Corrigé de dissertation
Sujet
A quelles conditions les instruments des politiques climatiques peuvent-ils pallier les défaillances du
marché ?
Introduction
Le climat est un bien collectif mondial. Essentiel aux hommes, mais aussi non excluable et non rival, il
n’est pas correctement valorisé par le marché. Ce dernier se révèle incapable de refléter dans ses prix les
atteintes faites au climat par les activités économiques. Par exemple, le prix des énergies fossiles
génératrices de gaz à effet de serre reflète leur coût d’extraction et leur rareté, mais pas les coûts du
réchauffement climatique. Le marché est donc défaillant puisqu’il ne tient pas compte des externalités
négatives sur le climat et fournit de mauvais signaux aux agents économiques, qui les encouragent à
continuer à polluer. Au final, le niveau de pollution généré par la régulation marchande est trop élevé
pour assurer le bien-être des générations futures.
Ces défaillances du marché justifient que les pouvoirs publics, à différents niveaux (local, national,
supranational), prennent des mesures pour atténuer le réchauffement climatique. Ils disposent en la
matière de trois instruments principaux, dont l’un est réglementaire (les normes) et les deux autres sont
économiques (taxes et quotas assortis de marchés des droits d’émission)
Les pouvoirs publics font face à un dilemme. Si la mise en œuvre des instruments est trop couteuse, il y a
un risque que les acteurs ne suivent pas (que l’on songe au rejet actuel de l’écotaxe en Bretagne). A
l’inverse, si on veut réduire fortement le coût de la mise en œuvre on risque de ne pas atteindre les
objectifs poursuivis. A quelles conditions peut-on assurer à la fois l’adhésion de tous à la lutte contre le
réchauffement climatique et l’efficacité de ces politiques ?
Nous verrons tout d’abord que si l’on veut assurer l’adhésion aux efforts d’atténuation du réchauffement,
il faut en réduire les coûts en recourant à des instruments économiques. Puis que le souci de la réalisation
des objectifs doit tout de même primer sur celui de la réduction des coûts.
I. A condition que les instruments économiques en réduisent le coût
La lutte contre le changement climatique a un coût. Le renchérissement du prix de l’énergie, par exemple,
augmente les prix des produits et services, et réduit le pouvoir. Indirectement, la croissance et l’emploi
sont affectés négativement à court terme. Surtout si les mesures sont prises au niveau national, ce qui peut
nuire à la compétitivité.
I. 1. Les taxes et les marchés de quotas d’émission sont économiquement efficaces
Les taxes et marchés de quotas d’émission permettent de réduire le coût de la dépollution. En effet, une
taxe est plus flexible qu’une norme. Les agents économiques pour qui le coût de la dépollution est
supérieur à la taxe peuvent continuer à polluer et payer la taxe. A l’inverse, ceux pour qui le coût de la
dépollution (par ex prendre les transports en commun au lieu de sa voiture individuelle) est plus faible
que le taxe ont intérêt à réduire leurs émissions. Ainsi, les efforts de réduction des émissions sont
effectués par les agents à qui il coute moins de les réaliser. On arrive au même résultat en termes de
réduction des émissions, mais à moindre coût que via la réglementation.
Le même raisonnement peut être tenu au sujet des marchés de quotas d’émission. Les entreprises qui
peuvent difficilement réduire leurs émissions peuvent acheter des droits à polluer, tandis que celles qui
peuvent réduire leurs émissions sont incitées à le faire pour ensuite vendre leurs excès de quotas. Les
efforts de réduction sont donc effectués là où il est le plus facile de les faire.
Le recours à des instruments économiques peut donc être considéré comme une condition de la capacité
des politiques climatiques à pallier les défaillances du marché. En diminuant le coût de l’atténuation du
réchauffement, ils rendent plus acceptable les efforts d’atténuation et permettent même des objectifs
globaux d’atténuation plus élevés.
I. 2. Mais ils doivent être équitables et combinés selon les situations
La mise en œuvre des instruments doit répartir les efforts d’atténuation de manière équitable entre les
acteurs. C’est pour cela que les pays en développement (jusqu’ici moins responsables des émissions de
GES) ont été tenus jusqu’ici à l’écart des efforts de réduction des émissions. Toutefois ceci ne peut guère
continuer à l’avenir. Il faut donc réduire les émissions dans les pays émergents, mais aussi prévoir des
mécanismes de compensation financière vers ces pays qui ont le droit d’assurer leur développement.
Les instruments de la politique climatique sont complémentaires. La réglementation permet d’agir en cas
d’urgence (pics de pollution) et de fixer des objectifs de moyen et long terme à la R&D des industriels
(doc 4). Les marchés de quotas permettent de contrôler les émissions des grands secteurs industriels.
Quand aux taxes, elles sont bien adaptées aux émissions diffuses émanant de multiples agents. Comme
les émissions n’ont pas une origine unique, pour que les instruments de la politique climatique puisse
pallier les défaillances du marché, il faut que ces instruments soient combinés, en choisissant le champ
d’action de chaque instrument en fonction du domaine où il est le plus adapté. A chaque type d’émission
son instrument, en quelque sorte.
I.3. Et doivent orienter l’économie vers de nouveaux gisements d’emploi et de croissance
Les ressources tirées des taxes carbone et de la mise aux enchères de quotas peuvent être redistribuées
sous la forme de subventions à la transition énergétique (transports publics, isolation, R&D). Si c’est le
cas, comme le montre le document 3, l’emploi peut même progresser dans certains secteurs. Le Centre
d’Analyse Stratégique, envisage ainsi la mise en place d’une taxe carbone portant le prix du carbone à 49
euros la tonne en 2020. Dans ce scénario, en l’absence de redistribution des produits de la taxe, l’emploi
dans la branche des industries des équipements électriques pourrait baisser de 2,8%, alors qu’il pourrait
augmenter de 12% en cas de redistribution de la taxe sous forme de baisse de cotisations sociales et de
soutien à la R&D.
La transition énergétique peut même être favorable à l’ensemble des acteurs. Selon Connie Hedegaard, de
la commission Européenne, « [les réglementations] ne vont pas uniquement permettre de protéger le
climat et de faire économiser de l'argent aux consommateurs. Elles vont aussi stimuler l'innovation et la
compétitivité dans l'industrie automobile européenne et, par conséquent, permettre la création de
nombreux emplois. » (doc 4).
II. Mais cette réduction des coûts ne doit pas conduire à transiger sur les objectifs ou les
moyens
La mise en œuvre du protocole de Kyoto a démontré que la volonté de faire adhérer un grand nombre de
pays en rendant moins contraignants les engagements et en limitant les ambitions pouvait se retourner
contre l’efficacité du dispositif–cf. la défection du Canada par ex. (doc. 1). De même, le Mécanisme de
Développement Propre a eu des effets pervers, les pays en développement ne modernisant plus les
installations existantes très polluantes en dehors du MDP. C’est pourquoi il existe d’autres conditions que
l’efficacité économique au succès des politiques climatiques.
II. 1. Le contrôle et les sanctions sont des conditions d’efficacité
L’absence de sanctions en cas de sortie du protocole de Kyoto ou de non respect des objectifs (-5% /
émissions de 1990 en 2012) a rendu ce dernier peu crédible (doc 2). Sans sanctions proportionnées aux
gains du non respect de la réglementation, les normes d’émission édictées par l’Union Européenne sur les
émissions des véhicules particuliers, ces normes ne seront pas respectées. C’est pourquoi la commission
européenne a prévu une amende pouvant aller jusqu’à 3250 euros par voiture pour les constructeurs dont
les véhicules, en moyenne, émettraient 130 grammes de CO2 par km en 2019 (doc 4). L’existence de
sanctions semble une condition à satisfaire pour que les instruments de la politique climatique aient une
chance de pallier les défaillances du marché.
On a pris conscience à l’occasion de la contestation récente de l’écotaxe sur les poids lourds, que celle-ci
occasionne des coûts de contrôle et de perception très élevés (20% du montant de la taxe). Néanmoins,
sans ces contrôles, il n’est pas possible de taxer le trafic international transitant par la France, ce qui peut
avoir un effet de détournement de trafic vers la France (compte tenu que des équivalents de l’écotaxe
existent dans certains pays voisins). De même, les marchés de quotas ont été victimes de fraudes à la
TVA avant que les contrôles n’y mettent fin. Les contrôles sont une autre condition de l’utilisation réussie
des instruments de la politique climatique.
II. 2. Le prix du carbone doit rester élevé
Pour que les entreprises et les consommateurs soient incités à adopter des techniques et des produits peu
énergivores, il faut que le prix du carbone soit élevé. Or les projets de taxe carbone en France, comme la
future Contribution Climat Energie, prévoient des niveaux de taxe assez modestes (autour de 20 euros /
tonne) alors qu’en Suède, par exemple, la taxe carbone a porté le coût de la tonne de carbone à près de
100 euros, ce qui a eu un réel impact sur la transition énergétique [cours]. Sur le marché des quotas
d’émission, la situation est encore plus préoccupante. En raison de la baisse de la production en Russie,
puis en raison de la crise économique depuis 2008, l’offre de droits à polluer excède la demande. Ainsi, le
prix de la tonne de carbone au comptant est passé de 30 euros avant la crise de 2008 à moins de 5 euros
en février 2013 (doc 1). Un tel niveau de prix retire tout effet incitatif aux marchés de quotas. Au delà
d’un meilleur calibrage des quotas alloués, la mise en œuvre d’un prix plancher apparaît comme une
condition supplémentaire à l’efficacité de cet instruments de la politique climatique. (doc 2)
II. 3. La réglementation reste pertinente
Enfin, la réglementation, même si elle apparaît comme sous optimale aux économistes, conserve des
vertus en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Elle fixe, par exemple des objectifs en
matière d’émission des voitures particulières qui orientent et organisent les efforts des constructeurs (doc
4). Il est vrai que lorsqu’elle porte sur des émissions moyennes, et que lorsque les pénalités sont graduées,
la norme se dote de la souplesse d’une taxe. En ces temps de « révolte fiscale » il est peut-être plus facile
d’imposer des normes aux constructeurs que des taxes aux automobilistes. Et la norme garantit bien
mieux que les taxes que l’objectif d’émission poursuivi sera atteint.
Conclusion
Comme le climat est un bien collectif mondial, si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement
climatique, les politiques climatiques doivent concerner l’ensemble de la planète. L’enjeu est donc de
faire adhérer les citoyens, les entreprises et les Etats à l’effort de lutte contre le réchauffement. Cette
adhésion aura d’autant plus de chance de se produire que les efforts seront moins couteux pour les mêmes
objectifs et équitablement répartis. C’est pourquoi la première condition pour que les instruments de
politique climatique puissent pallier les défaillances du marché est d’adopter des instruments
économiques (taxes, marchés de quotas d’émission) qui permettent de limiter les coûts, et de combiner
ces instruments en fonction des situations où ils sont les plus efficaces. Mais il faut aussi que les recettes
des taxes soient utilisées pour promouvoir le développement de l’économie verte (via l’innovation et la
diffusion des technologies propres).
Toutefois, la seconde condition est que la volonté d’assurer l’adhésion aux programmes de lutte contre le
changement climatique ne vide pas ces programmes de leur substance. Il importe que le niveau des taxes
ne soit pas trop faible, ou que les quotas d’émission ne soient pas alloués en trop grande quantité. En un
mot, le prix du carbone émis doit rester élevé. Jean Tirole propose donc la fixation d’un prix plancher sur
les marchés du carbone.
Enfin, la dernière condition est peut-être de ne pas se priver des ressources de la réglementation. En effet,
comme le montre le cas des normes d’émission des véhicules particulier en Europe, la norme assure à
coup sûr la réalisation des objectifs poursuivis… ce que ne garantissent pas les autres instruments. Quand
les taxes paraissent, à tort ou à raison, socialement inacceptables, la norme peut représenter une
alternative intéressante aux instruments économiques.
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