elle seule.
Max Weber, Économie et société, 1922, Gallimard.
3. La conception de William Lloyd
Warner (sociologie américaine) : une
analyse en termes de strates sociales
Les sociologues américains ont fait
découvrir à leurs concitoyens qu'il y avait
des classes dans la société américaine.
[Ainsi Warner depuis ses enquêtes de
terrain à Yankee City en 1941 et 1949,
avec son fameux losange :]
On voit clairement que ce schéma est
logique et non descriptif : la vision
dichotomique (riches et pauvres, purs et
impurs) entraîne logiquement des
intermédiaires. Puis ce schéma logique est
sociologisé. Dans ces études sur les villes
américaines, Warner donne une
description de chaque classe : les vieux
aristocrates. les nouveaux riches. les
cadres supérieurs ....etc. Et ses épigones
ajoutent une strate : middle-middle. On
voit qu'on pourrait en raffinant en
ajouter autant qu'on veut mais alors on
passe de l'analyse de micro-groupements
(selon la terminologie de Gurvitch) avant
chacun leur unité, leurs objectifs, leur
conscience et leurs intérêts, à une
analyse de stratification. d'où toute idée
de compétition et de lutte de pouvoir est
exclue.
4. L’approche de Pierre Bourdieu : une
conception structuraliste de l’espace
social visant à expliquer la reproduction
des positions sociales.
La pyramide
Notre société se parle à elle-même en
terme de pyramide ou d'échelle. Une
échelle n'a ni début ni fin, on la monte ou
on la descend, c'est donc une image
inquiétante : tandis que la pyramide est
rassurante car elle est stable et chacun
est à sa place. Les gens du haut, de la
pointe sont l'élite: peu nombreux ils ont
tout pour eux : la richesse, le pouvoir, le
prestige, le savoir. Sur tous les
indicateurs ils sont au maximum, sauf la
morale : ils sont menacés d'immoralité et
même de perversion. Plus on descend dans
la pyramide plus les indicateurs baissent
jusqu'aux pauvres qui n'ont rien : ni
richesse, ni pouvoir, ni prestige, ni savoir
mais qui se conçoivent comme moralement
meilleurs que l'élite. Les strates
moyennes sont moyennes en tout. Elles
cherchent à se rapprocher du haut en
singeant l'élite et en prenant leurs
distances à l'égard du peuple.
Puisque la pyramide est stratifiée, on
peut la grimper, ou en dégringoler. Tout
vient du haut : autorité, savoir, modes.
Comme dit Bourdieu, l'élite commande.
contrôle et surtout légitimise les
comportements, les savoirs et les goûts
auxquels les autres strates s'efforcent
de se conformer. Sauf les plus basses qui
disent : « Ce n'est pas pour nous ».
5. La conception « cosmographique »
d’Henri Mendras à partir d’une
représentation à 2 dimensions (revenu
et diplôme)
La toupie :
une image « cosmographique » de la
société: les groupes sont les galaxies qui
grossissent ou réduisent, qui deviennent
brillantes, s'illuminent et illuminent leurs
voisines, ou au contraire s'affaiblissent
et même peuvent s'éteindre. Et ces
galaxies s'organisent en deux
constellations principales : populaire et
centrale : et quelques constellations de
moindre importance : les indépendants,
les techniciens, l’élite dirigeante, les
pauvres,... etc.
Critique de la représentation en
pyramide par Henri Mendras :
Visiblement ce schéma ne colle plus avec
l'évolution de notre société. D'une part
sa stabilité ne rend pas compte du
changement rapide des techniques, des
professions, des moeurs. D'autre part si
l'idée de pouvoir ranger chaque ménage
sur une échelle était tout à fait
acceptable en 1950, elle ne l'est plus
aujourd'hui. Quand l'INSEE a inventé les
CSP c'était possible parce que
- la profession était un bon indicateur du
niveau de revenu et du niveau
d'instruction et par conséquent du mode
de vie ;
- l'hérédité des professions était forte
parce qu'elles changeaient peu ;
- la profession du chef de famille était un
bon indicateur de la position sociale de la
famille : la femme exerçait le même
métier que son conjoint (paysanne.
commerçante. ouvrière. artisane .... etc.)
ou n'avait pas d'emploi (bourgeoise et une
partie des femmes d'ouvriers) ;
- les paysans ne pouvaient se classer sur
cette échelle puisqu'on en trouvait du
haut en bas de la pyramide.
Aujourd'hui ces conditions ne sont plus
actuelles :
- des professions. des métiers
apparaissent, d'autres disparaissent ou
se réduisent à un petit nombre
d'individus ; par conséquent l'hérédité
professionnelle n'est plus aussi répandue
: un(e) informaticien ou un
kinésithérapeute ne peut pas exercer le
même métier que ses parents ;
- le métier ne définit plus strictement le
revenu ni le niveau d'instruction ni par
conséquent le mode de vie qui devient de
plus en plus une construction stratégique
des individus ;
- la femme exerce un métier et poursuit
une carrière qui, malgré l'homogamie est
indépendante de celle de son conjoint
L’intérêt d’une représentation en toupie
(vision « cosmographique ») selon
Henri Mendras
Les avantages de ce schéma :
- il n'est pas stable : la toupie peut
prendre du ventre en fonction des
transformations des galaxies et des
constellations ;
- on peut analyser les modes et les
changements qui sont initiés de plus en
plus par des groupes de la constellation
centrale ;
- on peut l'enrichir en y ajoutant les
catégories d'âge qui recoupent toutes les
constellations et qui prennent de plus en
plus d'importance : adolescence,
jeunesse, âge actif, troisième âge ;
- il permet de prendre en compte l'emploi
féminin dont l'effet principal est de
brouiller la stratification et de renforcer
le mouvement de moyennisation : si le
métier de la femme est « supérieur » à
celui du mari, le ménage monte dans la
hiérarchie : en revanche en haut un
métier de la femme inférieur à celui du
mari ne fait pas descendre le ménage :
par exemple les enfants d'ouvriers n'ont
que de faibles chances de réussite
scolaire si leur mère est ouvrière mais
leurs chances augmentent
considérablement si leur mère est
institutrice, de même pour les enfants du
petit agriculteur ;
- l'élite dirigeante n'est plus conçue
comme gouvernant le tout. Son rôle est
de plus en plus de contrôler le
fonctionnement de l'ensemble : « Je suis
leur chef donc je suis » est sa devise. Les
médias jouent un rôle essentiel à cet
égard : les responsables médiatiques ne
font que renvoyer à la société l'image
(légèrement déformée) qu'elle veut avoir
d'elle-même
- il n'y a plus de classe moyenne puisque
plus personne n'est pris en sandwich
entre une bourgeoisie omniprésente et
rusée et un peuple soumis mais sain. Plus
personne n'est moyen si tout le monde
l'est, plus ou moins !
En conclusion, ne parlons plus ni de
classes ni de stratification. Pour nous
repérer dans notre société, renonçons à
la lutte des classes et à la pyramide.
Essayons d'enrichir cette image
cosmographique par l'analyse des
changements sociaux dont la variété et
les mécanismes divers donnent sa
dynamique endogène à la toupie, qui en
tournant change d'équilibre.
Le texte est d’Henri Mendras, sauf le
texte encadré qui est de Max Weber.
Les titres (en gras) sont de votre
professeur.
Le mobile à la Calder choisi par Pierre
Bourdieu :
D’autres représentations graphiques de l’espace social
Une autre représentation de l’espace social de Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu décrit la société comme un espace à deux dimensions. La polarité verticale désigne la quantité totale de ressources dont
disposent les individus. La polarité horizontale (de gauche à droite) marque la répartition de ces ressources entre capital économique (propriété,
revenus) et capital culturel (diplômes, connaissances). A chaque position sociale, correspondent des styles de vie « idéal-typiques ».
Représentation de l’espace social selon le revenu et le diplôme dont s’est inspiré Henri Mendras
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