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Cécile Rispal
Sylvain Piffeteau
Séance n°9 La politique budgétaire
Politique économique et rôle des anticipations
La notion d’« incertitude radicale » introduite par Keynes dans sa théorie macroéconomique a mis en
avant la dimension temporelle de l’économie : les décisions d’aujourd’hui dépendent de la situation de
demain et des constats tirés du passé. Tous les agents économiques sont alors amenés à anticiper les
comportements des autres agents ainsi que les variables macroéconomiques. Les politiques
économiques se doivent de prendre en compte ces anticipations dans la mesure celles-ci vont
déterminer la réussite ou non de ladite politique, alors qu’inversement les agents économiques vont
anticiper le succès ou non d’une politique économique en cours ou annoncée. L’importance accordée
par les pouvoirs publics aux anticipations se traduit par exemple par l’attention portée au moral des
ménages, indicateur fourni régulièrement par l’INSEE.
Le double-jeu entre anticipations des acteurs économiques et politiques économiques fait que les
anticipations des agents influent et déterminent les politiques économiques alors qu’a contrario les
politiques économiques prennent leur origine dans ces mêmes anticipations tout en tentant de les
réguler.
1- Qu’est-ce qu’une anticipation ?
Les anticipations sont un élément important de l'analyse conjoncturelle, car elles sont le moyen par
lequel se crée un "chaînage" entre les périodes.
La façon dont la pensée économique voit la formation des anticipations a évolué dans le temps :
Keynes, et beaucoup d'autres avec lui, considéraient que les anticipations sont aléatoires (Keynes
se référait à la notion "d'animal spirit", ce qui correspond plus ou moins au concept de "pulsion
vitale"...).
Au cours des années 70 et 80, les modèles de prévision ont fréquemment intégré des mécanismes
"d'anticipations adaptatives», selon lesquelles les agents économiques font des prévisions en
intégrant une partie de l'erreur observée précédemment. Ceci introduit un mécanisme d'apprentissage,
mais atténué et introduit des délais de réaction plus ou moins long ("effets-retard).
► La plupart des économistes se réfèrent aujourd'hui à l'hypothèse que les anticipations sont
rationnelles, c'est-à-dire que les individus utilisent toute l'information disponible pour faire leurs
plans de consommation, d'investissement, d'épargne, etc…
Keynes est considéré comme le premier auteur ayant mis l’accent sur le rôle des anticipations des
agents, dans un contexte d’« incertitude radicale ». Mais Keynes n’explicite pas en tant que telle la
formation des anticipations, qui sont considérées comme exogènes.
Les économistes ont ainsi ensuite explicité les anticipations des agents par une loi de comportement, et
trois formes principales d’anticipations peuvent être distinguées.
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1.1- Les différents types d’anticipations
1.1.1- Les anticipations extrapolatives anticipent les évolutions en fonction des tendances actuelles et
passées de ces variables
L’anticipation extrapolative vise à anticiper les évolutions de certaines variables (le taux d’intérêt, les
prix, les profits, les cours en bourse, la demande…) en fonction des tendances actuelles et passées de
ces variables.
Selon Metzler, la valeur anticipée d’une variable à la période t dépend de sa valeur en t-1 et de la
tendance d’évolution de la variable ; dans le cas des prix, le prix anticipé en t (noté
a
t
P
) est égal à :
)( 211 ttt
a
tPPPP
.
Le coefficient α correspond à un coefficient d’anticipation : si α est positif, cela signifie que l’on
estime que la tendance va se prolonger ; à l’inverse, si α est négatif, on anticipe un renversement de
tendance ; si α est nul, l’agent estime que l’évolution de la variable est identique à celle observée
aujourd’hui.
1.1.2- Les anticipations adaptatives corrigent les erreurs passées
L’anticipation adaptative corrige les erreurs passées, ce qui suppose une certaine maîtrise de
l’information par les agents économiques.
Les monétaristes, dont Friedman, ne pouvaient s’accommoder d’une relation qui justifiait les
politiques de relance ; c’est pourquoi ils vont s’attacher à démontrer, en s’appuyant sur le concept
d’anticipations adaptatives, que l’arbitrage entre inflation et chômage existe à court terme mais
disparaît sur le long terme.
Le concept d’anticipation adaptative s’appuie sur l’idée qu’un agent, en contexte d’information
imparfaite, effectue une anticipation adaptative lorsqu’il adapte ses prévisions en tenant compte de
l’information dont il dispose sur les grandeurs observées dans le passé ainsi que des erreurs
d’anticipations commises sur ces valeurs passées.
La valeur future d’une variable est prévue à partir de sa valeur présente et de l’erreur de prévision faite
à la période passée. La théorie des anticipations adaptatives est critiquée par les tenants de la Nouvelle
Economie Classique, parce qu’elle heurte l’hypothèse de rationalité des agents ; en effet, des agents
rationnels ne devraient pas commettre d’erreurs de façon systématique.
L’évolution anticipée d’une variable à la période t dépend des anticipations formées dans le passé et
des erreurs commises sur ces anticipations. Dans le cas de l’inflation anticipée, l’agent effectue une
moyenne pondérée des taux d’inflation passés (avec des coefficients de pondération décroissants dans
le temps), en tenant compte des écarts entre ces taux d’inflation passés et les prévisions qu’il avait
effectuées ; en raisonnant sur deux périodes, le taux d’inflation anticipé en
)( a
t
Pt
est égal au taux
d’inflation anticipé en
)(1 1
a
t
Pt
, corrigé de l’erreur de prévision constatée en
1t
. :
)( 111 a
tt
a
t
a
tPPPP
Un exemple d’anticipation adaptative adaptée à la courbe de Phillips
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Le caractère naturel de ce chômage n'implique pas que le sous-emploi ne doive pas être combattu,
mais il devrait l'être de manière adéquate. Le taux de chômage naturel peut correspondre à n'importe
quel taux observé ; l'important est de déterminer celui à partir duquel le taux d'inflation augmente.
La courbe de Phillips de court terme reliait la variation du salaire nominal au taux de chômage. Les
salariés étaient donc supposés n'être sensibles qu'aux salaires nominaux alors que ce sont les salaires
réels qui leur importent. En outre, dans les économies modernes, les contrats de travail et le niveau des
salaires sont négociés pour des durées relativement longues. Pour préserver voire augmenter leur
pouvoir d'achat, les salariés doivent donc reformuler des anticipations sur l'inflation. Le graphique
présente la manière dont ces anticipations sont intégrées dans l'analyse et la courbe de Phillips de long
terme qui s'en déduit. Sur ce graphique, les anticipations sont adaptatives.
Les anticipations sont adaptatives lorsque les agents économiques forment des prévisions sur une
variable en se basant sur les valeurs passées de celle-ci et en réduisant progressivement leurs erreurs.
La courbe de Phillips de long terme
CP(10) est une courbe de Phillips de court terme tracée
pour des anticipations d'inflation constantes à 10% ; ces
anticipations sont le fait des agents économiques, et plus
particulièrement des salariés. Au point A, l'inflation
observée est de 10% et le chômage est de 8%. En ce point,
l'inflation n'accélère pas et elle est associée à un taux de
chômage qui peut être qualifié de chômage naturel.
Voulant réduire ce chômage, les pouvoirs publics
relancent l'activité économique par un accroissement de la
demande : le chômage baisse à 3% mais l'inflation
observée s'élève à 13%, alors que
les anticipations demeurent à 10%
: c'est le trajet AB sur la courbe
CP (10). Cependant, au point B,
l'inflation observée n'est plus égale
à l'inflation anticipée. De ce fait,
les salariés révisent leurs
anticipations à la hausse. En effet,
l'inflation à 13% ayant réduit leurs
revenus réels, ils demandent un
accroissement de leurs salaires
nominaux, ce qui, pour un taux
d'inflation donné, augmente le
salaire réel payé par les
entreprises. En conséquence,
celle-ci réduisent leur demande de
travail ; le chômage revient a son
taux naturel ; c'est le trajet BC.
Cependant, le taux d'inflation s'est
accru de 10% à 13% ; c'est ce
qu'illustre le trajet AC (13) pour
former la courbe de Phillips de
long terme CPL, qui est verticale.
Cette analyse met en évidence la responsabilité des politiques de relance de la demande dans le
développement de l'inflation et du chômage.
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La courbe de Phillips de long terme et le concept de taux naturel de chômage, ce dernier sous le nom
de NAIRU (non accelerating rate of unemployment), ont été adoptés par les postkeynésiens. Pour ces
derniers, le NAIRU dépend des rapports de pouvoirs entre les employeurs et les salariés, alors que le
taux de chômage naturel chez les nouveaux classiques est le taux de chômage qui équilibre le marché
du travail. Mais fondamentalement, les deux notions sont considérées comme équivalentes. En France,
le NAIRU a été estimé à 4.4% en 1972. De 1978 à 1994, il s'est établi entre 7 et 8% de la population
active.
Livre : Initiation à la macroéconomie - P 335-337 - La courbe de Phillips de long terme
Source annexe : http://www.retaill-and-co.com/article-18833993.html
1.1.3- Les anticipations rationnelles supposent une maîtrise parfaite de l’information par les agents
économiques
Pour John Muth [1961], puis Robert Lucas & Sargent [1972], les anticipations sont rationnelles ; cela
ne signifie pas que les agents ne commettent jamais d’erreurs, mais qu’ils ont une connaissance
parfaite du fonctionnement de l’économie et qu’ils utilisent toute l’information disponible. Sauf
comportement totalement erratique de l’Etat ou événement imprévisible, les agents anticipent
correctement les conséquences des politiques discrétionnaires, qui peuvent devenir inefficaces.
Les agents forment des anticipations rationnelles s lors qu’ils tirent parti de toute l’information
disponible (et non plus seulement des informations passées) pour établir leur prévisions ; en
conséquence, les agents ne font pas d’erreurs systématiques de prévision, comme dans les cas
d’anticipations adaptatives. On suppose ainsi que les agents connaissent et appliquent le « bon »
modèle de l’économie, en l’occurrence le modèle néoclassique (économie à l’équilibre, prix flexible,
etc.) : ils savent par exemple qu’un accroissement de la masse monétaire doit toutes choses égales
par ailleurs se traduire par une hausse équivalente du niveau général des prix. On note ici le caractère
autoréalisateur des anticipations rationnelles : si les agents croient à la théorie quantitative… cette
dernière est validée par le comportement.
)/( 1
tt
a
tAPEP
La valeur anticipée des prix en
)( a
t
Pt
est égale à l’espérance mathématique E des prix qui se
réaliseront en t, compte tenu de l’ensemble d’information A dont disposent les agents en t-1 ; comme
l’espérance d’erreur entre
et
t
P
est nulle, les agents ne se trompent pas systématiquement.
1.2- Les anticipations représentent un enjeu macroéconomique crucial
1.2.1. Anticipations et rigidités nominales
Les anticipations ne concernent pas seulement les anticipations de prix, et la notion peut être élargie à
de multiples paramètres : anticipations sur les parités de change, sur le taux d'intérêt sans risque, sur la
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prime de risque, sur les mouvements de stocks, sur l'investissement, sur la politique fiscale , sur la
politique monétaire, sur un retournement conjoncturel, etc.
Anticipations sur l’inflation : cf. exemple de la courbe de Phillips supra. Les ménages peuvent
anticiper une hausse des prix lors de l’injection par une Banque centrale de nouvelles
liquidités, ou au contraire anticiper une baisse des prix en raison de mesures fiscales
particulières (comme, par exemple, la réduction de la TVA dans le secteur de la restauration).
Anticipation sur les parités de change : depuis l’introduction du système des changes flottants
en 1973, l’instabilité des taux de change est forte et les crises monétaires régulières.
Anticipation sur le taux d’intérêt sans risque : une hausse des taux d’intérêts réduit
l’investissement des entreprises et l’épargne des ménages, etc.
Anticipation sur la prime de risque : détermine les lieux de placement des fonds disponibles
Anticipation sur les mouvements de stocks
Anticipation sur l’investissement et l’épargne
Anticipation sur la politique fiscale
Anticipation sur la politique monétaire
Anticipation sur un retournement conjoncturel
1.2.2. Tous les agents économiques anticipent
Tous les acteurs anticipent
o Sur les variables macroéconomiques (prix, inflation, taux d’intérêt, etc.)
o Sur les politiques économiques (budgétaire ou monétaire)
o Sur la conjoncture économique (présente ou future)
Les ménages anticipent
o Sur les politiques économiques actuelles et leurs effets à venir
o Sur les politiques économiques futures
Les pouvoirs publics anticipent
o La réaction des ménages aux politiques économiques
o L’évolution de la conjoncture économique pour déterminer les politiques à suivre
La problématique des anticipations est ainsi plurielle et doit être appréhendée à travers les différents
agents anticipant ainsi qu’à travers les multiples paramètres anticipés. Intégrer les anticipations dans
les politiques économiques est devenu un enjeu crucial des politiques économiques. Or, le modèle
ISLM, car fondé sur des prix fixes, ne permet pas d’intégrer les anticipations. C’est pourquoi nous
allons à présent nous intéresser à un autre modèle qui permet d’effectuer le pont entre politiques
économiques et anticipations : le modèle ASAD.
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