Introduction
Il peut être utile de situer le départ de notre réflexion d’ensemble en proposant l’interrogation
suivante : qu’est-ce qui justifie que le travail, par opposition aux autres facteurs de production,
ait développé et auto-entretenu toute une économie du travail en tant que corpus d’idées
distinctes ?
C’est que le travail possède un certain nombre de particularités qui favorisent sa singularité
par rapport aux autres facteurs de production :
1. « Le travailleur vend son travail mais retient le capital en lui-même » (Marshall, 1890) ;
2. Chaque vendeur de travail possède des préférences subjectives à propos de l’usage pour
lequel ce travail est offert, le lieu de l’emploi et les conditions de travail ;
3. Les employeurs ont probablement des préférences subjectives à propos de ceux qu’ils
souhaiteraient embaucher ;
4. Les décisions d’offre de travail et de consommation de biens sont fortement
interdépendantes ;
5. Les offreurs de travail s’organisent souvent en syndicats afin d’entreprendre des actions
collectives pour atteindre leurs objectifs.
La réflexion de Marshall, sur laquelle on se limitera, signifie que les travailleurs ont la
capacité d’apporter des services en travail, grâce aux compétences productives qu’ils
possèdent. Toutefois, de même qu’ils peuvent commercialiser ces services, il leur est en
revanche impossible de vendre le corps humain qui les porte. En cela, les travailleurs et leurs
aptitudes, lesquelles sont à considérer comme du « capital humain », ne peuvent être vendus
de la même manière que du capital physique. Marshall ajoute à cet égard un trait distinctif
supplémentaire du travail, à savoir que « le vendeur du travail doit le fournir lui-même ». La
nature fondamentalement humaine du travail justifie que l’on s’attarde brièvement sur le
capital humain avant de définir l’économie du travail proprement dite et d’évoquer l’ossature
du cours.
1- Le capital humain.
Fondée par Theodore Schultz (Prix Nobel en 1979) et développée par Gary Becker (Prix
Nobel en 1992), la théorie du capital humain constitue une extension de la théorie néo-
classique de l’investissement au domaine de la formation des hommes. De façon générale,
Becker veut repousser les frontières traditionnelles de l’analyse économique, d’une part en
expliquant la formation des goûts des consommateurs, d’autre part en appliquant le modèle de
l’homo-oeconomicus [individu rationnel maximisant une fonction-objectif sous la contrainte
des ressources dont il dispose] à l’étude du comportement humain dans tous les aspects de la
vie sociale (mariage, crime, religion,...).
La théorie du capital humain est donc la théorie selon laquelle toute dépense susceptible
d’améliorer le niveau de formation d’un individu a pour conséquence d’augmenter sa
productivité et donc ses revenus futurs, de la même façon que l’achat de biens de capital par
une entreprise permet à celle-ci d’augmenter sa production et ses recettes ultérieures. Bien que
cette théorie ait été fortement critiquée (notamment par les théoriciens néo-classiques qui
n’ont vu en elle qu’un cas particulier de choix intertemporel), elle met d’autant plus en relief